Aléas et espoirs du nouvel ordre social en Algérie
Après que des apprentis muphtis eurent condamné l’émigration clandestine, version harga algérienne, sous le prétexte que ce serait un grand péché, voire un obstacle rédhibitoire qui éloigne son auteur de la voie du salut, les pouvoirs publics s’apprêtent à criminaliser l’acte des harragas par le truchement d’un projet de loi soumis à l’Assemblée populaire nationale. Peut-on trouver plus maladroite et moins opérante stratégie destinée à la jeunesse algérienne que celle portée, comme dans ce cas de figure, par les pouvoirs temporel et religieux du pays ? Lorsque le désespoir, l’impasse matérielle et morale et la déréliction humaine happent à ce degré des adolescents censés être sur les bancs de l’université ou dans des ateliers industriels quels scrupules religieux ou administratifs pourraient les dissuader à franchir le pas pour une aventure qui se banalise un peu plus chaque jour ? Même les informations macabres rapportées quotidiennement par les médias relatives à des corps de harragas repêchés en mer ou rejetés par les eaux sur les rivages n’ont pas de grand pouvoir de dissuasion.
L’incinération de 600 cadavres d’émigrés clandestins algériens décidée par l’administration espagnole au début du mois en cours n’a pas refroidi les ardeurs de nouveaux candidats partis de Annaba et à partir des côtes de l’Ouest.
En avril 2008 la Télévision nationale s’est distinguée par une émission spécial ‘’Herragas’’ d’une rare audace, même si elle traîne dans son décor des relents démagogiques qui sont tombés comme un cheveu sur la soupe. En tout cas, pour la première fois dans l’histoire tourmentée de la jeunesse algérienne, la société a pu se regarder dans le miroir de la Télévision publique pour s’interroger gravement sur la place et les perspectives qu’elle réserve à la frange la plus importante et la plus grouillante de la population.
Le moins que l’on puisse dire est que la politique de l’État à l’endroit de la jeunesse- si tant est que cette politique existe- a lamentablement échoué. Au début des années 2000, et avec des statistiques qui ne se sont jamais voulues alarmistes, le taux de chômage était estimé à 31 % , dont plus des deux tiers se trouvent être des jeunes de moins de trente ans. C’était intolérable pour un pays qui engrangeait des recettes pétrolières immenses et dont les résultats sur le terrain n’étaient pas visibles. Les dispositifs sociaux de création fictive d’emploi ne faisait en fait que calmer temporairement la fougueuse jeunesse et remettre aux calendes grecques la promotion d’une véritable politique d’emploi et d’investissement destinée à la frange la plus importante de la population.
La réduction du taux de chômage à 12 % de la population active sept ans plus tard ne signifie nullement qu’une politique de création d’emplois a été définitivement mise sur rail. Les dispositifs sociaux se sont multipliés sans que cette transition, censée ouvrir la voie vers l’investissement créateur de richesses, ait débouché sur une stratégie porteuse.
Néanmoins, dans ce ‘’maquis’’ de dispositifs, et pour la première fois depuis que les dispositifs sociaux de création d’emplois ont été mis en place (Filet social, Emploi de jeunes, Pré-emploi), le gouvernement a pu se rapprocher de la formule la plus raisonnable et la plus efficace en la matière en instituant, voilà bientôt une année, un dispositif d’insertion professionnelle des jeunes diplômés. Ce schéma, en vigueur dans la plupart des pays développés touchés par le phénomène de chômage, a été conçu par le ministre du Travail et consiste en un contrat de travail liant un diplômé à un employeur dans lequel l’État interviendra par le financement d’une partie du salaire. Contrairement à la politique suivie jusqu’à ce jour par le dispositif pré-emploi- où l’État paye la totalité d’un salaire de misère pour un poste qui disparaît en deux ans de contrat-, le nouvel instrument réglementaire encourage l’employeur à embaucher des diplômés du fait qu’il ne leur payera qu’une partie du salaire, l’autre partie étant réservée à l’État. Ce dernier se désengagera progressivement de cet accompagnement (45% de participation la première année, 40% la 2e année et 30% la troisième année) avec garantie de couverture sociale et réduction de l’IRG. Sans qu’elle puisse se substituer à une politique d’investissement basée sur la stratégie d’entreprise, cette formule contribuera, à coup sûr, si elle est délestée des carcans bureaucratiques et des habitudes de népotisme, à réduire notablement le chômage et à donner des chances aux jeunes diplômés de se déployer dans le monde du travail avant que le désespoir et le nihilisme n’investisse leur cœur.
