[url]Nous allons commencer à partir d'aujourd'hui la publication des textes historiques concernants les rappotrs algéro-marocains.[/url]
L'ALGERIE ET LES CHORFA D'OUEZZANE A LA FIN DU XIXe SIÈCLE
Roger Le Tourneau
L'attitude des chorfa d'Ouezzane à la fin du xix* siècle et leurs relations avec la France ont été étudiées à maintes reprises et notamment par Georges Drague * et Jean-Louis Miège 2, mais d'un point de vue essentiellement marocain.
Or l'Algérie comptait un nombre important d'adeptes de la confrérie d'Ouezzane, les Taïbiya, comme on les appelait à Alger, particulièrement nombreux dans le département d'Oran. De plus la maison d'Ouezzane exerçait son influence sur les régions de la Saoura et du Touat sur lesquelles la France et le gouvernement de l'Algérie avaient des visées.
Il m'a donc paru intéressant d'examiner les relations des autorités françaises d'Algérie et des chérifs pendant le dernier tiers du xix* siècle en se servant des documents conservés aux Archives d'Outre- Mer d'Aix-en-Provence 8.
Il semble que jusqu'en 1872, l'Algérie n'ait pratiquement pas entretenu de rapports avec la Maison d'Ouezzane, bien que le nombre des affiliés à la confrérie fût estimé à 16 000 environ 4. On sait ce que valent ces estimations fort approximatives; il n'en reste pas moins vrai que les Taïbiya n'étaient pas négligeables. Mais leur grand maître, Sidi el-Hajj Abdeslam, qui avait pris la tête de la confrérie en 1850, avait commencé par se montrer hostile aux Européens ou plutôt aux Chrétiens. Eien d'étonnant donc si le gouvernement général de l'Algérie n'entretenait pas de rapports avec lui.
1. G. Drague, Esquisse d'histoire religieuse du Maroc, Paris, s.d., p. 227-250.
2. J.L. Miège, Le Maroc et l'Europe, t. IV, Paris, 1963, p. 47-66 et passim.
3. Archives d'Outre-Mer, séries 30 H B, 9 et 10).
4. Ce chiffre est également fourni par L. Rinn, in Marabouts et Khouan, Alger, 1884 et provient certainement du service des affaires indigènes dont Rinn était le chef.
En 1872, un serviteur du chérif périt assassiné et son maître imputa ce meurtre au gouvernement chérifien de Sidi Mohammed b. Abderrahmane, à tort ou à raison. Peut-être eut-il peur pour lui- même; il estima en tout cas qu'il pourrait être préférable pour lui de résider hors du Maroc. Il avait d'ailleurs plusieurs raisons de songer à une solution de ce genre. Depuis quelques années déjà, il avait souvent résidé à Tanger et s'était épris de modernisme, un modernisme qui était peu de mise dans le Maroc des années 1870. D'autre part, il était en train de conclure un mariage avec miss Emily Keene 5, une Anglaise de bonne famille qui vivait comme demoiselle de compagnie chez des Américains de Tanger, et cette jeune femme exigeait de pouvoir continuer à pratiquer sa religion : autant dire que cette union qui eut lieu en janvier 1873, risquait d'être fort mal vue des Marocains et même des membres de la confrérie.
En conséquence le chérif s'adressa à la fois au ministre de France à Tanger, Tissot, et au général Osmont, commandant la division d'Oran, pour leur faire connaître son éventuel projet de s'installer à Marseille ou en Algérie. En transmettant cette demande surprenante à l'amiral de Gueydon, gouverneur général, le général Osmont marqua sa désapprobation 6, car il considérait que le chérif ne faisait qu'employer un moyen de chantage vis-à-vis du Makhzen et que la France ne pouvait y gagner que des ennuis. Au cas où, par impossible, le gouvernement français engagerait des négociations, ajoutait le général, il faudrait que le chérif quitte le Maroc avec la plus grande discrétion et il ne saurait être question de le transporter sur un navire de guerre.
L'amiral renchérit, comme le ministère des Affaires étrangères lui demandait son sentiment, et répondit que la France ne devait nullement se mêler de la querelle du Chérif et du Sultan, et d'ailleurs il exprimait son complet scepticisme sur une politique de collaboration avec les marabouts et chefs de confrérie7. Il soulevait aussi une question financière : les frais de séjour à Marseille ou en Algérie ne pouvaient pas, selon lui, être prélevés sur les crédits de l'Algérie.
Il est probable que le chérif changea d'avis, puisqu'à partir du
5. Shareefa of Wazan, My life storg, London, s.d.
6. Télégramme du 14 janvier 1873.
7. Cette attitude de l'amiral est signalée d'une manière générale par Ch.-R. Ageron, Les Musulmans algériens et la France (1871-1879), Paris, 1968, t. 1, p. 301.
