Un Marocain au FLN : Houari Benallal raconte
Houari Benallal est un Marocain né à Oran, en Algérie, en 1929. Il a été le fondateur d’une cellule de résistance algérienne dans la région de l’Oranais, à une époque où la résistance organisée était basée seulement dans la capitale, Alger, et les montagnes de l’Orasse. Houari Benallal fait partie d’une famille originaire du Rif, de la tribu Beni Chiguer. Son père a participé à la lutte armée aux côtés d’Abdelkrim Khatabi. En 1925, il décide de quitter sa région natale pour émigrer vers Oran. Selon Benallal, à cette époque, Oran était l’eldorado. Dans le Rif, il n’y avait que la misère et la désolation. Après avoir passé son enfance dans une école coranique, Benallal fonde un petit commerce à Oran et achète un camion avec lequel il fait de bonnes affaires. Ayant donc fondé en 1953 une cellule de résistance avec quatre Marocains dont deux ont disparu pendant la guerre d’indépendance d’Algérie, il a été arrêté et torturé par la police française, puis condamné à cinq ans de prison, faute de preuves. Gracié par le Général de gaulle après avoir passé trois ans et demi en détention, il devient la cible de l’organisation terroriste l’OAS qui était contre l’indépendance de l’Algérie.
Comment en êtes-vous arrivé à devenir un résistant en Algérie ?
JE suis né en Algérie en 1928 à Signa un petit village proche d’Oran. Mon père avait décidé de quitter le Rif pendant la guerre avec les Espagnols. Après des études à l’école coranique, j’ai travaillé avec mon père, puis j’ai fondé un petit commerce à Oran. Ensuite, j’ai pu avoir un poste dans les ponts et chaussées, grâce à une intervention. J’étais responsable du service automobile. Un jour, un chauffeur algérien a pris une voiture pour son service personnel. Je l’ai sanctionné. Comme il n’a pas digéré qu’un Marocain le sanctionne, il a commencé à dire que j’étais un fellaga, un terroriste. Je suis devenu le premier fellaga dans le service... Alors, j’ai décidé d’acheter un camion et de travailler pour mon propre compte. C’est à cette époque que j’ai décidé de créer une cellule à Oran. Nous étions cinq Marocains dont mon frère qui était chauffeur de bus et avait une connaissance de l’armement parce que c’était un ancien militaire. Moi-même j’ai passé mon service militaire chez les deuxièmes tirailleurs algériens, en 1955. Les opérations que j’ai faites ne prévoyaient pas des assassinats, seulement des actes de sabotage. Au début, nous n’avions même pas d’armes. C’est un peu plus tard que j’ai pu me procurer des armes que j’ai acheminées de Sidi Belabbas.
D’où provenaient les armes ?
On ne savait rien à ce sujet. Ce sont des rencontres entre deux hommes, pas plus, qui nous permettaient de recevoir les instructions.
Pourquoi révéler maintenant toutes ces vérités ?
C’est la demande d’indemnisation des Marocains expulsés d’Algérie qui m’a poussé à m’exprimer sur ce sujet. Les Algériens ont expulsé les Marocains avec brutalité. Il y a eu des couples qui ont été séparés de force. En plus des insultes... Une vraie épuration ! Je voulais rappeler le rôle de cinq Marocains dans la résistance algérienne.
Comment vous est venue l’idée de fonder une cellule de la résistance ?
Nous étions cinq amis proches, à Oran. Nous avions décidé de participer à la résistance algérienne pour aider nos frères Algériens dans leur lutte contre le colonialisme français. Je me suis dit que les résistants sont des gens comme nous, alors pourquoi ne pas commencer, de notre propre initiative, à Oran ? Nous avons décidé de sacrifier notre vie pour la cause. Parmi les cinq de notre groupe, trois sont morts dans les combats. Il y a eu deux étapes à Oran. Dans la première, nous étions seuls à agir. Dans la deuxième, nous sommes devenus membres du FLN. La première opération que nous avions faite, c’était dans une rue commerçante où nous avions brûlé tout un marché, rue de la révolution. Nous avions utilisé un pistolet de peinture à compresseur que nous avions rempli d’essence. Nous avions commencé par enduire les magasins d’essence avant de jeter dessus le feu et de nous enfuir. Toute la ville avait été secouée par notre action. La deuxième opération que nous avions menée, c’était dans le quartier résidentiel français. Nous avions volé une traction avant pour brûler les voitures stationnées devant une célèbre boite de nuit appelée Darmand qui se trouvait à côté d’une fabrique de bière. Nous avions utilisé la même méthode pour brûler deux rangées de voitures. Après cette opération tout le monde a été terrorisé à Oran. De ces cinq Marocains, j’étais le seul qui était à l’aise financièrement. Les autres étaient de simples travailleurs. Nous financions nous mêmes les opérations. Un membre de notre groupe a été expulsé d’Algérie vers le Maroc, après sa sortie de prison.
