La révolte de 1871 en Algérie
Une épopée glorieuse et un hymne à la liberté
Cette grande révolte populaire a lieu peu après les événements de la commune de Paris, au cours de la guerre prusso-française qui a vu la défaite cuisante de l’Empire de Napoléon III devant les troupes d’Otto Bismarck. Les principales causes de ce soulèvement sont l’occupation du pays, l’arbitraire l’administration coloniale, mais aussi la grande misère, la terrible famine (surtout celle de 1867), et la spoliation scandaleuse des terres par les colons. Ces derniers se sont emparés de plus de 3 millions de terres parmi les meilleures, depuis la mainmise française sur notre beau pays, particulièrement avec l’arrivée des habitants des deux provinces françaises, l’Alsace et la Lorraine, annexées par l’Allemagne victorieuse.
Dirigée par Mohamed El Mokrani et englobant près de 75 % du pays, elle s’est terminée par un procès inique au tribunal de Constantine des principaux chefs, dont le frère d’El Mokrani, Boumezreg. La sentence était des plus sévères : lourdes peines de prison, condamnations à mort, et surtout, la déportation de centaines d’insurgés vers la Nouvelle-Calédonie, à des milliers de kilomètres de leur chère patrie au milieu de l’océan Pacifique. Là, ils croupirent dans les durs bagnes de l’île dans laquelle ils trouvèrent aussi les communards parisiens, eux aussi, châtiés pour avoir réclamé justice, dignité et libertés au régime répressif instauré en France par la classe bourgeoise dominante. Bien plus, des centaines de nos concitoyens, qui ont subi les foudres de la «justice» de la France, ont péri au cours de la longue traversée ne pouvant supporter les privations et les dures conditions de détention en mer.
Les causes fondamentales
de la révolte
En 1871, cela faisait une quarantaine d’années que les Algériens subissaient le joug colonial imposé à eux par des méthodes d’une violence inouïe. Il est vraiment difficile, aujourd’hui, de comprendre les mobiles d’une telle sauvagerie exercée par les tenants du colonialisme et appliquée à des populations pacifiques, hospitalières et généreuses, n’en déplaise aux nostalgiques et aux revanchards, dignes rejetons des pires généraux comme les de Bourmont, Bugeaud, Randon, etc.
Cette politique n’épargnait rien ni personne. Tout a été mis en œuvre et avec beaucoup de «raffinement», s’il vous plaît ! Les militaires français, encouragés par leurs chefs qui donnaient l’exemple, s’en donnèrent à cœur joie et ne se privaient guère de laisser libre cours à leurs instincts homicides. On tuait à tour de bras sans distinction aucune : femmes, vieillards, enfants, combattants ou civils faisaient connaissance avec la mission «civilisatrice» de la France, terre des droits de l’Homme et de la Révolution de 1789 (!). Les enfumades étaient monnaie courante. C’était simple : les pauvres habitants qui fuyaient la répression en se réfugiant, dans les forêts ou à l’intérieur des grottes et des cavernes, étaient proprement encerclés, ensuite, les assaillants allumaient des incendies en faisant bonne garde pour ne laisser s’échapper personne. Les assiégés mouraient de façon atroce après une longue et horrible agonie. Résultat de cette terrible politique de génocide : la population algérienne a dramatiquement chuté, en quatre décennies, de 6 à 8 millions d’habitants à 3-4 millions !
La cause, seule et unique de cette insurrection, et c’est une lapalissade que de l’affirmer, est la situation coloniale du pays imposée par une armée et une administration étrangères devenues les maîtres des territoires conquis de l’ex-régence d’Alger. Evidemment, d’autres causes liées cette situation s’y greffent. Enumérons quelques-unes. Il y a eu l’expropriation des terres de façon ininterrompue, politique qui chassa des centaines de milliers de paysans des terres de leurs ancêtres. Eux, sont devenus du jour au lendemain une masse d’errants clochardisée, taillable et corvéable à merci, pour les plus chanceux d’entre eux, chez les colons qui les exploitaient sans vergogne en s’enrichissant de leur labeur. On connaît bien l’expression «faire suer le burnous» qui résume bien la condition insupportable de ces pauvres fellahs miséreux et sans défense.
