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Rappel (Algérie le 5 juillet 1962)

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Gloire à nos martyrs.
Tahia El Djazair

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DRAÂ EL MIZAN OU LA DAÏRA DES CINQ COLONELS
Chez Krim Belkacem
05 Juillet 2010 -

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«Nous sommes les oubliés de l’Algérie indépendante après 17 années de guerre pour l’Indépendance», souligne, avec amertume, un ancien maquisard.

«Le fellaga est mort, Madame, annonça le soldat français
«C’est rien, je m’en fous», répondit, Saâdia, veuve de chahid de Tichtiouine, commune de Aït Yahia Moussa dans la région de Draâ El Mizan.
Ces quelques mots à résonance légère pour un Français sont lourds de sens, et encore plus pour une personne qui a vécu l’enfer de la guerre dans cette région qui a donné des milliers de chouhada. Un demi-siècle après, la région de Draâ El Mizan demeure dans un total dénuement économique. Après quinze années de guerre de Libération, la région est aujourd’hui à quinze mille lieues du développement. Oh, oui! A Draâ El Mizan, précisément à Aït Yahia Moussa, la guerre de Libération a commencé en 1947 lorsque Krim Belkacem rejoignait le maquis avec 17 compagnons, entre autres, le fils de Amar Moh Oussaïd, Cherchar Amar, Oudni Amar, Chadli L’hocine, Moussaoui Mohammed, Kaci Lounès et Arab Oulhocine. Sur les lieux, nous avons recueilli des témoignages de personnes ayant pris part à la guerre, ceux qui ont vécu les affres du napalm, des générations de l’Indépendance. A Aït Yahia Moussa, après 50 ans, les larmes n’ont pas encore séché. Les rivières et les maquis sentent encore la poudre. Ce reportage ne prétend cependant pas être de l’histoire, mais ce n’est là que des témoignages d’acteurs d’une région qui a donné cinq colonels à la Révolution et des centaines de martyrs. Nous avons fait parler des témoins qui ont survécu à des opérations militaires d’envergure dont les séquelles demeurent encore vivaces dans le vécu quotidien de 2010.

Un sentiment d’injustice
A Aït Yahia Moussa, tout le monde connaît l’histoire de sa région. De la fierté se dégage dans les propos de toutes les générations. Nous avons discuté avec des jeunes dans les cafés, avec les moudjahidine, avec les fils de chouhada et les veuves de chouhada. Fiers d’avoir donné autant de sacrifices pour l’Algérie, mais indignés par l’état d’abandon économique infligé à leur région, Draâ El Mizan. «Nous n’avons pour nous distraire que les cafés, le chômage est galopant dans notre région», affirme un jeune dans un café au chef-lieu de la commune de Aït Yahia Moussa. Malgré certaines améliorations entreprises ces dernières années, il n’en demeure pas moins que les communes de cette daïra figurent parmi les plus pauvres de la wilaya. Un autre moudjahid, plein d’amertume, s’indigne devant cette situation après une guerre sans merci livrée au colonialisme. «Tout le monde ici s’est sacrifié pour l’Indépendance, les jeunes, les vieux, les femmes, les vieilles. Même nos animaux ont été à nos côtés. Qui ne se souvient d’aghioul laâskar (l’âne de l’armée, Ndlr)? Il sentait l’ennemi et il nous avertissait», affirmait-il, indigné. «Nous sommes les oubliés de l’Algérie indépendante après 17 années de guerre pour l’Indépendance», souligne un autre quinquagénaire.

Des hommes et des batailles
«L’histoire de Aït Yahia Moussa est grande. La raconter nécessite beaucoup de temps. Il est vrai que la guerre de Libération a été déclenchée en 1954, mais ici, elle a débuté en 1947 avec Krim Belkacem», raconte le moudjahid Hocine Chettabi. «Il a rejoint le maquis avec ses compagnons. L’ennemi les appelait les bandits, après des années dans le maquis, certains de ses compagnons ont été tués d’autres capturés. Deux seulement ont survécu jusqu’au déclenchement de 1954, Krim Belkacem et Oudni Omar, dit Moh Nachid. Aït Yahia Moussa a été élue pour être la base de la wilaya, plus précisément au village Tachtiouine», poursuit-il.
Pendant la guerre de Libération, la région a connu de nombreuses batailles. Le 15 mars 1955, à Tafoughalt, une grande bataille a opposé les deux armées. Le nombre de chouhada tombés au champ d’honneur varie selon les sources. Alors que certains dénombraient quelque 150, d’autres faisaient état de 70. Le 6 janvier 1959, une réunion était prévue pour organiser les rangs de l’ALN. Ils étaient 23 officiers dont Omar Ouessedik et Bouguerra. Ils devaient tenir une réunion dans la maison de Krim Rabah. Repérés, l’armée française a déclenché une grande opération de ratissage. A 6h du matin, le premier accrochage a eu lieu au village Ikelouachen, sur la route venant de Draâ El Mizan puis suivit un autre à Tighilt N’touila, sur la route de l’ex-Mirabeau, actuelle Draâ Ben Khedda. Toute la région était encerclée par 45.000 soldats mobilisés. Des armes de destruction massive ont été utilisées comme le napalm. Les opérations étaient dirigées du côté français par le capitaine Graziani qui a, par le passé, brûlé la Casbah d’Alger. Il sera tué lors de cette bataille. Il y aura également 385 martyrs. Une autre bataille opposera les deux armées, le 5 mars 1959. 250 martyrs sont tombés au champ d’honneur.

Les chefs de la Zone IV
Il y avait le chef de zone, le capitaine Ousmaïl Kaci dit Si Kaci né à Tamda en 1920, premier capitaine de la Zone IV. Il tomba au champ d’honneur en 1957. Le commandant Mahiouz Amar dit Si Ahcène est né le 5 novembre 1921 à Aït Yacoub, commune de Larbâa Nath Iraten. Son expérience de sergent de la Gestapo pendant la Seconde Guerre mondiale en a fait de lui un redoutable stratège. Il meurt en 1975. Le commandant Ali Bennour dit Ali Moh N’Ali est né à Ighil Yahia Ouali, le 10 mai 1927. Il participa aux premières opérations du 1er Novembre sous la responsabilité du colonel Ouamrane. Le commandant Aghri Mohand a rejoint la Zone IV en 1958 en remplacement d’Ali Bennour.
Surnommé Mouh Saïd Ouzeffoun, il est né en 1930 et mourut au champ d’honneur en 1961. Le capitaine Krim Rabah, frère de Krim Belkacem, né en 1932 à Aït Yahia Moussa, après un passage à la Zone III, fut nommé capitaine de la Zone IV après le départ du capitaine et chahid Mouh Oussaïd Ouzeffoun. Il mourut au champ d’honneur en 1961. Le capitaine Oudni Omar dit Si Moh Nachid est né en 1926. Ancien membre du PPA, il a rejoint le maquis en 1947 avec Krim Belkacem.

Beaucoup de vérités à rétablir
Les témoignages foisonnent sur une multitude d’événements qui se sont déroulés pendant la guerre de Libération. Des faits, des chiffres et des dates sont l’objet de supputations.
Lors de la bataille du 5 mars 1959, le village Tachtiouine a connu de grands combats. Certains témoignages évoquent 47 corps de chouhada qui n’ont pas encore été récupérés d’un abri où l’armée française les avait bombardés au gaz. Refusant de se rendre, ils seront tués à l’intérieur de leur abri de fortune, ils y demeurent toujours. Les fils de chouhada de la région demandent, depuis des années, que les corps soient transférés vers un cimetière et qu’une stèle soit érigée sur les lieux. Mais leurs démarches se heurtent à des réticences que certains n’hésitent pas a incomber aux autorités, à l’organisation des moudjahidine. «On nous dit que la situation sécuritaire ne permet pas d’effectuer des travaux dans la forêt, mais tout le monde sait que ce n’est pas vrai», affirme Ali Boussad, fils de chahid. Un ultimatum a été donné jusqu’à la date de la commémoration de cet événement.

Les veuves de chouhada marginalisées
Entre les veuves de chahids et les moudjahidine, le courant ne passe pas. «Mes sacrifices, je les ai consentis pour l’Indépendance de l’Algérie. Je n’ai que ma pension de veuve de chouhada. Pourtant, j’ai travaillé, j’ai caché des armes, j’ai fait la cuisine pour les moudjahidine», raconte Haddad Sadia. Beaucoup de veuves de chahids affirment avoir combattu aux côtés de leurs maris, mais elles n’ont jamais eu le statut de moudjahidate.

