C’est fini ?
Ce ne sont pas les analystes ou les commentateurs qui l’écrivent, mais le président de la République qui le dit : « Nous nous sommes trompés. » Habituellement, il disait : « Je ». Dans l’échec, il implique les autres. Qui sont-ils ? C’est la grande question car il ne désigne personne et nous laisse deviner.
Il avoue enfin, tardivement, que sa politique économique, sociale, culturelle, diplomatique est un échec. Depuis maintenant plus de 9 ans. C’est très grave, car cet aveu pose le problème essentiel du rôle des institutions et de la représentation nationale. A partir du moment où celles-ci ne jouent pas leur rôle de contrôle et de contre- pouvoir, on se demande à quoi elles servent, si ce n’est à figurer, renvoyer l’image d’un pays démocratique et à participer à la curée. La démocratie, ce n’est ni la transparence ni la lumière jetée sur les décisions du pouvoir.
La démocratie, ce sont les contre-pouvoirs et la séparation des pouvoirs, de l’argent, des médias et de la politique. Implicitement, cet échec est également celui de tout le système qui a servi jusque-là de socle à son pouvoir. Les conclusions qui s’imposent sont évidentes, mais elles demandent un acte politique courageux : démissionner. Mais ce serait réducteur, ce président n’est pas tombé du ciel. Car ce fut un tintamarre de flatteries flatulentes qui avaient accompagné son arrivée, quel vacarme ! Ce fut un ’concert klaxonnant de louanges, de compliments dégoulinant jusqu’à la nausée. Ceux qui l’ont adoubé se sont trompés, malgré les mises en garde. D’autres avant eux ont démissionné pour ne pas s’être compromis par une politique déviante. En 1974, Chérif Belkacem, ministre d’Etat et second personnage du régime, puis quelques mois plus tard Ahmed Médeghri, ministre de l’Intérieur et Kaïd Ahmed, responsable du parti FLN y ont laissé leur vie, jusqu’à récemment, en 1998, le président Liamine Zéroual. Ils se sont grandis, ont gagné en crédibilité et en respect.
Depuis que les systèmes politiques existent, beaucoup se sont écroulés pour avoir fonctionné sur eux-mêmes, verrouillant le champ politique, puisant dans les élites qu’ils enfantent et élèvent à leur mesure, encourageant la prédation, les corrompant pour mieux les instrumenter, transmettant en vase clos les privilèges, tournant le dos à la société et à ses représentants légitimes. Tous ces pouvoirs ont ancré les fondements de leur autorité sur une police politique et un fichage à travers des réseaux qualifiés de société civile pour se prémunir de toute opposition et d’esprit critique. Les critiques sont disqualifiés, deviennent quasiment de mauvais Algériens, à la limite, des anti-nationaux et des traîtres, les ennemis d’un progrès qu’on ne voit pas car il est sans visage. Leur gourme, leur morgue de caste et leur langue de bois codée en deviennent insupportables.
D’ailleurs, ce pouvoir n’aime pas la nation parce qu’il ne veut plus rien partager, jusqu’à faire démissionner l’Etat qui est devenu le berceau de l’immobilisme, du conservatisme et de l’irresponsabilité. Comme tout pouvoir policier, le pouvoir algérien manie à merveille trois fondamentaux : la répression, la subversion et la corruption. La majorité des changements de système politique, intervenus au siècle dernier, ont été obtenus de deux manières : dans la douleur et la violence (par effraction, coups d’Etat militaires, violences populaires), ou par la transition, telle que celle réalisée par les pays de l’Europe du Sud, des pays de l’Est après la chute du mur de Berlin, où leurs dirigeants ont géré intelligemment la transition, et les pays d’Amérique latine après le retrait des militaires du pouvoir et de la politique. La transition des systèmes policiers et à parti unique vers la démocratie, c’est-à-dire le multipartisme, des institutions équilibrées et des débats contradictoires, a été réalisée dans de nombreux cas sans violence, dans le respect de l’opposition et de la politique.
