Difficultés de la vie, chômage et marginalisation
Le voyage de la dernière chance
Depuis l’adoption de l’ISPS code maritime, code international pour la sécurité des navires et des installations portuaires, le 1er juillet 2004, et le renforcement des mesures de sécurité aux ports, les candidats à « l’exil forcé » redoublent d’ingéniosité.
Ils passent de l’embarquement clandestin à bord de navires étrangers à la traversée à l’aide de bouées en chambre à air, aux radeaux de fortune pour finalement opter pour des zodiacs superpuissants et la diversification des sites de départ qui ne se limitent plus aux ports, notamment ceux d’Arzew et d’Oran. En effet, les villes de la façade maritime se distinguent, sans aucun doute plus que toutes les autres villes d’ailleurs, par un taux alarmant de jeunes harraga candidats à l’exil forcé. Les tentatives d’embarquement clandestin défrayent quotidiennement la chronique en dépit des mesures réglementaires dissuasives contenues dans les dispositions pénales de la loi du 27 juin 1988, complétant l’ordonnance n° 76-80 du 23 octobre 1976 portant code maritime, des peines d’emprisonnement pouvant aller de six mois à cinq ans de prison et une amende variant de 10 000 à 50 000 DA à l’encontre des personnes qui s’introduisent clandestinement à bord d’un navire avec l’intention de faire une traversée. Les statistiques démontrent l’ampleur d’un phénomène social sans cesse grandissant. En effet, malgré toutes les dispositions réglementaires, le nombre de candidats à l’exil forcé dépasse l’entendement. Pour l’année 1999, les autorités compétentes ont recensé pas moins de 175 tentatives d’embarquement à partir du port d’Arzew. Au cours de l’année 2000, pas moins de 133 jeunes ont été pris en flagrant délit de tentative d’embarquement clandestin. Les statistiques pour l’année 2001 et 2002 dépassent, selon une source autorisée, les 500 jeunes. Pour le seul port d’Oran, pas moins de 175 mineurs ont été appréhendés durant les onze premiers mois de l’année 2002. En août de la même année, les autorités espagnoles ont expulsé 299 jeunes clandestins vers Oran. Il est à signaler que ces tentatives ratées ne prennent pas en compte le nombre, certainement très élevé, de jeunes ayant réussi leur coup. Le bilan des forces navales fait état de l’arrestation de plus de 1530 émigrés clandestins en 2007 dont 1485 Algériens. Ces arrestations concernent l’arraisonnement en haute mer de 1377 individus et le débarquement au port de 135 candidats à l’exil forcé. Ces chiffres comparés à ceux des années 2005 avec 335 tentatives, et 2006 avec 1016 donnent le tournis et révèlent l’ampleur des difficultés de la vie, du chômage auquel sont confrontés de larges couches de la jeunesse, de la marginalisation systématique et de la mise à l’écart, qui sont autant de raisons invoquées par les fugueurs et qui les poussent à tenter le voyage de la dernière chance. Et parmi eux, bien sûr, ceux qui appartiennent aux milieux les plus pauvres. Souvent des enfants exclus du système éducatif trop tôt et trop vite assimilés aux fauteurs de troubles qui ont soudain, par leur violence, leur anticonformisme et leurs « casses » attiré l’attention sur le sort souvent désespéré des habitants des cités dortoirs. Mais plus encore que les abandonnés du système d’enseignement, c’est bien l’instauration d’une société à deux vitesses, sans autre projet que celui d’être des marginaux, sans autre choix que celui de tenter désespérément, dans un éternel recommencement, des tentatives d’embarquement clandestin à partir du port qui motivent ces jeunes. Arzew, reconnue par tous comme étant le poumon de l’économie nationale, nie le droit au travail pour tous et prive d’avenir une grande partie de sa jeunesse. La ville d’Arzew illustre de façon quasi caricaturale cette exclusion.
Le no man’s land
Dès la nuit tombée, des groupes de jeunes se forment aux abords des immeubles, à la périphérie des cités. Ils s’adonnent à toutes sortes de jeux, souvent interdits, et de défis souvent répréhensibles pour échapper à l’oisiveté et à la platitude de leur quotidien. Leurs soirées généralement pimentées de boissons alcoolisées et de joints de « zetla » se terminent souvent par des rixes et des empoignades qui indisposent le voisinage. Au-delà d’une certaine heure de la nuit, ils redeviennent les maîtres incontestés et incontestables des lieux. Ceux qui s’aventurent pour une raison ou une autre dans ce no man’s land sont raquettés ou pris à partie.
