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Bilan sur les conséquences du coup d'Etat de 1992

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admin"SNP1975"

admin
Admin

Notre ami Mohamed Chafik Mesbah, qui anime dans les colonnes de notre journal le supplément «L’Entretien du Mois», prépare la publication prochaine de son ouvrage Problématique Algérie, qui traite de l’évolution de la situation générale dans le pays. Le Soir d’Algérie, qui a déjà publié des bonnes feuilles de cet ouvrage, livre à ses lecteurs, cette fois des passages choisis de l’épilogue par lequel se conclut l’ouvrage. Nous avons sélectionné ces passages en raison de l’aspect inédit de l’éclairage qui est apporté à propos, tout singulièrement, de l’évolution de l’institution militaire et de l’état des lieux au sein des services de renseignement. Les liens entre cette évolution et le redéploiement de l’OTAN dans l’espace méditerranéen n’est pas en reste dans cette analyse.
Abderrahmane Seddik : Les signes de stabilisation de la situation sécuritaire vous paraissent-ils pérennes ?
Mohamed Chafik Mesbah :
Comme phénomène de masse, impliquant un nombre important d'acteurs, se manifestant par la guérilla de maquis étendu et des attentats individuels et collectifs intensifs en milieu rural et urbain, le terrorisme a disparu. Ou, pour le moins, il s'est considérablement estompé. Les principales organisations terroristes – FIDA, GIA et AIS – ont été anéanties ou neutralisées. Mais d'autres formes de terrorisme lui ont succédé. D'une part, le grand banditisme avec rapts et rackets, notamment en direction des couches sociales qui se sont nouvellement enrichies ou celles qui affichent ostensiblement leurs richesses. Cette forme de terrorisme ne s'embarrasse pas de message politique. D'autre part, les attentats menés par des kamikazes contre des objectifs officiels ciblés essentiellement pour leur portée symbolique. C'est là une forme qui se revendique d'un message politique explicite en proclamant une détermination avérée à combattre «le régime impie allié des puissances occidentales». Cette dernière forme de terrorisme tire sa filiation des modes d'intervention utilisés par les résidus de groupes terroristes radicaux algériens, notamment le GSPC, désormais, regroupés sous la bannière d'Al-Qaïda Maghreb. Avec une évolution significative dans le choix des cibles et des modes opératoires. Les cibles désormais sont spectaculaires, ayant principalement rapport symbolique avec les attributs du pouvoir. Les modes opératoires sont imparables, des attentats à l'explosif menés par des kamikazes acceptant de sacrifier leur vie. Si l'objectif tactique consiste toujours à frapper l'opinion en provoquant des pertes, surtout en vies humaines, l'objectif stratégique consiste désormais en variant, sans cesse, les formes et les lieux d'intervention à épuiser les forces de l'ordre de manière à décrédibiliser l'Etat et à approfondir encore plus le fossé séparant pouvoirs publics et population. Quel pronostic d'évolution envisager à court et moyen terme ? Avant de se prononcer, examinons trois dimensions essentielles de la lutte contre le terrorisme en Algérie. La première dimension est conceptuelle. Elle se rapporte à l'absence de stratégie formalisée de lutte contre le terrorisme. Nonobstant les aspects de doctrine militaire et les aspects connexes liés à la situation politique, économique et sociale, il manque ce travail de conceptualisation visant à consigner l'expérience irremplaçable que les services de renseignement algériens ont accumulé dans la lutte contre le terrorisme. Il faudrait s'interroger s'il existe un traité de stratégie, un programme d'enseignement normalisé, une typologie homologuée des modes opératoires et des conduites à tenir. A l'état empirique, une approche globale du phénomène du terrorisme a pu s'imposer avec une projection appropriée sur le terrain. Cela a été moins le fait d'une démarche conceptuelle préalable que le résultat d'un savoir-faire empirique de cadres rompus à l'exercice, aguerris par le terrain et, depuis, trop hâtivement libérés ou remerciés. Deuxièmement, la dimension organique. La dissolution anticipée des structures spécialisées de lutte contre le terrorisme — à l'image de l'ONRB (Office national de la lutte contre le banditisme) — et le recyclage, pour ne pas dire la disgrâce, des cadres qui dirigeaient le dispositif opérationnel de lutte contre le terrorisme a entraîné un affaiblissement certain des capacités de riposte. La dissolution du Cemis, organe interministériel de coordination du dispositif de lutte contre le terrorisme, intervenu après le départ de l'ancien chef d'état-major de l'ANP, le général Mohamed Lamari — qui le présidait de fait— a provoqué un vide qui n'a pas été comblé. Le Cemis, au total, aura été un lieu de coordination efficace et la personnalité personnalité charismatique du général Mohamed Lamari avait pu s'imposer à l'ensemble des chefs de services de sécurité et de renseignement intervenant au titre de la lutte contre le terrorisme. La troisième dimension est d'essence politique. Elle se rapporte au découplage persistant entre la lutte contre le terrorisme et les actions audacieuses de développement économique et social, destinées à restaurer les liens de confiance entre la population et les pouvoirs publics. Une erreur d'appréciation — presque un déni de réalité — conduit les pouvoirs publics à imaginer volontiers que les nouveaux terroristes ne sont pas le produit du terreau de la société algérienne, mais une création ex nilhio, importée par les soins de l'organisation Al Qaïda. Pourtant, quel homme politique, tant soit peu avisé, pourrait ignorer que les mêmes causes produisant les mêmes effets, la violence se nourrit toujours de la pauvreté et de l'injustice ! A propos, toujours, de cette dimension politique, comment ne pas évoquer l'impact ambigu de la politique de réconciliation nationale ? Cette démarche a généré une illusion trompeuse de situation dépassée avec l'idée que le terrorisme avait disparu, les sources politiques de la violence étant taries. Voyez les dégâts causés par ce discours infantile sur le niveau de mobilisation des forces de l'ordre et leur degré de vigilance. Dans la conjoncture présente, le succès des actions terroristes repose sur certains points d'appui favorables, tels que l'absence de vision stratégique officielle pour combattre le terrorisme, l'état d'ébullition exacerbé de la société réelle et enfin l'état de déprime sociale qui gagne les rangs de la masse des forces auxiliaires aux services du maintien de l'ordre. Les perspectives d'évolution de la conjoncture sécuritaire sont à cet égard plutôt sombres. Pour le plus grand malheur de notre pays, l'hypothèse à privilégier est celle qui pourrait voir se croiser, avec une onde de choc inouïe, courbe de violence liée au terrorisme et courbe de violence liée à l'ébullition sociale.



