MOHAMMED BOUBAKEUR PARLE ... Écrit par Ilyess
Vendredi, 22 Janvier 2010 13:49
1ere question :
Après une quinzaine d’années à la tête de la mosquée de Paris, pensez-vous qu’il soit venu le temps du bilan. Un bilan religieux et politique de l'action du recteur Dalil Boubakeur
Cette question doit être resituée dans le contexte historique de la mosquée de Paris. Si je reprends le déroulement des carrières de ceux qui l’ont dirigée, je remarque que tous aspiraient à conserver leur situation le plus longtemps possible. Son fondateur, Si Kaddour Ben Ghabrit (de son vrai nom : Abd El Kader Ben Ghabrit), est mort en fonction dans ses murs en 1954. Il était alors âgé de 90 ans. Son successeur de fait, Ahmed Ben Ghabrit a été expulsé en 1957 par la police, tant il souhaitait se maintenir dans ces mêmes fonctions.
Mon père, qui prit sa place, s’est maintenu à ce poste contre vents et marées pendant 25 ans, jusqu’à ce que ses forces physiques et intellectuelles l’abandonnent. Le recteur qui a été mis à sa suite, Cheikh Abbas, est mort en poste. Tedjeni Haddam qui prit alors cette direction, ne l’a quittée que pour rejoindre des fonctions gouvernementales du plus haut niveau en Algérie. Je sais qu’il a beaucoup regretté la situation qui lui était faite à Paris.
Je ne vois pas pourquoi l’actuel recteur renoncerait de lui-même à des fonctions qui, à l’évidence, répondent aux ambitions des plus exigeants, d’autant qu’il a l’air de s’y plaire beaucoup.
Par conséquent, les bilans que vous évoquez ne peuvent se rapporter dans le cas présent qu’à une situation intermédiaire et non clôturer un exercice qui toucherait à son terme.
Pour ce qui est du bilan religieux, il sera vite fait car il est nul. La mosquée de Paris n’a jamais été une autorité religieuse comme El-Azhar ou d’autres institutions de même nature. Son apport religieux se situe davantage dans le rite et l’exercice, je dirais « physique » de la religion, que dans son dogme ou sa spiritualité. Elle a été d’ailleurs créée dans ce but et je ne pense pas qu’elle puisse apporter autre chose. Il faut bien souligner que le livre sacré que constitue le Coran est incréé et qu’il se situe hors du temps. Par conséquent toute évolution par rapport aux dogmes qui y sont inscrits me paraît extrêmement difficile voire impossible, à l’échelle de mon entendement. En tout cas, une contribution spirituelle de la Mosquée de Paris en ce domaine n’est même pas envisageable. Rien de ce qui touche la religion musulmane ne viendra de Paris qui n’est pas une terre d’Islam.
Quant aux discussions relatives au voile et autres sujets du même ordre, ce sont des questions relevant de la vie sociale et de la culture des gens, sans rapport avec la religion.
Sur un plan politique, un bilan pour chacun de ses dirigeants peut être dressé au fur et à mesure du déroulement de l’histoire de la France.
Il a été essentiellement diplomatique du temps de Si Kaddour Ben Ghabrit, avec la glorification de l’action des Français au Maghreb et la signature en 1912 du Traité de Fès qui a donné à la France le Maroc en protectorat. Ce qui a été bien utile au moment où il fallut former de nouvelles troupes pour que la France puisse reprendre la guerre, siéger parmi les vainqueurs et signer la capitulation allemande en 1945.
Son successeur de fait, Ahmed Ben Ghabrit qui était aussi son neveu ne savait qu’expédier les affaires courantes. Il n’avait pas d’envergure politique, c’est ce qui a été la cause principale de son expulsion.