L’oppression et l’arbitraire étaient constants et pratiqués de façon suivie, ajoutez-y la misère qui était le lot quotidien des pauvres populations. Les colons, issus de France ou d’autres régions de l’Europe (Espagne, Portugal, Italie, Suisse, Belgique, îles de la Méditerranée …) imposaient une domination totale avec beaucoup d’arrogance et de mépris. Les violences faites à la religion musulmanes étaient une autre forme de répression et d’agression (irrespect au culte, destruction des mosquées, érection d’églises, substitution de la charia par le droit civil etc.).
La dégradation des conditions de vie était l’autre conséquence prévisible de la colonisation, qui a détruit la structure de base, qu’était la tribu, par le morcellement des terres collectives et l’anéantissement de l’agriculture traditionnelle vivrière et des autres activités économiques pratiquées jusque-là. Cela a engendré de terribles famines comme celles des années 1867, 1868 et 1869 conduisant à la mort de plus de 500 000 pauvres hères.
Parmi les autres causes qui ont engendré cet esprit de révolte, la promulgation du fameux décret Crémieux, le 24 octobre 1870, dans la ville française de Tours, par le gouvernement de la Défense nationale qui s’est constitué suite à la chute du régime instauré par Napoléon III. Son initiateur était le ministre de la Justice, Isaac Adolphe Crémieux, d’origine juif lui aussi. Ce décret octroyait la nationalité française aux Israélites qui vivaient en Algérie, environ 73 000, ainsi que l’accès aux droits qui en résultent. Les habitants de souche européenne venus d’autres pays que la France en bénéficiaient également. Cela a offusqué les Algériens, non parce qu’ils n’en bénéficiaient pas, leur statut musulman les en empêchant, mais ce décret conférait aux autres éléments étrangers des privilèges exorbitants au détriment des enfants du pays. Le chef de la révolte avait déclaré, à ce propos : «Je préférerais être sous un sabre qui me trancherait la tête mais jamais sous la houlette d’un juif.»
A toutes ces raisons, vient se greffer la détérioration des relations du chef de cette révolte, le bachagha Mohamed El Mokrani et de sa famille avec les autorités civiles et militaires françaises toujours fidèles à leur principe de «diviser pour régner». Enfin, l’autre facteur déclenchant réside dans le refus des spahis algériens dans les villes de l’Est du territoire d’obéir aux ordres de leurs officiers leur intimant de rejoindre le théâtre des combats, en France métropolitaine, et de combattre les troupes prussiennes de l’empereur Guillaume 1er au cours de la guerre pour réaliser l’Unité allemande.
Les étapes de la révolte de 1871 et ses conséquences
Les prémices de la première phase de l’insurrection d’El Mokrani, qui allait durer un peu plus d’une année, étaient précédées par les insurrections à Souk-Ahras avec l’affaire des spahis insoumis, et le mouvement vécu par la région de Laghouat et conduit par Ben Chohra et Nacer Bouchoucha. Le déclenchement effectif est marqué par la restitution par le bachagha El Mokrani au ministère de la Guerre de son insigne de bachaga et la tenue de plusieurs réunions aux mois de mars et de février, avec ses troupes et de hauts dirigeants.