Si ces « transformations » ont réussi, c’est parce qu’elles ne se sont pas limitées à de simples ruptures politiques, mais ont affecté tous les rapports sociaux, tous les secteurs, sphères sociales dans lesquelles elles ont pris place, en un mot, l’architecture d’ensemble. En ce sens, il s’agit d’ authentiques « révolutions sociales ». La simultanéité de ces deux processus n’est pas nécessairement incompatible, et les deux sont solidaires. Beaucoup ont tendance à penser que le passage du parti unique au multipartisme de façade et orchestré est en soi une marque de démocratisation d’un système politique. Ce leurre -car on est dans la culture du leurre- conforte les détenteurs du pouvoir dans leur posture à afficher une « vitrine » démocratique pour infléchir les pressions extérieures ou s’attacher les soutiens de pays donneurs de leçons se contentant des aspects formels pour soutirer de substantiels contrats. L’Algérie a connu depuis son indépendance une histoire coupée en deux à la suite des émeutes d’octobre 1988. Il faudrait bien évidemment rappeler le 19 juin 1965, mais ce « redressement » a échoué dans sa tentative de s’ouvrir à la démocratie et cet échec a institutionnalisé le pouvoir personnel.
Par contre, octobre 1988 fut un événement pluriel, tout comme son héritage, avec des effets bénéfiques et d’autres, catastrophiques. Comme par hasard, aucun journal, encore moins la télévision, n’a eu l’idée d’aller demander leur avis à ces acteurs dont la vie a réellement changé en octobre 88 et dont beaucoup ont fait vivre le meilleur, puis rejoint leur taudis, assumant leurs traumatismes, leur pauvreté, leur condition de laissés-pour-compte et leur ressentiment. Rien d’étonnant à ce que la presse parle si peu de ceux-là ; elle leur est en grande partie redevable. On ne gardera des effets de cet « évènement » que la libération de la presse, ses patrons avec l’ouverture au privé, qui n’est pas nécessairement l’indépendance. Octobre 88 a mis en lumière et ratifié une évolution dont le processus enclenché depuis quelques années arrivait à maturité. Mais ce processus a été rapidement détourné car ce moment a été le passage d’un ordre bureaucratique autoritaire à la formation d’un mélange hétéroclite de clans affairistes et de bureaucratie policière, cynique et arrogant, économiquement libéral..
Ce qui nous conduit à un raccourci facile mais non sans signification : tout çà pour çà ? Il suffit pour cela de visionner les itinéraires, qui témoignent souvent mieux de ce qui fut au coeur des espoirs et des utopies (les « socialistes » de la révolution industrielle et autres .... ) que les reniements cyniques et oublieux de tant d’experts et P. D.G. Nous regardons et subissons une politique de résignation et de jouissance rentière : on ne sait plus quoi faire du pouvoir, mais on le garde, on ne sait jamais ! C’est une conjugaison de cynisme, de morale religieuse et d’argent fou. Les anciens « socialistes » ont vite fait la paix avec un marché réservé et protégé par l’Etat. La société de consommation où ils nagent comme des poissons dans l’eau leur profite, comme s’ils en avaient dénoncé les tares dans la planification pour mieux s’y adapter. C’est ce qu’ils appellent « la réforme » et la réalité de la mondialisation qui veut que ce soit cela la modernité, la croissance et le développement.
On comprend mieux que le socialisme n’ ait été qu’une parenthèse ayant enfanté des fils indignes. Ils habitent toujours dans l’ivresse de la parole avec cette croyance qu’il suffit de parler pour exister et convaincre. Mais ils contournent le gouffre, ils détournent les yeux de ce naufrage de la société qui laisse ses enfants sans emploi sur le fossé, au milieu des flots ou en prison. Le droit de rêver a été aboli. Les jeunes espéraient un dispositif pour l’emploi, les plus pauvres attendaient le renouveau d’une idée égalitaire de la nation, mais c’est la course à la mendicité d’un accord avec l’U.E. et l’entrée à l’OMC, les contrats mirifiques aux soutiens étrangers et « l’investissement » offert aux aventuriers. A travers un « triomphe » électoral négocié avec les puissances étrangères, le pétrole d’un côté et le traité d’amitié de l’autre, le vrai est à nouveau apparu comme un moment du faux. Car, il avait fallu, pour exister, démolir par des mots ce que ce pouvoir se proposait de réhabiliter très vite : le retour des vieux usages, le mépris des hiérarchies, la détestation de la République, la tyrannie des intérêts particuliers, la destruction de l’école, de la famille et de la sociabilité.
