Services espagnols au Maroc: La grande purge
Diplomatie. C’est la grande purge de la diplomatie espagnole au Maroc. La plupart des postes clés sont concernés. Du jamais vu. Les sources de l’ambassade d’Espagne évoquent une “simple coïncidence”. Analystes et médias ibériques n’en sont pas tout à fait certains.
Ismaïl Harakat
Alberto Navarro. Restaurer la confiance.
Dans le sillage du départ de Luis Planas Puchades, ex-ambassadeur d’Espagne au Maroc et son remplacement par Alberto Navarro, un redéploiement en profondeur vient de s’opérer au niveau des services diplomatiques espagnols dans le Royaume. Le premier secrétaire, considéré comme le numéro deux, le représentant de l’Intérieur, celui du Centre national de l’Intelligence, le Consul général de Nador, le directeur de la coopération espagnole au Maroc, l’attaché naval… ont tous été priés de faire leurs valises. Avec des promotions ou des sanctions en fonction de l’empreinte laissée au cours de leur mandat.
Par exemple, Arias Salgado, prédécesseur de M. Puchades à la tête de l’ambassade d’Espagne à Rabat, s’est vu confier la direction des services secrets espagnols à la fin de son mandat, fin mai 2004. Ce qui en dit long sur la sensibilité du poste. Au-delà des noms et des nouvelles missions qui attendent les intéressés, les analystes des relations diplomatiques évoquent sans réserve une purge à grande échelle puisant ses origines dans plusieurs incidents ayant émaillé les relations bilatérales depuis le premier mandat de Zapatero.
Cartes grillées
Début novembre 2007, il y a eu cette fameuse visite des Souverains espagnols à Sebta et Mélilia, qui a fait couler beaucoup d’encre et porté un préjudice certain aux relations bilatérales comparable à l’affaire de l’Ilot Leila.
Juin 2009: Rabat somme le Centre national de l’Intelligence (CNI) espagnol de quitter le nord du pays au plus vite après deux incidents majeurs: D’abord, il y a eu l’éclatement de l’affaire Chakib El Khayari, ce “militant” alors à la tête d’une association rifaine des droits de l’Homme avait été reconnu coupable de «fournir des renseignements au CNI moyennant finances». Il a été condamné à trois ans de prison par le tribunal de première instance de Casablanca et à une amende de 753.000 dirhams. Le 8 mars 2009, des agents espagnols du CNI à Nador ont vu leurs cartes “grillées” après le dévoilement du pot aux roses.
Quelques mois plus tard, l’affaire Aminatou Haidar (novembre-décembre 2009) s’est chargée d’enfoncer le clou en plongeant les relations diplomatiques dans une crise dont les séquelles ne se sont toujours pas cicatrisées. Ajoutons à tous ces incidents, les griefs retenus par Madrid et Bruxelles concernant la lutte contre l’émigration clandestine et le trafic de drogue.
Mais là où l’Espagne met le paquet au niveau de ses services de renseignement, c’est le dossier de la lutte contre le terrorisme. Si le Maroc a toujours revêtu pour le CNI une importance cruciale et stratégique, les attentats de Madrid n’ont fait qu’accentuer cette tendance. Au point que nous jouissons aujourd’hui du “privilège” de figurer parmi les pays où l’Espagne compte le plus d’agents du renseignements. L’attentat survenu dans la gare ferroviaire d’Atocha le 11 mars 2004 a marqué un véritable tournant en la matière. Madrid n’avait pas jugé utile de prendre au sérieux les mises en garde du Maroc concernant la présence sur son sol de cellules terroristes.
Avertissements clairs incluant même des noms et des informations précises qui auraient dû permettre d’écrouer bien des suspects et d’éviter les tragiques attentats. Mais les responsables du pays voisin ont pris à légère les rapports communiqués par Rabat.
L’espagne met le paquet
C’est sous cet angle qu’on peut expliquer la manœuvre électoraliste de José Maria Aznar, qui a cherché par tous les moyens à faire avaler à l’opinion publique espagnole la pilule de l’implication de l’organisation indépendantiste basque ETA. Et ce, à quelques jours seulement des élections législatives.
Le reste, tout le monde le sait. La Droite a perdu les élections et, avec l’arrivée du PSOE, l’ambassade et consulats espagnols au Maroc ont commencé à être très courtisés par les services de renseignement. A un point tel que certains agents ont commencé presque à agir en plein jour. C’est à dire en territoire conquis comme au bon vieux temps du protectorat où le Nord du pays était une chasse gardée ibérique.