Quelles sont les opérations qui ont échoué, s’il y en a ?
Une grande opération a échoué car la voiture est tombée en panne. J’avais planifié d’attaquer un autocar qui transportait des aviateurs français du camp Mougin. Nous avions décidé de l’attaquer au moment où il s’arrêterait à un passage à niveau. Le jour de l’opération, la voiture qui transportait le groupe est tombée en panne. Le groupe qui était chargé de l’opération a été arrêté. Si cette opération avait réussi, les Français auraient massacré tous les détenus de notre groupe d’Oran. Celui qui a avoué sous la torture qu’il envisageait d’attaquer le car des aviateurs a été abattu sur place.
Vous agissiez toujours seul ?
Toujours avec les quatre Marocains... Une fois, nous avions décidé d’attaquer une sentinelle à la Kasbah où se trouvait une prison. Nous avions planifié de forcer un barrage et de dérober les deux mitrailleuses des gardes. Mais une fois arrivés sur les lieux, les gardes étaient devant un poteau. Nous ne pouvions pas les atteindre de la voiture. La deuxième fois qu’on a essayé de la faire, ils ont vite armé leurs mitrailleuses et ont commencé à tirer sur nous, alors que nous prenions la fuite.
Et quand la résistance s’est organisée à Oran ?
C’est un Marocain dénommé Moulay qui travaillait comme peintre en bâtiment qui m’a contacté un jour, en me proposant d’aller chez quelqu’un, à la villa Halima, qui était le lieu de rencontre provisoire de la résistance. Ce quelqu’un, c’était Abdelwahab Telmssani, le chef de la résistance à Oran. Une fois chez Telmssani, Moulay m’a révélé son identité et sa fonction. Les deux hommes ont vite proposé de coordonner leur action avec la mienne. Ils m’ont nommé adjoint du chef de la résistance à Oran, chargé de l’action sur le terrain. Le côté politique relevait de Telmssani. Moulay et Telmssani ont été condamnés à mort en 1959, mais ils ont été graciés par De Gaulle au même moment où j’ai été gracié, moi, après avoir passé 3 ans de prison.
Comment étiez-vous traité lors de la détention ?
Vous ne pouvez imaginer ce qu’on a enduré de tortures dans les locaux de la police et chez les « Paras » français. On vous torture jusqu’à l’effondrement. La chose la plus horrible est l’électrocution sur les testicules. Puis, ils nous emmenaient à l’hôpital pour recommencer à nous torturer. Moi, personnellement, ils m’ont tellement torturé pour leur « balancer » l’organisation... Et comme j’étais un dur, ils ont décidé de me liquider. Une fois, en me transportant dans une jeep, deux militaires ont essayé de me jeter sur la route pour m’envoyer une rafale de mitraillette, mais comme je comprenais bien ce qu’ils disaient, je me suis vite roulé sous la jeep pour déjouer leur plan... C’était des pieds noirs qui détestaient tout ce qui est arabe. Je ne sais pas comment j’ai pu résister à cette torture, je me disais que j’étais mort sans aucun doute. En prison, nous étions gardés par des CRS armés de mitrailleuses. Leurs chefs leur avaient donné pour consigne de tirer au moindre mouvement.
Comment vous est venue l’idée de rentrer au Maroc ?
Au lendemain de l’indépendance, j’ai entendu qu’on inscrivait les gens pour leur donner une carte nationale. Au bureau de police, un Algérien m’a refusé le dépôt de mon dossier parce que j’étais Marocain. En plus, nous étions tout le temps harcelés par la police qui nous insultait. Parfois ils nous disaient : « vous, les Marocains, rentrez chez vous ». Cette haine des Marocains, je l’ai constatée depuis mon enfance. L’expulsion des Marocains après la marche verte n’est qu’un exemple. Pendant la colonisation, les Français n’embauchaient pas les Algériens car ils étaient des bras cassés, tandis que les Marocains avaient une réputation de travailleurs. Petit à petit, j’ai vendu ma maison et tout ce que je possédais car j’avais le sentiment qu’un jour ils allaient nous expulser. J’ai dû attendre plusieurs mois avant d’avoir une autorisation pour quitter le territoire en 1967 et m’installer définitivement avec ma famille au Maroc.