Kamel BOUDJADI


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48 ANS APRÈS
Sommes-nous réellement indépendants?
05 Juillet 2010

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«La vraie générosité envers l’avenir consiste à tout donner au présent» Albert Camus.

5 juillet 1962, Jules Roy en parle élégamment: «Ce fut une fête énorme, tonitruante, formidable, déchirante, d’un autre monde. Des hauts de la ville jusqu’à la mer, les youyous vrillaient le ciel. C’était la nouvelle lune.» 5 juillet 2010. Notre indépendance a atteint l’âge de raison. Mais l’Algérie peine toujours à se redéployer dans un environnement mondial de plus en plus hostile. Est-ce parce qu’elle n’abrite pas en son sein les compétences à même de la faire sortir de l’ornière? Est-ce qu’elle n’a pas les ressources qui lui permettraient de financer son développement? Non! Comment alors expliquer cette panne dans l’action qui fait que nous sommes encore à chercher un projet de société et à vivre au quotidien gaspillant une rente imméritée qui hypothèque lentement mais sûrement l’avenir de nos enfants, leur laissant ce faisant, une terre inculte, ouverte à tout vent où rien de «construit» par l’intelligence de l’homme ne lui donnera une singularité.
Comment et pourquoi la Révolution a embrasé l’Algérie? Deux faits résument l’état de délabrement physique et psychique de la société algérienne disloquée par 130 ans de racisme. Faut-il évoquer, comme le rapporte le Journal de la Révolution El Moudjahid, ces officiers bourgeois qui se faisaient transporter à dos d’homme par des «portefaix professionnels» à un bal du duc d’Orléans, et portant l’inscription infamante «Arabe soumis» que, par ordre de Bugeaud, des Algériens étaient tenus d’afficher sur leurs vêtements. A bien des égards, vu le combat titanesque de ces pionniers qui ont fait démarrer l’Algérie à l’Indépendance, nous sommes des nains juchés sur des épaules de géants.
On le sait. Avec un rituel de métronome, chaque année nous réchauffons péniblement une symbolique à laquelle les jeunes qui, sans être éduqués dans le culte de la patrie, ont au fond d’eux-mêmes le «feu sacré». Dans une contribution remarquable, le journal La Tribune avait donné la parole aux jeunes des différentes régions du pays et leurs aveux sans concession sur ce que c’est le drapeau, l’indépendance qui sont pour nous des leçons de vérité. Ecoutons-les «(...) Les récentes sorties victorieuses de l’équipe nationale de football ont enflammé la jeunesse algérienne et ravivé des espoirs enfouis et réprimés au fin fond de toute une jeunesse désoeuvrée et en mal de repères». Selon notre interlocuteur, plus d’une dizaine de jeunes harraga, en grande partie de Mostaganem, qui avaient préparé leur traversée depuis des mois, ont rebroussé chemin pour fêter la victoire de l’EN avec leurs frères et amis. «Ils avaient emporté une radio et ont suivi le déroulement du match. Certains avaient peur de rentrer, mais tout le monde avait fini par décider de vivre ces instants magiques dans les rues de la ville. Ils ont défilé toute la nuit jusqu’au petit matin. Ils sont repartis le lendemain. Je ne sais pas s’ils sont arrivés ou pas», notera notre interlocuteur. (1)

En quête d’un projet de société
L’Algérie actuelle fait les choses à moitié avec l’ancienne puissance coloniale. Nous n’avons pas été constants dans notre démarche. Il est important d’une façon ou d’un autre, d’apurer ce contentieux qui dure depuis plus 178 ans. Les traumatismes subis par l’Algérie sont spécifiques et notre errance actuelle, entretenue aussi bien à l’intérieur que de l’autre côté, plonge ses racines dans le cataclysme qui eut lieu un matin de juillet 1830. Un certain général de Bourmont prenait en otage l’Algérie et donnait le «la» à la mise en coupe réglée d’un pays par la décimation de sa population. Mais ce serait une erreur de croire que l’ex-pouvoir colonial reconnaitra sa faute, il faut en tirer les conséquences, toutes les conséquences en ne comptant que sur nous-mêmes, en connaissant nos intérêts, en nous battant en dehors de toute nostalgie. Le monde a changé et les partis actuels seraient utiles en incitant les Algériens à travailler, s’instruire, bref être une nouvelle Révolution, celle de l’intelligence.
A l’Indépendance, nous étions tout feu, tout flamme et nous tirions notre légitimité internationale de l’aura de la glorieuse Révolution de Novembre. La flamme de la Révolution s’est refroidie en rites sans conviction pour donner l’illusion de la continuité. L’Algérie de 2010, qu’est-ce que c’est? Un pays qui se cherche, qui n’a pas divorcé avec ses démons du régionalisme, du népotisme? qui peine à se déployer, qui prend du retard, qui vit sur une rente immorale car elle n’est pas celle de l’effort, de la sueur, de la créativité? C’est tout cela en même temps! «La lutte pour l’indépendance, disait Aimé Césaire, c’est l’épopée de l’indépendance acquise, c’est la tragédie.» Le pays s’enfonce inexorablement dans une espèce de farniente trompeur tant que le baril couvre notre gabegie-. Après, ce sera le chaos.
Quand on dit que nous avons 800 laboratoires de recherche, qu’avons-nous créé de pérenne? Est-ce que l’Université est en phase avec le développement? Le pays s’apprête à dépenser 286 milliards de dollars dans l’installation d’infrastructures, de logements, quelle est la contribution de l’Université? Non, elle est tenue soigneusement à l’écart! On fait sans elle! En 2014, nous serons au même point! Certes, nous aurons un réseau d’autoroutes, qui nous permettra de gaspiller l’énergie puisqu’elle est gratuite, on peut même l’importer pour des centaines de millions de dollars pour satisfaire les exigences du citoyen.. On construira encore 1 million de logements pour satisfaire la demande sociale d’une population dont la démographie est incontrôlée. Véritable tonneau des Danaïdes qui fera que l’on ne pourra jamais satisfaire une demande débridée. Nous aurons de nouveaux barrages qui nous permettront encore de gaspiller un certain temps car l’eau est gratuite (1 m3 d’eau = 6 DA, 1,5 litre d’eau minérale = 25 DA, c’est-à-dire l’équivalent de 4 m3 d’eau potable!!) On achètera encore des voitures invendues et invendables en Europe car elles dépassent 130 g de CO2 par km, ici on ne prend pas en compte ce critère l’essentiel est que 3 milliards de dollars de pétrole et de gaz sont dépensés d’une façon irrationnelle. On achètera encore des fours, frigidaires...les plus énergivores car l’électricité est gratuite pour le moment. Jusqu’à quand?
Dans la division du «travail» du pouvoir actuel elle a pour rôle de gardienner pendant un certain temps les jeunes, peu importe ce qu’ils apprennent, il n’y a pas de travail pour l’immense majorité d’entre eux. On nous dit que le taux de réussite au Bac serait autour de 66%. Que représente ce chiffre? Une élévation réelle du niveau ou un abaissement inexorable des critères universels sanctionnant la fin du cycle secondaire? C’est assurément la déliquescence de l’acte pédagogique avec, fait nouveau, l’obligation de valider l’année quel que soit le nombre de jours d’enseignement, avec des «artifices» qui n’ont rien de scientifique. C’est aussi un grand malheur que les baccalauréats des filières scientifiques (mathématiques et technique), qui structurent l’intelligence de l’élève, aient pratiquement disparu au profit d’un baccalauréat des lettres hypertrophié et d’un Bac sciences fourre-tout. L’avenir de l’Algérie est largement compromis; nous ne formons pas en qualité les scientifiques et les technologues de demain. Quant au ministère de la Formation professionnelle, on à peine à comprendre sa logique. Il eut été hautement profitable dans le cadre du premier plan de former des cohortes de jeunes au contact des Chinois et Japonais de l’autoroute, des Chinois des Turcs qui s’occupent du logement, des Français qui s’occupent des barrages...Voire négocier la mise en place de centres de formation professionnelle in situ au lieu de vouloir faire à tout prix les enseignements du supérieur.
J’avais dit dans un article précédent où j’analysais le phénomène du «Mondial» que l’Ecole en Algérie, ne fait plus rêver! Ce n’est plus un ascenseur social. D’autres niches beaucoup plus juteuses sont explorées. Quand un entraîneur de foot reçoit d’après les publications internationales du Mondial 250.000 euros pour sa participation au Mondial, quand il dit on est payé à un million de DA/mois, Quand des joueurs, pour la plupart vivant en France, reçoivent en une fois l’équivalent de 8 carrières d’un professeur d’université, il ne faut pas s’étonner que les parents d’élèves ne cherchent plus la meilleure école pour leurs enfants, mais le meilleur club pour l’entraînement de ces joueurs en herbe. Non! l’Algérie ce n’est pas cela! L’Algérie des Larbi Ben M’hidi, des Didouche Mourad, des Krim Belkacem des Mohamed Boudiaf et de tant d’autres anonymes qui ont donné leur vie pour que nous soyons indépendants, ce n’est pas cela. Cela ne doit pas être cela!