La désillusion ou le rêve brisé
Malgré les rondes quasi permanentes des services de sécurité dans les différentes cités de la ville, ces derniers sont assaillis par des affaires d’agression, de vol avec violence, d’escroquerie et délits en tous genres. Cet état de fait, nous confiera un psychosociologue, « trouve toute sa signification dans la mesure où l’existence du jeune exclu est privée de sens, ce qui se traduit peu à peu par la petite délinquance, la drogue, le vandalisme... des réactions qui permettent soit de s’affirmer face à une société qui vous nie, soit de retrouver une identité collective au sein du groupe d’appartenance. Pour les jeunes, victimes de cette montée des inégalités, l’injustice est vivement ressentie, d’où la recrudescence des comportements de délinquance et des comportements déviationnistes. Ce qui s’explique sans aucun doute par la grande pauvreté dans une société qui continue à s’enrichir au profit exclusif des mieux lotis. »En effet, le nombre de jeunes qui tentent désespérément, souvent au péril de leur vie, de quitter le pays est en nette augmentation, et leur âge est de plus en plus bas. Les statistiques qui, d’ailleurs, ne prennent en compte que les tentatives échouées, prouvent par les chiffres cette tendance à la hausse. Sinon, comment expliquer qu’un jeune âgé d’à peine 19 ans cumule à son actif quatre tentatives d’embarquement clandestin et affirme à qui veut l’entendre qu’il « tentera encore et encore sa chance pour échapper à la détresse de sa cité ? ». Qu’est-ce qui peut pousser un jeune de 17 ans à braver tous les dangers en quête d’un eldorado outre-mer ? Cet état de fait est, selon de nombreux observateurs, « le résultat d’une politique sociale et d’un projet de société qui ont tourné résolument le dos à 70% de la population de ce pays ». L’exemple du miraculé du céréalier chinois le Jing Hang Haï après avoir passé vingt jours en mer et repêché au large des côtes algéroises, le 14 août 2005, une fois remis de ses blessures, a été appréhendé, une fois de plus, à bord d’un navire étranger amarré au port d’Oran et placé sous mandat de dépôt pour tentative d’embarquement clandestin. Pour les jeunes exclus, continuera notre interlocuteur : « Le problème n’est pas de se libérer ou de construire une autre société, il se pose en termes d’intégration dans une société qui ne veut pas d’eux. C’est l’exclusion qui est aujourd’hui le mal social prioritaire. » Devant la monotonie, l’oisiveté et l’exclusion, le désir de prendre le large devient une obsession chez beaucoup de jeunes pour qui l’avenir est de plus en plus sombre. Cependant, lorsque le rêve courtise l’aventure, le désir d’aller voir ailleurs sera toujours plus fort que la vie. Tant que les causes du désespoir de toute une jeunesse ne seront pas bannies, il y aura toujours des candidats à l’exil forcé.
[url=mailto://]S. Boudjemaâ[/url]
Le voyage de la dernière chance
Depuis l’adoption de l’ISPS code maritime, code international pour la sécurité des navires et des installations portuaires, le 1er juillet 2004, et le renforcement des mesures de sécurité aux ports, les candidats à « l’exil forcé » redoublent d’ingéniosité.
Ils passent de l’embarquement clandestin à bord de navires étrangers à la traversée à l’aide de bouées en chambre à air, aux radeaux de fortune pour finalement opter pour des zodiacs superpuissants et la diversification des sites de départ qui ne se limitent plus aux ports, notamment ceux d’Arzew et d’Oran. En effet, les villes de la façade maritime se distinguent, sans aucun doute plus que toutes les autres villes d’ailleurs, par un taux alarmant de jeunes harraga candidats à l’exil forcé. Les tentatives d’embarquement clandestin défrayent quotidiennement la chronique en dépit des mesures réglementaires dissuasives contenues dans les dispositions pénales de la loi du 27 juin 1988, complétant l’ordonnance n° 76-80 du 23 octobre 1976 portant code maritime, des peines d’emprisonnement pouvant aller de six mois à cinq ans de prison et une amende variant de 10 000 à 50 000 DA à l’encontre des personnes qui s’introduisent clandestinement à bord d’un navire avec l’intention de faire une traversée. Les statistiques démontrent l’ampleur d’un phénomène social sans cesse grandissant. En effet, malgré toutes les dispositions réglementaires, le nombre de candidats à l’exil forcé dépasse l’entendement. Pour l’année 1999, les autorités compétentes ont recensé pas moins de 175 tentatives d’embarquement à partir du port d’Arzew. Au cours de l’année 2000, pas moins de 133 jeunes ont été pris en flagrant délit de tentative d’embarquement clandestin. Les statistiques pour l’année 2001 et 2002 dépassent, selon une source autorisée, les 500 jeunes. Pour le seul port d’Oran, pas moins de 175 mineurs ont été appréhendés durant les onze premiers mois de l’année 2002. En août de la même année, les autorités espagnoles ont expulsé 299 jeunes clandestins vers Oran. Il est à signaler que ces tentatives ratées ne prennent pas en compte le nombre, certainement très élevé, de jeunes ayant réussi leur coup. Le bilan des forces navales fait état de l’arrestation de plus de 1530 émigrés clandestins en 2007 dont 1485 Algériens. Ces arrestations concernent l’arraisonnement en haute mer de 1377 individus et le débarquement au port de 135 candidats à l’exil forcé. Ces chiffres comparés à ceux des années 2005 avec 335 tentatives, et 2006 avec 1016 donnent le tournis et révèlent l’ampleur des difficultés de la vie, du chômage auquel sont confrontés de larges couches de la jeunesse, de la marginalisation systématique et de la mise à l’écart, qui sont autant de raisons invoquées par les fugueurs et qui les poussent à tenter le voyage de la dernière chance. Et parmi eux, bien sûr, ceux qui appartiennent aux milieux les plus pauvres. Souvent des enfants exclus du système éducatif trop tôt et trop vite assimilés aux fauteurs de troubles qui ont soudain, par leur violence, leur anticonformisme et leurs « casses » attiré l’attention sur le sort souvent désespéré des habitants des cités dortoirs. Mais plus encore que les abandonnés du système d’enseignement, c’est bien l’instauration d’une société à deux vitesses, sans autre projet que celui d’être des marginaux, sans autre choix que celui de tenter désespérément, dans un éternel recommencement, des tentatives d’embarquement clandestin à partir du port qui motivent ces jeunes. Arzew, reconnue par tous comme étant le poumon de l’économie nationale, nie le droit au travail pour tous et prive d’avenir une grande partie de sa jeunesse. La ville d’Arzew illustre de façon quasi caricaturale cette exclusion.