Le désordre social en continuelle progression
En remettant en cause, l’année dernière, le taux de chômage officiel tel qu’il est admis au sein des instances administratives du pays, le président de l’Association nationale de la sauvegarde de la jeunesse, Yacine Mechti n’a pas hésité à rejoindre l’inquiétude exprimée dans le rapport sur les Droits de l’homme que Farouk Ksentini avait remis au président de la République en mars 2008, à savoir la possibilité d’une explosion sociale que risque d’entraîner l’impasse sociale dans laquelle se trouve sa jeunesse.
Le président de la République a réuni, en 2007 des responsables administratifs et politiques et un panel de spécialistes pour plancher sur les problèmes de la jeunesse algérienne. Il avait alors répondu ainsi à une demande pressante de la société dont la partie la plus numériquement présente et la plus socialement fragilisée a probablement atteint les limites du tolérable en matière de conditions sociales et d’équilibre psychologique. La frange juvénile représente dans notre pays la proportion la plus importante de la population, à savoir plus de 70% ; cela, même si, au cours des ces dernières années, la tendance à un lent processus de vieillissement de la population commence à se dessiner suite à ralentissement de la natalité, au recul de la mortalité et à l’allongement de l’espérance de vie. En tout cas, sur le plan de la stratégie économique du pays, tous les efforts de la collectivité sont censés tendre vers la garantie d’un avenir meilleur pour les jeunes générations. Cela étant un principe non seulement moral mais aussi de la logique de la continuité générationnelle qui fonde la permanence d’une entité humaine et d’un pays.
Après avoir vécu les illusions d’une distribution de la rente qui a fait beaucoup de mal au pays, les Algériens se découvrent en réalité socialement, économiquement et psychologiquement démunis face aux nouvelles réalités imposées par la libéralisation de l’économie et la mondialisation des échanges et de la culture. Il demeure incontestable que les premières victimes d’un système présenté comme étant ‘’universel’’ sont les jeunes. Happés par le clinquant de la civilisation occidentale-dont on ignore les fondements et les humanités-, les jeunes Algériens ont le monde virtuel à leur portée, via la parabole et l’Internet, pour rêver, faire des projets chimériques, bâtir des châteaux en Espagne ; bref, délirer. La vie par procuration a fini par dénaturer et abîmer le lien des jeunes avec la réalité de leur pays. Cela a un nom : l’aliénation. Cependant, les Algériens sont-ils à blâmer, eux qui se défendent en se disant qu’ils sont victimes d’un système ? Ne font-ils pas partie de ce système-là qui faisait que-à un certain moment où les calculs étroits et l’inculture ne faisaient entrevoir que les intérêts immédiats-tout le monde trouvait son compte ? L’opportunisme, la corruption, la gabegie et la médiocrité ont longtemps constitué, dans une terrible connivence létale, les règles de conduite des groupes sociaux et des institutions.
Les résultats, après le soulèvement de la jeunesse en octobre 1988 et les ébauches de la libéralisation de l’économie dont une partie du processus est vécue sous le règne du terrorisme armé, n’étonnent décidément que ceux qui veulent bien l’être : des cohortes de chômeurs primo-demandeurs d’emploi dont une grande partie est issue de l’université, de nouveaux chômeurs issus de la fermeture des entreprises publiques, banditisme dans les villes et même dans les villages de campagne, commerce et consommation de drogue, agression contre les femmes et les personnes âgées, un taux de suicides historique jamais connu auparavant et, enfin, dernier avatar d’une déréliction humaine que rien ni personne ne semble pouvoir arrêter, l’émigration clandestine via le réseau de ‘’harragas’’.
La fin houleuse d’un faux paradis
Depuis 1989, l’Algérie a initié un processus politique basé sur le multipartisme et cela pour absorber la colère populaire révélée et prolongée par les événements d’octobre 1988. Cette initiative ne répond pas exclusivement à des considérations politiques. C’est, comme le commande la nature des luttes au sein même de la société, le pendant inexorable d’une ouverture économique qui allait peu à peu bouleverser les entreprises algériennes et la stratification social laquelle n’avait naguère pour seule construction que la redistribution de la rente pétrolière à travers des clientèles bâties en cercles concentriques autour d’une citadelle, le sérail politique. Malgré des distinctions observables dans tous les secteurs de la société, les histogrammes du niveau de vie établissaient une classe moyenne assez consistante et des pôles de riches et de pauvres peu visibles. Une certaine perversion des concepts a fait que l’on parle aujourd’hui d’une classe moyenne, réduite à la portion congrue, qui constituerait l’ossature de la démocratie politique. L’erreur réside dans le fait que cette classe n’est pas issue de luttes sociales particulières et que, pour tout dire, cette catégorie est tout simplement factice vu que l’économie algérienne n’était pas basée sur la production mais sur la rente pétrolière. L’autre évidence est que le système politique de l’époque n’était pas un parangon de démocratie.
