L'Algérie pétrifiée
le 13 Juin, 2008 13:18:00 |
Voici que les attentats claquent à nouveau dans plusieurs régions d'Algérie. Ils visent principalement les forces répressives, armée et police, et les intérêts étrangers, notamment français. Comme toujours dans l'action terroriste, de nombreuses autres victimes sont frappées par hasard. La peur revient donc dans ce pays que la mer, la lumière, la beauté et les richesses naturelles avaient promis au bonheur.
Une accalmie s'était pourtant installée après que dix ans d'une guerre civile sans nom mais impitoyable avait opposé, d'une part, l'armée aux islamistes et, d'autre part, différents clans militaires entre eux et diverses factions religieuses entre elles. Car tout est toujours plus compliqué qu'on ne le croit dans ce pays secret. L'exemple de l'horrible assassinat des moines de Tibéhirine en 1996 le prouve : douze ans ont passé et personne ne peut dire avec certitude si ces religieux ont été victimes des extrémistes du GIA ou d'une provocation de l'armée souhaitant obtenir un soutien total des services français dans la répression anti-islamiste, ou encore d'un mélange des deux. Une chose est sûre, en revanche, c'est l'extraordinaire immobilisme du régime.
Cela tient peu à son président vieillissant car son poids réel est faible. Il n'est guère plus que le point d'équilibre des divers clans militaires qui se partagent le pouvoir. La véritable cause de l'immobilisme, c'est l'attitude de ces clans dont l'origine est fort ancienne. Elle remonte à la victoire des militaires sur les politiques du FLN, symbolisée par l'éviction de Ben Bella par le colonel Boumediene en 1965. Depuis lors, après une période initiale où l'influence soviétique colora les décisions d'une apparence idéologique, le pouvoir des militaires n'a plus pour seul horizon que l'accaparement des richesses du pays. Cette politique prédatrice se développe par étapes, les chocs pétroliers de 1973 et 1979 constituant des marches vers le haut de la pyramide des immenses profits tirés de la rente pétrolière et gazière. Avec le baril loin au-dessus de 100 dollars, elle est à son apogée. La chance exceptionnelle offerte par cette rente aurait pu conduire ce pays à une politique d'investissement et à une politique de redistribution de revenus qui aurait assuré croissance économique et équité sociale. L'Algérie avait - et a encore - les moyens de devenir une puissance majeure de la Méditerranée. Mais le pouvoir s'est pétrifié dans ses rentes, laissant son peuple dans la pauvreté et sa jeunesse dans le désespoir, et créant par là même le meilleur terreau pour le fondamentalisme. Lorsque celui-ci est apparu trop menaçant au début des années 1990, l'armée a entrepris une répression d'une violence inouïe qui a réussi à réduire un moment la violence du camp religieux. Mais tant que la question économique et sociale restera bloquée par un pouvoir pétrifié, la violence religieuse, nourrie par la colère sociale resurgira. On le constate, hélas, aujourd'hui. Favilla – Les Echos
le 13 Juin, 2008 13:18:00 |
Voici que les attentats claquent à nouveau dans plusieurs régions d'Algérie. Ils visent principalement les forces répressives, armée et police, et les intérêts étrangers, notamment français. Comme toujours dans l'action terroriste, de nombreuses autres victimes sont frappées par hasard. La peur revient donc dans ce pays que la mer, la lumière, la beauté et les richesses naturelles avaient promis au bonheur.
Une accalmie s'était pourtant installée après que dix ans d'une guerre civile sans nom mais impitoyable avait opposé, d'une part, l'armée aux islamistes et, d'autre part, différents clans militaires entre eux et diverses factions religieuses entre elles. Car tout est toujours plus compliqué qu'on ne le croit dans ce pays secret. L'exemple de l'horrible assassinat des moines de Tibéhirine en 1996 le prouve : douze ans ont passé et personne ne peut dire avec certitude si ces religieux ont été victimes des extrémistes du GIA ou d'une provocation de l'armée souhaitant obtenir un soutien total des services français dans la répression anti-islamiste, ou encore d'un mélange des deux. Une chose est sûre, en revanche, c'est l'extraordinaire immobilisme du régime.
Cela tient peu à son président vieillissant car son poids réel est faible. Il n'est guère plus que le point d'équilibre des divers clans militaires qui se partagent le pouvoir. La véritable cause de l'immobilisme, c'est l'attitude de ces clans dont l'origine est fort ancienne. Elle remonte à la victoire des militaires sur les politiques du FLN, symbolisée par l'éviction de Ben Bella par le colonel Boumediene en 1965. Depuis lors, après une période initiale où l'influence soviétique colora les décisions d'une apparence idéologique, le pouvoir des militaires n'a plus pour seul horizon que l'accaparement des richesses du pays. Cette politique prédatrice se développe par étapes, les chocs pétroliers de 1973 et 1979 constituant des marches vers le haut de la pyramide des immenses profits tirés de la rente pétrolière et gazière. Avec le baril loin au-dessus de 100 dollars, elle est à son apogée. La chance exceptionnelle offerte par cette rente aurait pu conduire ce pays à une politique d'investissement et à une politique de redistribution de revenus qui aurait assuré croissance économique et équité sociale. L'Algérie avait - et a encore - les moyens de devenir une puissance majeure de la Méditerranée. Mais le pouvoir s'est pétrifié dans ses rentes, laissant son peuple dans la pauvreté et sa jeunesse dans le désespoir, et créant par là même le meilleur terreau pour le fondamentalisme. Lorsque celui-ci est apparu trop menaçant au début des années 1990, l'armée a entrepris une répression d'une violence inouïe qui a réussi à réduire un moment la violence du camp religieux. Mais tant que la question économique et sociale restera bloquée par un pouvoir pétrifié, la violence religieuse, nourrie par la colère sociale resurgira. On le constate, hélas, aujourd'hui. Favilla – Les Echos