Le 16 mars, débute son offensive, à partir de sa région des Béni Abbès et de Medjana, vers la ville de Bordj Bou Arréridj à la tête d’environ sept mille cavaliers afin de faire pression sur l’administration coloniale. L’insurrection atteint par la suite d’autres régions de l’Algérie et parvint jusqu’à Tizi-Ouzou, Miliana, Cherchell, M’sila, Boussaâda Touggourt, Biskra, Batna et Aïn Salah. La révolte est vite rejointe par Cheikh Ahaddad, chef de la grande confrérie soufie des Rahmaniyya, basée à Seddouk, dans la vallée de la Soummam, qui proclame le djihad contre les colons le 8 avril 1871. Plus de 250 tribus ont été mobilisées réunissant près de 150 000 combattants. Mais malgré les capacités de mobilisation pour le combat sacré, les efforts étaient dispersés, sans une stratégie claire et méthodique ou expérience militaire. Il y avait la foi, le courage et la bravoure en face d’une armée, moderne, structurée, hiérarchisée, forte et supérieure sur le plan matériel. El Mokrani est tombé au champ d’honneur, le 5 mai 1871, au cours de la bataille de Oued Souflat proche de Bouira. Cela assura un avantage incontestable aux troupes de répression, après les premières semaines de surprise. Le 8 octobre 1871, Boumezrag son frère, qui lui a succédé à la tête des insurgés, battu se dirigea vers le Sud pour s’y réfugier. Les Français le surent et parviennent à l’arrêter le 20 janvier 1872 à Ouargla. Il sera envoyé au bagne de Nouvelle-Calédonie au mois d’avril 1873 avec de milliers d’Algériens. Quant au Cheikh Ahaddad, il sera condamné à une peine de cinq ans d’emprisonnement mais il mourra dix jours après sa détention dans sa prison de Constantine.
Après l’arrestation de Boumezrag, l’armée française parvint à mettre fin à l’insurrection. C’est alors que les sentences tombent. Le 10 mars 1873, s’ouvre au tribunal de Constantine le procès des chefs révoltés qui ont échappé miraculeusement aux conseils de guerre et aux exécutions sommaires. Un nombre de 149 personnes parmi les 212 accusées sont envoyées en prison et pour 84 autres le verdict sans appel est la déportation en Nouvelle-Calédonie. Parmi les condamnés, figure Aziz Ben Cheikh Ahaddad.
Par ailleurs, les tribus ayant participé à cette grande révolte furent contraintes de payer des impôts selon l’ampleur de leur contribution au soulèvement : 70 francs pour toute personne ayant attiré l’attention des responsables de l’administration française, 140 francs pour toute personne s’étant mobilisée et 210 francs pour toute personne ayant pris part au combat et déclaré publiquement son opposition à la puissance coloniale. Tous refus de payer est obligatoirement suivi d’une saisie des biens personnels. La politique de déportation en Nouvelle-Calédonie fut par la suite généralisée à la population ayant participé activement à l’insurrection. Au total, ce sont 200 000 insurgés qui sont alors exilés dans les bagnes de cette île lointaine du Pacifique. Ils portèrent le nom de «Kabyles du Pacifique» et ne reverront jamais leur pays.
En Nouvelle Calédonie, ils sont placés dans les bagnes. De plus, ils participeront au peuplement de l’archipel en fournissant une main-d’œuvre importante utilisée pour bâtir les prisons, construire les routes, urbaniser la contrée...
Le bilan de la répression fut très lourd. Plus de 100 000 Algériens périrent, la saisie des terres a été pratiquée à grande échelle (loi Warnier de juillet 1873) et des centaines de milliers d’hectares passèrent aux mains des colons, exil de centaines de familles algériennes, émigration de milliers d’autres encore surtout vers la Syrie, la Tunisie, le Maroc et la péninsule Arabique. Le tout fut couronné par la promulgation, en 1881, de l’inhumain Code de l’indigénat. Ce code raciste était assorti de toutes sortes d’interdictions dont les délits étaient passibles d’emprisonnement ou de déportation.
En dépit de cette grande tragédie, le peuple algérien se soulèvera encore plusieurs fois, accumulant davantage de leçons et d’expériences jusqu’à la grande Révolution victorieuse de Novembre 1954, digne continuatrice de l’héroïque insurrection de 1871.