Pour ce qui est de mon père, ses amitiés coloniales ne sont un secret pour personne. Sa présence à la mosquée de Paris se justifiait dans la perspective du maintien de la France en Algérie et plus particulièrement au Sahara. C’est après l’indépendance de l’Algérie que, dans une vie politique française apaisée, la question de son utilité se posa en termes sérieux. Le bilan politique de mon père a été, il va sans dire, extrêmement négatif. Portons cependant à son actif les statuts de l’établissement qui, à eux seuls, justifieraient tout un livre et à son crédit une traduction du Coran d’une grande qualité technique, à mon humble avis.
Je ne parlerai pas de l’action de Cheikh Abbas et de Tedjeni Haddam qui, pour des raisons indépendantes de leur volonté, ne sont pas restés très longtemps à ce poste.
Pour ce qui est du bilan politique de l’actuel recteur, je ne saurais où le situer. Je pense qu’il n’y en a pas. Par rapport à la vie politique française, l’essentiel de son action peut se résumer dans le vers de La Fontaine : « Je suis oiseau, voyez mes ailes. Je suis souris : Vive les rats ! », tant ses activités se sont mises à la remorque des tenants du pouvoir du moment. Tout d’abord avec Messieurs Balladur et Pasqua, puis Monsieur Chirac et enfin Monsieur Sarkozy. Mais ce dernier accrochage de wagons paraît assez difficile à l’heure actuelle.
En réalité, l’action de l’actuel recteur me paraît surtout médiatique. Il aime qu’on parle de lui et il est profondément convaincu que ce qui fait plaisir à sa personne est utile à la communauté musulmane de France. Malheureusement, cette dernière, dans ses profondeurs le rejette comme un arbre le ferait d’une mauvaise greffe, sans qu’il semble le comprendre.
Pour ce qui est du bilan comptable, il faut faire très attention à ce dont on parle. La présomption d’honnêtetés est un impératif incontournable et la première des malhonnêtetés est d’accuser les gens sans preuve.
Il est vrai qu’à son origine, le financement de la mosquée n’était pas très rigoureux. Si Kaddour Ben Ghabrit disposait des fonds qui lui étaient versés sans contrôle aucun. Ceci pouvait s’excuser dans la mesure où il avait la charge d’une politique : il était Ministre Plénipotentiaire et donc avait tous les pouvoirs en ce domaine. Cette action s’est révélée du plus grand profit pour la France et justifiait hautement les dépenses engagées par lui. De fait, je crois qu’il n’a laissé derrière lui aucune fortune et tout l’argent qu’il a reçu a été investi dans le but qui lui était assigné.
Toutefois, on remarque que ce mode de gestion des fonds publics mis à sa disposition était de moins en moins toléré après 1945. Dans une lettre officielle, il est clairement attesté que cette pratique n’était acceptée qu’en raison de l’importance du personnage et des services qu’il avait rendus. Je crois qu’un administrateur européen, Monsieur Valroff avait été mis en place à la mosquée de Paris pour contrôler tout cela.
Son successeur de fait, Ahmed Ben Ghabrit, a repris cette forme de gestion, ce qui ne pouvait durer très longtemps. Une part des motifs (mais non la plus importante) de la venue de mon père à la tête de la mosquée de Paris se situait à cet endroit. Par conséquent, il serait vain de croire que les associations font ce qu’elles veulent de l’argent qu’il leur est confié. La réaction des pouvoirs publics à cet égard peut être très dure.
Il est certain que la gestion de mon père fut beaucoup plus réelle que celle de ses prédécesseurs, conformément à la mission qui lui avait été confiée. Ceci pour rendre possible le contrôle des sommes considérables prévues pour la mosquée de Paris, dans le cadre de ses missions pendant la guerre d’Algérie. Il ne faut pas sous-estimer les capacités de contrôle des fonds publics par l’Etat à cette époque, même s’ils ne bénéficiaient pas de l’informatique. Des recoupements extrêmement efficaces de l’argent alloué aux associations étaient possibles et mon père a eu au moins un contrôle approfondi à ce sujet, au début de sa gestion.