Ce ne sont pas les analystes ou les commentateurs qui l’écrivent, mais le président de la République qui le dit : « Nous nous sommes trompés. » Habituellement, il disait : « Je ». Dans l’échec, il implique les autres. Qui sont-ils ? C’est la grande question car il ne désigne personne et nous laisse deviner.
Il avoue enfin, tardivement, que sa politique économique, sociale, culturelle, diplomatique est un échec. Depuis maintenant plus de 9 ans. C’est très grave, car cet aveu pose le problème essentiel du rôle des institutions et de la représentation nationale. A partir du moment où celles-ci ne jouent pas leur rôle de contrôle et de contre- pouvoir, on se demande à quoi elles servent, si ce n’est à figurer, renvoyer l’image d’un pays démocratique et à participer à la curée. La démocratie, ce n’est ni la transparence ni la lumière jetée sur les décisions du pouvoir.
La démocratie, ce sont les contre-pouvoirs et la séparation des pouvoirs, de l’argent, des médias et de la politique. Implicitement, cet échec est également celui de tout le système qui a servi jusque-là de socle à son pouvoir. Les conclusions qui s’imposent sont évidentes, mais elles demandent un acte politique courageux : démissionner. Mais ce serait réducteur, ce président n’est pas tombé du ciel. Car ce fut un tintamarre de flatteries flatulentes qui avaient accompagné son arrivée, quel vacarme ! Ce fut un ’concert klaxonnant de louanges, de compliments dégoulinant jusqu’à la nausée. Ceux qui l’ont adoubé se sont trompés, malgré les mises en garde. D’autres avant eux ont démissionné pour ne pas s’être compromis par une politique déviante. En 1974, Chérif Belkacem, ministre d’Etat et second personnage du régime, puis quelques mois plus tard Ahmed Médeghri, ministre de l’Intérieur et Kaïd Ahmed, responsable du parti FLN y ont laissé leur vie, jusqu’à récemment, en 1998, le président Liamine Zéroual. Ils se sont grandis, ont gagné en crédibilité et en respect.
Depuis que les systèmes politiques existent, beaucoup se sont écroulés pour avoir fonctionné sur eux-mêmes, verrouillant le champ politique, puisant dans les élites qu’ils enfantent et élèvent à leur mesure, encourageant la prédation, les corrompant pour mieux les instrumenter, transmettant en vase clos les privilèges, tournant le dos à la société et à ses représentants légitimes. Tous ces pouvoirs ont ancré les fondements de leur autorité sur une police politique et un fichage à travers des réseaux qualifiés de société civile pour se prémunir de toute opposition et d’esprit critique. Les critiques sont disqualifiés, deviennent quasiment de mauvais Algériens, à la limite, des anti-nationaux et des traîtres, les ennemis d’un progrès qu’on ne voit pas car il est sans visage. Leur gourme, leur morgue de caste et leur langue de bois codée en deviennent insupportables.
D’ailleurs, ce pouvoir n’aime pas la nation parce qu’il ne veut plus rien partager, jusqu’à faire démissionner l’Etat qui est devenu le berceau de l’immobilisme, du conservatisme et de l’irresponsabilité. Comme tout pouvoir policier, le pouvoir algérien manie à merveille trois fondamentaux : la répression, la subversion et la corruption. La majorité des changements de système politique, intervenus au siècle dernier, ont été obtenus de deux manières : dans la douleur et la violence (par effraction, coups d’Etat militaires, violences populaires), ou par la transition, telle que celle réalisée par les pays de l’Europe du Sud, des pays de l’Est après la chute du mur de Berlin, où leurs dirigeants ont géré intelligemment la transition, et les pays d’Amérique latine après le retrait des militaires du pouvoir et de la politique. La transition des systèmes policiers et à parti unique vers la démocratie, c’est-à-dire le multipartisme, des institutions équilibrées et des débats contradictoires, a été réalisée dans de nombreux cas sans violence, dans le respect de l’opposition et de la politique.