Source : forum dz
morjane
Après que des apprentis muphtis eurent condamné l’émigration clandestine, version harga algérienne, sous le prétexte que ce serait un grand péché, voire un obstacle rédhibitoire qui éloigne son auteur de la voie du salut, les pouvoirs publics s’apprêtent à criminaliser l’acte des harragas par le truchement d’un projet de loi soumis à l’Assemblée populaire nationale. Peut-on trouver plus maladroite et moins opérante stratégie destinée à la jeunesse algérienne que celle portée, comme dans ce cas de figure, par les pouvoirs temporel et religieux du pays ? Lorsque le désespoir, l’impasse matérielle et morale et la déréliction humaine happent à ce degré des adolescents censés être sur les bancs de l’université ou dans des ateliers industriels quels scrupules religieux ou administratifs pourraient les dissuader à franchir le pas pour une aventure qui se banalise un peu plus chaque jour ? Même les informations macabres rapportées quotidiennement par les médias relatives à des corps de harragas repêchés en mer ou rejetés par les eaux sur les rivages n’ont pas de grand pouvoir de dissuasion.
L’incinération de 600 cadavres d’émigrés clandestins algériens décidée par l’administration espagnole au début du mois en cours n’a pas refroidi les ardeurs de nouveaux candidats partis de Annaba et à partir des côtes de l’Ouest.
En avril 2008 la Télévision nationale s’est distinguée par une émission spécial ‘’Herragas’’ d’une rare audace, même si elle traîne dans son décor des relents démagogiques qui sont tombés comme un cheveu sur la soupe. En tout cas, pour la première fois dans l’histoire tourmentée de la jeunesse algérienne, la société a pu se regarder dans le miroir de la Télévision publique pour s’interroger gravement sur la place et les perspectives qu’elle réserve à la frange la plus importante et la plus grouillante de la population.
Le moins que l’on puisse dire est que la politique de l’État à l’endroit de la jeunesse- si tant est que cette politique existe- a lamentablement échoué. Au début des années 2000, et avec des statistiques qui ne se sont jamais voulues alarmistes, le taux de chômage était estimé à 31 % , dont plus des deux tiers se trouvent être des jeunes de moins de trente ans. C’était intolérable pour un pays qui engrangeait des recettes pétrolières immenses et dont les résultats sur le terrain n’étaient pas visibles. Les dispositifs sociaux de création fictive d’emploi ne faisait en fait que calmer temporairement la fougueuse jeunesse et remettre aux calendes grecques la promotion d’une véritable politique d’emploi et d’investissement destinée à la frange la plus importante de la population.
La réduction du taux de chômage à 12 % de la population active sept ans plus tard ne signifie nullement qu’une politique de création d’emplois a été définitivement mise sur rail. Les dispositifs sociaux se sont multipliés sans que cette transition, censée ouvrir la voie vers l’investissement créateur de richesses, ait débouché sur une stratégie porteuse.
Néanmoins, dans ce ‘’maquis’’ de dispositifs, et pour la première fois depuis que les dispositifs sociaux de création d’emplois ont été mis en place (Filet social, Emploi de jeunes, Pré-emploi), le gouvernement a pu se rapprocher de la formule la plus raisonnable et la plus efficace en la matière en instituant, voilà bientôt une année, un dispositif d’insertion professionnelle des jeunes diplômés. Ce schéma, en vigueur dans la plupart des pays développés touchés par le phénomène de chômage, a été conçu par le ministre du Travail et consiste en un contrat de travail liant un diplômé à un employeur dans lequel l’État interviendra par le financement d’une partie du salaire. Contrairement à la politique suivie jusqu’à ce jour par le dispositif pré-emploi- où l’État paye la totalité d’un salaire de misère pour un poste qui disparaît en deux ans de contrat-, le nouvel instrument réglementaire encourage l’employeur à embaucher des diplômés du fait qu’il ne leur payera qu’une partie du salaire, l’autre partie étant réservée à l’État. Ce dernier se désengagera progressivement de cet accompagnement (45% de participation la première année, 40% la 2e année et 30% la troisième année) avec garantie de couverture sociale et réduction de l’IRG. Sans qu’elle puisse se substituer à une politique d’investissement basée sur la stratégie d’entreprise, cette formule contribuera, à coup sûr, si elle est délestée des carcans bureaucratiques et des habitudes de népotisme, à réduire notablement le chômage et à donner des chances aux jeunes diplômés de se déployer dans le monde du travail avant que le désespoir et le nihilisme n’investisse leur cœur.
