L'armée pourvoyeuse de chefs d'etat ?
par Ammar Koroghli *
Au
moment où la Mauritanie semble renouer avec le cycle révolu des coups
de force et suite à la «passe d'armes» dans la presse nationale, entre
des citoyens Algériens**, notamment autour du thème concernant l'Armée,
j'expose dans cette modeste contribution, une analyse des rapports de
l'Armée-singulièrement de sa haute hiérarchie- au Pouvoir avec en
filigrane la question de savoir si celle-ci est bien la matrice
pourvoyeuse des chefs d'Etat algériens et, conséquemment, dans quelle
mesure il serait possible de prétendre qu'elle s'en tient et se tiendra
à une stricte «neutralité» lors de la prochaine élection présidentielle
d'avril 2009 ? A plusieurs, nous pourrions sans doute aboutir à
l'élaboration d'une théorie générale du pouvoir afin de caractérisation
du système politique algérien qui a sérieusement besoin d'évolution. A
cet égard, si l'apolitisme semble être l'une des principales
caractéristiques des armées européennes occidentales (celles des
régimes à démocratie populaire avaient conservé des prérogatives non
négligeables, nonobstant la prééminence affichée des partis uniques
d'alors), tel n'est pas le cas dans les pays dits du tiers-monde où
l'institution militaire demeure une force politique souvent mêlée aux
tâches de développement économique dans une triple perspective :
fournir à l'Armée des occupations pour éviter d'avoir une armée
désoeuvrée qui se livrerait à des intrigues politiques, l'intégrer dans
la nation en l'associant à l'effort de développement national et
amortir son coût exorbitant (souvent, les armées du tiers-monde sont
qualifiées de budgétivores)***.
En Algérie, la lutte de
Libération nationale a suscité une organisation militaire en vue de
l'Indépendance. D'armée insurrectionnelle, l'Armée de libération
nationale (ALN) est devenue conventionnelle : Armée nationale populaire
(ANP). C'est ainsi qu'au lendemain de l'indépendance nationale, soudée
autour du groupe d'Oujda, l'état-major général - en sa qualité de
direction militaire - s'est affirmé comme force politique et s'est
retrouvé au sein du Conseil de la révolution dès le 19 juin 1965 (et
plus tard au BP du FLN, alors parti unique). En effet, la lutte armée a
exigé la mise en place d'une organisation hybride à vocation
politico-militaire (le FLN-ALN) qui a perduré au lendemain de
l'Indépendance ; ce qui a d'ailleurs fait dire à Ben Bella : « La
reconversion de notre appareil politico-militaire est indispensable
Nous devrons faire la distinction entre le parti et l'Armée ».
Les questions de la place de l'Armée dans la société et son rapport au
pouvoir politique furent ainsi posées. Ce qui n'était pas une mince
affaire dans la mesure où pour Boumediène, alors principal responsable
de l'Armée, celle-ci avait une double mission : défense de l'intégrité
du territoire national et participation au développement du pays.
Aussi, pour ce dernier : « Aucune révolution réelle n'est réalisable
sans la présence d'une armée d'origine populaire, d'idéologie
révolutionnaire, alliée des masses laborieuses ». De même, dira-t-il :
« Comment entreprendre une révolution socialiste d'une manière radicale
dans un pays en voie de développement en s'appuyant sur les lois de la
bourgeoisie et sur une armée réactionnaire ? ». L'Armée se veut donc
d'essence populaire, thèse reprise par la Charte nationale et consacrée
par la Constitution de 1976.
Au plan politique, des officiers
supérieurs ont occupé depuis des postes importants : ministres, walis,
PDG de sociétés nationales Pour mémoire, la même situation a été
suscitée dans l'Egypte du temps de Nasser. Il est vrai cependant que la
conquête du Pouvoir par l'Armée des pays du tiers-monde (Amérique
latine et Afrique notamment) s'est souvent effectuée sous le couvert de
coups d'Etat ; l'avènement du pouvoir militaire (immixtion dans la vie
politique) s'effectue d'évidence à l'encontre de l'ordre
constitutionnel établi (l'actualité mauritanienne emble le confirmer,
quoique qu'en en disent ses promoteurs). Ce faisant, l'institution de
l'Armée monopolise le pouvoir qu'elle exerce soit directement en
s'improvisant structure gouvernante, soit par l'entremise
d'hommes-liges pressentis dans la société civile à seule fin de ne pas
se mettre en avant, le Pouvoir étant en apparence exercé collégialement
mais, en fait, un primus inter pares s'impose le plus souvent.
