Notre ami Mohamed Chafik Mesbah, qui anime dans les colonnes de notre journal le supplément «L’Entretien du Mois», prépare la publication prochaine de son ouvrage Problématique Algérie, qui traite de l’évolution de la situation générale dans le pays. Le Soir d’Algérie, qui a déjà publié des bonnes feuilles de cet ouvrage, livre à ses lecteurs, cette fois des passages choisis de l’épilogue par lequel se conclut l’ouvrage. Nous avons sélectionné ces passages en raison de l’aspect inédit de l’éclairage qui est apporté à propos, tout singulièrement, de l’évolution de l’institution militaire et de l’état des lieux au sein des services de renseignement. Les liens entre cette évolution et le redéploiement de l’OTAN dans l’espace méditerranéen n’est pas en reste dans cette analyse.
Abderrahmane Seddik : Les signes de stabilisation de la situation sécuritaire vous paraissent-ils pérennes ?
Mohamed Chafik Mesbah :Comme phénomène de masse, impliquant un nombre important d'acteurs, se manifestant par la guérilla de maquis étendu et des attentats individuels et collectifs intensifs en milieu rural et urbain, le terrorisme a disparu. Ou, pour le moins, il s'est considérablement estompé. Les principales organisations terroristes – FIDA, GIA et AIS – ont été anéanties ou neutralisées. Mais d'autres formes de terrorisme lui ont succédé. D'une part, le grand banditisme avec rapts et rackets, notamment en direction des couches sociales qui se sont nouvellement enrichies ou celles qui affichent ostensiblement leurs richesses. Cette forme de terrorisme ne s'embarrasse pas de message politique. D'autre part, les attentats menés par des kamikazes contre des objectifs officiels ciblés essentiellement pour leur portée symbolique. C'est là une forme qui se revendique d'un message politique explicite en proclamant une détermination avérée à combattre «le régime impie allié des puissances occidentales». Cette dernière forme de terrorisme tire sa filiation des modes d'intervention utilisés par les résidus de groupes terroristes radicaux algériens, notamment le GSPC, désormais, regroupés sous la bannière d'Al-Qaïda Maghreb. Avec une évolution significative dans le choix des cibles et des modes opératoires. Les cibles désormais sont spectaculaires, ayant principalement rapport symbolique avec les attributs du pouvoir. Les modes opératoires sont imparables, des attentats à l'explosif menés par des kamikazes acceptant de sacrifier leur vie. Si l'objectif tactique consiste toujours à frapper l'opinion en provoquant des pertes, surtout en vies humaines, l'objectif stratégique consiste désormais en variant, sans cesse, les formes et les lieux d'intervention à épuiser les forces de l'ordre de manière à décrédibiliser l'Etat et à approfondir encore plus le fossé séparant pouvoirs publics et population. Quel pronostic d'évolution envisager à court et moyen terme ? Avant de se prononcer, examinons trois dimensions essentielles de la lutte contre le terrorisme en Algérie. La première dimension est conceptuelle. Elle se rapporte à l'absence de stratégie formalisée de lutte contre le terrorisme. Nonobstant les aspects de doctrine militaire et les aspects connexes liés à la situation politique, économique et sociale, il manque ce travail de conceptualisation visant à consigner l'expérience irremplaçable que les services de renseignement algériens ont accumulé dans la lutte contre le terrorisme. Il faudrait s'interroger s'il existe un traité de stratégie, un programme d'enseignement normalisé, une typologie homologuée des modes opératoires et des conduites à tenir. A l'état empirique, une approche globale du phénomène du terrorisme a pu s'imposer avec une projection appropriée sur le terrain. Cela a été moins le fait d'une démarche conceptuelle préalable que le résultat d'un savoir-faire empirique de cadres rompus à l'exercice, aguerris par le terrain et, depuis, trop hâtivement libérés ou remerciés. Deuxièmement, la dimension organique. La dissolution anticipée des structures spécialisées de lutte contre le terrorisme — à l'image de l'ONRB (Office national de la lutte contre le banditisme) — et le recyclage, pour ne pas dire la disgrâce, des cadres qui dirigeaient le dispositif opérationnel de lutte contre le