Les Marabouts
Les marabouts existent dans tous les villages kabyles. Toutes les familles « maraboutiques » se disent « Chorfa » venues de sakiet El Hamra (Maroc).
Pour comprendre l’origine de cette catégorie de population, son état d’esprit et son rôle, il faudrait remonter dans l’histoire du Maghreb pour situer les évènements qui l’avaient placée en ces lieux.
A la suite des guerres entre les descendants de Sid Ali (gendre du Prophète) et le Khalif El Hadi, échappant à ses poursuivants, Idris réussit en 172 (788-89) à atteindre Oulili dans le Maghreb El Acsa pour se mettre sous la protection (l’Anaïa) de la tribu berbère des Auréba dont sa mère en était issue. Il mourut en 793, après avoir conquis de vastes territoires et établi la capitale de son royaume de Fès. A son fils Idris II (793-828), succéda Mohamed (828-836) qui confia, sur les conseils de sa grand-mère Kenza (Berbère des Auréba) le gouvernement des provinces à chacun des neuf de ses frères et cousins. Celui du Maghreb Central dont le siège était à Tlemcen échut à son cousin Aissa, fils de Soleïman ben Abdellah (frère d’ldris I).
Cette décentralisation du pouvoir fut la principale cause des dissensions internes, des guerres fratricides, de la décadence et de la chute de la dynastie idrisside (1068) sous les coups des Almoravides (El Mourabitine ), après un siècle d’existence. Les membres de la famille Idris se dispersèrent dans tout le Maghreb. Ibn Khaldoun rapporte que « Ibn Hamza dit que les membres de « la famille Idris étaient nombreux au Maghreb et qu’ils avaient « fondé plusieurs royaumes, mais, ajoute-t-il toute leur puissance « a disparu et il ne reste plus un seul de ses chefs. Le même auteur « fait observer que Hamza, celui dont le lieu de la province de Bejaia « appelé Souk-Hamza (Bouira) porte le nom, appartenait non pas « à la famille des Idrissides, mais à la tribu arabe des Soleïm. Djouher, « général de El Moëzz (El Fatimi) transporta les enfants de Hamza « El Idrissi à Kairouan, mais plusieurs membres continuèrent à vivre « dispersés dans les montagnes et parmi les Berbères du Maghreb » [21]
Il y en a tout de même très peu par rapport au nombre incalculable de familles maraboutiques qui se disent « Chorfa ». Les véritables descendants d’Idris, quelles que fussent les vicissitudes politiques, gardèrent leur prestige en tant que descendants du Prophète, leur fortune et leur rang social. Les gouvernements qui se sont succédé les avaient toujours ménagés, entourés de respect, et parfois, employés dans leurs services en qualité de muphti, Imam, Cadi, etc ...
La grande masse des familles « maraboutiques » relevèrent en réalité, d’origines diverses. En effet, lorsque les Almoravides débutèrent dans leurs actions politiques et religieuses, et à la suite de leurs victoires sur les Idrissides, ils s’établirent au Maroc et au Maghreb Central ; leurs disciples, partisans ou fonctionnaires étaient appelés « El mourabitine », c’est-à-dire du « Parti chargé de mission ». Les Almohades du nouveau « Parti Unitaire », vainqueurs en plusieurs occasions, s’emparèrent de leurs territoires obligeant les vaincus à la servitude ou à l’exil. Nombreux parmi ces Almoravides, les uns fuyant la répression, les autres par solidarité avec leurs « frères », quittèrent le pays. Un certain nombre d’entre eux se dirigèrent vers le Sud où un grand rassemblement se faisait à Sakiet-el-Hamra autour du Ribat. De là, individuellement ou par groupe, ils remontèrent vers le nord du Maghreb Central où ils se fixèrent, soit du fait du hasard, soit à la suite d’un choix. Les populations locales les appelèrent « El Morabitine » du nom du parti auquel ils appartenaient ou prétendaient l’être.