Historiquement, si la lutte armée algérienne pour l'indépendance
nationale était l'objectif visé par les « hommes historiques » (Aït
Ahmed, Ben Bella, Ben Boulaïd, Bitat, Boudiaf, Ben M'hidi, Didouche,
Khider et Krim) par la mise sur pied du FLN, l'ALN en constituait la
branche militaire ; celle-ci fut d'abord une organisation conduite par
cinq colonels à raison d'un par wilaya, chacun étant assisté de trois
commandants chargés respectivement des questions politiques,
militaires, liaisons et renseignements. Le Congrès de la Soummam, qui
s'est tenu le 20 août 1956, s'est doté de deux organes de direction
nationale : le Conseil national de la révolution algérienne (CNRA) et
le Comité de coordination et d'exécution (CCF) ainsi que d'une
plate-forme politique. Au cours de ce congrès, trois principes
directeurs ont été, en vain, affirmés : direction collégiale, primauté
de l'intérieur sur l'extérieur et primauté du politique sur le
militaire. Toutefois, le triumvirat militaire (Krim, Ben Tobbal et
Boussouf), membres du CCE, va graduellement s'imposer comme chef de la
Révolution algérienne à partir du début de l'année 1957, notamment
après la décision de transfert du CCE d'Alger à Tunis.
En
outre, la direction du FLN-ALN va être incarnée par ce triumvirat à la
suite de l'arrestation des « hommes historiques ». Ces mêmes hommes
vont décider, le 19 septembre 1958, de la création d'un gouvernement
provisoire de la République algérienne (GPRA) dans lequel ils
détiennent des postes-clés (1). A cette période donc, le centre de
pouvoir se trouvait déjà entre les mains d'une direction tripartite
composée de militaires. Toutefois, sous l'impulsion de deux facteurs,
le paysage politique va se transformer davantage dès lors même qu'une
véritable « armée des frontières » va se constituer après la création
de deux états-majors, celui de l'Est à la frontière tunisienne et celui
de l'Ouest à la frontière marocaine. Face à cette « armée des
frontières » (armée classique structurée, entraînée, équipée et
disciplinée), « l'Armée de l'intérieur » composée de « paysans
maquisards » se révéla de faible poids dans la lutte pour le pouvoir
d'autant plus que la lutte d'influence au sein de la direction
militaire elle-même allait contribuer au déplacement du centre du
pouvoir. Jusqu'ici, l'Armée algérienne des frontières était constituée
de deux commandements des opérations militaires (COM). De leur
unification résulte l'état-major général des armées dont la direction a
été confiée à Boumediène, «protégé», dit-on, de Boussouf. Désormais,
même si l'Armée ne mena pas une politique autonome par rapport aux
structures politiques existantes (GPRA, CCE, CNRA), aucune décision
importante n'a pu être prise sans elle. Une armée en réserve
stratégique était devenue instrument d'influence. Peu à peu, s'étant
coupée des politiques, elle est devenue une force politique à part
capable d'agir d'une manière autonome; ce qui se confirma au lendemain
des accords d'Evian conclus le 18 mars 1962, le CNRA et le GPRA n'ayant
pas été à même de présenter une direction solide et homogène. A cet
égard, après la crise politique qui secoua l'Algérie au lendemain de
l'Indépendance, on a pu observer que Ben Bella ne s'était pas
véritablement rallié l'Armée car cette dernière a sans doute conçu une
stratégie politique en vue de la conquête du pouvoir dont il se révéla
être un élément.
S'affirmant progressivement, cette stratégie
a permis à l'Armée des frontières de se renforcer par sa transformation
en Armée nationale populaire (ANP). L'Armée de l'intérieur fut absorbée
par celle-ci. S'imposant au fur et à mesure, sous l'impulsion du «
groupe d'Oujda », l'Armée fut amenée à jouer un rôle prépondérant dans
les orientations nationales, notamment en détenant des postes-clés sous
le gouvernement de Ben Bella (2). En conséquence, le coup d'Etat du 19
juin 1965 semble s'inscrire dans la droite ligne de la volonté de
l'Armée de prendre le pouvoir, car étant la seule force organisée dans
une vie politique quasi anarchique, elle pouvait donc prétendre à
l'exercice du pouvoir. En effet, s'étant dotée de tous les éléments
d'un pouvoir d'Etat autonome, l'Armée devint l'armature du régime. Il
semblerait même qu'elle ait été hostile à toutes les initiatives de la
base (notamment à l'autogestion), et s'affirma comme étant plutôt
favorable à l'instauration d'un capitalisme d'Etat qui fut qualifié
officiellement de « socialisme spécifique ».