terrorisme a entraîné un affaiblissement certain des capacités de riposte. La dissolution du Cemis, organe interministériel de coordination du dispositif de lutte contre le terrorisme, intervenu après le départ de l'ancien chef d'état-major de l'ANP, le général Mohamed Lamari — qui le présidait de fait— a provoqué un vide qui n'a pas été comblé. Le Cemis, au total, aura été un lieu de coordination efficace et la personnalité personnalité charismatique du général Mohamed Lamari avait pu s'imposer à l'ensemble des chefs de services de sécurité et de renseignement intervenant au titre de la lutte contre le terrorisme. La troisième dimension est d'essence politique. Elle se rapporte au découplage persistant entre la lutte contre le terrorisme et les actions audacieuses de développement économique et social, destinées à restaurer les liens de confiance entre la population et les pouvoirs publics. Une erreur d'appréciation — presque un déni de réalité — conduit les pouvoirs publics à imaginer volontiers que les nouveaux terroristes ne sont pas le produit du terreau de la société algérienne, mais une création ex nilhio, importée par les soins de l'organisation Al Qaïda. Pourtant, quel homme politique, tant soit peu avisé, pourrait ignorer que les mêmes causes produisant les mêmes effets, la violence se nourrit toujours de la pauvreté et de l'injustice ! A propos, toujours, de cette dimension politique, comment ne pas évoquer l'impact ambigu de la politique de réconciliation nationale ? Cette démarche a généré une illusion trompeuse de situation dépassée avec l'idée que le terrorisme avait disparu, les sources politiques de la violence étant taries. Voyez les dégâts causés par ce discours infantile sur le niveau de mobilisation des forces de l'ordre et leur degré de vigilance. Dans la conjoncture présente, le succès des actions terroristes repose sur certains points d'appui favorables, tels que l'absence de vision stratégique officielle pour combattre le terrorisme, l'état d'ébullition exacerbé de la société réelle et enfin l'état de déprime sociale qui gagne les rangs de la masse des forces auxiliaires aux services du maintien de l'ordre. Les perspectives d'évolution de la conjoncture sécuritaire sont à cet égard plutôt sombres. Pour le plus grand malheur de notre pays, l'hypothèse à privilégier est celle qui pourrait voir se croiser, avec une onde de choc inouïe, courbe de violence liée au terrorisme et courbe de violence liée à l'ébullition sociale.
Abderrahmane Seddik : Les signes de stabilisation de la situation sécuritaire vous paraissent-ils pérennes ?
Mohamed Chafik Mesbah :Comme phénomène de masse, impliquant un nombre important d'acteurs, se manifestant par la guérilla de maquis étendu et des attentats individuels et collectifs intensifs en milieu rural et urbain, le terrorisme a disparu. Ou, pour le moins, il s'est considérablement estompé. Les principales organisations terroristes – FIDA, GIA et AIS – ont été anéanties ou neutralisées. Mais d'autres formes de terrorisme lui ont succédé. D'une part, le grand banditisme avec rapts et rackets, notamment en direction des couches sociales qui se sont nouvellement enrichies ou celles qui affichent ostensiblement leurs richesses. Cette forme de terrorisme ne s'embarrasse pas de message politique. D'autre part, les attentats menés par des kamikazes contre des objectifs officiels ciblés essentiellement pour leur portée symbolique. C'est là une forme qui se revendique d'un message politique explicite en proclamant une détermination avérée à combattre «le régime impie allié des puissances occidentales». Cette dernière forme de terrorisme tire sa filiation des modes d'intervention utilisés par les résidus de groupes terroristes radicaux algériens, notamment le GSPC, désormais, regroupés sous la bannière d'Al-Qaïda Maghreb. Avec une évolution significative dans le choix des cibles et des modes opératoires. Les cibles désormais sont spectaculaires, ayant principalement rapport symbolique avec les attributs du pouvoir. Les modes opératoires sont imparables, des attentats à l'explosif menés par des kamikazes acceptant de sacrifier leur vie. Si l'objectif tactique consiste toujours à frapper l'opinion en provoquant des pertes, surtout