Agissements en plein jour
Le problème pour les Espagnols, c’est qu’ils s’est avéré que les services marocains n’ont à aucun moment été dupes et qu’ils étaient au courant des manigances espagnoles depuis le début. On est donc bien loin de l’esprit du Traité d’Amitié, de Bon Voisinage et de Coopération signé le 4 juillet 1991 à Rabat en présence des Rois du Maroc et d’Espagne. Le pays voisin, soucieux de contrôler à partir du Maroc les cellules susceptibles de constituer une menace pour sa sécurité, a commencé à agir sans retenue croyant que les services marocains avaient la tête ailleurs ou avaient encore beaucoup à apprendre en matière d’espion nage. Après avoir encaissé bien des coups bas, notamment à l’issue d’une campagne d’hostilité sans précédent visant son intégrité territoriale et après avoir fermé longuement les yeux sur la litanie des droits de l’Homme ou de la liberté de presse, le Maroc est passé à l’offensive. La riposte a commencé à Tétouan et à Nador avec l’expulsion du CNI du Nord du pays. Un geste qui a suscité l’ire des responsables et les railleries de certains observateurs, analystes et médias, qui ont taxé d’incompétence les services de renseignement espagnols opérant au Maroc.
Et, comme l’affaire Haidar a éclaté peu après, de même que l’affaire de la pancarte à Mélilia -entraînant le retour sous les feux de la rampe du militant Omar Doudouh-, la déclaration de Abbas El Fassi lors de son discours de mi-mandat rappelant la marocanité des présides et d’autres bisbilles liées au voisinage, on peut comprendre alors les motivations de ce redéploiement diplomatique.
Les services de l’ambassade d’Espagne à Rabat jurent que cette opération était programmée il y a longtemps et qu’il ne faut pas lui prêter plus d’importance qu’elle n’en a. Mais personne n’est dupe. Le nouvel ambassadeur, Alberto Navarro, en tant que diplomate de carrière, a du pain sur la planche pour restaurer la confiance.
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]
Diplomatie. C’est la grande purge de la diplomatie espagnole au Maroc. La plupart des postes clés sont concernés. Du jamais vu. Les sources de l’ambassade d’Espagne évoquent une “simple coïncidence”. Analystes et médias ibériques n’en sont pas tout à fait certains.
Ismaïl Harakat
Alberto Navarro. Restaurer la confiance.
Dans le sillage du départ de Luis Planas Puchades, ex-ambassadeur d’Espagne au Maroc et son remplacement par Alberto Navarro, un redéploiement en profondeur vient de s’opérer au niveau des services diplomatiques espagnols dans le Royaume. Le premier secrétaire, considéré comme le numéro deux, le représentant de l’Intérieur, celui du Centre national de l’Intelligence, le Consul général de Nador, le directeur de la coopération espagnole au Maroc, l’attaché naval… ont tous été priés de faire leurs valises. Avec des promotions ou des sanctions en fonction de l’empreinte laissée au cours de leur mandat.
Par exemple, Arias Salgado, prédécesseur de M. Puchades à la tête de l’ambassade d’Espagne à Rabat, s’est vu confier la direction des services secrets espagnols à la fin de son mandat, fin mai 2004. Ce qui en dit long sur la sensibilité du poste. Au-delà des noms et des nouvelles missions qui attendent les intéressés, les analystes des relations diplomatiques évoquent sans réserve une purge à grande échelle puisant ses origines dans plusieurs incidents ayant émaillé les relations bilatérales depuis le premier mandat de Zapatero.
Cartes grillées
Début novembre 2007, il y a eu cette fameuse visite des Souverains espagnols à Sebta et Mélilia, qui a fait couler beaucoup d’encre et porté un préjudice certain aux relations bilatérales comparable à l’affaire de l’Ilot Leila.
Juin 2009: Rabat somme le Centre national de l’Intelligence (CNI) espagnol de quitter le nord du pays au plus vite après deux incidents majeurs: D’abord, il y a eu l’éclatement de l’affaire Chakib El Khayari, ce “militant” alors à la tête d’une association rifaine des droits de l’Homme avait été reconnu coupable de «fournir des renseignements au CNI moyennant finances». Il a été condamné à trois ans de prison par le tribunal de première instance de Casablanca et à une amende de 753.000 dirhams. Le 8 mars 2009, des agents espagnols du CNI à Nador ont vu leurs cartes “grillées” après le dévoilement du pot aux roses.