Il y avait, écrit Auguste Cour, des contrées qui avaient la « spécialité de fournir des marabouts. Les gens du Figuig se délectent « à l’exercice des lettres qu’ils apprennent à Fès, puis, quand quelqu’un est parvenu à la fin de ses études il retournait en Numidie et dans les montagnes Kabyles, se faisait Imam, prédicateur, professeur. Ce fut une autre source de l’origine des marabouts du Sud-Ouest qui envahirent le Tell algérien peu avant la conquête « turque ... [22]
Pour se rendre mystérieux, écrit Marmol, ils déclaraient venir« du pays « lointain de l’Ouest (afin que nul ne puisse contrôler leurs dires), de Sakiet-el Hamra » [23] - Ils étaient en somme des Berbères marocains chassés de l’Atlas par leurs vainqueurs.
Certains individus parmi ceux-là profitant de la confusion, exploitant la crédulité et l’ignorance des masses, s’entourant d’un tas de mystères, s’imposèrent par leur étrangeté : derwiches, hurleurs, écrivains d’amulettes, prédicateurs, préparateurs de philtres, magiciens, etc ... S’établissant souvent en dehors du village pour recevoir dans la discrétion absolue hommes et femmes à toute heure, ils se livraient à leurs exercices de machinations, intrigues, etc ... sous couvert de religion, de guérisseurs et autres. Au bout d’un certain temps, ils s’alliaient aux familles locales parmi les plus honorables. De ce fait, ils acquéraient la protection du clan, et bientôt suffisamment des biens pour s’imposer dans les affaires de la collectivité ; leurs descendants ayant su conserver la « place » acquise, ils firent perpétuer dans la tradition locale.
Il n’en fut pas toujours ainsi, certaines confréries [*] envoyèrent dans les montagnes kabyles des missionnaires « Merabitines » chargés d’enseigner le Coran et de propager leur doctrine ; souvent ils y demeurèrent, se créant un foyer familial et un noyau de disciples. Grâce à leur savoir, leur sagesse, leur simplicité, ils acquirent une telle renommée qu’on venait de loin les consulter sur des litiges d’ordre religieux et qu’on leur envoyait leurs enfants s’initier aux sciences islamiques dans leur Zouaoua généralement construite par la communauté des Khouan. Respectés de leur vivant, ils furent vénérés à leur mort ; leur tombe ou leur mausolée, entourés de légendes, devinrent un lieu de pèlerinage. Leurs descendants qui suivirent la même voie, appelés « Ahl el ilm ", conservèrent le même prestige et jouèrent un rôle important dans la vie politique du pays (soulèvement contre les Turcs, contre la colonisation française).
Les confréries et Zoui qui jouèrent un rôle religieux et politique important en Afrique du Nord furent : Les Qadéria et les Chadélia. La première s’était répandue de l’Est vers l’Ouest, grâce à ses Cheikhs de grands renoms venus des écoles de "Orient par l’Egypte. La seconde, répandue par Abou Zeïd Abderrahman El Madani s’était répandue dans l’Ouest avec peu d’adeptes à l’Est du pays. Mêlés, de bonne heure aux mouvements généraux du pays, les uns et les autres subirent le contre-coup de la politique des souverains. A la fin du XV eme siècle, Ahmed ben Youcef, de l’ordre des Qadéria, traqué pour sa doctrine par les émissaires du Sultan de Tlemcen, trouva asile à Béjaia auprès du sultan. Plus tard, il embrassa le parti des Turcs dont il fut un partisan actif. Ayant obtenu des dispositions particulières en faveur de sa confrérie, et par là à tous ses Khouan, ses successeurs furent les meilleurs instruments à la domination turque. Ceux-ci s’en servirent aussi bien Pour régler des différends locaux que pour combattre leurs adversaires.
Les Français suivirent la politique turque en ce domaine en soutenant certains chefs de Confrérie et de Zoui contre les mouvements de rénovation dirigés par les Ouléma.
Mouloud GAID - Extrait de "HISTOIRE DE BEJAIA ET DE SA REGION" depuis l’antiquité jusqu’a 1954 - Edition MIMOUNI 1976
Les marabouts existent dans tous les villages kabyles. Toutes les familles « maraboutiques » se disent « Chorfa » venues de sakiet El Hamra (Maroc).