SOURCE / Le Reporter
Houari Benallal est un Marocain né à Oran, en Algérie, en 1929. Il a été le fondateur d’une cellule de résistance algérienne dans la région de l’Oranais, à une époque où la résistance organisée était basée seulement dans la capitale, Alger, et les montagnes de l’Orasse. Houari Benallal fait partie d’une famille originaire du Rif, de la tribu Beni Chiguer. Son père a participé à la lutte armée aux côtés d’Abdelkrim Khatabi. En 1925, il décide de quitter sa région natale pour émigrer vers Oran. Selon Benallal, à cette époque, Oran était l’eldorado. Dans le Rif, il n’y avait que la misère et la désolation. Après avoir passé son enfance dans une école coranique, Benallal fonde un petit commerce à Oran et achète un camion avec lequel il fait de bonnes affaires. Ayant donc fondé en 1953 une cellule de résistance avec quatre Marocains dont deux ont disparu pendant la guerre d’indépendance d’Algérie, il a été arrêté et torturé par la police française, puis condamné à cinq ans de prison, faute de preuves. Gracié par le Général de gaulle après avoir passé trois ans et demi en détention, il devient la cible de l’organisation terroriste l’OAS qui était contre l’indépendance de l’Algérie.
Comment en êtes-vous arrivé à devenir un résistant en Algérie ?
JE suis né en Algérie en 1928 à Signa un petit village proche d’Oran. Mon père avait décidé de quitter le Rif pendant la guerre avec les Espagnols. Après des études à l’école coranique, j’ai travaillé avec mon père, puis j’ai fondé un petit commerce à Oran. Ensuite, j’ai pu avoir un poste dans les ponts et chaussées, grâce à une intervention. J’étais responsable du service automobile. Un jour, un chauffeur algérien a pris une voiture pour son service personnel. Je l’ai sanctionné. Comme il n’a pas digéré qu’un Marocain le sanctionne, il a commencé à dire que j’étais un fellaga, un terroriste. Je suis devenu le premier fellaga dans le service... Alors, j’ai décidé d’acheter un camion et de travailler pour mon propre compte. C’est à cette époque que j’ai décidé de créer une cellule à Oran. Nous étions cinq Marocains dont mon frère qui était chauffeur de bus et avait une connaissance de l’armement parce que c’était un ancien militaire. Moi-même j’ai passé mon service militaire chez les deuxièmes tirailleurs algériens, en 1955. Les opérations que j’ai faites ne prévoyaient pas des assassinats, seulement des actes de sabotage. Au début, nous n’avions même pas d’armes. C’est un peu plus tard que j’ai pu me procurer des armes que j’ai acheminées de Sidi Belabbas.
D’où provenaient les armes ?
On ne savait rien à ce sujet. Ce sont des rencontres entre deux hommes, pas plus, qui nous permettaient de recevoir les instructions.
Pourquoi révéler maintenant toutes ces vérités ?
C’est la demande d’indemnisation des Marocains expulsés d’Algérie qui m’a poussé à m’exprimer sur ce sujet. Les Algériens ont expulsé les Marocains avec brutalité. Il y a eu des couples qui ont été séparés de force. En plus des insultes... Une vraie épuration ! Je voulais rappeler le rôle de cinq Marocains dans la résistance algérienne.
Comment vous est venue l’idée de fonder une cellule de la résistance ?
Nous étions cinq amis proches, à Oran. Nous avions décidé de participer à la résistance algérienne pour aider nos frères Algériens dans leur lutte contre le colonialisme français. Je me suis dit que les résistants sont des gens comme nous, alors pourquoi ne pas commencer, de notre propre initiative, à Oran ? Nous avons décidé de sacrifier notre vie pour la cause. Parmi les cinq de notre groupe, trois sont morts dans les combats. Il y a eu deux étapes à Oran. Dans la première, nous étions seuls à agir. Dans la deuxième, nous sommes devenus membres du FLN. La première opération que nous avions faite, c’était dans une rue commerçante où nous avions brûlé tout un marché, rue de la révolution. Nous avions utilisé un pistolet de peinture à compresseur que nous avions rempli d’essence. Nous avions commencé par enduire les magasins d’essence avant de jeter dessus le feu et de nous enfuir. Toute la ville avait été secouée par notre action. La deuxième opération que nous avions menée, c’était dans le quartier résidentiel français. Nous avions volé une traction avant pour brûler les voitures stationnées devant une célèbre boite de nuit appelée Darmand qui se trouvait à côté d’une fabrique de bière. Nous avions utilisé la même méthode pour brûler deux rangées de voitures. Après cette opération tout le monde a été terrorisé à Oran. De ces cinq Marocains, j’étais le seul qui était à l’aise financièrement. Les autres étaient de simples travailleurs. Nous financions nous mêmes les opérations. Un membre de notre groupe a été expulsé d’Algérie vers le Maroc, après sa sortie de prison.