Le no man’s land
Dès la nuit tombée, des groupes de jeunes se forment aux abords des immeubles, à la périphérie des cités. Ils s’adonnent à toutes sortes de jeux, souvent interdits, et de défis souvent répréhensibles pour échapper à l’oisiveté et à la platitude de leur quotidien. Leurs soirées généralement pimentées de boissons alcoolisées et de joints de « zetla » se terminent souvent par des rixes et des empoignades qui indisposent le voisinage. Au-delà d’une certaine heure de la nuit, ils redeviennent les maîtres incontestés et incontestables des lieux. Ceux qui s’aventurent pour une raison ou une autre dans ce no man’s land sont raquettés ou pris à partie.
La désillusion ou le rêve brisé
Malgré les rondes quasi permanentes des services de sécurité dans les différentes cités de la ville, ces derniers sont assaillis par des affaires d’agression, de vol avec violence, d’escroquerie et délits en tous genres. Cet état de fait, nous confiera un psychosociologue, « trouve toute sa signification dans la mesure où l’existence du jeune exclu est privée de sens, ce qui se traduit peu à peu par la petite délinquance, la drogue, le vandalisme... des réactions qui permettent soit de s’affirmer face à une société qui vous nie, soit de retrouver une identité collective au sein du groupe d’appartenance. Pour les jeunes, victimes de cette montée des inégalités, l’injustice est vivement ressentie, d’où la recrudescence des comportements de délinquance et des comportements déviationnistes. Ce qui s’explique sans aucun doute par la grande pauvreté dans une société qui continue à s’enrichir au profit exclusif des mieux lotis. »En effet, le nombre de jeunes qui tentent désespérément, souvent au péril de leur vie, de quitter le pays est en nette augmentation, et leur âge est de plus en plus bas. Les statistiques qui, d’ailleurs, ne prennent en compte que les tentatives échouées, prouvent par les chiffres cette tendance à la hausse. Sinon, comment expliquer qu’un jeune âgé d’à peine 19 ans cumule à son actif quatre tentatives d’embarquement clandestin et affirme à qui veut l’entendre qu’il « tentera encore et encore sa chance pour échapper à la détresse de sa cité ? ». Qu’est-ce qui peut pousser un jeune de 17 ans à braver tous les dangers en quête d’un eldorado outre-mer ? Cet état de fait est, selon de nombreux observateurs, « le résultat d’une politique sociale et d’un projet de société qui ont tourné résolument le dos à 70% de la population de ce pays ». L’exemple du miraculé du céréalier chinois le Jing Hang Haï après avoir passé vingt jours en mer et repêché au large des côtes algéroises, le 14 août 2005, une fois remis de ses blessures, a été appréhendé, une fois de plus, à bord d’un navire étranger amarré au port d’Oran et placé sous mandat de dépôt pour tentative d’embarquement clandestin. Pour les jeunes exclus, continuera notre interlocuteur : « Le problème n’est pas de se libérer ou de construire une autre société, il se pose en termes d’intégration dans une société qui ne veut pas d’eux. C’est l’exclusion qui est aujourd’hui le mal social prioritaire. » Devant la monotonie, l’oisiveté et l’exclusion, le désir de prendre le large devient une obsession chez beaucoup de jeunes pour qui l’avenir est de plus en plus sombre. Cependant, lorsque le rêve courtise l’aventure, le désir d’aller voir ailleurs sera toujours plus fort que la vie. Tant que les causes du désespoir de toute une jeunesse ne seront pas bannies, il y aura toujours des candidats à l’exil forcé.
[url=mailto://]S. Boudjemaâ[/url]