19-04-2008
Mihoubi Rachid
Une épopée glorieuse et un hymne à la liberté
Cette grande révolte populaire a lieu peu après les événements de la commune de Paris, au cours de la guerre prusso-française qui a vu la défaite cuisante de l’Empire de Napoléon III devant les troupes d’Otto Bismarck. Les principales causes de ce soulèvement sont l’occupation du pays, l’arbitraire l’administration coloniale, mais aussi la grande misère, la terrible famine (surtout celle de 1867), et la spoliation scandaleuse des terres par les colons. Ces derniers se sont emparés de plus de 3 millions de terres parmi les meilleures, depuis la mainmise française sur notre beau pays, particulièrement avec l’arrivée des habitants des deux provinces françaises, l’Alsace et la Lorraine, annexées par l’Allemagne victorieuse.
Dirigée par Mohamed El Mokrani et englobant près de 75 % du pays, elle s’est terminée par un procès inique au tribunal de Constantine des principaux chefs, dont le frère d’El Mokrani, Boumezreg. La sentence était des plus sévères : lourdes peines de prison, condamnations à mort, et surtout, la déportation de centaines d’insurgés vers la Nouvelle-Calédonie, à des milliers de kilomètres de leur chère patrie au milieu de l’océan Pacifique. Là, ils croupirent dans les durs bagnes de l’île dans laquelle ils trouvèrent aussi les communards parisiens, eux aussi, châtiés pour avoir réclamé justice, dignité et libertés au régime répressif instauré en France par la classe bourgeoise dominante. Bien plus, des centaines de nos concitoyens, qui ont subi les foudres de la «justice» de la France, ont péri au cours de la longue traversée ne pouvant supporter les privations et les dures conditions de détention en mer.
Les causes fondamentales
de la révolte
En 1871, cela faisait une quarantaine d’années que les Algériens subissaient le joug colonial imposé à eux par des méthodes d’une violence inouïe. Il est vraiment difficile, aujourd’hui, de comprendre les mobiles d’une telle sauvagerie exercée par les tenants du colonialisme et appliquée à des populations pacifiques, hospitalières et généreuses, n’en déplaise aux nostalgiques et aux revanchards, dignes rejetons des pires généraux comme les de Bourmont, Bugeaud, Randon, etc.
Cette politique n’épargnait rien ni personne. Tout a été mis en œuvre et avec beaucoup de «raffinement», s’il vous plaît ! Les militaires français, encouragés par leurs chefs qui donnaient l’exemple, s’en donnèrent à cœur joie et ne se privaient guère de laisser libre cours à leurs instincts homicides. On tuait à tour de bras sans distinction aucune : femmes, vieillards, enfants, combattants ou civils faisaient connaissance avec la mission «civilisatrice» de la France, terre des droits de l’Homme et de la Révolution de 1789 (!). Les enfumades étaient monnaie courante. C’était simple : les pauvres habitants qui fuyaient la répression en se réfugiant, dans les forêts ou à l’intérieur des grottes et des cavernes, étaient proprement encerclés, ensuite, les assaillants allumaient des incendies en faisant bonne garde pour ne laisser s’échapper personne. Les assiégés mouraient de façon atroce après une longue et horrible agonie. Résultat de cette terrible politique de génocide : la population algérienne a dramatiquement chuté, en quatre décennies, de 6 à 8 millions d’habitants à 3-4 millions !
La cause, seule et unique de cette insurrection, et c’est une lapalissade que de l’affirmer, est la situation coloniale du pays imposée par une armée et une administration étrangères devenues les maîtres des territoires conquis de l’ex-régence d’Alger. Evidemment, d’autres causes liées cette situation s’y greffent. Enumérons quelques-unes. Il y a eu l’expropriation des terres de façon ininterrompue, politique qui chassa des centaines de milliers de paysans des terres de leurs ancêtres. Eux, sont devenus du jour au lendemain une masse d’errants clochardisée, taillable et corvéable à merci, pour les plus chanceux d’entre eux, chez les colons qui les exploitaient sans vergogne en s’enrichissant de leur labeur. On connaît bien l’expression «faire suer le burnous» qui résume bien la condition insupportable de ces pauvres fellahs miséreux et sans défense.