Où est l’Algérie de Benboulaïd?
Que reste-t-il de ce feu sacré qui animait l’Algérie au sortir de l’Indépendance? Articuler le social et le national au lieu de les opposer, c’est redonner au peuple un nouveau projet de la force et de la puissance de la Révolution. Peut-être qu’il faille une nouvelle révolution de l’intelligence où chacun se reconnaît, un espace qui fédère tous ceux qui ont des choses à dire et des choses à faire avec l’assentiment du plus grand nombre en ne comptant pas sur la rente, qui a fait de nous des paresseux et qui, à tort ou à raison, cristallise les rancoeurs de tous ces jeunes sans qui il n’y aurait pas d’Algérie. Il faut en définitive faire émerger de nouvelles légitimités basées sur le savoir, bien dans leurs identités, pétries de leur histoire et fascinées par le futur.
Pour Lahouari Addi tout se ramène en définitive à la formation des hommes Ecoutons-le: «Le combat pour une université digne de ce nom, productrice de savoirs, animée par des enseignants-chercheurs respectés, est un combat qui engage l’avenir. Vous luttez pour que les compétences restent au pays, parce que, dans l’ère de la mondialisation, payer un professeur 400 euros par mois, c’est inciter l’élite intellectuelle à quitter le pays. L’enseignant universitaire est devenu, en quelques années, un employé paupérisé, alors qu’ailleurs, aux USA, en Europe, au Japon, il est une autorité sociale. En Algérie, c’est à peine un petit fonctionnaire luttant pour survivre dans une société où il n’est plus un modèle pour les jeunes, dans une société où l’échelle des valeurs a été bouleversée. Si l’Université est dans la léthargie, cela voudrait dire que la société civile n’en est pas une...»(2) Cela me rappelle une petite histoire. Deux professeurs algériens décident dans les années 80, lors d’une soutenance de thèse à Tlemcen, de visiter l’université d’Oujda distante d’une cinquantaine de km. Après avoir fait longuement la chaîne et traversé le no mans land après la frontière algérienne, il font la chaîne du côté marocain, pas longtemps.
Un policier vérifie rapidement les passeports des Algériens et prend ceux des deux professeurs algériens, il revient quelques minutes plus tard, et conduit les deux professeurs dans le bureau du lieutenant qui les reçoit avec bienveillance et chaleur, les fait asseoir, leur offre le thé et va jusqu’à leur donner ses coordonnées personnelles au cas où ils auraient besoin de lui. L’un des collègues lui posa la question: «Pourquoi ce traitement de faveur?» Joignant le geste des deux mains sur sa tête, le lieutenant dit «Notre roi nous a dit de mettre nos professeurs au- dessus de nos têtes»...C’est peut-être là une expérience à considérer. Les universitaires marocains travaillent dans un environnement propice à l’ouverture internationale, ils invitent même pour de longs séjours des sommités étrangères.
Ce que nous ne pouvons pas faire chez nous du fait de contraintes de tout ordre.
Que faut-il faire pour que l’Algérie puisse véritablement décoller? Tout se joue dans le temps qui nous sépare d’une génération. Dans 20 ans, si nous ne faisons rien pour ce pays, il n’existera plus en tant qu’Etat indépendant, il sera définitivement satellisé autour d’un Etat puissant et qu’on se le dise, ce n’est plus le nombre qui fait la force d’une nation mais l’intelligence et le pouvoir scientifique. Ne pouvons-nous pas redonner à ce peuple la fierté autrement que par des démonstrations - comme celles lors de la victoire en football - certes belles mais sans lendemain? Ces motifs de fierté font appel au travail, à la sueur, à la patience. En un mot, il faut réhabiliter l’effort autrement que par la distribution de la rente par un ministère qui contribue à la cohésion sociale par le ciment des subventions, et autre filet social au lieu de contribuer à la mise en place d’un environnement propice à la création de richesses.
Où en sommes-nous en ce 48e anniversaire? Il y a un réel problème pour les gouvernants qui, chaque année, s’éloignent un peu plus de la symbolique ô combien unificatrice -si on sait y faire- de l’indépendance.
C’est un fait, nous avons des difficultés à être nous-mêmes et à réveiller la flamme du patriotisme que chacun, à des degrés divers, rêve de voir réanimer pour montrer que tout n’est pas perdu, qu’il est possible encore de tracer un destin pour ce pays. Ce peuple n’a pas besoin du m’as-tu-vu pour croire. Il nous faut chaque fois réinventer le sens de l’Indépendance nationale.
Le nouveau langage n’est plus celui des armes mais celui de la technologie du Web2.0, des nanotechnologies, du génome, de la lutte contre le réchauffement climatique et des nouvelles sources d’énergie du futur.
Il nous faut aussi une stratégie multidimensionnelle concernant l’avenir dans le domaine de l’énergie, de l’environnement, de la sécurité alimentaire et de l’eau Chacun sait que les infrastructures publiques et les équipements collectifs programmés dans les deux plans quinquennaux n’ont pas eu et n’auront pas d’impact (3).
Notre pays doit retrouver le chemin de la sérénité. Il doit libérer les énergies en réhabilitant les valeurs du travail, de l’effort et du mérite. Il n’y a pas d’autre issue.
Imaginons que les 10 millions de jeunes du système éducatif dans son ensemble ont un cap et se mobilisent eux-mêmes autour d’une utopie, celle de la création de richesses. L’Algérie n’aura plus à supplier, elle sera véritablement une nation prospère de sa richesse culturelle scientifique et technologique. Pour cela, seul le parler-vrai permettra à l’Algérie de renouer avec ce nationalisme qui, contrairement à ce que pensent les nihilistes, n’est pas passé de mode, c’est un puissant stimulant et qui peut se décliner avec les outils du XXIe siècle.

1. Mohamed Ouanezar Oran: Le patriotisme des jeunes réhabilité par les victoires de l’EN - La Tribune 05-07-2009
2. Lahouari Addi: La représentation du
1er Novembre 54.
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3. Chems Eddine Chitour: L’Expression du 9 juillet 2009

Pr Chems Eddine CHITOUR


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Actualités : MOHAMMED HARBI AU SOIR D’ALGÉRIE :


«L’Algérie est un pays frustré d’une expérience nationale populaire»

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Les peuples qui ont mal à leur histoire, dont l’identité a été brouillée par les schématismes et les manichéismes d’inspiration idéologique, comme le nôtre, ont besoin des historiens. Pas de ceux qui n’ont d’historien que le titre et de savoir que les directives des pouvoirs politiques. Non ! Ceux-là sont pires que le mal !