Quelques mois plus tard, l’affaire Aminatou Haidar (novembre-décembre 2009) s’est chargée d’enfoncer le clou en plongeant les relations diplomatiques dans une crise dont les séquelles ne se sont toujours pas cicatrisées. Ajoutons à tous ces incidents, les griefs retenus par Madrid et Bruxelles concernant la lutte contre l’émigration clandestine et le trafic de drogue.
Mais là où l’Espagne met le paquet au niveau de ses services de renseignement, c’est le dossier de la lutte contre le terrorisme. Si le Maroc a toujours revêtu pour le CNI une importance cruciale et stratégique, les attentats de Madrid n’ont fait qu’accentuer cette tendance. Au point que nous jouissons aujourd’hui du “privilège” de figurer parmi les pays où l’Espagne compte le plus d’agents du renseignements. L’attentat survenu dans la gare ferroviaire d’Atocha le 11 mars 2004 a marqué un véritable tournant en la matière. Madrid n’avait pas jugé utile de prendre au sérieux les mises en garde du Maroc concernant la présence sur son sol de cellules terroristes.
Avertissements clairs incluant même des noms et des informations précises qui auraient dû permettre d’écrouer bien des suspects et d’éviter les tragiques attentats. Mais les responsables du pays voisin ont pris à légère les rapports communiqués par Rabat.
L’espagne met le paquet
C’est sous cet angle qu’on peut expliquer la manœuvre électoraliste de José Maria Aznar, qui a cherché par tous les moyens à faire avaler à l’opinion publique espagnole la pilule de l’implication de l’organisation indépendantiste basque ETA. Et ce, à quelques jours seulement des élections législatives.
Le reste, tout le monde le sait. La Droite a perdu les élections et, avec l’arrivée du PSOE, l’ambassade et consulats espagnols au Maroc ont commencé à être très courtisés par les services de renseignement. A un point tel que certains agents ont commencé presque à agir en plein jour. C’est à dire en territoire conquis comme au bon vieux temps du protectorat où le Nord du pays était une chasse gardée ibérique.
Agissements en plein jour
Le problème pour les Espagnols, c’est qu’ils s’est avéré que les services marocains n’ont à aucun moment été dupes et qu’ils étaient au courant des manigances espagnoles depuis le début. On est donc bien loin de l’esprit du Traité d’Amitié, de Bon Voisinage et de Coopération signé le 4 juillet 1991 à Rabat en présence des Rois du Maroc et d’Espagne. Le pays voisin, soucieux de contrôler à partir du Maroc les cellules susceptibles de constituer une menace pour sa sécurité, a commencé à agir sans retenue croyant que les services marocains avaient la tête ailleurs ou avaient encore beaucoup à apprendre en matière d’espion nage. Après avoir encaissé bien des coups bas, notamment à l’issue d’une campagne d’hostilité sans précédent visant son intégrité territoriale et après avoir fermé longuement les yeux sur la litanie des droits de l’Homme ou de la liberté de presse, le Maroc est passé à l’offensive. La riposte a commencé à Tétouan et à Nador avec l’expulsion du CNI du Nord du pays. Un geste qui a suscité l’ire des responsables et les railleries de certains observateurs, analystes et médias, qui ont taxé d’incompétence les services de renseignement espagnols opérant au Maroc.
Et, comme l’affaire Haidar a éclaté peu après, de même que l’affaire de la pancarte à Mélilia -entraînant le retour sous les feux de la rampe du militant Omar Doudouh-, la déclaration de Abbas El Fassi lors de son discours de mi-mandat rappelant la marocanité des présides et d’autres bisbilles liées au voisinage, on peut comprendre alors les motivations de ce redéploiement diplomatique.
Les services de l’ambassade d’Espagne à Rabat jurent que cette opération était programmée il y a longtemps et qu’il ne faut pas lui prêter plus d’importance qu’elle n’en a. Mais personne n’est dupe. Le nouvel ambassadeur, Alberto Navarro, en tant que diplomate de carrière, a du pain sur la planche pour restaurer la confiance.
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]