L’oppression et l’arbitraire étaient constants et pratiqués de façon suivie, ajoutez-y la misère qui était le lot quotidien des pauvres populations. Les colons, issus de France ou d’autres régions de l’Europe (Espagne, Portugal, Italie, Suisse, Belgique, îles de la Méditerranée …) imposaient une domination totale avec beaucoup d’arrogance et de mépris. Les violences faites à la religion musulmanes étaient une autre forme de répression et d’agression (irrespect au culte, destruction des mosquées, érection d’églises, substitution de la charia par le droit civil etc.).
La dégradation des conditions de vie était l’autre conséquence prévisible de la colonisation, qui a détruit la structure de base, qu’était la tribu, par le morcellement des terres collectives et l’anéantissement de l’agriculture traditionnelle vivrière et des autres activités économiques pratiquées jusque-là. Cela a engendré de terribles famines comme celles des années 1867, 1868 et 1869 conduisant à la mort de plus de 500 000 pauvres hères.
Parmi les autres causes qui ont engendré cet esprit de révolte, la promulgation du fameux décret Crémieux, le 24 octobre 1870, dans la ville française de Tours, par le gouvernement de la Défense nationale qui s’est constitué suite à la chute du régime instauré par Napoléon III. Son initiateur était le ministre de la Justice, Isaac Adolphe Crémieux, d’origine juif lui aussi. Ce décret octroyait la nationalité française aux Israélites qui vivaient en Algérie, environ 73 000, ainsi que l’accès aux droits qui en résultent. Les habitants de souche européenne venus d’autres pays que la France en bénéficiaient également. Cela a offusqué les Algériens, non parce qu’ils n’en bénéficiaient pas, leur statut musulman les en empêchant, mais ce décret conférait aux autres éléments étrangers des privilèges exorbitants au détriment des enfants du pays. Le chef de la révolte avait déclaré, à ce propos : «Je préférerais être sous un sabre qui me trancherait la tête mais jamais sous la houlette d’un juif.»
A toutes ces raisons, vient se greffer la détérioration des relations du chef de cette révolte, le bachagha Mohamed El Mokrani et de sa famille avec les autorités civiles et militaires françaises toujours fidèles à leur principe de «diviser pour régner». Enfin, l’autre facteur déclenchant réside dans le refus des spahis algériens dans les villes de l’Est du territoire d’obéir aux ordres de leurs officiers leur intimant de rejoindre le théâtre des combats, en France métropolitaine, et de combattre les troupes prussiennes de l’empereur Guillaume 1er au cours de la guerre pour réaliser l’Unité allemande.
Les étapes de la révolte de 1871 et ses conséquences
Les prémices de la première phase de l’insurrection d’El Mokrani, qui allait durer un peu plus d’une année, étaient précédées par les insurrections à Souk-Ahras avec l’affaire des spahis insoumis, et le mouvement vécu par la région de Laghouat et conduit par Ben Chohra et Nacer Bouchoucha. Le déclenchement effectif est marqué par la restitution par le bachagha El Mokrani au ministère de la Guerre de son insigne de bachaga et la tenue de plusieurs réunions aux mois de mars et de février, avec ses troupes et de hauts dirigeants.