Dernière édition par Admin le Mer 23 Juil - 10:22, édité 1 fois

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admin"SNP1975"

admin
Admin

Quelle lecture faites-vous des évolutions qui ont affecté, récemment, l'institution militaire ?
Pour une meilleure compréhension du problème, il faut distinguer entre, d'une part, le corps de bataille, c'est-à-dire les grandes unités de combat et les commandements opérationnels, ainsi que leur dispositif de soutien logistique et, d'autre part, les services de renseignement qui continuent de relever de la tutelle de la Défense nationale. Les changements dont je fais état concernent essentiellement la première composante des forces armées. Ces changements portent sur l'amélioration substantielle de la qualité de l'encadrement militaire, tant du point de vue de l'âge que du niveau de formation technique et intellectuelle. Pour l'essentiel, l'encadrement militaire actuel provient d'officiers formés au sein des fameuses Ecoles des cadets de la révolution, de l'Académie militaire interarmes de Cherchell et dans les universités, s'agissant de recrues sur titre engagées dans les rangs des forces armées à la fin de leurs études supérieures. Pour la plupart, ces officiers ont suivi des cycles de spécialisation ou des stages de commandement dans les grandes écoles militaires occidentales, russes et arabes. Un parcours qui leur permet de se mesurer, au plan de la maîtrise professionnelle, à leurs pairs des armées modernes. Les changements se sont effectués, par ailleurs, dans le respect des équilibres sociologiques. Le rajeunissement de l'encadrement militaire n'a pas affecté la prédominance des cadres issus de la région est du pays, largement majoritaires au sein de la chaîne de commandement. Ce sont également toujours des officiers d'extraction sociale modeste, paysannerie pauvre et petite bourgeoisie, qui composent majoritairement cette chaîne de commandement. Cela dénote, à l'évidence, une gestion prudente de la ressource humaine au sein des forces armées. Comme je le soulignais auparavant, cet effort de rajeunissement et de professionnalisation ne s'est pas projeté, pour autant, dans une doctrine militaire transparente. C'est cette doctrine qui nous aurait renseignés sur la politique de défense nationale. A moins que celle-ci ne se résume implicitement à une simple adéquation de l'effort de guerre national avec les impératifs spécifiques à l'OTAN, les nouvelles menaces qui vont de la lutte contre le terrorisme jusqu'à la participation aux forces d'interposition dans les conflits localisés en passant par la prévention des exodes de population…
Pensez-vous que l'Alliance atlantique est en mesure d'imposer à l'Algérie une feuille de route ?
Encore une fois, ma vision des choses est pragmatique. Bien sûr, à observer scrupuleusement le statut de l'OTAN, vous seriez bien en peine de trouver une disposition qui lui permette d'interférer dans la politique de défense d'un pays tiers. Mais derrière l'apparence institutionnelle de l'OTAN et, d'une manière générale, du système de relations internationales, se profile inévitablement la politique de puissance américaine. Comme vous le savez, l'OTAN a engagé ce qu'il est convenu d'appeler le dialogue méditerranéen avec un certain nombre de pays riverains à la Méditerranée précisément. Dans l'argumentaire élaboré par les services de l'OTAN, il est spécifié expressément que l'interopérabilité des forces est l'un des objectifs majeurs visés par le dialogue. Dans l'immédiat, le rapprochement avec l'OTAN se traduit précisément, pour des considérations opérationnelles, par une transformation graduelle de la chaîne de commandement militaire. Les exigences liées à l'interopérabilité obligent l'ANP à se mettre à niveau. C'est forcément les militaires qui maîtrisent les armements requis et capables de conduire des interventions adaptées aux théâtres d'opération modernes qui supplanteront progressivement ceux qui ne sont pas formés. L'Algérie n'en est pas encore au stade de l'adhésion à l'Alliance atlantique qui comporte des conditionnalités rigides, mais déjà sa proximité avec l'OTAN lui impose une mise aux normes de la formation de son encadrement et de la nature de ses systèmes d'armement. Vous êtes choqués par l'expression «imposée par l'OTAN» ? Disons alors qu'il s'agit d'une feuille d'«inspiration OTAN»…
Revenons à l'évolution des choses au sein de l'institution militaire. Quelle lecture politique faites-vous des changements que vous avez évoqués ?
En effet, les changements évoqués sont intéressants à décrypter sur le plan politique :
- A court terme, le président Abdelaziz Bouteflika, en remplaçant — sans payer de coût politique significatif — la génération des généraux «janviéristes» par de nouveaux chefs militaires que nous pourrions appeler des «guerriers professionnels», a éliminé toute source possible de contestation de sa démarche à partir des forces armées.
- A moyen terme, le président Abdelaziz Bouteflika a subtilement conçu la répartition des prérogatives entre délégataires de pouvoir au niveau du ministère de la Défense nationale de manière que leurs influences s'annulent réciproquement.
- A long terme, le président Abdelaziz Bouteflika est en passe d'achever le découplage entre les services de renseignement et les forces armées, privant les premiers de l'appui ostensible qui faisait leur force et les secondes de l'interface sur la société qui leur permettait d'agir politiquement. Je me permets, pour conclure, de revenir sur le dialogue méditerranéen engagé par l'OTAN pour souligner qu'il vise à favoriser la réforme de la Défense nationale, à travers notamment, je cite, «la promotion du contrôle démocratique des forces armées». Cette affirmation est à relier, sans aucun doute, au cours actuel de l'évolution de la chaîne de commandement de l'ANP. J'ai déjà insisté sur la qualité de la formation de ces nouveaux chefs militaires qui, désormais, disposent, entre leurs mains, de la réalité des leviers de commande, puissance de feu et dispositif de soutien logistique. Leur degré de conscience, qui se caractérise par un patriotisme aigu et un rejet des clivages régionalistes, se manifeste aussi par une adhésion raisonnée aux impératifs de bonne gouvernance. L'un dans l'autre, cet état d'esprit intrinsèque et les principes institutionnels défendus par l'OTAN devraient prémunir ces nouveaux chefs militaires contre la tentation d'une irruption intempestive dans la sphère politique.
(A suivre)

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admin"SNP1975"