Mais des historiens qui se sont fixé pour mission le sacerdoce de la vérité, soucieux de la trouver et de la transmettre, quoi qu’elle bouleverse, et quoi qu’elle coûte. Mohammed Harbi est de ceux-là. Il en est même un pionnier. Un défricheur. Aujourd’hui ses travaux sur l’histoire du mouvement national et celle du FLN font autorité dans le monde entier. Ils ont ouvert la voie à une approche plus froide, moins passionnelle, plus décomplexée, du fait nationaliste mais aussi à l’étude sereine autant que faire se peut de la colonisation et de la décolonisation. Il montre aux jeunes historiens comment on peut analyser le comportement des colonisateurs sans diaboliser quiconque et le combat des colonisés sans idéaliser personne. Chercher du sens, froidement, sereinement, philosophiquement, en toute situation, c’est le credo de l’historien conscient de l’importance de ses responsabilités éthiques et de la noblesse de sa démarche intellectuelle. Quand il est arrivé, Mohammed Harbi a trouvé l’histoire dans un état quasi caricatural. Du côté algérien, celui qui nous intéresse d’abord, l’histoire du mouvement national se résumait à la glorification des actes libérateurs et à l’héroïsation facile des acteurs de la résistance dans une espèce d’épopée qui ressemble plus à un conte qu’à une histoire écrite par des hommes. Le travail de Mohammed Harbi sur la déconstruction des mythes qui tenaient lieu d’histoire du FLN est comme une sécularisation d’un récit à dessein sacralisé, culminant dans la mystique. On sait que le fait d’histoire oint de légende acquiert comme une impalpabilité religieuse qui le rend commode pour l’usage manipulatoire. Mohammed Harbi a été novateur dans ce travail de désacralisation. Il a commencé par dépouiller le récit national des guirlandes de l’imagination et de l’exaltation romantique pour lui faire recouvrer les traits et les contradictions des hommes happés par les circonstances du réel pour les jeter dans la tourmente d’un combat décisif pour le destin de l’Algérie. Que ces hommes et ces femmes aient agi ou pas agi dans le contexte de libération nationale avec tout ce que leurs origines sociales, culturelles, régionales, mais aussi leurs intérêts leur permettaient et leur dictaient est une évidence qui ne saurait masquer l’uniformisation factice qu’on a voulu imprimer à l’histoire. Mohammed Harbi a comme fermé, si j’ose la parabole, un musée du moudjahid où seraient exposés des faits de gloire divins, indiscutables, et des images d’hommes pétrifiées dans une sorte de sainteté impossible pour qui ferraille avec les assauts d’une révolution pour ouvrir un grand livre d’interrogations, rempli des chicanes empruntées par les parcours individuels et des comportements issus de déterminismes divers. Impossible, en un mot, d’avoir un front d’anges d’un côté et, en face, un autre de démons, toutes les causes ne se valant pas par ailleurs. Son audace à démanteler les statues au pied d’argile pour planter à leur place les nécessités et les exigences des sciences sociales demandait de la transcendance. On imagine le travail sur soi qui lui fallut pour s’extraire de sa passion d’acteur au profit de sa conscience d’historien inaugurant une approche apaisée et décolonisée du mouvement dont il a fait partie et auquel il reste fidèle. En effet, c’est par esprit de résistance que le jeune Mohammed Harbi conçoit d’entrée son immersion dans la lutte pour la libération nationale. Sa fidélité à l’esprit de la résistance, et pas n’importe laquelle, celle façonnée par une conscience politique de gauche, marque non seulement son itinéraire mais également sa réflexion et son travail d’historien qui le pousse, dans les pires des blocages, à chercher des issues révolutionnaires. Résistant, et de gauche, il a, en dépit ou à cause de cette appartenance revendiquée et assumée, toujours eu à cœur de privilégier la vérité. Mohammed Harbi a adhéré au PPA à l’âge de 15 ans. Né le 16 juin 1933 à El-Harrouch (Skikda), il est tombé dans le nationalisme très jeune. Depuis, son parcours le mènera à diverses responsabilités au sein du FLN et du GPRA mais aussi en prison, en résidence surveillée puis en exil. En 1954, il est secrétaire général de l’Association des étudiants nord-africains. En 1957, il est membre de la direction de la Fédération de France du FLN. En 1959- 1960, il est directeur du cabinet civil du ministre des Forces armées. Ambassadeur en Guinée en 1961, il participe en mai de cette année-là en tant qu’expert aux premières négociations des accords d’Evian. De septembre 1961 à octobre 1962, Mohammed Harbi est secrétaire général au ministère des Affaires extérieures puis d’avril 1963 à 1965, conseiller spécial à la présidence de la République. Il dirigea l’hebdomadaire Révolution africaine de 1963 à 1964. Il est arrêté pour cause de fondation, avec d’autres, de l’Organisation de la résistance populaire (ORP), opposée au coup d’Etat de Boumediène du 19 juin 1965. Détenu pendant cinq ans sans jugement, il va de prison en résidence surveillée. En 1973, il est exilé en France et commence à publier des livres qui vont modifier progressivement l’angle d’appréhension de l’histoire du FLN et ouvrir des possibilités insoupçonnées aux jeunes chercheurs. Mohammed Harbi est l’auteur de nombreux ouvrages dont les principaux sont : Aux origines du FLN. Le populisme révolutionnaire en Algérie (Christian Bourgois, 1975), Le FLN, mirage et réalités. Des origines à la prise de pouvoir (1945-1962), (Editions Jeune Afrique, Paris 1980 et Naqd-Enal Alger en 1983), Les archives de la Révolution algérienne (Editions Jeune Afrique, 1981), La guerre commence en Algérie (Editions Complexe Bruxelles, 1984), L’Algérie et son destin. Croyants ou citoyens (Arcantère, Paris, 1992). Il a publié un livre de mémoires politiques : Une vie debout (La découverte, 2001). Ce qui frappe chez cet intellectuel et ce chercheur d’expérience, c’est sa simplicité et son écoute des autres. Il confirme qu’un des signes renversés de la grandeur, c’est l’humilité devant autrui, quel qu’il soit. Discuter avec lui est une leçon de méthode. Mohammed Harbi n’avance jamais rien s’il n’en détient pas des documents consultables.
A. M.