Le 16 mars, débute son offensive, à partir de sa région des Béni Abbès et de Medjana, vers la ville de Bordj Bou Arréridj à la tête d’environ sept mille cavaliers afin de faire pression sur l’administration coloniale. L’insurrection atteint par la suite d’autres régions de l’Algérie et parvint jusqu’à Tizi-Ouzou, Miliana, Cherchell, M’sila, Boussaâda Touggourt, Biskra, Batna et Aïn Salah. La révolte est vite rejointe par Cheikh Ahaddad, chef de la grande confrérie soufie des Rahmaniyya, basée à Seddouk, dans la vallée de la Soummam, qui proclame le djihad contre les colons le 8 avril 1871. Plus de 250 tribus ont été mobilisées réunissant près de 150 000 combattants. Mais malgré les capacités de mobilisation pour le combat sacré, les efforts étaient dispersés, sans une stratégie claire et méthodique ou expérience militaire. Il y avait la foi, le courage et la bravoure en face d’une armée, moderne, structurée, hiérarchisée, forte et supérieure sur le plan matériel. El Mokrani est tombé au champ d’honneur, le 5 mai 1871, au cours de la bataille de Oued Souflat proche de Bouira. Cela assura un avantage incontestable aux troupes de répression, après les premières semaines de surprise. Le 8 octobre 1871, Boumezrag son frère, qui lui a succédé à la tête des insurgés, battu se dirigea vers le Sud pour s’y réfugier. Les Français le surent et parviennent à l’arrêter le 20 janvier 1872 à Ouargla. Il sera envoyé au bagne de Nouvelle-Calédonie au mois d’avril 1873 avec de milliers d’Algériens. Quant au Cheikh Ahaddad, il sera condamné à une peine de cinq ans d’emprisonnement mais il mourra dix jours après sa détention dans sa prison de Constantine.
Après l’arrestation de Boumezrag, l’armée française parvint à mettre fin à l’insurrection. C’est alors que les sentences tombent. Le 10 mars 1873, s’ouvre au tribunal de Constantine le procès des chefs révoltés qui ont échappé miraculeusement aux conseils de guerre et aux exécutions sommaires. Un nombre de 149 personnes parmi les 212 accusées sont envoyées en prison et pour 84 autres le verdict sans appel est la déportation en Nouvelle-Calédonie. Parmi les condamnés, figure Aziz Ben Cheikh Ahaddad.
Par ailleurs, les tribus ayant participé à cette grande révolte furent contraintes de payer des impôts selon l’ampleur de leur contribution au soulèvement : 70 francs pour toute personne ayant attiré l’attention des responsables de l’administration française, 140 francs pour toute personne s’étant mobilisée et 210 francs pour toute personne ayant pris part au combat et déclaré publiquement son opposition à la puissance coloniale. Tous refus de payer est obligatoirement suivi d’une saisie des biens personnels. La politique de déportation en Nouvelle-Calédonie fut par la suite généralisée à la population ayant participé activement à l’insurrection. Au total, ce sont 200 000 insurgés qui sont alors exilés dans les bagnes de cette île lointaine du Pacifique. Ils portèrent le nom de «Kabyles du Pacifique» et ne reverront jamais leur pays.
En Nouvelle Calédonie, ils sont placés dans les bagnes. De plus, ils participeront au peuplement de l’archipel en fournissant une main-d’œuvre importante utilisée pour bâtir les prisons, construire les routes, urbaniser la contrée...
Le bilan de la répression fut très lourd. Plus de 100 000 Algériens périrent, la saisie des terres a été pratiquée à grande échelle (loi Warnier de juillet 1873) et des centaines de milliers d’hectares passèrent aux mains des colons, exil de centaines de familles algériennes, émigration de milliers d’autres encore surtout vers la Syrie, la Tunisie, le Maroc et la péninsule Arabique. Le tout fut couronné par la promulgation, en 1881, de l’inhumain Code de l’indigénat. Ce code raciste était assorti de toutes sortes d’interdictions dont les délits étaient passibles d’emprisonnement ou de déportation.
En dépit de cette grande tragédie, le peuple algérien se soulèvera encore plusieurs fois, accumulant davantage de leçons et d’expériences jusqu’à la grande Révolution victorieuse de Novembre 1954, digne continuatrice de l’héroïque insurrection de 1871.
19-04-2008
Mihoubi Rachid
Dernière édition par Admin le Sam 19 Avr - 22:31, édité 1 fois