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Pourtant, des observateurs avisés considèrent que le président de la République reste l’obligé de la hiérarchie militaire dont il ne ferait qu’appliquer les consignes…
De quelle hiérarchie parlez-vous? Tenonsen- nous à la réalité du terrain. Pour être, effectivement, en désaccord politique avec M. Abdelaziz Bouteflika je me refuse, néanmoins, de nier son talent tactique qui le surclasse par rapport à ses contestataires passés au sein de la chaîne de commandement. Sa connaissance parfaite du jeu subtil de l’influence étrangère lui permet de percevoir, avant eux, les impératifs qui découlent de l‘ancrage durable de l’Algérie à ce monde unipolaire et l’intérêt pour lui de s’adapter aux contraintes politiques et opérationnelles fixées par l’OTAN... Ce n’est sans doute pas fortuit que M. Abdelaziz Bouteflika, depuis son accession à la magistrature suprême, n’ait eu besoin, à proprement parler, ni d’un ministre des Affaires étrangères, ni d’un ministre de la Défense nationale …
Votre vision des choses paraît trop idyllique ! Que faites-vous du conflit de générations qui persiste et des divergences d'écoles … ?
Vous voulez évoquer la présence dans la hiérarchie militaire d'une poignée de responsables qui se comptent sur les doigts de la main et qui proviennent de l'Armée de libération nationale ? Je ne pense pas que leur présence soit de nature à contrarier le processus de rajeunissement en cours. Si vous visez, de manière spécifique, le chef d'état-major de l'ANP, j'ai la conviction que c'est pour des raisons symboliques liées, entre autres, à son appartenance à l'ALN, qu'il a été choisi pour assumer une mission temporaire dans le cadre de l'équilibre subtil des prérogatives réparties entre délégataires majeurs de pouvoir au ministère de la Défense nationale. Mais, à terme rapproché, la fonction de chef d'état-major de l'ANP, de plus en plus technicisée, sera, de mon point de vue, accessible à la génération d'officiers incorporés après l'indépendance nationale. Vous évoquez, en deuxième lieu, les divergences résultant de la diversité des parcours des officiers qui forment l'ossature de la chaîne de commandement. Effectivement, ces nouveaux chefs militaires ayant suivi des formations supérieures au sein d'académies différentes, nationales et étrangères, il se pose la question de l'homogénéisation des visions, sur le plan technique aussi bien que sur le plan de la doctrine. L'Ecole supérieure de guerre, nouvellement créée, et l'Institut militaire de documentation, d'évaluation et de prospective, de création plus ancienne, ne semblent pas, en ce sens, avoir apporté la contribution attendue. L'effort de rajeunissement de la chaîne de commandement militaire, concomitant à celui de la modernisation du potentiel de combat, ne s'est pas accompagné — je l'ai déjà souligné — de la rénovation de ce qui tenait lieu de corps de doctrine militaire. Une opacité est entretenue autour de cet impératif de rénovation de la doctrine de défense qui retarde la mise à niveau conceptuelle souhaitée. Une politique de défense nationale, ce sont la menace identifiée et le mode d'organisation de la nation pour y faire face qui sont précisés. La doctrine de défense, c'est la mise en œuvre opérationnelle de ces principes majeurs avec le choix de priorités en matière de taille des armées et de nature des systèmes d'armement à acquérir. Cela n'est pas un secret dans les pays développés où la notion de secret n'est pas galvaudée. Au contraire, ces pays produisent, chaque jour, des études exhaustives sur la question qui contribuent à consolider l'esprit de défense. Dans notre pays, tout se passe comme si les instances politiques, conscientes qu'il n'existait plus d'alternative à un alignement sur l'OTAN — ou à une confrontation avec elle —, avaient choisi de louvoyer. C'est peine perdue. Les politiques de défense nationale s'inscrivent désormais dans des logiques de sécurité régionale liées aux impératifs fixés par les grandes puissances, en particulier la première d'entre elles, les USA.
Ne voyez-vous pas une contradiction dans le corps de votre analyse en ce sens que vous évoquez une feuille de route inspirée par l’OTAN pour la politique de professionnalisation en cours de l’ANP alors qu’il est de notoriété publique que l’essentiel de l’armement que l’Algérie acquiert provient de Russie ?
C’est juste une contradiction apparente. Le pacte de Varsovie n’existe plus et les questions militaires, dans leur dimension stratégique, doivent être examinées, désormais, sous l’angle de la mondialisation avec ce que cela implique comme recomposition des rapports de force à l’échelle internationale. Croire que l’armement fourni par la Russie — au demeurant, payé monnaie sonnante et trébuchante — s’inscrit dans une rivalité de blocs, c’est se tromper d’époque. Il y a lieu de s’interroger, à présent, si les complexes militaro-industriels russes et américains ne se sont pas, de facto, réparti le marché mondial des armes à l’image d’un Yalta et s’attachent, non à se combattre, mais à s’épauler mutuellement. Dans le cas d’espèce, ce qui importe c’est moins l’origine de l’armement que sa nature, en termes de complexité technologique, de puissance de feu et de distance d’impact. Ce sont ces données qui permettront de distinguer, à travers l’usage projeté, la véritable politique de défense suivie par l’Algérie. Tout indique, à cet égard, que le développement à venir de l’ANP s’inscrit dans ce système de sécurité régionale que dessine pour nous l’OTAN.

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admin"SNP1975"

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Vous évoquez, de manière récurrente, une déficience intellectuelle du commandement militaire lequel, selon vous, n'a pas su appréhender, correctement, les défis véritables qui interpellaient le pays…
En 1988, au déclenchement de la crise, le commandement militaire s’était trouvé, d'emblée, confronté à une problématique d'apparence simple, mais de consistance complexe qui s'était manifestée, de manière cruciale, au moment du déroulement des élections législatives de 1991. Fallait-il laisser le Front islamique du salut, qui était à son apogée, conduire, selon sa propre logique et par la violence, le processus de transformation du système ou, au contraire, le priver de l'initiative, en faisant assumer au commandement militaire, de concert avec les véritables forces représentatives du pays, la conduite dudit processus ? Cette seconde voie était praticable, pour peu que le point d'ancrage fût un vrai contre-projet national, opposable à celui attrayant mais sans consistance du FIS. C'est moins, cependant, l'inspiration d'une véritable démarche politique qui semble avoir poussé les chefs militaires à réagir à la victoire inéluctable du FIS que la crainte de servir, selon l'expression consacrée, de «mouton du sacrifice» sur l'autel de la cohabitation à laquelle se préparaient le président Chadli et les leaders du parti islamiste. Que cette cohabitation, dans l'esprit des chefs militaires, allait déboucher fatalement sur un désordre institutionnel, annonciateur d'affaissement de l'Etat, était chose entendue. N'empêche, la hiérarchie militaire avait fait preuve de courage en prenant la responsabilité morale et politique d'arrêter, en 1992, le processus électoral. Ce n'était pas évident dans une conjoncture où la population, dans sa grande majorité, apparaissait mobilisée derrière le FIS et dans un contexte international, plutôt défavorable à l'interférence militaire dans les processus politiques internes. C'est dans l'appréciation des enjeux de la crise que réside la faille. Le diagnostic de la situation établi par le commandement militaire s'était quasiment limité à l'identification du FIS comme menace sur l'ordre public et le système institutionnel. Il occultait les autres aspects de la crise, notamment l'aspect politique. Le commandement militaire, comme frappé de cécité politique, prenait acte du danger que pouvait constituer l'arrivée au pouvoir du FIS sur la pérennité de l'ordre institutionnel, sans tirer les conclusions de rigueur sur la fin de vie du système en place. Le commandement militaire s'était trouvé en vérité confronté à une crise dont l'ampleur le dépassait. Déjà diminué par sa difficulté à appréhender les phénomènes politiques, sociaux et économiques — en un mot le mode de fonctionnement de la société —, il souffrait, en outre, d'une méconnaissance flagrante de la société politique tandis qu'il ployait sous un complexe d'infériorité exacerbé vis-à-vis de l'environnement international. Il me revient à l'esprit, à cet égard, la formule de bon sens que le général Mejdoub Lakhal-Ayat — pourtant si réservé — répétait volontiers après l'interruption du processus électoral, pour décrire l'état d'esprit de ses camarades militaires : «Ils ont eu le courage d'arrêter le processus électoral mais ils n'ont pas de feuille de route pour l'avenir.»
Pourriez-vous mieux illustrer la défaillance du commandement militaire dont vous faites état ?
Tirant profit de la situation économique et sociale délétère où était plongé le pays et, subséquemment, prenant prétexte des attentes de la population en matière de moralisation de la vie publique et de justice sociale, le FIS s’était présenté comme la seule force capable de réaliser la transition entre un système finissant et un système à construire. Je ne fais pas secret de ma position, je considérais que si le FIS était bien capable de renverser le régime par la violence, il ne disposait pas, en revanche, d'un projet national et d'une élite éprouvée qui lui auraient permis de gouverner correctement dans la durée. Le commandement militaire, dont l'attention était focalisée sur le risque d'affaissement de l'ordre institutionnel, avait pris la décision d'interrompre le processus électoral, ôtant au FIS la possibilité de réaliser le changement promis. En revanche, le commandement militaire n'avait pas offert à la population de vraie alternative à travers le choix audacieux de conduire, par lui-même ou avec d'autres forces politiques représentatives sur la base d'un pacte national solide, la transformation indispensable du système. Je récuse l'idée que la motivation des chefs militaires de l'époque consistait à stopper le processus de réformes, en s'opposant aussi bien à une gestion libérale et transparente de l'économie qu'à la démocratisation du système. Les choses ne sont pas aussi simples. L'attention du commandement militaire était moins appelée sur ces problématiques que focalisée sur deux cibles presque exclusives : contenir le FIS, d'une part, dont ils craignaient qu'il ne liquide même physiquement les chefs militaires et rendre impraticable, d'autre part, la formule de la cohabitation avec ce parti que le président Chadli, avec l'ancien chef du gouvernement, Mouloud Hamrouche, semblaient privilégier. C'est dans ces conditions — la disparition brutale du président Boudiaf rendant plus grave la situation — que le commandement militaire, peu habitué à l'exercice, s'est soustrait au défi politique en confiant les leviers de l'Etat à des élites, pour l'essentiel, coupées de la société réelle. Je voudrais nuancer, cependant, la sévérité de ce constat. Nonobstant cette défaillance du commandement militaire, je ne partage nullement certaines idées reçues. Des analystes ont disposé, sur une base arbitraire, que les chefs de l'ANP avaient agi de la manière dont ils avaient agi, parce qu'ils étaient coupés de la société réelle. A l'époque, les officiers généraux et leurs collaborateurs immédiats étaient des cadres d'origine sociale modeste, essentiellement rurale. Je refuse de céder, cependant, à une forme d'idéalisation excessive de l'institution militaire. Naturellement, certains chefs militaires, pas la hiérarchie en tant que phénomène social, ont adopté des comportements pathogènes qui ont contribué à discréditer la corporation dans sa totalité. Mais ce qui doit retenir notre attention, ce n'est pas l'histoire liée aux modes individuels, c'est la société militaire, à travers l'analyse de la structure dite «commandement» qui est l’une de ses composantes essentielles. Issus de l'Armée de libération nationale, les chefs militaires ont, pour la plupart, complété leur formation dans les académies nationales et étrangères.