Interview réalisée par Arezki Metref



Le Soir d’Algérie : Nous sommes le 5 juillet, anniversaire de l’Indépendance de l’Algérie. Celle-ci devait survenir le 3 et non le 5 juillet 1962. Qui a pris la décision du report de deux jours et pourquoi ?
Mohammed Harbi : Cette décision a émergé dans les conditions de la crise du FLN au cours de l’été 1962. Rappelons le contexte en nous appuyant sur la chronologie des faits. Conformément aux accords d’Evian, le vote d’autodétermination eut lieu le 1er juillet. Le président de la République française, le général de Gaulle, proclama le 3 juillet à 10h30 l’indépendance de l’Algérie pendant qu’à Alger le haut commissaire français Christian Fouchet transmettait ses pouvoirs à l’exécutif provisoire, seul organisme légalement reconnu par la France. Ce même jour, c’est-à-dire le 3 juillet 1962, le GPRA, signataire des accords d’Evian, s’installe à Alger après avoir été accueilli par le colonel Mohand Oulhadj et le commandant Azzedine Zerari. Ben Bella et Khider ne sont pas rentrés avec leurs collègues du gouvernement et les chefs de la Wilaya IV n’étaient pas à l’aéroport pour recevoir le GPRA. L’indépendance fut célébrée officiellement à Alger dans une atmosphère d’ivresse générale le 5 juillet et dura plusieurs jours. L’initiative revient au GPRA et à ses partisans. Une cérémonie fut organisée à Sidi-Fredj, là où ont débarqué les troupes françaises. Le geste avait un caractère symbolique. Pour l’historien soucieux de vérité, ni Ben Bella ni Khider n’étaient à ce moment présents en Algérie. Le 5, Ben Bella était au Caire. Il est rentré en Algérie dans la nuit du 10 juillet en passant par Maghnia avant de se rendre à Tlemcen. Son gouvernement, formé le 20 septembre, a consacré le 5 juillet fête officielle. La décision initiale ne lui appartenait pas. Opposant au GPRA, il ne l’avait pas contestée comme cela a été le cas pour d’autres initiatives. Il a considéré, comme l’ensemble de la résistance à cette époque, que le choix de la date du 5 juillet rachetait l’honneur de l’Algérie terni par la capitulation du dey et de la caste ottomane qui gouvernait le pays.
La seule forme de patriotisme, voire de nationalisme que l’on observe, à l’exclusion de toutes les autres, c’est aussi la plus superficielle : une sorte de ferveur confinant à l’irrationnel autour de l’équipe nationale de football. Quels sont les éléments qui ont contribué à dévaluer une certaine fierté d’appartenir «au pays des martyrs» ?
L’engouement pour l’équipe de football m’apparaît à la fois comme l’expression d’un attachement au territoire et un moyen de sortir de l’enfermement et de retrouver cette atmosphère de communion collective, avec cette spécificité algérienne, c’est que dans l’espace public, la société féminine en est massivement partie prenante. Doit-on l’interpréter comme une dévaluation de la fierté d’appartenir au pays des martyrs ? je n’en suis pas sûr. L’engouement pour le football et ses affinités avec les chauvinismes nationaux est devenu malheureusement un phénomène universel.
Vous êtes le premier historien à avoir démythifié le FLN en étudiant ses contradictions et ses dérapages. Y-a-t-il une filiation inéluctable entre le FLN qui a conduit à l’indépendance de l’Algérie et le système qui sévit depuis l’indépendance avec des variantes humaines et parfois politiques plus ou moins notables ?
Une observation préliminaire sur la première phrase de ta question. Mon travail est pétri de fidélité à la résistance et s’inscrit dans le débat qui se jouait au sein de la gauche révolutionnaire et dont l’objet est de rouvrir un avenir à la révolution. C’est aussi une réaction contre les apologies qui masquaient l’émergence de nouveaux groupes sociaux, d’une lumpen bourgeoisie dont l’Etat est le producteur. La genèse de l’Etat algérien a, en gros, correspondu à ce que Gramsci qualifie dans ses travaux sur le Risorgimento de révolution passive, c’est-à-dire «une révolution conduite selon des modalités faisant obstacle à la formation d’une conscience populaire nationale, répandue et opérante». Dans cette problématique, les élites dirigeantes s’appuient sur le peuple mais sans que le peuple pèse sur les moyens et les objectifs du mouvement. Cela dit, l’analyse de la trajectoire politique ne doit pas s’attacher exclusivement aux continuités comme on le fait trop souvent, hélas. La mise en place du régime militaire s’est opérée au sein d’une société en pleine mutation, non pas figée dans ses cloisonnements mais traversée par des dynamiques riches et touchée par les dynamiques de la modernité. Les évolutions que nous connaissons n’étaient pas inéluctables. L’Algérie est un pays frustré d’une expérience nationale populaire. Le conflit avec la France a entraîné l’élimination ou la neutralisation de personnalités et de secteurs civils qui ont tenté de construire des espaces démocratiques dans les interstices laissées par le système colonial. Des dirigeants du FLN ont essayé de construire des instances de représentation et de médiation entre la société et l’Etat en marche. Les obstacles à leur entreprise ne sont pas seulement intérieurs, ils sont aussi extérieurs. Cela ne nous empêche pas de chercher du côté des initiatives du FLN, de son recours après 1957 à des relations informelles aux dépens de l’institutionnalisation. C’est pourquoi la rupture au profit d’un monde plus moderne n’a pas pu se réaliser et qu’il y a eu retour de représentations et de pratiques de notre passé.
Depuis une dizaine d’années en France comme en Algérie, il y a un aiguisement de la guerre des mémoires autour de la colonisation et de la guerre d’indépendance. Ces polémiques sont-elles utiles et en quoi ? Pourquoi surgissent-elles 40 ans après les indépendances ?
La transformation des moyens de communication moderne a facilité l’intensification des flux d’informations, leur diffusion et leur captation par des Etats, des groupes politiques et des particuliers. Les frontières du monde sont de moins en moins nationales. La singularité du judéocide avec toutes les revendications qui l’accompagnent est contestée. L’idée s’est imposée dans le Tiers- Monde principalement que toutes les victimes se valent et qu’elles méritent une égale attention et réparation. Emergent alors les contentieux sur le passé colonial. Des conflits d’identification avec leur cortège : les usages politiques qu’on peut en faire dans les relations diplomatiques comme dans les enjeux politiques intérieurs. La concurrence des victimes, la sélectivité de l’information, la guerre des mémoires, et j’en passe. Ces controverses sont-elles utiles ? Oui si elles ont pour finalité le rapprochement entre les peuples et la normalisation des rapports d’Etat à Etat. Non si leur objectif est de développer le chauvinisme pour masquer des contradictions internes et dresser dans ce but un peuple contre l’autre. Personnellement, je pense que la situation coloniale n’a pas la simplicité que lui donnent les nationalistes chauvins des deux rives de la Méditerranée. La vision des rapports franco-algériens en blanc et noir évacue la complexité du phénomène colonial. Car les souffrances du peuple algérien et de la minorité de Français qui se sont rangés à ses côtés méritent mieux. N’avons-nous pas intérêt, au lieu de multiplier des discours qui nous masquent l’ennemi intime qu’il y a en nous, à jeter un regard froid sur la pensée décolonisée et à examiner avec courage les trois séquences de notre évolution, celles de la société précoloniale, de la société coloniale et de la société postcoloniale.
Le conflit entre historiens et politiques, avec à la clé l’indépendance de la recherche et une rupture entre histoire et politique, s’exacerbe. Sur quoi les historiens devraient-ils porter leurs efforts pour sortir de ces entraves ?
Tu poses une question d’actualité examinée d’une manière récurrente dans les congrès des historiens africains, confrontés au principe autoritaire dans leurs sociétés. Le Camerounais Achille M’bembe, aujourd’hui professeur dans une université sud-africaine, leur a apporté une réponse que je fais mienne. «Il (l’Etat) prétend détenir la vérité au sujet de nommer le monde africain et son histoire, de le codifier, de découper l’espace, de l’unifier et de le diviser. L’Etat théologien, (…), c’est celui qui aspire explicitement à définir, pour les agents sociaux, la manière dont ils doivent se voir, s’interpréter et interpréter le monde.» Malgré tous les changements intervenus en Algérie, on en est toujours là. A quand donc le multipartisme ?
Quelle est la place des ouvrages écrits par des non-historiens (mémoires d’acteurs des événements, essais, romans inspirés de faits historiques, etc.) dans le récit sur le mouvement national et l’indépendance de l’Algérie ?
D’une manière générale, ces ouvrages ont un avantage, celui de rendre compte de tout l’éventail des itinéraires individuels tout en intégrant les témoignages des acteurs historiques qui ont servi de source aux travaux des historiens. A leur lecture, on décèle un inconvénient : celui de diluer en un grand nombre d’itinéraires individuels tout ce spectre, sans que l’on puisse dégager de fil directeur dans ce foisonnement d’écrits, d’où la nécessité d’un recours aux sciences sociales pour esquisser une typologie, établir un classement, dater les faits, etc. d’où l’importance des archives. Je trouve qu’on n’y accorde pas l’importance requise. Je me souviens lors d’un séminaire Oran, j’ai trouvé des chercheurs qui se réjouissaient de l’initiative prise par le défunt Ali Tounsi de détruire le fichier concernant des personnes sous prétexte que les renseignements qu’il contenait étaient calomnieux et mensongers. Je leur ai fait part de mon étonnement. Ce geste dont l’intention est sans doute louable créait un blanc dans l’étude de la construction de l’institution policière. Ils n’y avaient pas songé.
A quoi est due, aux yeux des jeunes, la délégitimation des combats de leurs aînés et le fait qu’en Algérie, l’histoire de la guerre de libération soit devenue davantage un «repoussoir» qu’une fierté, comme au Vietnam, par exemple ?
Je ne crois pas que le terme de repoussoir convienne pour caractériser le sentiment à l’égard de la résistance. Celle-ci a d’abord connu un processus de glorification mais au fur et à mesure que le passé s’éloigne, on assiste à un vacillement de la flamme chez les générations qui n’ont pas connu la colonisation et qui sont frappées par le cordon ombilical qui lie le pouvoir politique et les résistants bénéficiaires de privilèges. Née d’un refus d’une domination étrangère, refus fondé sur l’honneur et l’éthique, la résistance est confondue dans ses sommets avec une nouvelle domination, arbitraire, arrogante et frappée d’autisme, autant de traits qui rappellent le passé aussi bien précolonial que colonial. La confusion entre privilège, enrichissement et résistance concerne une minorité. Il serait injuste de l’étendre à l’ensemble de la résistance. Ce que les jeunes condamnent, c’est la continuité de la domination.
Comment devrait-on enseigner l’Histoire à l’école algérienne ? Qu’en est-il aujourd’hui ?
Je reviendrai longuement sur ce sujet un autre jour. Dans l’immédiat, il me semble urgent de repenser le «roman national». Sur quelle vision de l’histoire doit-il reposer ? Celle d’une Algérie, accomplie définitivement en 1830, ou celle d’une Algérie arabo-berbère riche de sa diversité culturelle et ouverte sur l’avenir. Pour repenser cette histoire, il faut déconstruire les schémas interprétatifs élaborés dans les années 1930. L’introduction de la berbérité dans la Constitution est une avancée incontestable. Il reste à en tirer toutes les conséquences pour donner sens à une Algérie aux racines multiples, berbères, arabes et africaines. N’oublions pas nos compatriotes noirs et le racisme dont ils sont ici et là l’objet.
Quelles leçons l’historien que vous êtes peut-il tirer des polémiques actuelles en Algérie sur l’histoire de la guerre de libération ?
Elles ne s’appuient pas sur une analyse sociologique sérieuse du principe autoritaire et de la personnalisation de la relation politique. Par ailleurs, loin d’être un bloc, la révolution fut vécue différemment selon les groupes humains et les individus. Elle fut variée selon les régions qui réagirent selon leurs structures et leur singularité. On a souvent occulté ce fait attentatoire au jacobinisme national par crainte de la vulnérabilité du pays. Il y eut aussi des massacres inutiles liés aux contradictions sociales et idéologiques de la révolution anticoloniale et à sa tendance à résoudre les problèmes par la répression. N’oublions donc pas que la révolution fut aussi une maîtresse de violence. Le peuple y fit son éducation politique indépendamment de toute liberté d’opinion. La référence au principe n’empêchait pas la non-observance de son exercice. Malgré ses fautes et ses limites, on ne peut oublier qu’elle se situe à nos origines. Une nouvelle vision du passé, plus respectueuse des contradictions individuelles, sociales et idéologiques, nous rouvrirait sans aucun doute un avenir. Cette révision est indispensable pour en finir avec les outrances de ses détracteurs en France surtout, en Algérie aussi.
A. M.