à suivre
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L'ALGERIE ET LES CHORFA D'OUEZZANE A LA FIN DU XIXe SIÈCLE
Roger Le Tourneau
L'attitude des chorfa d'Ouezzane à la fin du xix* siècle et leurs relations avec la France ont été étudiées à maintes reprises et notamment par Georges Drague * et Jean-Louis Miège 2, mais d'un point de vue essentiellement marocain.
Or l'Algérie comptait un nombre important d'adeptes de la confrérie d'Ouezzane, les Taïbiya, comme on les appelait à Alger, particulièrement nombreux dans le département d'Oran. De plus la maison d'Ouezzane exerçait son influence sur les régions de la Saoura et du Touat sur lesquelles la France et le gouvernement de l'Algérie avaient des visées.
Il m'a donc paru intéressant d'examiner les relations des autorités françaises d'Algérie et des chérifs pendant le dernier tiers du xix* siècle en se servant des documents conservés aux Archives d'Outre- Mer d'Aix-en-Provence 8.
Il semble que jusqu'en 1872, l'Algérie n'ait pratiquement pas entretenu de rapports avec la Maison d'Ouezzane, bien que le nombre des affiliés à la confrérie fût estimé à 16 000 environ 4. On sait ce que valent ces estimations fort approximatives; il n'en reste pas moins vrai que les Taïbiya n'étaient pas négligeables. Mais leur grand maître, Sidi el-Hajj Abdeslam, qui avait pris la tête de la confrérie en 1850, avait commencé par se montrer hostile aux Européens ou plutôt aux Chrétiens. Eien d'étonnant donc si le gouvernement général de l'Algérie n'entretenait pas de rapports avec lui.
1. G. Drague, Esquisse d'histoire religieuse du Maroc, Paris, s.d., p. 227-250.
2. J.L. Miège, Le Maroc et l'Europe, t. IV, Paris, 1963, p. 47-66 et passim.
3. Archives d'Outre-Mer, séries 30 H B, 9 et 10).
4. Ce chiffre est également fourni par L. Rinn, in Marabouts et Khouan, Alger, 1884 et provient certainement du service des affaires indigènes dont Rinn était le chef.
En 1872, un serviteur du chérif périt assassiné et son maître imputa ce meurtre au gouvernement chérifien de Sidi Mohammed b. Abderrahmane, à tort ou à raison. Peut-être eut-il peur pour lui- même; il estima en tout cas qu'il pourrait être préférable pour lui de résider hors du Maroc. Il avait d'ailleurs plusieurs raisons de songer à une solution de ce genre. Depuis quelques années déjà, il avait souvent résidé à Tanger et s'était épris de modernisme, un modernisme qui était peu de mise dans le Maroc des années 1870. D'autre part, il était en train de conclure un mariage avec miss Emily Keene 5, une Anglaise de bonne famille qui vivait comme demoiselle de compagnie chez des Américains de Tanger, et cette jeune femme exigeait de pouvoir continuer à pratiquer sa religion : autant dire que cette union qui eut lieu en janvier 1873, risquait d'être fort mal vue des Marocains et même des membres de la confrérie.
En conséquence le chérif s'adressa à la fois au ministre de France à Tanger, Tissot, et au général Osmont, commandant la division d'Oran, pour leur faire connaître son éventuel projet de s'installer à Marseille ou en Algérie. En transmettant cette demande surprenante à l'amiral de Gueydon, gouverneur général, le général Osmont marqua sa désapprobation 6, car il considérait que le chérif ne faisait qu'employer un moyen de chantage vis-à-vis du Makhzen et que la France ne pouvait y gagner que des ennuis. Au cas où, par impossible, le gouvernement français engagerait des négociations, ajoutait le général, il faudrait que le chérif quitte le Maroc avec la plus grande discrétion et il ne saurait être question de le transporter sur un navire de guerre.
L'amiral renchérit, comme le ministère des Affaires étrangères lui demandait son sentiment, et répondit que la France ne devait nullement se mêler de la querelle du Chérif et du Sultan, et d'ailleurs il exprimait son complet scepticisme sur une politique de collaboration avec les marabouts et chefs de confrérie7. Il soulevait aussi une question financière : les frais de séjour à Marseille ou en Algérie ne pouvaient pas, selon lui, être prélevés sur les crédits de l'Algérie.
Il est probable que le chérif changea d'avis, puisqu'à partir du
5. Shareefa of Wazan, My life storg, London, s.d.
6. Télégramme du 14 janvier 1873.
7. Cette attitude de l'amiral est signalée d'une manière générale par Ch.-R. Ageron, Les Musulmans algériens et la France (1871-1879), Paris, 1968, t. 1, p. 301.
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