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admin"SNP1975"

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Jusqu'à une heure tardive, dans l'évolution de l'institution militaire, une certaine ligne de fracture a bien existé entre officiers dits de l'armée française et officiers dits de l'Armée de libération nationale où se juxtaposaient, d'ailleurs, clivages idéologiques et techniques, mais dont il faut en relativiser l'impact. Déjà, le président Houari Boumediene, en son temps, voulait la masquer totalement. Il y avait bien également un tassement dans la pyramide des grades qui a laissé végéter vers le bas les plus instruits parmi les cadres militaires. Ces clivages se sont, peu ou prou, estompés devant la nécessité d'une solidarité active face aux défis majeurs du conflit du Sahara occidental puis de l'émergence du Front islamique du salut. Il faut garder à l'esprit, à cet égard, le fonctionnement, j'allais dire presque démocratique, de l'institution militaire puisque le ministre de la Défense nationale de l'époque prenait la précaution de réunir, jusqu'à un niveau relativement subalterne, les cadres de l'ANP pour requérir leur assentiment et fonder le consensus qui permettait au commandement d'avancer les rangs serrés. Cela peut paraître une hérésie pour une institution fondée sur l'obéissance et la discipline. C'est bien selon ce mode que les formes armées portugaises ont fonctionné pour trouver leur indispensable cohésion face à des événements d'une portée bien exceptionnelle. Il est permis de s'interroger si ce mode de fonctionnement pouvait perdurer, mais force est de constater que c'est l'abandon de ce principe qui a affaibli la solidarité militaire. Cela dit, les principaux responsables militaires, en 1992, chefs de Régions militaires comme commandants de forces, ne disposaient pas des attributs, du prestige social et des avantages qui étaient ceux de leurs homologues, durant le règne du président Houari Boumediene. Il ne faut pas céder, là non plus, aux prénotions, les chefs militaires impliqués dans les processus politiques l'étaient intuiti personæ à travers le Conseil de la Révolution dont ils étaient membres, ce n'était pas l'institution elle-même qui était concernée. Certes, les études fiables sur la composition sociale de l'encadrement militaire en Algérie n'existent pas. Il est difficile donc de conforter scientifiquement les constats que j'avance. Je me fonde cependant sur l'observation empirique pour affirmer qu'il est excessif de parler de caste militaire coupée de la société réelle. L'état d'esprit prêté au commandement militaire, à propos de l'Islam, est un préjugé qui ne repose pas sur une observation scientifique. Affirmer que le commandement militaire était habité par une haine pathologique de l'Islam, c'est méconnaître des racines sociales et culturelles, essentiellement paysannes, où puise sa sève cette composante essentielle de l'armée. Le commandement militaire est le produit de la société algérienne, pas une excroissance greffée de l'extérieur. Il faut distinguer entre l'analyse scientifique et les jugements de valeur politiciens, je m'évertue à le dire à ceux de nos intellectuels qui refusent de se libérer de leurs prénotions teintées d'idéologie chaque fois qu'il est question de l'armée. Mais pour revenir à notre sujet, je note que ce n'est pas sans pertinence que mon ami Nacer Djabi, qui s'était livré à l'analyse d'un échantillon de cent ministres du pays, avait abouti à la conclusion que leur profil correspondait parfaitement à la configuration de la société algérienne. Pour résumer ce constat, il a eu cette formule décapante de bon sens que je fais mienne pour le commandement militaire : «C'est une élite tout ce qu'il y a de plus normal qui évolue dans un système politique anormal. » Il faut bien expliquer pourtant la cécité politique du commandement militaire. Ce n'est assurément pas dans le statut social des chefs militaires qu'il faut chercher. Je me permets de rappeler une idée essentielle déjà développée dans le corps de cet ouvrage. L'ANP, depuis l'indépendance, n'a jamais été en fait que l'instrument d'exécution d'une volonté politique incarnée par des chefs qui ont revêtu l'habit civil. Instruite pour obéir, l'ANP n'a pas exercé le pouvoir directement. C'est pourquoi, elle n'a jamais accédé en profondeur à la compréhension des phénomènes politiques et économiques liés à l'évolution de la société. Elle s'est développée sur la base d'un modèle de formation axé sur les connaissances techniques. L'encadrement militaire n'a pu accéder à l'intelligence des phénomènes de société que sous leur forme d'agrégats. Le fameux commissariat politique de l'ANP servait plus à délivrer des messages pour l'extérieur qu'à consolider la formation intellectuelle des cadres militaires. C'est comme cela que les chefs militaires s’étaient trouvés, en 1992, armés, pour affronter la crise, d'un patriotisme intuitif, sans cette capacité d'anticiper le futur grâce à l'accès raisonné à la logique des phénomènes historiques, politiques et économiques. C'est, probablement, cette grille de lecture qui permet de saisir le sens de la formule que lancera, plus tard, le général Lamari, devenu chef d'état-major de l'ANP : «Nous, militaires, avons accompli notre mission. Aux autorités civiles d'accomplir la leur.» Entendez, sur le plan opérationnel, les groupes terroristes ont été réduits, il reste aux autorités compétentes de mener les réformes qui correspondent au plan du fonctionnement politique du pays et de son développement économique. Cette forme d'ingénuité explique, dans une large mesure, pourquoi le commandement militaire s'est laissé enfermer dans une logique presque infantile de préservation de l'ordre institutionnel, jusqu'à en faire une fin en soi et arriver même à cultiver l'ambiguïté entre le terrorisme — phénomène pathologique conjoncturel — et le courant islamiste, donnée sociologique objective et pérenne. Il est bien déplorable, en effet, qu'aucun des chefs militaires ne soit parvenu à jouer le rôle que tenait Kemal Atatürk, dans l'enfantement de la Turquie moderne, ni que les services de renseignement qui constituaient l'interface avec la société politique, n'aient pu faire émerger un des leurs qui, à l'image du major portugais Ernesto Mélo Antunes, aurait pu provoquer cette jonction salutaire entre forces armées et forces vives du pays, créant les conditions de la consécration du système démocratique. Pour le commandement militaire,1992 aura représenté un rendez-vous manqué avec l'Histoire. Combien aurai-je souhaité, en cette période-là, voir nos chefs militaires prendre la décision d'enfermer manu militari, sous les lambris de la coupole de Club-des-Pins, tous les acteurs politiques représentatifs et légitimes dans le pays, avec cette consigne simple : «Les portes seront ouvertes dès que vous aurez convenu d'une plate-forme politique appropriée pour garantir l'achèvement de la transition démocratique.» Ne me dites pas que cela avait été tenté avec la commission du dialogue national et la conférence qui l’avait suivie. Cette expérience présentait la grave lacune de ne pas avoir pu impliquer toutes les véritables forces représentatives dans le pays. Comment, me diriez-vous, un commandement militaire démuni de la capacité de perception des phénomènes politiques aurait pu superviser un processus de négociations aussi laborieux ? Il eût fallu, bien sûr, que le commandement militaire eût pris acte, au préalable, de l'obsolescence du système. Il eût fallu que les chefs militaires eussent pris conscience, de manière raisonnée, pas seulement intuitive, qu'il fallait tourner la page du système en place. Il eût fallu, certainement, que le commandement militaire eût adopté une attitude moins complexée vis-à-vis de l'environnement international. Les partenaires étrangers de l'Algérie définissent leurs politiques vis-à-vis de l'Algérie en fonction d'intérêts d'Etat. Ils sont moins intéressés par une solution idéale qu'une solution pragmatique qui garantisse leurs intérêts stratégiques et de puissance. Il eût fallu, sans doute, que la multitude de compétences intellectuelles qui foisonnaient au sein des forces armées, à des niveaux de responsabilité plus ou moins inférieurs, eussent été pleinement associées à la conceptualisation et à la mise en œuvre de la position doctrinale de l'ANP. Cela était possible, je l'affirme.
Propos recueillis par A. S.