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juillet 1962, une Indépendance très «chair» de l'Algérie trop «chère»
par Mohammed Guétarni

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Avant tout, «Bladi nabghik»

La colonisation française programmée Le 30 janvier 1830, le Gouvernement français, dirigé alors par M. Polignac, décide de lancer une expédition contre l'Algérie. Le prétexte pour l'envahir était tout trouvé : le Dey a donné un coup d'éventail au consul français qui a fait mal à toute la France, qui se trouvait alors profondément touchée dans sa dignité nationale. Ce qui justifia l'expédition sous le commandement du maréchal Bourmont, commandant en chef de l'armée française. Le corps expéditionnaire, composé d'une véritable armada de 37.000 hommes, dont 31.000 fantassins, embarqua le 14 juin 1830 du port de Toulon avec 675 bâtiments de guerre et des provisions pour quatre mois. Le débarquement a commencé à Sidi Ferruch. Le 5 juillet 1830, et après un combat acharné, le gouvernement algérien de l'époque se voyait contraint de capituler. A partir de cette date, la colonisation française a suppléé à la domination de l'Empire ottoman sur l'Algérie. La population algérienne, à cette époque, était estimée à trois (3) millions d'âmes environ. La conquête française a enclenché un processus de tout un enchaînement de hautes luttes sans merci, depuis l'Emir Abdelkader jusqu'à la victoire finale du peuple, sous l'égide du FLN, le 5 Juillet 1962.

Le 1er juillet, les Algériens ont participé massivement, pour la première fois, au référendum de l'autodétermination attendu depuis plus de cinq générations. Ils étaient 99,7% à voter en faveur de l'Indépendance. Celle-ci a coûté plus que très cher aux Algériens qui l'ont payée de et dans leur «chair»: plus de huit (8) millions de martyrs se sont sacrifiés (autant dire massacrés) sur l'autel de l'Indépendance pour que vive leur pays et leur peuple libres et indépendants. Le 5 juillet de la même année (1962), l'Algérie est proclamée indépendante après une longue nuit coloniale de 132 ans d'affres et d'injustices.

Ce massacre, qui n'était rien d'autre qu'un nettoyage ethnique, était judicieusement échafaudé puisqu'il faisait partie du plan de la colonisation. Il se voulait bénéfique à la colonisation sur le plan sociopolitique afin de réduire, numériquement, le déséquilibre démographique qui séparait colons et indigènes. Ce déséquilibre était à l'avantage de la population autochtone. C'est, somme toute, la politique actuelle pratiquée par Israël dans les territoires occupés. La méthode coloniale conserve toujours la même recette criminelle qui n'a pas évolué humainement d'un iota depuis.

De l'avis de nombre d'historiens français et algériens, les exactions inhumaines exercées contre le peuple algérien avaient pour objectif cardinal d'abêtir les Algériens afin de les rendre taillables et corvéables à merci au service du colonisateur. Parmi ces méthodes, citons, entre autres, enfumades, razzias, massacres, exécutions sommaires des civils et des prisonniers, destructions d'habitations, de cultures, de cheptels pour affamer le peuple indigène… En un mot : l'analphabétiser, l'affamer, le spolier, le paupériser. Autrement formulé, le système colonial devait destituer l'Algérien de son statut d'être humain pour le ravaler au rang d'une simple bête de somme à son service.

Dans un rapport adressé à Napoléon III, un général met à nu son objectif militaire satanique qui consistait à détruire les institutions culturelles et surtout cultuelles des Algériens. Ce qui revient à dire, « détruire le peuple algérien matériellement et moralement ».

Guy de Maupassant, pour sa part, écrivait dans »Au soleil» (1884), le récit de ses pérégrinations en terre algérienne, notamment où il parle de la population autochtone: « Il est certain aussi que la population primitive disparaîtra peu à peu ; il est indubitable que cette disparition sera fort utile à l'Algérie, mais il est révoltant qu'elle ait lieu dans les conditions où elle s'accomplit ».

Le code de l'indigénat, adopté le 28 juin 1881, distinguait deux catégories de citoyens français : de souche métropolitaine et des sujets français, qui ne sont autres que les Algériens pro-français. Ce code privait la majorité écrasante des Algériens de la majeure partie de leur liberté, de leurs droits politiques. Il ne conservait que ce qui concernait les droits religieux et coutumiers. Les premiers colons achetaient, de force, les terres aux Algériens à très bas prix, sinon ils les confisquaient à leurs propriétaires.

Naissance des mouvements nationalistes

Au début du XXe siècle, plusieurs partis politiques verront le jour pour défendre le droit à l'égalité sociale, politique, culturelle... et surtout l'indépendance. D'où la persécution, l'arrestation et/ou l'exil (si ce n'est des assassinats politiques) de plusieurs personnalités qui étaient de véritables figures de proue du nationalisme durant cette période. Citons, entre autres, Messali Hadj, Ben Badis, Malek Bennabi, Bachir El-Ibrahimi, Larbi Tébessi, Ferhat Abbas…. Ce qui a été à l'origine de la création de plusieurs associations et partis algériens : Associations des oulémas, Parti de l'Étoile nord-Africaine, Parti du Peuple algérien, Amis du Manifeste des libertés…. Après moult dissensions et luttes intestines pour le leadership, les forces nationalistes commençaient à s'effriter. Ce qui empêchait les Algériens d'unir leur force de frappe même dans les moments les plus décisifs de l'Histoire du pays. La lutte pour «le koursi» avait déjà commencé, alors que l'Algérie indépendante n'était pas encore née.

La guerre de libération algérienne

Le vocable de «Guerre d'Algérie» a été remplacé par le substantif «La Guerre de Révolution», dans le sens de transformation de la situation de tous les nationaux en leur faveur. Ils avaient tout perdu sauf leur courage, leur détermination pour leur dignité d'Algériens. Celle-ci était leur carburant moral intarissable.