par Ammar Koroghli *
Au
moment où la Mauritanie semble renouer avec le cycle révolu des coups
de force et suite à la «passe d'armes» dans la presse nationale, entre
des citoyens Algériens**, notamment autour du thème concernant l'Armée,
j'expose dans cette modeste contribution, une analyse des rapports de
l'Armée-singulièrement de sa haute hiérarchie- au Pouvoir avec en
filigrane la question de savoir si celle-ci est bien la matrice
pourvoyeuse des chefs d'Etat algériens et, conséquemment, dans quelle
mesure il serait possible de prétendre qu'elle s'en tient et se tiendra
à une stricte «neutralité» lors de la prochaine élection présidentielle
d'avril 2009 ? A plusieurs, nous pourrions sans doute aboutir à
l'élaboration d'une théorie générale du pouvoir afin de caractérisation
du système politique algérien qui a sérieusement besoin d'évolution. A
cet égard, si l'apolitisme semble être l'une des principales
caractéristiques des armées européennes occidentales (celles des
régimes à démocratie populaire avaient conservé des prérogatives non
négligeables, nonobstant la prééminence affichée des partis uniques
d'alors), tel n'est pas le cas dans les pays dits du tiers-monde où
l'institution militaire demeure une force politique souvent mêlée aux
tâches de développement économique dans une triple perspective :
fournir à l'Armée des occupations pour éviter d'avoir une armée
désoeuvrée qui se livrerait à des intrigues politiques, l'intégrer dans
la nation en l'associant à l'effort de développement national et
amortir son coût exorbitant (souvent, les armées du tiers-monde sont
qualifiées de budgétivores)***.
En Algérie, la lutte de
Libération nationale a suscité une organisation militaire en vue de
l'Indépendance. D'armée insurrectionnelle, l'Armée de libération
nationale (ALN) est devenue conventionnelle : Armée nationale populaire
(ANP). C'est ainsi qu'au lendemain de l'indépendance nationale, soudée
autour du groupe d'Oujda, l'état-major général - en sa qualité de
direction militaire - s'est affirmé comme force politique et s'est
retrouvé au sein du Conseil de la révolution dès le 19 juin 1965 (et
plus tard au BP du FLN, alors parti unique). En effet, la lutte armée a
exigé la mise en place d'une organisation hybride à vocation
politico-militaire (le FLN-ALN) qui a perduré au lendemain de
l'Indépendance ; ce qui a d'ailleurs fait dire à Ben Bella : « La
reconversion de notre appareil politico-militaire est indispensable
Nous devrons faire la distinction entre le parti et l'Armée ».
Les questions de la place de l'Armée dans la société et son rapport au
pouvoir politique furent ainsi posées. Ce qui n'était pas une mince
affaire dans la mesure où pour Boumediène, alors principal responsable
de l'Armée, celle-ci avait une double mission : défense de l'intégrité
du territoire national et participation au développement du pays.
Aussi, pour ce dernier : « Aucune révolution réelle n'est réalisable
sans la présence d'une armée d'origine populaire, d'idéologie
révolutionnaire, alliée des masses laborieuses ». De même, dira-t-il :
« Comment entreprendre une révolution socialiste d'une manière radicale
dans un pays en voie de développement en s'appuyant sur les lois de la
bourgeoisie et sur une armée réactionnaire ? ». L'Armée se veut donc
d'essence populaire, thèse reprise par la Charte nationale et consacrée
par la Constitution de 1976.
Au plan politique, des officiers
supérieurs ont occupé depuis des postes importants : ministres, walis,
PDG de sociétés nationales Pour mémoire, la même situation a été
suscitée dans l'Egypte du temps de Nasser. Il est vrai cependant que la
conquête du Pouvoir par l'Armée des pays du tiers-monde (Amérique
latine et Afrique notamment) s'est souvent effectuée sous le couvert de
coups d'Etat ; l'avènement du pouvoir militaire (immixtion dans la vie
politique) s'effectue d'évidence à l'encontre de l'ordre
constitutionnel établi (l'actualité mauritanienne emble le confirmer,
quoique qu'en en disent ses promoteurs). Ce faisant, l'institution de
l'Armée monopolise le pouvoir qu'elle exerce soit directement en
s'improvisant structure gouvernante, soit par l'entremise
d'hommes-liges pressentis dans la société civile à seule fin de ne pas
se mettre en avant, le Pouvoir étant en apparence exercé collégialement
mais, en fait, un primus inter pares s'impose le plus souvent.