Le Soir d'Algerie

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admin"SNP1975"

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« Le général Toufik est un mythe et Bouteflika le sait ! »
le 24 Juillet, 2008 09:12:57 | 732 lecture(s) | Voir Réactions
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Mohamed Chafik Mesbah auteur d’un ouvrage à paraître, Problématique Algérie, est un connaisseur du monde du renseignement algérien. Il livre son avis sur le couple Toufik-Bouteflika.


BOUTEFLIKA GERE LE MYTHE TOUFIK : Permettez-moi de rappeler à ce propos le souvenir du regretté M'hamed Yazid. C'est lui qui m'entretenait, quelque temps avant sa mort, de cette relation ambiguë, empreinte de sentiments contradictoires, faits d'attraction et de répulsion, qui liait le personnel politique hérité de la guerre de Libération nationale aux services de renseignement algériens. C'est à la fois du rejet fondé sur la peur et de l'admiration nourrie par le mythe. Je considère que le président Abdelaziz Bouteflika n'échappe pas à la règle. Il existe chez lui, pour des considérations symboliques autant que pratiques, une réelle volonté de réformer les services de renseignement, au sens d'annihiler la capacité de nuisance qui leur est prêtée. Je ne crois pas que le chef de l'Etat en soit encore à surestimer le poids de ces services de renseignement par rapport à son propre pouvoir. Il est suffisamment habile, cependant, pour vouloir continuer à entretenir le mythe qui entoure cet instrument dont il ne veut pas se priver brusquement. Il laisse volontiers se perpétuer l'idée, surtout à l'usage d'une société politique habituée à ce genre de soumission, que ces services de renseignement tout-puissants constituent le bras séculier sur lequel il fonde son pouvoir. Ce calcul doit intervenir, certainement, dans le peu d'empressement qu'il manifeste, du moins apparemment, à procéder à la réforme qu'il souhaite pourtant. Il est probable que le président Abdelaziz Bouteflika se suffit pour le moment d'avoir, jusqu'à une certaine limite, découplé corps de bataille et services de renseignement et, de manière relative, d'avoir limité l'influence de ces derniers dans le processus de nomination aux fonctions de responsabilité publique. Je suis enclin, en définitive, à imaginer que ce sera sous la pression étrangère, dans le cadre d'un système démocratique en place, que la réforme des services de renseignement pourra, à coup sûr, intervenir.

ARRÊTONS D’IDEALISER TOUFIK ! Le renseignement, qui est une fonction fondamentale de l'Etat, représente une condition indispensable pour son développement. La vraie question qui doit nous préoccuper, par conséquent, n'est pas de savoir si oui ou non nous avons besoin de ces services de renseignement. Nous devons nous interroger, en revanche, si les services de renseignement algériens sont en phase avec l'évolution du monde et du pays. Je voudrais, avant de répondre, examiner ces services à l'aune de deux paramètres, la symbolique liée à l'institution et l'efficience de son action. Ces services de renseignement jouissent-ils encore de la charge émotionnelle – en particulier, cette solidarité de corps érigée en culte – qui fonde symboliquement la communauté du renseignement, «un métier de seigneurs », comme le suggérait le chancelier allemand Bismarck ? Ces services disposent-ils toujours de l'efficacité redoutable qui, une période durant, avait fondé leur légende, à l'intérieur comme à l'extérieur du pays ? Pourquoi cette digression me diriez-vous ? Pour indiquer, simplement, que nos services de renseignement, partiellement démunis de cette charge émotionnelle que j'évoquais, ne disposent guère plus de toute l'efficacité dont ils se prévalaient. La solidarité de corps, c'est un habitus social et culturel, c'est surtout une échelle de valeurs partagée en commun. Ce patrimoine hérité du MALG est largement entamé. Au cours de la phase de restauration de l'Etat, les services de renseignement algériens, bâtis sur les traces du MALG, ont été propulsés par un puissant idéal. Ils ont su tirer profit de la disponibilité de cadres expérimentés et engagés ainsi que de l'aura populaire qui rendait leur action efficace et redoutée.


LE DRS CE N’EST PLUS L'ANCIENNE SECURITE MILITAIRE : L'ancienne Sécurité militaire a été aussi un outil de renseignement, hautement performant, dans le soutien à la politique extérieure de l'Algérie. Je viens de recevoir la visite d'un ancien compagnon dépité, justement, que l'histoire de nos services de renseignement soit dénaturée, ou pour le moins, à ce point méconnue. Ce compagnon, dont la carrière a été tout entière dédiée aux mouvements de libération nationale à travers les cinq continents, me rappelait quel rôle éminent l'ancienne Sécurité militaire avait joué dans la victoire de nombreuses guerres de libération nationale, en Afrique notamment, et dans le succès de combien de révolutions démocratiques, résultat de soulèvements populaires, sans compter le soutien efficace qu'elle sut apporter à des mouvements de résistance de gauche en Amérique latine. Ce compagnon se lamentait que l'imaginaire populaire en soit arrivé à percevoir ces services de renseignement comme le bouclier d'intérêts compradores ! Je me livre à cette digression pour inciter à la retenue dans l'analyse des phénomènes de cette nature. Si, pour gagner son brevet de démocrate, il est exigé de moi de renier l'héritage positif de l'institution où j'ai choisi de servir pour rester fidèle à mon idéal patriotique, je renonce, volontiers, à ce parchemin.
Il faut bien admettre que l'ardeur patriotique et l'efficacité opérationnelle dont était créditée cette ancienne Sécurité militaire n'ont pas résisté au phénomène d'usure, à l'image de cette perte de bonne gouvernance qui touche toutes les institutions du pays. Ces services de renseignement, à un moment donné, ont bien joué un rôle dynamique en servant de rempart contre l'écroulement de l'Etat algérien. Ils ont exercé également un certain rôle stabilisateur, étouffant dans l'œuf les crises internes du régime, ce qui a permis au système de se pérenniser. A leur actif également, un rôle de coloration, disons patriotique, dans la sauvegarde du patrimoine économique national. Leur empreinte, sans être exclusive, est perceptible dans l'abrogation de la loi sur les hydrocarbures en 2005. Ils ne sont pas étrangers à la contrariété que subissent certains processus de privatisation douteux. Ce rôle de stabilisation du régime politique et cette œuvre de sauvegarde du patrimoine économique sont, sans commune mesure, avec les exigences de mue du système.