Le massacre du 8 mai 1945 était resté gravé dans la mémoire des Algériens. Ils étaient bernés par le gouvernement colonial qui leur a promis l'indépendance s'ils participaient à la 2e Guerre mondiale aux côtés des Français dès que les Alliés vaincront l'Axe. Ce génocide de 45.000 victimes a servi d'étincelle qui a provoqué un véritable brasier révolutionnaire. Mais à cette date, pour beaucoup de dirigeants politiques nationaux, la Révolution n'était pas encore suffisamment mûre pour cueillir « le fruit escompté ». Un vaste réseau de révoltes et de colère cumulées au fil des décennies de la colonisation a fini par (r)éveiller les consciences les plus velléitaires. Il n'y a plus d'autre langage à utiliser avec le système colonial que celui des mitraillettes. Les dirigeants de la Révolution avaient su faire la différence entre « vitesse et précipitation », qui n'ont pas forcément la même acception. Il fallait attendre le 1er novembre 1954. L'action allait venir du CRUA. Le déclenchement de la Révolution armée a été décidé conjointement à la Casbah d'Alger et à Batna sous la direction de Mostéfa Ben Boulaïd dans une réunion du Comité des 22 cadres qui formaient le Comité révolutionnaire d'unité et d'action (CRUA). Les six chefs, qui ont décidé que le déclenchement aura lieu le 1er novembre à minuit – comme pour rappeler la nuit coloniale -, étaient Rabah Bitat, Mostéfa Ben Boulaïd, Mohammed Boudiaf, Didouche Mourad, Krim Belkacem et Larbi Ben M'hidi. La déclaration de la plateforme de la Révolution a été diffusée sur les ondes de Radio Tunis. Elle a pris naissance à l'Est du pays : Batna, Arris, Khenchela, Biskra, avant de s'étendre graduellement à l'ensemble du territoire. Au début, il y avait 500 membres de l'ALN, puis, à peine quelques mois après, ce chiffre est passé à 15.000 hommes qui ont défié 100.000 soldats de l'autorité coloniale. Le courage de ces héros, qui ont écrit l'Histoire de l'Algérie en lettres de sang, n'a d'égal que celui des compagnons du Prophète (QSSSL) parce qu'ils avaient jugé, en leur âme et conscience, que leur cause était on ne peut plus juste et légitime. Alors ont commencé de véritables crimes contre l'humanité, voire des génocides contre notre peuple, dont l'unique tort était de vouloir recouvrer sa dignité d'homme et la souveraineté du pays. Nombre d'intellectuels français et étrangers ont pris position en faveur de l'Algérie en guerre : Albert Camus, l'universitaire Maurice Audin, Frantz Fanon, qui a été expulsé d'Algérie par le gouverneur Lacoste. Jean-Paul Sartre, le Voltaire français du XXe siècle, comme le nommait le Général De Gaulle, dénonçait, dans la Revue des Temps modernes, la torture et revendique le droit des peuples de décider de leur sort. En 1962, par un 5 juillet, la colonisation de l'Algérie a pris officiellement fin. Notre pays est devenu indépendant réellement et effectivement.

La première République algérienne

Après 132 ans d'une domination française implacable, une guerre meurtrière de près de huit (8) années et un tribut «chairement» payé avec un million et demi de martyrs de ses meilleurs enfants, l'Algérie accède finalement à son indépendance tant rêvée et,... par moment, sans trop d'espoir, suite aux Accords d'Evian dirigés par le FLN. Celui-ci deviendra le Parti unique (autant dire le Parti-Etat) jusqu'en 1989, date à laquelle le système socialiste fut aboli, à l'instar de tous les pays d'obédience socialiste, et ce suite à un large mouvement de protestation populaire qui laisse encore beaucoup de zones d'ombre. En 1991, ce mouvement a abouti à une guerre fratricide entre Algériens que les Algériens ne comprennent pas, même ses élites intellectuelles. Le pays a traversé une décennie des plus meurtrières depuis son accès à l'Indépendance : près de 200.000 morts en raison de l'injustice qui continue à prévaloir. La notion du 5 juillet 1962, pensait-on, allait sonner le glas à l'idée des Algé-Riens pour qu'ils soient des Algé-Rois, chez eux, sans habiter forcément tous Alger. C'est-à-dire que le bonheur, pensait-on encore naïvement, allait être équitablement partagé entre tous les citoyens. Que seul le mérite devait primer. Que l'honneur allait être à la «méritocratie». Déception. Même à l'ère de l'Indépendance, il y a encore des Algé-Rois, parfois sans aucun mérite. D'où l'actuelle «médiocratie» qui ne manque de rien ou presque (argent, pouvoir, prestige, considération, honneur, bonheur…) et des Algé-Riens qui n'ont rien ou presque, si ce n'est quelques embarcations de fortune pour les harraga, plus précaires que leur avenir et, somme toute, quelques prières pour tenter de débarquer illégalement sur les grèves de quelques pays de cocagne.

Malgré cela, ne fermons pas les issues à quelques rais de soleil qui pourraient chauffer quelques cœurs encore plongés dans quelque désespoir. La Miséricorde divine est large, celle des hommes (au pouvoir) est étroite. Cependant, dans quelque temps, il y aura un autre temps qui changera de temps (et de ton, aussi) tant les cœurs sont remplis de fiel. Si le pouvoir le décide, ce fiel pourrait se transformer en… miel. L'Algérie sera alors un bon morceau de sucre arrosé de bon miel que tous les Algériens apprécieront. Alors, le 5 juillet aura un sens. Mais malgré tout et après tout…

* Docteur ès Lettres Maître de Conférences à l'Université de Chlef


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Etre enfant à l'indépendance

par Ammar Koroghli *

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Entre autres souvenirs qui affleurent de la mémoire, ceux de l'enfance. Nous étions, à l'indépendance, heureux de nous découvrir alors libres au sortir de la longue nuit coloniale ; ce, même si notre soif de culture n'eut qu'un faible écho favorable…

Star. Tel était le nom de ce cinéma où nous nous réunissions pour la vente et l'achat des illustrés. Nous étions pour la plupart à l'école primaire. En face, il y avait le marché de Sétif. Un lieu où l'hygiène était alors le souci cadet des marchands de légumes et des bouchers d'alors. Une odeur indescriptible y régnait. La viande inaccessible pour beaucoup d'entre nous pendait, accrochée par des esses. Sans véritable réfrigération. Les légumes et les fruits étaient posés à même les étals. Parfois en leurs cageots. Les prix défiaient le pouvoir d'achat de nos pères qui trimaient souvent dans des chantiers comme manœuvres ou maçons, payés à la quinzaine. Pour beaucoup d'entre nous, nous avions depuis longtemps apprivoisé la pauvreté atavique. Elle devint, si je puis dire, notre campagne d'infortune !

Cette période fut des plus marquantes. J'y débutai ma carrière d'adolescent. Je fus parmi ceux de mes camarades de lycée qui, privés de vacances, passèrent leur temps à rêvasser à l'ombre du marché. Par moments, il nous arrivait de voir un film à l'affiche. Le plus souvent, il s'agissait de westerns et de films indiens -nous disions hindous-. Il est vrai que j'y ai été habitué. Mon premier film fut L'homme qui tua Liberty Valence avec John Wayne ; c'était un billet qui m'a été offert par l'école, ainsi qu'à d'autres de mes camarades de classe. Il nous arrivait aussi de nous rendre en bande au khfafji tunisien pour y prendre un beignet avec du thé. Comme nous partions parfois au souk situé à un autre lieu pour prendre un bol de soupe, avec une cuillère d'huile d'olive, chez Hamma.

Au souk, nous écoutions émerveillés les contes de troubadours venus d'ici ou là. Nous nous laissions bercer par ces magiciens de la parole. Leurs mots choisis pour raconter leurs histoires nous subjuguaient ; nous riions de bon coeur. Ce souk fut tout simplement rasé et ses troubadours privés de parole ! Etaient-ils donc si subversifs ? Et que n'a-t-on remplacé ce lieu de la culture populaire par quelques flamboyants centres culturels où tout un chacun pouvait mettre en avant son talent ? Raser et priver, il en restera toujours quelque chose. Au moins quatre décennies après, ma mémoire se réconforte de leurs souvenirs. Il arrivait, par moments, qu'il y ait de la zizanie entre nous, de nous quereller à propos de notre commerce des illustrés lorsque nous ne parvenions pas à nous entendre sur l'achat et la vente auprès de certains de nos camarades d'infortune. Il me souvient d'un jour où j'ai emprunté une modeste somme d'argent à l'une de nos voisines que j'approvisionnais en romans-photos, quelques khamsine douros, deux cent cinquante dinars sans doute. Deux à trois mois après, non seulement j'avais rendu à celle-ci son dû, mais j'ai épargné l'équivalent d'environ mille dinars ; ce qui me permit de m'acheter des vêtements neufs pour la rentrée et de régler l'assurance scolaire.

Lorsque je me remémore ces instants, j'ai immanquablement en tête une forte lumière d'un ciel bleu aveuglant. C'était souvent l'été qui me venait à l'esprit. Indépendamment de cette indigence que je partageais avec d'autres, nous étions épargnés par notre insouciance. Nous étions encore des gamins en adolescence, loin de nous douter que ce monde renfermait bien des secrets incommensurables. Et que nous ne pourrions un jour espérer en connaître qu'une infime partie...