Quelles sont les opérations qui ont échoué, s’il y en a ?
Une grande opération a échoué car la voiture est tombée en panne. J’avais planifié d’attaquer un autocar qui transportait des aviateurs français du camp Mougin. Nous avions décidé de l’attaquer au moment où il s’arrêterait à un passage à niveau. Le jour de l’opération, la voiture qui transportait le groupe est tombée en panne. Le groupe qui était chargé de l’opération a été arrêté. Si cette opération avait réussi, les Français auraient massacré tous les détenus de notre groupe d’Oran. Celui qui a avoué sous la torture qu’il envisageait d’attaquer le car des aviateurs a été abattu sur place.
Vous agissiez toujours seul ?
Toujours avec les quatre Marocains... Une fois, nous avions décidé d’attaquer une sentinelle à la Kasbah où se trouvait une prison. Nous avions planifié de forcer un barrage et de dérober les deux mitrailleuses des gardes. Mais une fois arrivés sur les lieux, les gardes étaient devant un poteau. Nous ne pouvions pas les atteindre de la voiture. La deuxième fois qu’on a essayé de la faire, ils ont vite armé leurs mitrailleuses et ont commencé à tirer sur nous, alors que nous prenions la fuite.
Et quand la résistance s’est organisée à Oran ?
C’est un Marocain dénommé Moulay qui travaillait comme peintre en bâtiment qui m’a contacté un jour, en me proposant d’aller chez quelqu’un, à la villa Halima, qui était le lieu de rencontre provisoire de la résistance. Ce quelqu’un, c’était Abdelwahab Telmssani, le chef de la résistance à Oran. Une fois chez Telmssani, Moulay m’a révélé son identité et sa fonction. Les deux hommes ont vite proposé de coordonner leur action avec la mienne. Ils m’ont nommé adjoint du chef de la résistance à Oran, chargé de l’action sur le terrain. Le côté politique relevait de Telmssani. Moulay et Telmssani ont été condamnés à mort en 1959, mais ils ont été graciés par De Gaulle au même moment où j’ai été gracié, moi, après avoir passé 3 ans de prison.
Comment étiez-vous traité lors de la détention ?
Vous ne pouvez imaginer ce qu’on a enduré de tortures dans les locaux de la police et chez les « Paras » français. On vous torture jusqu’à l’effondrement. La chose la plus horrible est l’électrocution sur les testicules. Puis, ils nous emmenaient à l’hôpital pour recommencer à nous torturer. Moi, personnellement, ils m’ont tellement torturé pour leur « balancer » l’organisation... Et comme j’étais un dur, ils ont décidé de me liquider. Une fois, en me transportant dans une jeep, deux militaires ont essayé de me jeter sur la route pour m’envoyer une rafale de mitraillette, mais comme je comprenais bien ce qu’ils disaient, je me suis vite roulé sous la jeep pour déjouer leur plan... C’était des pieds noirs qui détestaient tout ce qui est arabe. Je ne sais pas comment j’ai pu résister à cette torture, je me disais que j’étais mort sans aucun doute. En prison, nous étions gardés par des CRS armés de mitrailleuses. Leurs chefs leur avaient donné pour consigne de tirer au moindre mouvement.
Comment vous est venue l’idée de rentrer au Maroc ?
Au lendemain de l’indépendance, j’ai entendu qu’on inscrivait les gens pour leur donner une carte nationale. Au bureau de police, un Algérien m’a refusé le dépôt de mon dossier parce que j’étais Marocain. En plus, nous étions tout le temps harcelés par la police qui nous insultait. Parfois ils nous disaient : « vous, les Marocains, rentrez chez vous ». Cette haine des Marocains, je l’ai constatée depuis mon enfance. L’expulsion des Marocains après la marche verte n’est qu’un exemple. Pendant la colonisation, les Français n’embauchaient pas les Algériens car ils étaient des bras cassés, tandis que les Marocains avaient une réputation de travailleurs. Petit à petit, j’ai vendu ma maison et tout ce que je possédais car j’avais le sentiment qu’un jour ils allaient nous expulser. J’ai dû attendre plusieurs mois avant d’avoir une autorisation pour quitter le territoire en 1967 et m’installer définitivement avec ma famille au Maroc.
SOURCE / Le Reporter