Si des chercheurs veulent s’intéresser à cette question, je leur demanderais de s’intéresser à l’époque charnière 1962-1963 au cours de laquelle la gestion de la mosquée de Paris bascula de l’opulence la plus grande vers les difficultés les plus sérieuses avec notamment la disparition des subventions versées par le Gouvernement Général de l’Algérie. Je pense qu’il y a là un bon sujet de thèse qui pourrait intéresser un chercheur avec l’exploitation de documents qui existent encore mais qu’il faut savoir interpréter.
Pour parler franc, quels étaient les revenus de mon père ? Ils étaient jusqu’en 1962 assez importants. En 1958, son statut étant celui d’un fonctionnaire en détachement, il bénéficiait de son traitement de professeur au sommet de sa hiérarchie Ce revenu était augmenté d’une indemnité que lui versait la mosquée de Paris à l’époque (150 000 francs d’alors soit 3 fois le SMIC qui était de 45 000 francs). A son salaire de professeur s’est substitué par la suite, le traitement de député des Oasis, augmenté de l’indemnité de président du Conseil Général des Oasis et de celle de sénateur de la Communauté (Sénat qui n’existe plus), l’indemnité versée par la mosquée de Paris étant maintenue.
Il était également Vice-président de la commission des Affaires Etrangères à l’Assemblée Nationale, ce qui, financièrement, ne devait pas être neutre A ces sommes, il faut ajouter un dédommagement qu’il a probablement reçu à la fin de la guerre d’Algérie mais dont il n’a jamais parlé, et pour cause, car il engagea alors de très fortes dépenses dans sa maison de Bois le Roi. Je sais que des parlementaires musulmans avaient reçu des aides pour faciliter leur installation en métropole et je pense que mon père a été aidé comme les autres.
Après 1962, ses revenus diminuèrent beaucoup, car s’il était une personnalité de premier rang en Algérie Française, il comptait beaucoup moins en France métropolitaine. Il faut cependant tenir compte de ses compétences en droit qui lui permettaient d’assurer des consultations dans des affaires qui concernaient des musulmans fortunés (notamment des affaires de divorce ou de succession engageant des intérêts considérables). A ces revenus, il convient d’ajouter ses 2 éditions de la traduction du Coran qui lui ont permis d’agrandir encore et de façon insensée sa maison de Bois le Roi.
Toutes ces précisions sont données non pour justifier un train de vie qui appartient maintenant à un passé fort éloigné, mais surtout pour mettre en garde contre des accusations gratuites, sans fondement ni preuve, mues uniquement pas la volonté de nuire. Ce sont des agissements punissables où certains se sont fait gravement piéger.
A noter cependant que le comportement de mon père, au sujet de ses avoirs, était assez étrange pour ce qui me concerne. Il se méfiait de moi et je ne l’appréciais guère dans son comportement, notamment pour ce qu’il faisait endurer à ma mère. Je me souviens que, lorsque nous étions seuls, il me donnait des explications assez extraordinaires sur l’origine de sa fortune alors que je ne lui demandais rien. Ces explications étaient toujours les mêmes et il me les répétait comme s’il s’agissait d’une leçon à apprendre. Tout naturellement, après son décès, j’ai fait des recherches par toutes les voies de droit qui s’offraient à moi sur ce qu’il me racontait. C’est la raison pour laquelle je recommande aux chercheurs éventuels de porter leurs efforts sur la période 1962 – 1963, où tout a basculé pour lui.
Pour ce qui se rapporte à l’actuel Recteur, je pense qu’il est soumis aux mêmes impératifs de contrôle que son père, pour ce qui est des sommes qui lui sont officiellement versées. Et puis il y a les contrôles fiscaux qui sont de plus en plus performants.
Donc, je ne saurais qu’appeler à la raison toute personne qui voudrait s’avancer sans preuve matérielle sur ce terrain. On a le droit de se poser des questions de cette nature mais on n’a pas le droit de calomnier les gens de façon insensée. C’est ouvrir à la personne qu’on attaque des moyens de réplique très forts tout en se mettant dans un état de grande faiblesse vis à vis d’elle