Ça suffit ! 1
par Ahmed Saïfi Benziane
Lorsqu'un étudiant arrive à assassiner son enseignant de plusieurs coups de couteau dans l'enceinte même de l'Université, comment doit-on qualifier l'incident et que reste-t-il encore à analyser ? Vers quelle profondeur doit aller l'analyse et jusqu'où peut-on remonter dans l'échelle des responsabilités ? On peut certes classer l'évènement dans la rubrique des faits divers et il se trouvera des commentateurs qui y verront quelque matière à comparaison avec ce qui se passe un peu partout dans le monde pour conclure à une démence passagère d'un jeune qui a perdu ses repères, sa raison. Cela peut être vrai dans une société construite et équilibrée où les institutions jouent le rôle qui leur est dévolu en réagissant au quart de tour. Mais chez nous, dans une société en voie de formation, que l'on continue à analyser comme une société accomplie par erreur méthodologique, en empruntant de fausses voies théoriques, à l'ombre de la glorification de la violence, il n'est pas facile de qualifier un tel crime. Ce que l'on sait, c'est qu'une haine de l'universitaire, de l'intellectuel s'est installée y compris dans la cellule familiale, pire, la haine de tout. Elle n'est pas récente et trouve son illustration dans l'exclusion voire l'assassinat de jeunes étudiants qui ont rejoint les rang de l'A.L.N. Cela il ne faut jamais cesser de le dire pour la mémoire quelles que soient les circonstances et les menaces qui pèsent sur la vérité et ceux qui en font état. Si l'erreur est humaine, rester dans l'humanité nécessite de la reconnaître pour qu'elle ne se reproduise plus jamais. Au lendemain de la guerre, l'Algérie était dépourvue de cadres de haut niveau à tous les échelons de l'appareil administratif. « C'était la foire en 62 », selon l'expression d'une grande dame irréprochable du point de vue de son engagement politique et l'on veut toujours nous faire croire en une union des « forces populaires », langage désuet qui n'a laissé pousser aucun espoir d'ouverture démocratique, aucune différence, dès l'indépendance, alors que tout était possible. Absolument tout. La violence c'était d'abord ça. Comment expliquer que quelques années plus tard, et suite à l'explosion d'Octobre 88, alors que la perche de l'Histoire nous a été tendue au prix de centaines de morts, l'Algérie soit tombée entre les mains de ceux qui qualifiaient les intellectuels d'infidèles et passibles de mort en direct à la télévision d'Etat ? Ils ont fini par mettre leurs menaces à exécution sous l'oeil et à la barbe d'une complicité qui n'a jamais accepté de procès en se cachant derrière un pardon maintes fois renouvelé, traduit par des lois faites pour effacer la mémoire et qu'il est désormais interdit de commenter. En Octobre 88, ceux qui croyaient en l'Algérie plurielle se distinguaient clairement de ceux qui voulaient la verser dans un système punitif faisant de la soumission à Dieu un prétexte à la soumission envers des hommes qui ne laissent aucune intelligence s'exprimer, asservissant y compris des intellectuels pris de panique et au piège de la confusion, fragilisés par leur situation sociale ou pensant trouver dans la nouvelle donne une autre façon d'exister, de s'affirmer, de grimper les échelons. A ce titre Hadj Moussa, Moussa el Hadj. Le pouvoir a marché et marche encore main dans la main avec l'ignorance excluant du champ social tous ceux qui peuvent apporter un éclairage sur le passé, le présent et l'avenir. Tous ceux qui pouvaient déranger l'union incestueuse entre de faux pères et de vrais enfants. Au chapitre des résultats, un pays à genoux, des morts par milliers et un autre système de valeurs importé de la Jahilya et qui a toujours arrangé le pouvoir. Un pouvoir qui n'accepte de parler que de ses propres croyances en une réussite imparfaite et qui finit, de nos jours, par diaboliser les Sciences sociales dans le discours politique, au seul profit d'un silence qui n'a que trop duré y compris chez les intellectuels. La preuve de l'exclusion est sous nos yeux, elle nous parle. C'est encore une fois la foire et personne n'accepte l'échec. Personne ne culpabilise plus, si bien que la violence prend toute la place dans les rapports humains, le mensonge quant à lui devenant la règle. Si bien que la haine conduit au meurtre d'un enseignant en plein exercice de sa mission. Que reste-t-il encore de la valeur d'un enseignant dans un pays qui a connu la fuite massive d'universitaires vers tous les coins du monde et le mépris de ceux qui sont restés en les exposant au délit d'être ce qu'ils sont. « Tu as fait des études et après... », disent de nombreux enfants à leurs parents en orientant leurs regards vers