Historiquement, si la lutte armée algérienne pour l'indépendance
nationale était l'objectif visé par les « hommes historiques » (Aït
Ahmed, Ben Bella, Ben Boulaïd, Bitat, Boudiaf, Ben M'hidi, Didouche,
Khider et Krim) par la mise sur pied du FLN, l'ALN en constituait la
branche militaire ; celle-ci fut d'abord une organisation conduite par
cinq colonels à raison d'un par wilaya, chacun étant assisté de trois
commandants chargés respectivement des questions politiques,
militaires, liaisons et renseignements. Le Congrès de la Soummam, qui
s'est tenu le 20 août 1956, s'est doté de deux organes de direction
nationale : le Conseil national de la révolution algérienne (CNRA) et
le Comité de coordination et d'exécution (CCF) ainsi que d'une
plate-forme politique. Au cours de ce congrès, trois principes
directeurs ont été, en vain, affirmés : direction collégiale, primauté
de l'intérieur sur l'extérieur et primauté du politique sur le
militaire. Toutefois, le triumvirat militaire (Krim, Ben Tobbal et
Boussouf), membres du CCE, va graduellement s'imposer comme chef de la
Révolution algérienne à partir du début de l'année 1957, notamment
après la décision de transfert du CCE d'Alger à Tunis.
En
outre, la direction du FLN-ALN va être incarnée par ce triumvirat à la
suite de l'arrestation des « hommes historiques ». Ces mêmes hommes
vont décider, le 19 septembre 1958, de la création d'un gouvernement
provisoire de la République algérienne (GPRA) dans lequel ils
détiennent des postes-clés (1). A cette période donc, le centre de
pouvoir se trouvait déjà entre les mains d'une direction tripartite
composée de militaires. Toutefois, sous l'impulsion de deux facteurs,
le paysage politique va se transformer davantage dès lors même qu'une
véritable « armée des frontières » va se constituer après la création
de deux états-majors, celui de l'Est à la frontière tunisienne et celui
de l'Ouest à la frontière marocaine. Face à cette « armée des
frontières » (armée classique structurée, entraînée, équipée et
disciplinée), « l'Armée de l'intérieur » composée de « paysans
maquisards » se révéla de faible poids dans la lutte pour le pouvoir
d'autant plus que la lutte d'influence au sein de la direction
militaire elle-même allait contribuer au déplacement du centre du
pouvoir. Jusqu'ici, l'Armée algérienne des frontières était constituée
de deux commandements des opérations militaires (COM). De leur
unification résulte l'état-major général des armées dont la direction a
été confiée à Boumediène, «protégé», dit-on, de Boussouf. Désormais,
même si l'Armée ne mena pas une politique autonome par rapport aux
structures politiques existantes (GPRA, CCE, CNRA), aucune décision
importante n'a pu être prise sans elle. Une armée en réserve
stratégique était devenue instrument d'influence. Peu à peu, s'étant
coupée des politiques, elle est devenue une force politique à part
capable d'agir d'une manière autonome; ce qui se confirma au lendemain
des accords d'Evian conclus le 18 mars 1962, le CNRA et le GPRA n'ayant
pas été à même de présenter une direction solide et homogène. A cet
égard, après la crise politique qui secoua l'Algérie au lendemain de
l'Indépendance, on a pu observer que Ben Bella ne s'était pas
véritablement rallié l'Armée car cette dernière a sans doute conçu une
stratégie politique en vue de la conquête du pouvoir dont il se révéla
être un élément.
S'affirmant progressivement, cette stratégie
a permis à l'Armée des frontières de se renforcer par sa transformation
en Armée nationale populaire (ANP). L'Armée de l'intérieur fut absorbée
par celle-ci. S'imposant au fur et à mesure, sous l'impulsion du «
groupe d'Oujda », l'Armée fut amenée à jouer un rôle prépondérant dans
les orientations nationales, notamment en détenant des postes-clés sous
le gouvernement de Ben Bella (2). En conséquence, le coup d'Etat du 19
juin 1965 semble s'inscrire dans la droite ligne de la volonté de
l'Armée de prendre le pouvoir, car étant la seule force organisée dans
une vie politique quasi anarchique, elle pouvait donc prétendre à
l'exercice du pouvoir. En effet, s'étant dotée de tous les éléments
d'un pouvoir d'Etat autonome, l'Armée devint l'armature du régime. Il
semblerait même qu'elle ait été hostile à toutes les initiatives de la
base (notamment à l'autogestion), et s'affirma comme étant plutôt
favorable à l'instauration d'un capitalisme d'Etat qui fut qualifié
officiellement de « socialisme spécifique ».