L’Algérie à la veille de 1830
Le peuple algérien est un peuple arabo-musulman. En effet, à partir du VIIIe siècle, l’islamisation et l’arabisation ont donné à notre pays le visage qu’il a sauvegardé jusqu’à présent.
Mais c’est plus loin qu’il faut remonter pour voir apparaître les premières manifestations de la contribution du Maghreb Central à la civilisation. Cette contribution, vieille en fait de plus de trois millénaires, s’épanouit tout particulièrement dans le puissant royaume numide des IIIe siècle avant Jésus-Christ, autour de Massinissa.
Du siècle IIe avant J.C. au VIIIe siècle après J.C., ce furent essentiellement des luttes contre la domination étrangère romaine, vandale et byzantine. A cette résistance populaire acharnée s’attachent des noms tels que celui du véritable héros que fut Jugurtha. L’opposition à l’oppression se traduisit, sur le plan idéologique, par le boycottage systématique de la religion des oppresseurs.
L’imbrication de la résistance à l’agression et des luttes sociales culminait dans d’imposantes révolte rurales à caractère égalitariste.
Au VIIe siècle, la rapidité et la profondeur du processus d’islamisation et d’arabisation qui commence ne peut s’expliquer que par le rôle libérateur de cette religion et de cette civilisation nouvelle qu’un peuple aussi combatif n’aurait pas acceptée si elles ne lui apportaient libération, promotion sociales, enrichissement culturel, prospérité et tolérance. Le caractère arabo-musulman demeure ainsi, le fondement de la personnalité algérienne.
Pendant des siècles notre pays évolua dans le cadre arabe et plus particulièrement dans le cadre maghrébin.
Au XVIme siècle, la formation progressive du territoire algérien est presque achevée. Ainsi apparaît le second élément de la réalité nationale algérienne qui vient s’ajouter à la langue arabe. Le combat est engagé par les frères Arroudj et Khair-eddine contre la menace extérieure espagnole et le morcellement du pays favorise la prise en main du pouvoir central par une caste militaire d’origine turque, l’odjak qui institue l’Etat des deys. La souveraineté du khalife de Constantinople sur cet Etat est purement nominale.
La décentralisation extrême de l’Etat , la multiplication des statuts compliquaient la hiérarchie sociale. Les Kouloughlis, les Janissaires, les tribus Deiras et Makhzen constituaient avec l’odjak les principaux bénéficiaires de l’impôt prélevé sur les tribus raïa.
La caste militaire turque n’était pas implantée directement dans le pays. Renouvelée périodiquement par des apports extérieurs, elle ne constituait pas une couche sociale stable assurant une fonction régulière dans les rapports sociaux.
La caste dirigeante ne possédait pas de façon privée les moyens de production. Cependant les représentants en avaient la disposition. De ce fait, l’exploitation des tribus raïa se faisait sous la forme d’impôts en travail et en nature (prélèvement sur les produits du travail). Le parasitisme de la caste dirigeante s’exprimait surtout à travers la pression fiscale sur les populations algériennes.
Au XIXme siècle, autrement dit trois siècles après l’instauration de l’Etat des deys la société rurale algérienne n’avait pas perdu sa physionomie d’antan. Le contrôle du pouvoir central sur les tribus qui peuplent l’intérieur du pays demeure limité.
Cependant, des représentants de l’Etat se constituent en féodalités (processeurs d’azel) et s’approprient à titre privé des moyens de production. Certains chefs familiaux en font de même (propriétaire melk). Mais le domaine « arch » » forme d’appropriation collective de la terre et des troupeaux couvre l’essentiel du pays.
A la veille de l’agression française, les difficultés du commerce extérieur occasionnées par la rupture des courants d’échanges traditionnels, les manœuvres des compagnies de traite européennes, les spéculations des hommes d’affaires étrangers créent des problèmes financiers à l’Etat algérien qui aggrave sa pression fiscale sur les populations. Cette situation renforce l’hostilité contre la caste militaire turque et les instruments répressifs sur lesquels elle s’appuie et nourrit par voie de conséquence des conflits intérieurs. L’affaiblissement de la puissance intérieure et extérieure de l’Etat des deys renforce les colonialistes et alimente les projets de conquête.
Les intérêts égoïste de la caste militaire d’origine turque, leur absence de liaison réelle avec les populations du pays ont joué un rôle déterminant dans la décadence de l’Etat algérien et l’ont ainsi rendu vulnérable face aux menées colonialistes et aux tentatives de mainmise capitaliste. .Malgré ses aspects contradictoires, l’Algérie constituait déjà un Etat différencié.
La culture islamique, une hiérarchisation sociale identique, une organisation juridique commune constituaient un lien entre tous les membres de la communauté algérienne, Lien renforcé par l’hostilité de caractère social manifestée à une caste militaire d’origine étrangère mais déjà partiellement enracinée, accusée de frapper les croyants d’impôts non coraniques et de pactiser avec les infidèles.
Contrairement donc à ce qu’affirment les historiens de la conquête, l’Etat algérien disposait d’une armée et d’un appareil administratif et judiciaire et entretenait des rapports diplomatiques avec les puissances étrangères.
Les dissertations sur le caractère nécessaire de la colonisation, sur la «colonisabilité » du peuple algérien, constituent une mystification grossière, car l’Algérie, au même titre que d’autres pays européens de l’époque ayant son niveau de développement, possédait les aptitudes lui permettant de s’engager par une autre voie dans la direction du progrès. La colonisation a mis un terme aux possibilités de développement propre du peuple algérien. Loin de précipiter son évolution, elle l’a au contraire retardée et rendue plus douloureuse.
Source: La Charte Nationale du 16 au 21 Avril 1964.