LE DRS CE N’EST PAS LA STASI : Par rapport à la conjoncture politique qui prévaut en Algérie, je considère que les services de renseignement algériens ne sont plus en mesure d'entraver un puissant mouvement social orienté vers la transformation du système. Les cadres de renseignement algériens ont été formés pour lutter contre la subversion interne – entendez l'opposition qui n'était pas légale –, ils se sont adaptés, avec plus ou moins de succès, pour combattre le terrorisme, ils ne sauront certainement pas étouffer un mouvement de masse. J'invite, en ce sens, nos hommes politiques à visiter les pages d'histoire des peuples qui ont imposé le système démocratique. Vous ne pensez tout de même pas que le DRS est plus puissant, plus efficace, plus retors que la Stasi allemande ? Voyez ce qu'il en est advenu lorsque les conditions historiques de la chute du système communiste ont été réunies. Je ne considère pas qu'il faille faire du démantèlement des services de renseignement algériens un préalable à l'achèvement de la transition démocratique. Mais l'observation des processus historiques universels, similaires à celui qui se déroule dans notre pays, indique que l'adaptation des services de renseignement algériens aux exigences du système démocratique est une nécessité absolue. A l'adresse de nos leaders politiques, je recommande de ne pas trop ergoter autour de l'influence jugée excessive du DRS sur la vie politique nationale, mais de se hâter de favoriser l'instauration du système démocratique. Je fais le pari que les cadres de ces services de renseignement tant décriés finiront par se ranger au choix du peuple en faveur du système démocratique, dès lors que la situation aura atteint le stade de mûrissement requis. Dans l'intervalle, il faut souhaiter naturellement que les services de renseignement du pays ne s'ingénient pas à mobiliser leur capacité de nuisance au profit d'une démarche d'entrave à cette progression naturelle, je dirais inéluctable, de la société vers la liberté.

Source : Le Soir

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2éme partie et fin

Le Soir d’Algérie poursuit la publication, de morceaux choisis de l’épilogue par lequel Mohamed Chafik Mesbah conclut son ouvrage à paraître, Problématique Algérie.


Abderrahmane Seddik : Comment expliquez-vous que le président Abdelaziz Bouteflika n'ait pas choisi d'agir, de manière identique à l'ANP, avec les services de renseignement ?
Mohamed Chafik Mesbah : Permettez-moi de rappeler à ce propos le souvenir du regretté M'hamed Yazid. C'est lui qui m'entretenait, quelque temps avant sa mort, de cette relation ambiguë, empreinte de sentiments contradictoires, faits d'attraction et de répulsion, qui liait le personnel politique hérité de la guerre de Libération nationale aux services de renseignement algériens. C'est à la fois du rejet fondé sur la peur et de l'admiration nourrie par le mythe. Je considère que le président Abdelaziz Bouteflika n'échappe pas à la règle. Il existe chez lui, pour des considérations symboliques autant que pratiques, une réelle volonté de réformer les services de renseignement, au sens d'annihiler la capacité de nuisance qui leur est prêtée. Je ne crois pas que le chef de l'Etat en soit encore à surestimer le poids de ces services de renseignement par rapport à son propre pouvoir. Il est suffisamment habile, cependant, pour vouloir continuer à entretenir le mythe qui entoure cet instrument dont il ne veut pas se priver brusquement. Il laisse volontiers se perpétuer l'idée, surtout à l'usage d'une société politique habituée à ce genre de soumission, que ces services de renseignement tout-puissants constituent le bras séculier sur lequel il fonde son pouvoir. Ce calcul doit intervenir, certainement, dans le peu d'empressement qu'il manifeste, du moins apparemment, à procéder à la réforme qu'il souhaite pourtant. Il est probable que le président Abdelaziz Bouteflika se suffit pour le moment d'avoir, jusqu'à une certaine limite, découplé corps de bataille et services de renseignement et, de manière relative, d'avoir limité l'influence de ces derniers dans le processus de nomination aux fonctions de responsabilité publique. Je suis enclin, en définitive, à imaginer que ce sera sous la pression étrangère, dans le cadre d'un système démocratique en place, que la réforme des services de renseignement pourra, à coup sûr, intervenir.
Vous avez déjà exprimé votre conception de la réforme des services de renseignement. Sans devoir y revenir, partagez-vous l'avis des partis de l'opposition qui assimilent lesdits services à l'obstacle essentiel qui entrave l'achèvement de la transition démocratique ? Il faut, au préalable, bien situer le débat. Naturellement, c'est une stupidité que d'imaginer qu'un Etat quelconque puisse prétendre à une existence pérenne s'il est démuni de services de renseignement. Je n'associerais jamais mon nom à ces pistes de réflexion qui relèvent de l'infantilisme. Le renseignement, qui est une fonction fondamentale de l'Etat, représente une condition indispensable pour son développement. La vraie question qui doit nous préoccuper, par conséquent, n'est pas de savoir si oui ou non nous avons besoin de ces services de renseignement. Nous devons nous interroger, en revanche, si les services de renseignement algériens sont en phase avec l'évolution du monde et du pays ? Je voudrais, avant de répondre, examiner ces services à l'aune de deux paramètres, la symbolique liée à l'institution et l'efficience de son action. Ces services de renseignement jouissent-ils encore de la charge émotionnelle – en particulier, cette solidarité de corps érigée en culte – qui fonde symboliquement la communauté du renseignement, «un métier de seigneurs », comme le suggérait le chancelier allemand Bismarck ? Ces services disposent-ils toujours de l'efficacité redoutable qui, une période durant, avait fondé leur légende, à l'intérieur comme à l'extérieur du pays ? Pourquoi cette digression me diriez-vous ? Pour indiquer, simplement, que nos services de renseignement, partiellement démunis de cette charge émotionnelle que j'évoquais, ne disposent guère plus de toute l'efficacité dont ils se prévalaient. La solidarité de corps, c'est un habitus social et culturel, c'est surtout une échelle de valeurs partagée en commun. Ce patrimoine hérité du MALG est largement entamé. Au cours de la phase de restauration de l'Etat, les services de renseignement algériens, bâtis sur les traces du MALG, ont été propulsés par un puissant idéal. Ils ont su tirer profit de la disponibilité de cadres expérimentés et engagés ainsi que de l'aura populaire qui rendait leur action efficace et redoutée.
Faites-vous l'éloge de l'ancienne Sécurité militaire ?
Je vais m'en priver ! Ne faites pas comme Lahouari Addi, ce concitoyen comme il aime à le dire, qui a refusé d'engager avec moi un débat sur la politique de sécurité nationale qu'il appelait de ses vœux, parce qu'il exigeait de moi quasiment que je ramène, au préalable, sur un plateau, la tête coupée des anciens chefs de l'institution où j'ai servi. C'est une image, bien sûr, mais le sens y est. Pour revenir à l'ancienne Sécurité militaire, il faut raisonner en contexte. Incontestablement, cela a été un instrument de répression dans le cadre d'un système de parti unique. Il y a eu un prix à payer pour la stabilité politique et institutionnelle du pays, condition nécessaire pour son développement économique et social. Il serait stupide de le nier. L'ancienne Sécurité militaire a été aussi un outil de renseignement, hautement performant, dans le soutien à la politique extérieure de l'Algérie. Je viens de recevoir la visite d'un ancien compagnon dépité, justement, que l'histoire de nos services de renseignement soit dénaturée, ou pour le moins, à ce point méconnue. Ce compagnon, dont la carrière a été tout entière dédiée aux mouvements de libération nationale à travers les cinq continents, me rappelait quel rôle éminent l'ancienne Sécurité militaire avait joué dans la victoire de nombreuses guerres de libération nationale, en Afrique notamment, et dans le succès de combien de révolutions démocratiques, résultat de soulèvements populaires, sans compter le soutien efficace qu'elle sut apporter à des mouvements de résistance de gauche en Amérique latine. Ce compagnon se lamentait que l'imaginaire populaire en soit arrivé à percevoir ces services de renseignement comme le bouclier d'intérêts compradores ! Je me livre à cette digression pour inciter à la retenue dans l'analyse des phénomènes de cette nature. Si, pour gagner son brevet de démocrate, il est exigé de moi de renier l'héritage positif de l'institution où j'ai choisi de servir pour rester fidèle à mon idéal patriotique, je renonce, volontiers, à ce parchemin.
Revenons à la situation présente…
Il faut bien admettre que l'ardeur patriotique et l'efficacité opérationnelle dont était créditée cette ancienne Sécurité militaire n'ont pas résisté au phénomène d'usure, à l'image de cette perte de bonne gouvernance qui touche toutes les institutions du pays. Ces services de renseignement, à un moment donné, ont bien joué un rôle dynamique en servant de rempart contre l'écroulement de l'Etat algérien. Ils ont exercé également un certain rôle stabilisateur, étouffant dans l'œuf les crises internes du régime, ce qui a permis au système de se pérenniser. A leur actif également, un rôle de coloration, disons patriotique, dans la sauvegarde du patrimoine économique national. Leur empreinte, sans être exclusive, est perceptible dans l'abrogation de la loi sur les hydrocarbures en 2005. Ils ne sont pas étrangers à la contrariété que subissent certains processus de privatisation douteux. Ce rôle de stabilisation du régime politique et cette œuvre de sauvegarde du patrimoine économique sont, sans commune mesure, avec les exigences de mue du système. Par rapport à la conjoncture politique qui prévaut en Algérie, je considère que les services de renseignement algériens ne sont plus en mesure d'entraver un puissant mouvement social orienté vers la transformation du système. Les cadres de renseignement algériens ont été formés pour lutter contre la subversion interne – entendez l'opposition qui n'était pas légale –, ils se sont adaptés, avec plus ou moins de succès, pour combattre le terrorisme, ils ne sauront certainement pas étouffer un mouvement de masse. J'invite, en ce sens, nos hommes politiques à visiter les pages d'histoire des peuples qui ont imposé le système démocratique. Vous ne pensez tout de même pas que le DRS est plus puissant, plus efficace, plus retors que la Stasi allemande ? Voyez ce qu'il en est advenu lorsque les conditions historiques de la chute du système communiste ont été réunies. Je ne considère pas qu'il faille faire du démantèlement des services de renseignement algériens un préalable à l'achèvement de la transition démocratique. Mais l'observation des processus historiques universels, similaires à celui qui se déroule dans notre pays, indique que l'adaptation des services de renseignement algériens aux exigences du système démocratique est une nécessité absolue. A l'adresse de nos leaders politiques, je recommande de ne pas trop ergoter autour de l'influence jugée excessive du DRS sur la vie politique nationale, mais de se hâter de favoriser l'instauration du système démocratique. Je fais le pari que les cadres de ces services de renseignement tant décriés finiront par se ranger au choix du peuple en faveur du système démocratique, dès lors que la situation aura atteint le stade de mûrissement requis. Dans l'intervalle, il faut souhaiter naturellement que les services de renseignement du pays ne s'ingénient pas à mobiliser leur capacité de nuisance au profit d'une démarche d'entrave à cette progression naturelle, je dirais inéluctable, de la société vers la liberté.
C'est une réponse alambiquée. Dites clairement si les services de renseignement sont fondés à noyauter partis, organisations syndicales et mouvement associatif.