l'enrichissement illicite d'ignorants dont la majorité ne sait même pas distinguer un chèque d'une facture et qui ont fini par se positionner en exemples à suivre détruisant toute tentative de créer une véritable bourgeoisie nationale, une vraie classe. La valeur d'un enseignant ne tient qu'à cela et le rapport qu'il a à l'étudiant n'est pas bien différent. L'enseignant est devenu une machine à donner de bonnes notes et à réclamer un logement et une augmentation de salaire ce qui, sous d'autres cieux, n'est qu'un droit parmi tant d'autres. L'étudiant est devenu un buvard absorbant des connaissances mal digérées, mal entretenues, ne fréquentant les bibliothèques que sous la contrainte, apeuré par ce qui l'attend une fois le diplôme obtenu à coups de « coups de pouce », avec pour unique rêve, l'exil vers des paradis éphémères. Certaines organisations estudiantines, appuyées par des politicards maffieux, prennent l'Université en otage et imposent leur loi y compris pour s'approprier des marchés engagés par le budget de l'Etat. L'activité syndicale des étudiants s'est transformée en commerce juteux avec la bénédiction des textes leur permettant de jouir de locaux destinés initialement à l'enseignement et transformés en bazars, échappant à tout contrôle de l'administration. Comment peut-on prétendre représenter des étudiants quand on a l'âge d'un jeune grand-père si ce n'est pour l'instrumenter à des fins d'intérêts en usant d'un discours mobilisateur construit sur la force du nombre ? Cette démission des pouvoirs publics, face à la perversion de ce qui devrait être l'une des institutions avant-gardistes par excellence, ne s'explique que par une volonté manifeste de détruire l'Université et sa représentation sociale, l'image d'espoir qu'elle seule peut offrir. Le couteau planté dans le corps de Mohammed Benchhida en ce samedi 18 octobre 2008 est en fait planté dans le corps de chaque enseignant, de chaque Algérien qui n'a pas encore été corrompu par la facilité. Pendant que l'étudiant le poignardait précipitant sa mort et, selon un témoignage, Benchhida criait « ça suffit mon fils ! ça suffit ! », voulant sans doute lui dire « qu'es-tu en train de tuer mon fils, nous sommes déjà morts depuis longtemps! ».
1: Cette chronique est dédiée à la mémoire de notre frère feu Mohammed Benchhida et à tous ceux qui sont morts pour rien.
par Ahmed Saïfi Benziane
Lorsqu'un étudiant arrive à assassiner son enseignant de plusieurs coups de couteau dans l'enceinte même de l'Université, comment doit-on qualifier l'incident et que reste-t-il encore à analyser ? Vers quelle profondeur doit aller l'analyse et jusqu'où peut-on remonter dans l'échelle des responsabilités ? On peut certes classer l'évènement dans la rubrique des faits divers et il se trouvera des commentateurs qui y verront quelque matière à comparaison avec ce qui se passe un peu partout dans le monde pour conclure à une démence passagère d'un jeune qui a perdu ses repères, sa raison. Cela peut être vrai dans une société construite et équilibrée où les institutions jouent le rôle qui leur est dévolu en réagissant au quart de tour. Mais chez nous, dans une société en voie de formation, que l'on continue à analyser comme une société accomplie par erreur méthodologique, en empruntant de fausses voies théoriques, à l'ombre de la glorification de la violence, il n'est pas facile de qualifier un tel crime. Ce que l'on sait, c'est qu'une haine de l'universitaire, de l'intellectuel s'est installée y compris dans la cellule familiale, pire, la haine de tout. Elle n'est pas récente et trouve son illustration dans l'exclusion voire l'assassinat de jeunes étudiants qui ont rejoint les rang de l'A.L.N. Cela il ne faut jamais cesser de le dire pour la mémoire quelles que soient les circonstances et les menaces qui pèsent sur la vérité et ceux qui en font état. Si l'erreur est humaine, rester dans l'humanité nécessite de la reconnaître pour qu'elle ne se reproduise plus jamais. Au lendemain de la guerre, l'Algérie était dépourvue de cadres de haut niveau à tous les échelons de l'appareil administratif. « C'était la foire en 62 », selon l'expression d'une grande dame irréprochable du point de vue de son engagement politique et l'on veut toujours nous faire croire en une union des « forces populaires », langage désuet qui n'a laissé pousser aucun espoir d'ouverture démocratique, aucune différence, dès l'indépendance, alors que tout était possible. Absolument tout. La violence c'était d'abord ça. Comment expliquer que quelques années plus tard, et suite à l'explosion d'Octobre 88, alors que la perche de l'Histoire nous a été tendue au prix de centaines de morts, l'Algérie soit tombée entre les