Pour comprendre l’origine de cette catégorie de population, son état d’esprit et son rôle, il faudrait remonter dans l’histoire du Maghreb pour situer les évènements qui l’avaient placée en ces lieux.
A la suite des guerres entre les descendants de Sid Ali (gendre du Prophète) et le Khalif El Hadi, échappant à ses poursuivants, Idris réussit en 172 (788-89) à atteindre Oulili dans le Maghreb El Acsa pour se mettre sous la protection (l’Anaïa) de la tribu berbère des Auréba dont sa mère en était issue. Il mourut en 793, après avoir conquis de vastes territoires et établi la capitale de son royaume de Fès. A son fils Idris II (793-828), succéda Mohamed (828-836) qui confia, sur les conseils de sa grand-mère Kenza (Berbère des Auréba) le gouvernement des provinces à chacun des neuf de ses frères et cousins. Celui du Maghreb Central dont le siège était à Tlemcen échut à son cousin Aissa, fils de Soleïman ben Abdellah (frère d’ldris I).
Cette décentralisation du pouvoir fut la principale cause des dissensions internes, des guerres fratricides, de la décadence et de la chute de la dynastie idrisside (1068) sous les coups des Almoravides (El Mourabitine ), après un siècle d’existence. Les membres de la famille Idris se dispersèrent dans tout le Maghreb. Ibn Khaldoun rapporte que « Ibn Hamza dit que les membres de « la famille Idris étaient nombreux au Maghreb et qu’ils avaient « fondé plusieurs royaumes, mais, ajoute-t-il toute leur puissance « a disparu et il ne reste plus un seul de ses chefs. Le même auteur « fait observer que Hamza, celui dont le lieu de la province de Bejaia « appelé Souk-Hamza (Bouira) porte le nom, appartenait non pas « à la famille des Idrissides, mais à la tribu arabe des Soleïm. Djouher, « général de El Moëzz (El Fatimi) transporta les enfants de Hamza « El Idrissi à Kairouan, mais plusieurs membres continuèrent à vivre « dispersés dans les montagnes et parmi les Berbères du Maghreb » [21]
Il y en a tout de même très peu par rapport au nombre incalculable de familles maraboutiques qui se disent « Chorfa ». Les véritables descendants d’Idris, quelles que fussent les vicissitudes politiques, gardèrent leur prestige en tant que descendants du Prophète, leur fortune et leur rang social. Les gouvernements qui se sont succédé les avaient toujours ménagés, entourés de respect, et parfois, employés dans leurs services en qualité de muphti, Imam, Cadi, etc ...
La grande masse des familles « maraboutiques » relevèrent en réalité, d’origines diverses. En effet, lorsque les Almoravides débutèrent dans leurs actions politiques et religieuses, et à la suite de leurs victoires sur les Idrissides, ils s’établirent au Maroc et au Maghreb Central ; leurs disciples, partisans ou fonctionnaires étaient appelés « El mourabitine », c’est-à-dire du « Parti chargé de mission ». Les Almohades du nouveau « Parti Unitaire », vainqueurs en plusieurs occasions, s’emparèrent de leurs territoires obligeant les vaincus à la servitude ou à l’exil. Nombreux parmi ces Almoravides, les uns fuyant la répression, les autres par solidarité avec leurs « frères », quittèrent le pays. Un certain nombre d’entre eux se dirigèrent vers le Sud où un grand rassemblement se faisait à Sakiet-el-Hamra autour du Ribat. De là, individuellement ou par groupe, ils remontèrent vers le nord du Maghreb Central où ils se fixèrent, soit du fait du hasard, soit à la suite d’un choix. Les populations locales les appelèrent « El Morabitine » du nom du parti auquel ils appartenaient ou prétendaient l’être.