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Ne faites pas de moi un témoin à charge. Il m'est arrivé, certes, d'interroger, de manière brutale, les responsables de ces services de renseignement sur l'intérêt qu'ils portent à la société politique. Voici, désopilante de bon sens, leur réponse : «Les partis et les syndicats constituent pour nous des sujets d'attention à l'image de toutes les autres institutions nationales, dans le but de prévenir et de neutraliser les menées hostiles, étrangères notamment…» Bien sûr, me diriez-vous, si l'intérêt manifesté à la société politique était inspiré par ce seul motif, rien de plus légitime. Je vous concède, alors que l'ordre démocratique est menacé lorsque des appareils administratifs interfèrent sur le champ politique avec la volonté d'étouffer et de manipuler la dynamique naturelle des partis, des organisations et des associations. Mais, je m'échine à le répéter, cette problématique est dépassée en Algérie. Les services de renseignement peuvent toujours s'évertuer à vouloir contrôler la société virtuelle, ils ne contrôleront qu'une fiction de société politique. La dynamique politique naturelle qui agite la société, dans ses entrailles, échappe à toute velléité de contrôle. Le préalable du démantèlement des services de renseignement est un alibi pour les leaders politiques qui refusent de mettre la main dans le «cambouis». Je m'inscris en faux d'ailleurs contre ceux qui assimilent arbitrairement les cadres de renseignement algériens à des mercenaires, des bêtes de répression brutales. Vous ne pouvez pas imaginer ce que la ferveur patriotique est cultivée chez nombre d'entre eux qui versent seulement le prix de cette mauvaise gouvernance dans le pays qui se donne à lire dans le dysfonctionnement de l'institution. Tous les cadres des services de renseignement algériens ne peuvent pas être assimilés arbitrairement aux professionnels de la répression qui composaient la police politique portugaise, la PIDE, celle-là même qui fut la seule force organisée à s'opposer à la «Révolution des œillets». Tous ne sont pas, non plus, sans nuance, des hommes sains, des esprits rénovateurs et des cadres chevronnés, choyés par un Youri Andropov, porteur d'un véritable projet national qui s'appuierait sur une réforme intelligente de l'institution.
Abderrahmane Seddik : Quels scénarios imaginez-vous à propos des perspectives de dénouement de la crise en Algérie ?
Mohamed Chafik Mesbah : J'espère que votre question ne concerne pas la révision constitutionnelle ou le troisième mandat sollicité pour le président Abdelaziz Bouteflika. C'est là un débat byzantin pour lequel je ne veux pas disperser mon énergie. Le cercle présidentiel s'est, d'emblée, placé dans une logique de «terre brûlée » qui le conduit à totalement occulter les considérations d'ordre juridique, politique ou même diplomatique. Mais, par-delà les personnes, admettez que c'est le système dans sa globalité qui est en cause, pas même le statut du chef de l'Etat, ni sa politique du moment. Je suis persuadé, peu importe le nom, que dans les conditions actuelles, les présidents de la République en Algérie sont interchangeables. Il est vrai, cependant, que le président Liamine Zeroual, agissant dans les limites du même système, a favorisé plus qu'il n'a entravé l'avancée du pays.
Comment faut-il alors procéder pour examiner l'avenir ?
Pour examiner l'avenir, il faut dresser l'état des lieux avec ses projections sur le futur. L'état des lieux se rapporte au statut des acteurs réels dans la vie politique, à la situation de sinistre économique, à l'effritement de la cohésion sociale, à la conjoncture sécuritaire délétère, à l'influence extérieure sans cesse grandissante. C'est l'analyse combinée de tous ces paramètres qui permettra de dégager les scénarios qui doivent réellement retenir notre attention. Cette analyse combinée, en des moments déterminés de l'évolution de la situation du pays, a constitué le cœur de cet ouvrage. Limitons-nous à envisager, pour une échéance rapprochée, les deux scénarios les plus probables. Le scénario idéal serait celui où le président Abdelaziz Bouteflika, prenant conscience que le statu quo était intenable, en viendrait à favoriser la relance du processus de réformes politiques. Il pourrait décider de passer la main, en s'en tenant aux dispositions actuelles de la Constitution, deux mandats seulement. C'est un scénario utopique. L'amendement envisagé étant apporté à la Constitution, si le chef de l'Etat choisissait quand même d'organiser, à échéance rapprochée, un peu à la manière du président Zeroual, une élection présidentielle anticipée, il serait amené à engager de vrais pourparlers avec l'ensemble des forces politiques représentatives pour dégager une plate-forme qui énumérerait les principes du consensus, fixerait les objectifs de la démarche, en déterminerait les échéances et en réglerait enfin les modalités pratiques. Un véritable dispositif de substitution à celui en place qui est délégitimé. Peu importe que les puissances étrangères soient associées à une telle démarche. La volonté interne puissamment exprimée suffit amplement. C'est un scénario là aussi chimérique, bien évidemment. Rien dans l'état d'esprit du président de la République n'indique qu'il soit disposé à abandonner la démarche autoritariste actuelle. Chez les leaders de l'opposition, rien n'indique que les querelles intestines ont été résorbées, que les pulsions égocentriques ont été réprimées et que la disponibilité soit présente pour une démarche concertée avec un candidat unique pour la prochaine élection présidentielle. Alors remettons les pieds sur terre... C'est le scénario catastrophe qui reste le plus vraisemblable. Tous les développements contenus dans cet épilogue tendent à démontrer que le verrouillage renforcé de l'espace politique, l'aggravation des conflits sociaux et la recrudescence des actions terroristes constituent des hypothèses plausibles. La politique de la «terre brûlée» – en d'autres termes «après moi le chaos» – que semble vouloir pratiquer le cercle présidentiel aiguisera fatalement les clivages et renforcera les contradictions. Certes la rente pétrolière tempère quelque peu la rapidité du processus de régression qui affecte le pays, mais l'antagonisme entre société virtuelle et société réelle ne pourra aller qu'en s'aggravant jusqu'à rendre toute cohabitation impossible. Si une direction politique éclairée parvient à émerger pour canaliser la violence, un changement de système pourra intervenir pacifiquement. Si l'insurrection débouche sur une situation d'anarchie endémique, la dislocation de la cohésion sociale et la déflagration de l'unité territoriale sont à prévoir, suivies d'une probable ingérence étrangère…
Pourquoi ne tenez-vous pas compte, dans vos scénarios, de la maladie du président de la République ?
Je refuse d'avancer sur ce terrain mouvant. Dans la culture des sociétés musulmanes, cela constitue, en effet, une faute morale que de s'attarder sur l'épreuve de santé d'un être humain pour en tirer gloire ou profit. Eduqué tout à fait dans cet esprit, je refuse d'aborder, avec légèreté, un domaine qui relève d'abord de la vie privée du chef de l'Etat.
Avouez que c'est la crainte de représailles qui vous interdit d'aborder ce sujet tabou…
Je ne suis plus en âge de m'attarder sur ce type de crainte. Interrogez, si vous le voulez, mes anciens compagnons. A la vérité, mon éducation est ainsi faite. J'ai beau être hostile à la démarche politique du président Abdelaziz Bouteflika, je ne nourris pas de ressentiment subjectif pour sa personne. Vous pouvez le constater, quelque part, dans cet ouvrage, lorsque j'affirme ne pas avoir ressenti de réserve fondamentale au moment où il avait été question, à partir de 1993, de son retour aux affaires. Je lui préférais, certes, pour des considérations objectives et subjectives, le Dr Ahmed Taleb El-Ibrahimi. Je ne pensais pas, cependant, que Abdelaziz Bouteflika postulerait pour la magistrature suprême sans avoir pris la précaution de se doter d'un projet national et sans avoir pris le soin de constituer une équipe de gouvernance. Je m'en suis seulement rendu compte qu’après qu'il eut accédé à la présidence de la République, en 1999. S'il pouvait m'écouter, je lui recommanderais volontiers la lecture d'une lettre pleine de sagesse que l'écrivain égyptien Taha Hussein, en février 1947, à travers la revue El Hilal, adressa au roi Farouk. Cette missive parsemée de métaphores, au rythme musical et au style flamboyant, ne manque pas de marques apparentes de respect pour le roi Farouk. Mais homme de cœur et de conviction, Taha Hussein, analyste remarquable du genre humain, déplore que le roi, retranché dans une tour inaccessible, accepte d'être séparé de son peuple par un fossé infranchissable. Il rappelle au souverain égyptien que la mort est la fin de toute destinée humaine, n'hésitant pas à le mettre en garde contre les enivrements de la vie terrestre, le caractère factice de la gloire et la durée éphémère de la richesse. Difficile de traduire un tel morceau d'anthologie, je me suffis d'en livrer un extrait dans la langue originelle :