Si ces « transformations » ont réussi, c’est parce qu’elles ne se sont pas limitées à de simples ruptures politiques, mais ont affecté tous les rapports sociaux, tous les secteurs, sphères sociales dans lesquelles elles ont pris place, en un mot, l’architecture d’ensemble. En ce sens, il s’agit d’ authentiques « révolutions sociales ». La simultanéité de ces deux processus n’est pas nécessairement incompatible, et les deux sont solidaires. Beaucoup ont tendance à penser que le passage du parti unique au multipartisme de façade et orchestré est en soi une marque de démocratisation d’un système politique. Ce leurre -car on est dans la culture du leurre- conforte les détenteurs du pouvoir dans leur posture à afficher une « vitrine » démocratique pour infléchir les pressions extérieures ou s’attacher les soutiens de pays donneurs de leçons se contentant des aspects formels pour soutirer de substantiels contrats. L’Algérie a connu depuis son indépendance une histoire coupée en deux à la suite des émeutes d’octobre 1988. Il faudrait bien évidemment rappeler le 19 juin 1965, mais ce « redressement » a échoué dans sa tentative de s’ouvrir à la démocratie et cet échec a institutionnalisé le pouvoir personnel.
Par contre, octobre 1988 fut un événement pluriel, tout comme son héritage, avec des effets bénéfiques et d’autres, catastrophiques. Comme par hasard, aucun journal, encore moins la télévision, n’a eu l’idée d’aller demander leur avis à ces acteurs dont la vie a réellement changé en octobre 88 et dont beaucoup ont fait vivre le meilleur, puis rejoint leur taudis, assumant leurs traumatismes, leur pauvreté, leur condition de laissés-pour-compte et leur ressentiment. Rien d’étonnant à ce que la presse parle si peu de ceux-là ; elle leur est en grande partie redevable. On ne gardera des effets de cet « évènement » que la libération de la presse, ses patrons avec l’ouverture au privé, qui n’est pas nécessairement l’indépendance. Octobre 88 a mis en lumière et ratifié une évolution dont le processus enclenché depuis quelques années arrivait à maturité. Mais ce processus a été rapidement détourné car ce moment a été le passage d’un ordre bureaucratique autoritaire à la formation d’un mélange hétéroclite de clans affairistes et de bureaucratie policière, cynique et arrogant, économiquement libéral..
Ce qui nous conduit à un raccourci facile mais non sans signification : tout çà pour çà ? Il suffit pour cela de visionner les itinéraires, qui témoignent souvent mieux de ce qui fut au coeur des espoirs et des utopies (les « socialistes » de la révolution industrielle et autres .... ) que les reniements cyniques et oublieux de tant d’experts et P. D.G. Nous regardons et subissons une politique de résignation et de jouissance rentière : on ne sait plus quoi faire du pouvoir, mais on le garde, on ne sait jamais ! C’est une conjugaison de cynisme, de morale religieuse et d’argent fou. Les anciens « socialistes » ont vite fait la paix avec un marché réservé et protégé par l’Etat. La société de consommation où ils nagent comme des poissons dans l’eau leur profite, comme s’ils en avaient dénoncé les tares dans la planification pour mieux s’y adapter. C’est ce qu’ils appellent « la réforme » et la réalité de la mondialisation qui veut que ce soit cela la modernité, la croissance et le développement.
On comprend mieux que le socialisme n’ ait été qu’une parenthèse ayant enfanté des fils indignes. Ils habitent toujours dans l’ivresse de la parole avec cette croyance qu’il suffit de parler pour exister et convaincre. Mais ils contournent le gouffre, ils détournent les yeux de ce naufrage de la société qui laisse ses enfants sans emploi sur le fossé, au milieu des flots ou en prison. Le droit de rêver a été aboli. Les jeunes espéraient un dispositif pour l’emploi, les plus pauvres attendaient le renouveau d’une idée égalitaire de la nation, mais c’est la course à la mendicité d’un accord avec l’U.E. et l’entrée à l’OMC, les contrats mirifiques aux soutiens étrangers et « l’investissement » offert aux aventuriers. A travers un « triomphe » électoral négocié avec les puissances étrangères, le pétrole d’un côté et le traité d’amitié de l’autre, le vrai est à nouveau apparu comme un moment du faux. Car, il avait fallu, pour exister, démolir par des mots ce que ce pouvoir se proposait de réhabiliter très vite : le retour des vieux usages, le mépris des hiérarchies, la détestation de la République, la tyrannie des intérêts particuliers, la destruction de l’école, de la famille et de la sociabilité.