Pour l'heure, nous nous amusions. Nous nous querellions gentiment de temps à autre, ayant au fond conscience que la solidarité devait être de rigueur entre nous. Nous nous interrogions souvent sur nos conditions d'existence et le peu de cas que nous représentions pour nos gouvernants du moment. Des discussions souvent passionnées avaient lieu avec les mots de tous les jours. Des mots simples pour tenter de percer les lourds secrets de la vie. L'été durant, nous nous voyions à notre quartier général, le cinéma Star, devenu depuis un centre commercial. La saugrenue décision ! Réduire la culture pour l'alimentation. Nous avons faim de cinéma, même si c'est le rêve qui nous est servi. Au moins, nous pouvions échapper aux mensonges qui nous étaient serinés par ceux-là mêmes qui se sont drapés dans une légitimé historique -pour certains usurpée et devenue depuis obsolète- pour nous voler nos destinées. Sans que nous ayons eu la moindre occasion, en quelque lieu que ce soit, pour exprimer nos doléances. Et, Dieu seul sait, que nous en avions. Surtout en qualité de candidats à la vie adulte dans un pays libéré des contingences coloniales. Souvent chez nous, nous nous contentions de pain avec des oranges, voire de la kesra avec du gazouz. Nous n'en faisions aucun drame. Et pour cause, nous subissions notre sort. Privés d'expression dès notre prime jeunesse, nous allions mesurer davantage cette frustration. Il est vrai que lorsqu'on a peu conscience de son sort lié à la fois aux séquelles et des affres d'une guerre et à la politique menée en nos noms, on se sent moins brimé ; nous en connaissions peu à l'époque, à part le mythique Ferhat Abbas et sa pharmacie au coin de la Rue Vallée (on disait rivali). Il n'empêche que nous rigolions bien de nos petits malheurs. Qui se souciait alors de notre quête de savoir. Aucune bibliothèque pour nous accueillir l'été pour étancher cette soif. Nos parents étant hélas souvent illettrés, voire même analphabètes pour certains, nos consciences étaient livrées aux films spaghettis dont on se demandait toujours si le héros allait mourir à la fin et les films hindous dont nous nous régalions par les chants et danses. Quelle tristesse pourtant ! Quel gâchis à coup sûr !

Il est vrai que le pays, au sortir d'une guerre dévastatrice, était en pleine reconstruction. Et, sans coup férir, des citoyens avisés et malins en diable avaient su investir les villas laissées vacantes. Bradées à des prix défiant toute concurrence, lorsqu'elles étaient payées ; elles changèrent de propriétaires, ces nouveaux indus s'empressèrent de se faire établir des actes notariés. Et d'adopter la mentalité des anciens colons par leur comportement. Je me rappelle que le fils de l'un d'eux sortait une banane à la main comme pour nous narguer. Et lorsqu'il daignait nous parler, c'était pour nous rappeler sentencieusement que son père -ou son oncle- était capitaine... Il est vrai qu'à l'indépendance, ce grade valait son pesant d'influence… Nous nous disions alors qu'il n'était qu'une exception. Ce que nous continuons de croire encore…

Il est vrai alors qu'à El Combatta, les Combattants, quartier inséré dans la ville en une suite de villas qui appartenaient alors aux Roumis. Le must alors en matière d'habitat. Quant à nous, autochtones et indigènes, nous étions logés à la même enseigne que beaucoup d'autres Djazaïris, c'est-à-dire de façon sommaire. Vu les revenus d'alors, nous avions droit à une chambrée dans une grande maison dont le propriétaire, Kaddour passait avec un guide, du fait de sa cécité, pour réclamer son loyer. Gare aux retardataires car les menaces d'expulsion étaient à portée de parole. La sévérité n'était pas le moindre de ses caprices. Allah ysamhou.

La vie y était réglée de la façon la plus traditionnelle, les femmes à la maison -occupant le dedans- et les hommes vaquant aux affaires du dehors. Il y avait là, parmi nos voisins immédiats, Mohammed Lèqbaïli, appelé ainsi du fait de ses origines berbères, et sa femme Fatma. Elle ne revit son époux que quelques années après l'indépendance du pays si bien qu'elle vécut seule avec ses deux petits enfants. Et une anecdote ô combien douloureuse me revient à l'esprit. Je la revois assise près de la porte de sa piaule en train de me quémander un quelconque service lorsqu'un homme cria dès le seuil de la porte d'entrée principale, comme de coutume alors, Etrig pour libérer la route, et de s'engouffrer dans le long corridor de la maison collective où nous logions tous. Comme les femmes mariées ne devaient pas se laisser voir, elle ferma précipitamment sa porte alors que j'avais mes doigts posés sur la porte entrouverte si bien qu'elle se referma brutalement sur mes doigts. Je sautais au plafond de douleur ; mes doigts en furent ensanglantés. Je vous laisse imaginer les pleurs à chaudes larmes versés ce jour-là du fait d'el hechma, la honte d'être vue par un autre homme.

Nous échouâmes donc dans une grande maison appelée alors hara. Composée de petites chambrées, elles firent à l'époque le bonheur du bâilleur qui les louait à des familles dont le dénuement se mesurait à l'œil nu. Guère d'espace. A l'entrée, plusieurs petites pièces sur une rangée bordée par un couloir d'à peine un mètre. Hygiène exécrable. Pour une dizaine de familles, parents et enfants, un cabinet de toilettes infect et infesté de souris de jour comme de nuit. Promiscuité imposée. Les gens ne pouvaient avoir quasiment pas d'intimité. Fenêtres minuscules. Certaines chambres avaient des murs aveugles, l'aération étant un luxe. Quatre murs et un sol en ciment. C'est à peine exagéré de qualifier ces chambres de cellules.

Au bout de ce couloir, sorte de tunnel non éclairé, une courette avec d'autres chambres en forme de carré. Identiques dans leur conception que celles du couloir. En l'absence des maris, la petite cour servait aux femmes de lieu de rendez-vous où certaines d'entre elles se retrouvaient pour deviser. Claustrées comme dans un harem. Que de fois, il m'arrivera de les découvrir en train de faire la chasse aux souris échappées de la petite pièce d'un mètre servant de salle d'eau dont la porte fermait mal. Heureusement, quasiment juste en face de notre hara il y avait un hammam… A même la cour, un semblant d'escaliers menait à l'unique étage où le propriétaire de céans dressait parfois ses quartiers lorsqu'il lui arrivait de visiter ses locataires, souvent pour les tancer à cause de loyers impayés. Avec force menaces…

Au sortir de la longue nuit coloniale, tel est l'espace qui a servi d'univers à toute une flopée de familles qui espéraient exister. Survivre fut le credo quotidien de ces familles. Bien des querelles ont jonché cette promiscuité. Souvent pour des broutilles. C'était une manière de penser son existence. De panser cette blessure sociale vécue d'emblée dès l'indépendance. Occupés à vaquer à leur profession, les hommes échappaient à ces rixes anodines mais riches de quelques vocables dont enfants nous aurions souhaité nous passer. Ainsi, pour mon père, véritable damné des chantiers, payé à la quinzaine. Souvent endetté auprès de notre épicier attitré, Hamma. Il me souvient que ma mère (Mma Allah yarahmèk) m'envoyait systématiquement chez lui pour moult courses : dix douros de sucre, dix douros de café, quinze douros d'huile… C'était la chanson de mon enfance. Je répétais la quantité et le nom des denrées voulues par ma mère le long du trajet. Avec sa bonne bouille, Hamma ne manquait jamais l'occasion de sortir son stylo pour ses additions. Tu diras à ton père de passer demain pour me régler, sinon plus de crédits.

Il était notre créancier, mais aussi un peu notre sauveur car sans lui, il était difficile de boucler les fins de mois au vu des maigres salaires de nos parents. Certains étaient toutefois mieux lotis que nous. Surtout que, les mères vaquant aux affaires domestiques, les pères échappaient aux draconiennes contraintes des chantiers. Si bien qu'ils leur arrivaient de sortir parfois avec un fruit à la main. Suprême bonheur pour un gamin d'alors…

Le credo de nos parents : faire réussir leurs enfants par l'école, chkoula. Pour certains d'entre eux, ils ne purent hélas voir leur progéniture réussir ce fou pari d'en faire autre chose que de la chair à chantiers…

* Auteur avocat algérien





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