Le désordre social en continuelle progression
En remettant en cause, l’année dernière, le taux de chômage officiel tel qu’il est admis au sein des instances administratives du pays, le président de l’Association nationale de la sauvegarde de la jeunesse, Yacine Mechti n’a pas hésité à rejoindre l’inquiétude exprimée dans le rapport sur les Droits de l’homme que Farouk Ksentini avait remis au président de la République en mars 2008, à savoir la possibilité d’une explosion sociale que risque d’entraîner l’impasse sociale dans laquelle se trouve sa jeunesse.
Le président de la République a réuni, en 2007 des responsables administratifs et politiques et un panel de spécialistes pour plancher sur les problèmes de la jeunesse algérienne. Il avait alors répondu ainsi à une demande pressante de la société dont la partie la plus numériquement présente et la plus socialement fragilisée a probablement atteint les limites du tolérable en matière de conditions sociales et d’équilibre psychologique. La frange juvénile représente dans notre pays la proportion la plus importante de la population, à savoir plus de 70% ; cela, même si, au cours des ces dernières années, la tendance à un lent processus de vieillissement de la population commence à se dessiner suite à ralentissement de la natalité, au recul de la mortalité et à l’allongement de l’espérance de vie. En tout cas, sur le plan de la stratégie économique du pays, tous les efforts de la collectivité sont censés tendre vers la garantie d’un avenir meilleur pour les jeunes générations. Cela étant un principe non seulement moral mais aussi de la logique de la continuité générationnelle qui fonde la permanence d’une entité humaine et d’un pays.
Après avoir vécu les illusions d’une distribution de la rente qui a fait beaucoup de mal au pays, les Algériens se découvrent en réalité socialement, économiquement et psychologiquement démunis face aux nouvelles réalités imposées par la libéralisation de l’économie et la mondialisation des échanges et de la culture. Il demeure incontestable que les premières victimes d’un système présenté comme étant ‘’universel’’ sont les jeunes. Happés par le clinquant de la civilisation occidentale-dont on ignore les fondements et les humanités-, les jeunes Algériens ont le monde virtuel à leur portée, via la parabole et l’Internet, pour rêver, faire des projets chimériques, bâtir des châteaux en Espagne ; bref, délirer. La vie par procuration a fini par dénaturer et abîmer le lien des jeunes avec la réalité de leur pays. Cela a un nom : l’aliénation. Cependant, les Algériens sont-ils à blâmer, eux qui se défendent en se disant qu’ils sont victimes d’un système ? Ne font-ils pas partie de ce système-là qui faisait que-à un certain moment où les calculs étroits et l’inculture ne faisaient entrevoir que les intérêts immédiats-tout le monde trouvait son compte ? L’opportunisme, la corruption, la gabegie et la médiocrité ont longtemps constitué, dans une terrible connivence létale, les règles de conduite des groupes sociaux et des institutions.
Les résultats, après le soulèvement de la jeunesse en octobre 1988 et les ébauches de la libéralisation de l’économie dont une partie du processus est vécue sous le règne du terrorisme armé, n’étonnent décidément que ceux qui veulent bien l’être : des cohortes de chômeurs primo-demandeurs d’emploi dont une grande partie est issue de l’université, de nouveaux chômeurs issus de la fermeture des entreprises publiques, banditisme dans les villes et même dans les villages de campagne, commerce et consommation de drogue, agression contre les femmes et les personnes âgées, un taux de suicides historique jamais connu auparavant et, enfin, dernier avatar d’une déréliction humaine que rien ni personne ne semble pouvoir arrêter, l’émigration clandestine via le réseau de ‘’harragas’’.
La fin houleuse d’un faux paradis
Depuis 1989, l’Algérie a initié un processus politique basé sur le multipartisme et cela pour absorber la colère populaire révélée et prolongée par les événements d’octobre 1988. Cette initiative ne répond pas exclusivement à des considérations politiques. C’est, comme le commande la nature des luttes au sein même de la société, le pendant inexorable d’une ouverture économique qui allait peu à peu bouleverser les entreprises algériennes et la stratification social laquelle n’avait naguère pour seule construction que la redistribution de la rente pétrolière à travers des clientèles bâties en cercles concentriques autour d’une citadelle, le sérail politique. Malgré des distinctions observables dans tous les secteurs de la société, les histogrammes du niveau de vie établissaient une classe moyenne assez consistante et des pôles de riches et de pauvres peu visibles. Une certaine perversion des concepts a fait que l’on parle aujourd’hui d’une classe moyenne, réduite à la portion congrue, qui constituerait l’ossature de la démocratie politique. L’erreur réside dans le fait que cette classe n’est pas issue de luttes sociales particulières et que, pour tout dire, cette catégorie est tout simplement factice vu que l’économie algérienne n’était pas basée sur la production mais sur la rente pétrolière. L’autre évidence est que le système politique de l’époque n’était pas un parangon de démocratie.
Source : forum dz
morjane