mains de ceux qui qualifiaient les intellectuels d'infidèles et passibles de mort en direct à la télévision d'Etat ? Ils ont fini par mettre leurs menaces à exécution sous l'oeil et à la barbe d'une complicité qui n'a jamais accepté de procès en se cachant derrière un pardon maintes fois renouvelé, traduit par des lois faites pour effacer la mémoire et qu'il est désormais interdit de commenter. En Octobre 88, ceux qui croyaient en l'Algérie plurielle se distinguaient clairement de ceux qui voulaient la verser dans un système punitif faisant de la soumission à Dieu un prétexte à la soumission envers des hommes qui ne laissent aucune intelligence s'exprimer, asservissant y compris des intellectuels pris de panique et au piège de la confusion, fragilisés par leur situation sociale ou pensant trouver dans la nouvelle donne une autre façon d'exister, de s'affirmer, de grimper les échelons. A ce titre Hadj Moussa, Moussa el Hadj. Le pouvoir a marché et marche encore main dans la main avec l'ignorance excluant du champ social tous ceux qui peuvent apporter un éclairage sur le passé, le présent et l'avenir. Tous ceux qui pouvaient déranger l'union incestueuse entre de faux pères et de vrais enfants. Au chapitre des résultats, un pays à genoux, des morts par milliers et un autre système de valeurs importé de la Jahilya et qui a toujours arrangé le pouvoir. Un pouvoir qui n'accepte de parler que de ses propres croyances en une réussite imparfaite et qui finit, de nos jours, par diaboliser les Sciences sociales dans le discours politique, au seul profit d'un silence qui n'a que trop duré y compris chez les intellectuels. La preuve de l'exclusion est sous nos yeux, elle nous parle. C'est encore une fois la foire et personne n'accepte l'échec. Personne ne culpabilise plus, si bien que la violence prend toute la place dans les rapports humains, le mensonge quant à lui devenant la règle. Si bien que la haine conduit au meurtre d'un enseignant en plein exercice de sa mission. Que reste-t-il encore de la valeur d'un enseignant dans un pays qui a connu la fuite massive d'universitaires vers tous les coins du monde et le mépris de ceux qui sont restés en les exposant au délit d'être ce qu'ils sont. « Tu as fait des études et après... », disent de nombreux enfants à leurs parents en orientant leurs regards vers l'enrichissement illicite d'ignorants dont la majorité ne sait même pas distinguer un chèque d'une facture et qui ont fini par se positionner en exemples à suivre détruisant toute tentative de créer une véritable bourgeoisie nationale, une vraie classe. La valeur d'un enseignant ne tient qu'à cela et le rapport qu'il a à l'étudiant n'est pas bien différent. L'enseignant est devenu une machine à donner de bonnes notes et à réclamer un logement et une augmentation de salaire ce qui, sous d'autres cieux, n'est qu'un droit parmi tant d'autres. L'étudiant est devenu un buvard absorbant des connaissances mal digérées, mal entretenues, ne fréquentant les bibliothèques que sous la contrainte, apeuré par ce qui l'attend une fois le diplôme obtenu à coups de « coups de pouce », avec pour unique rêve, l'exil vers des paradis éphémères. Certaines organisations estudiantines, appuyées par des politicards maffieux, prennent l'Université en otage et imposent leur loi y compris pour s'approprier des marchés engagés par le budget de l'Etat. L'activité syndicale des étudiants s'est transformée en commerce juteux avec la bénédiction des textes leur permettant de jouir de locaux destinés initialement à l'enseignement et transformés en bazars, échappant à tout contrôle de l'administration. Comment peut-on prétendre représenter des étudiants quand on a l'âge d'un jeune grand-père si ce n'est pour l'instrumenter à des fins d'intérêts en usant d'un discours mobilisateur construit sur la force du nombre ? Cette démission des pouvoirs publics, face à la perversion de ce qui devrait être l'une des institutions avant-gardistes par excellence, ne s'explique que par une volonté manifeste de détruire l'Université et sa représentation sociale, l'image d'espoir qu'elle seule peut offrir. Le couteau planté dans le corps de Mohammed Benchhida en ce samedi 18 octobre 2008 est en fait planté dans le corps de chaque enseignant, de chaque Algérien qui n'a pas encore été corrompu par la facilité. Pendant que l'étudiant le poignardait précipitant sa mort et, selon un témoignage, Benchhida criait « ça suffit mon fils ! ça suffit ! », voulant sans doute lui dire « qu'es-tu en train de tuer mon fils, nous sommes déjà morts depuis longtemps! ».
1: Cette chronique est dédiée à la mémoire de notre frère feu Mohammed Benchhida et à tous ceux qui sont morts pour rien.