Il y avait, écrit Auguste Cour, des contrées qui avaient la « spécialité de fournir des marabouts. Les gens du Figuig se délectent « à l’exercice des lettres qu’ils apprennent à Fès, puis, quand quelqu’un est parvenu à la fin de ses études il retournait en Numidie et dans les montagnes Kabyles, se faisait Imam, prédicateur, professeur. Ce fut une autre source de l’origine des marabouts du Sud-Ouest qui envahirent le Tell algérien peu avant la conquête « turque ... [22]
Pour se rendre mystérieux, écrit Marmol, ils déclaraient venir« du pays « lointain de l’Ouest (afin que nul ne puisse contrôler leurs dires), de Sakiet-el Hamra » [23] - Ils étaient en somme des Berbères marocains chassés de l’Atlas par leurs vainqueurs.
Certains individus parmi ceux-là profitant de la confusion, exploitant la crédulité et l’ignorance des masses, s’entourant d’un tas de mystères, s’imposèrent par leur étrangeté : derwiches, hurleurs, écrivains d’amulettes, prédicateurs, préparateurs de philtres, magiciens, etc ... S’établissant souvent en dehors du village pour recevoir dans la discrétion absolue hommes et femmes à toute heure, ils se livraient à leurs exercices de machinations, intrigues, etc ... sous couvert de religion, de guérisseurs et autres. Au bout d’un certain temps, ils s’alliaient aux familles locales parmi les plus honorables. De ce fait, ils acquéraient la protection du clan, et bientôt suffisamment des biens pour s’imposer dans les affaires de la collectivité ; leurs descendants ayant su conserver la « place » acquise, ils firent perpétuer dans la tradition locale.
Il n’en fut pas toujours ainsi, certaines confréries [*] envoyèrent dans les montagnes kabyles des missionnaires « Merabitines » chargés d’enseigner le Coran et de propager leur doctrine ; souvent ils y demeurèrent, se créant un foyer familial et un noyau de disciples. Grâce à leur savoir, leur sagesse, leur simplicité, ils acquirent une telle renommée qu’on venait de loin les consulter sur des litiges d’ordre religieux et qu’on leur envoyait leurs enfants s’initier aux sciences islamiques dans leur Zouaoua généralement construite par la communauté des Khouan. Respectés de leur vivant, ils furent vénérés à leur mort ; leur tombe ou leur mausolée, entourés de légendes, devinrent un lieu de pèlerinage. Leurs descendants qui suivirent la même voie, appelés « Ahl el ilm ", conservèrent le même prestige et jouèrent un rôle important dans la vie politique du pays (soulèvement contre les Turcs, contre la colonisation française).
Les confréries et Zoui qui jouèrent un rôle religieux et politique important en Afrique du Nord furent : Les Qadéria et les Chadélia. La première s’était répandue de l’Est vers l’Ouest, grâce à ses Cheikhs de grands renoms venus des écoles de "Orient par l’Egypte. La seconde, répandue par Abou Zeïd Abderrahman El Madani s’était répandue dans l’Ouest avec peu d’adeptes à l’Est du pays. Mêlés, de bonne heure aux mouvements généraux du pays, les uns et les autres subirent le contre-coup de la politique des souverains. A la fin du XV eme siècle, Ahmed ben Youcef, de l’ordre des Qadéria, traqué pour sa doctrine par les émissaires du Sultan de Tlemcen, trouva asile à Béjaia auprès du sultan. Plus tard, il embrassa le parti des Turcs dont il fut un partisan actif. Ayant obtenu des dispositions particulières en faveur de sa confrérie, et par là à tous ses Khouan, ses successeurs furent les meilleurs instruments à la domination turque. Ceux-ci s’en servirent aussi bien Pour régler des différends locaux que pour combattre leurs adversaires.
Les Français suivirent la politique turque en ce domaine en soutenant certains chefs de Confrérie et de Zoui contre les mouvements de rénovation dirigés par les Ouléma.
Mouloud GAID - Extrait de "HISTOIRE DE BEJAIA ET DE SA REGION" depuis l’antiquité jusqu’a 1954 - Edition MIMOUNI 1976