en vies humaines, l'objectif stratégique consiste désormais en variant, sans cesse, les formes et les lieux d'intervention à épuiser les forces de l'ordre de manière à décrédibiliser l'Etat et à approfondir encore plus le fossé séparant pouvoirs publics et population. Quel pronostic d'évolution envisager à court et moyen terme ? Avant de se prononcer, examinons trois dimensions essentielles de la lutte contre le terrorisme en Algérie. La première dimension est conceptuelle. Elle se rapporte à l'absence de stratégie formalisée de lutte contre le terrorisme. Nonobstant les aspects de doctrine militaire et les aspects connexes liés à la situation politique, économique et sociale, il manque ce travail de conceptualisation visant à consigner l'expérience irremplaçable que les services de renseignement algériens ont accumulé dans la lutte contre le terrorisme. Il faudrait s'interroger s'il existe un traité de stratégie, un programme d'enseignement normalisé, une typologie homologuée des modes opératoires et des conduites à tenir. A l'état empirique, une approche globale du phénomène du terrorisme a pu s'imposer avec une projection appropriée sur le terrain. Cela a été moins le fait d'une démarche conceptuelle préalable que le résultat d'un savoir-faire empirique de cadres rompus à l'exercice, aguerris par le terrain et, depuis, trop hâtivement libérés ou remerciés. Deuxièmement, la dimension organique. La dissolution anticipée des structures spécialisées de lutte contre le terrorisme — à l'image de l'ONRB (Office national de la lutte contre le banditisme) — et le recyclage, pour ne pas dire la disgrâce, des cadres qui dirigeaient le dispositif opérationnel de lutte contre le terrorisme a entraîné un affaiblissement certain des capacités de riposte. La dissolution du Cemis, organe interministériel de coordination du dispositif de lutte contre le terrorisme, intervenu après le départ de l'ancien chef d'état-major de l'ANP, le général Mohamed Lamari — qui le présidait de fait— a provoqué un vide qui n'a pas été comblé. Le Cemis, au total, aura été un lieu de coordination efficace et la personnalité personnalité charismatique du général Mohamed Lamari avait pu s'imposer à l'ensemble des chefs de services de sécurité et de renseignement intervenant au titre de la lutte contre le terrorisme. La troisième dimension est d'essence politique. Elle se rapporte au découplage persistant entre la lutte contre le terrorisme et les actions audacieuses de développement économique et social, destinées à restaurer les liens de confiance entre la population et les pouvoirs publics. Une erreur d'appréciation — presque un déni de réalité — conduit les pouvoirs publics à imaginer volontiers que les nouveaux terroristes ne sont pas le produit du terreau de la société algérienne, mais une création ex nilhio, importée par les soins de l'organisation Al Qaïda. Pourtant, quel homme politique, tant soit peu avisé, pourrait ignorer que les mêmes causes produisant les mêmes effets, la violence se nourrit toujours de la pauvreté et de l'injustice ! A propos, toujours, de cette dimension politique, comment ne pas évoquer l'impact ambigu de la politique de réconciliation nationale ? Cette démarche a généré une illusion trompeuse de situation dépassée avec l'idée que le terrorisme avait disparu, les sources politiques de la violence étant taries. Voyez les dégâts causés par ce discours infantile sur le niveau de mobilisation des forces de l'ordre et leur degré de vigilance. Dans la conjoncture présente, le succès des actions terroristes repose sur certains points d'appui favorables, tels que l'absence de vision stratégique officielle pour combattre le terrorisme, l'état d'ébullition exacerbé de la société réelle et enfin l'état de déprime sociale qui gagne les rangs de la masse des forces auxiliaires aux services du maintien de l'ordre. Les perspectives d'évolution de la conjoncture sécuritaire sont à cet égard plutôt sombres. Pour le plus grand malheur de notre pays, l'hypothèse à privilégier est celle qui pourrait voir se croiser, avec une onde de choc inouïe, courbe de violence liée au terrorisme et courbe de violence liée à l'ébullition sociale.
Dernière édition par Admin le Mer 23 Juil - 10:22, édité 1 fois