Vous évoquiez aussi une raison d'ordre scientifique et méthodologique…
Effectivement. Le secret est tellement bien gardé autour de la maladie du président Abdelaziz Bouteflika que nous ne disposons pas d'informations officielles et recoupées, un vrai bulletin de santé estampillé «Hôpital du Valde- Grâce». Une analyse sérieuse ne peut pas reposer sur des spéculations. Permettez-moi, cependant, d'envisager la question autrement. Certes, le chef de l'Etat, dans un système présidentiel, joue un rôle important dans la vie nationale. Encore plus en Algérie où le président Abdelaziz Bouteflika dispose de tous les leviers de commande. Pourtant, je n'oublie pas cette fracture entre société virtuelle et société réelle qui relativise tous les pouvoirs officiels. Faut-il imaginer que le président Abdelaziz Bouteflika en soit arrivé à disposer des mêmes moyens de coercition sur la société que l'ancien président serbe Milosevic ? Lorsque l'heure de la fin du système serbe, dans son ancienne configuration, a sonné, le régime Milosevic n'est-il pas tombé comme un château de cartes ? Je reste persuadé que le défi porte moins sur le passage de relais entre personnes, dussent-elles être chefs de l'Etat, que sur la nécessité de faire rendre âme à un système obsolète.
Vous disculpez, en quelque sorte, le chef de l'Etat de toute responsabilité dans la situation que vous décrivez…
Au risque de paraître laudateur, il m'arrive parfois d'envisager l'hypothèse où le président Abdelaziz Bouteflika, soucieux de laisser son empreinte sur l'Histoire, soit tenté par une démarche d'essence vraiment politique. Mais c'est pour aussitôt prendre acte qu'il en est empêché par ce cercle présidentiel dont il est devenu quasiment l'otage. Dans le même esprit, lorsque je me surprends à imaginer que le président Abdelaziz Bouteflika, plutôt que de toucher à la Constitution, pourrait songer à une sortie honorable, en favorisant, un peu à la manière du président Liamine Zeroual, l'alternance au pouvoir, la férocité de la cour qu'il subit ou qu'il a choisi de subir me rappelle immédiatement à l'ordre.
Entretien mené par A. S.

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