Dôme des Invalides
Louis Hubert Gonzalve Lyautey (17 novembre 1854, Nancy - 27 juillet 1934 à Thorey) est un militaire français, officier pendentif les guerres coloniales, résident général au Maroc en 1912, ministre de la guerre Lors de la Première Guerre mondiale, Puis Maréchal de France en 1921, académicien et président d'honneur des Scouts de France. Sa concevoir, empruntée au poète anglais Percy Bysshe Shelley, est restée célèbre: «La joie de l'âme est Dans l'action. »
Traduction de l'inscription en arabe: Plus je connais les Marocains et plus je vis Dans ce pays, plus je suis convaincu de la grandeur de cette nation.
«Lyautey est un ennemi qui ne commet pas d’actes indignes. Il est du point de vue indigène le plus dangereux français que le nord d’Afrique ait connu, parce que le plus sage. Il savait par sa sagesse calmer les Arabes», (Chakib Arsalan)
Les multiples réactions que suscite le nom du Maréchal Lyautey (1854-1934) ne paraissent pas avoir défini avec précision le portrait de l’homme du vingtième siècle au Maroc. Une tentative d’analyse d’une autre face, la plus intime, à partir de son œuvre épistolaire “Vers le Maroc, Lettres du Sud-Oranais (1903-1906)” (1) s’avère nécessaire pour découvrir ce grand personnage égocentrique, celui qui va critiquer longuement les méthodes de la France dans ses «pénétrations» nord-africaines, forger les institutions de l’Etat marocain et s’imposer comme pièce maîtresse dans les futurs rapports maroco-français.
Mon propos, dans cette analyse, est de soulever, à partir de la vision du plus important acteur colonial, quelques aspects de la construction du Maroc dans l’imaginaire français. Il apparaît tout d’abord utile de rapprocher le culturel et le militaire dans une telle conception, c’est pourquoi cet article va mener à terme une double analyse: d’une part la vision d’un rêveur ou artiste, et de l’autre celle d’un militaire ou conquérant. La première est tissée par le regard incisif de l’artiste libertin, et la seconde par le militaire rude et homme des batailles. Nonobstant, il est d’étudier à travers ce personnage le référentiel «officiel» marocain vu par les Français avant et après l’instauration du Protectorat, à la signature le Traité de Fès. Cette part composite de l’officiel, du légitime et du systémique makhzénien, incarnée par la cité-centre de Fès, peut expliquer davantage les visions du colonialisme français d’antan et de maintenant… Bien qu’elle soit longuement analysée par l’intelligentsia et les hommes de l’Etat, cette part continue encore de susciter des interrogations.
Certes, il sera question d’une étude qui réunirait le militaire, le politique, l’idéologique et l’historique, mais qui prétend n’être qu’une interrogation complexe et commune à tous ces aspects. L’on ose rechercher auprès de l’homme politique «moderne» et de l’écrivain occidental la construction de la double image du Maroc «officiel» et celui «de siba», et par extension l’image «infinie» du Maroc possible quand nous y greffons des éléments fondateurs de l’Orient. Ce «Moghreb», aux deux significations spatiales mais sans en avoir une de propre, est montré tantôt un enfer pluriel, désuni, sale, vieux et immuable, tantôt un paradis «retrouvé» unique pour Lyautey où il est possible d’ancrer l’esprit français tout en sauvegardant l’authenticité maghrébine. Que pourra-t-il le Protectorat assurer devant un tel dédoublement de la perception du même corps «civilisationnel»?
I.- Le suprême Lyautey de l’unique Maroc
Les fameuses anecdotes sur la vie de Lyautey, les nombreuses spéculations sur sa manière de gouverner la colonie «marocaine» peuvent sous-entendre qu’il existe encore tant de mystères sur sa vision de Maréchal «éternel». Est-il toujours vivant dans un Etat marocain qui revendique incessamment «son génie»? semble une question non seulement d’actualité mais aussi complexe à résoudre. Ce protagoniste de l’histoire coloniale, machiavélique de philosophie, se confond totalement avec cette part omniprésente de l’héritage «français» au Maroc, sous forme de diktats «de modernité équilibrante» en harmonie avec le traditionnel, de bon peuple croyant, de terre bénite, de tribus hospitalières, de villes antiques et fantastiques… Pourtant, les officiels des deux bords hésitent trop au moment de déconstruire cette présence «officielle» dans les manuels scolaires: faut-il inculper Lyautey des méfaits de la colonisation ou bien le louer pour sa conception d’un Maroc uni et moderne?
Le nom de Lyautey est intimement corrélé au commencement du Protectorat, à l’établissement de l’Etat et à ses dénouements historiques depuis 1956. Précisément, sa tâche fondamentale «est beaucoup plus vaste et beaucoup plus efficace que celle d’un simple «contrôleur». (2) Il n’est point question pour lui de superviser le fonctionnement d’un Système en faillite, mais c’est plutôt d’en fabriquer un autre: adapté et pour le Makhzen et pour les Colons. «Comme suite au traité du 30 mars 1912, signé par le sultan Moulay Hafid, un régime de ‘contrôle’ a été superposé à celui de la vieille administration du Makhzen. Le but de cet accord, défini, par le préambule, a été «d’établir au Maroc un régime régulier fondé sur l’ordre intérieur et la sécurité générale qui permettra l’introduction des réformes et assurera le développement économique du pays.».» (3) Au nom de ce même contrôle, Lyautey va détrôner le même Moulay Hafid, et désigner officiellement Moulay Youssef à sa place. Il entend ainsi renforcer le Trône, le confectionner à sa guise! Le nouveau Roi ne fait alors que signer ce que prépare la Résidence. Par ailleurs, sur ce contrôle politique, le contrôleur civil Jacques Berque écrira: «Le Maroc est un pays où l’autorité est un postulat administratif. On n’y parle jamais de contrôle de l’autorité, mais d’autorité de contrôle». Cette philosophie politique est encore en application: la sécurité équilibrante passe avant tout. Le contrôle change de sens. Il ne s’agit pas de contrôler, mais d’exploiter directement et d’assurer impérieusement la continuité du pouvoir. Ce système colonial va marquer à jamais le destin des Marocains: contrôler, centraliser, unifier, assimiler, reformer s’avèrent les actions mises en exercice par le Makhzen afin de se créer toutes pièces en tant qu’Etat «pacificateur». Et à l’Etat marocain de suivre les mêmes pas, de répéter les exercices de la dite pacification afin de s’assurer la pérennité légitime ou la légitimité pérenne.
Avec le Maréchal, nous assistons ainsi à la maréchalerie de mots «vides» dans la politique: «pénétrations pacifiques», «ménagements», «préparations politiques» pour assurer le développement du Maghreb. Seulement, pacification «à la française» veut dire aussi massacre de centaines de milliers d’âmes. Et protectorat veut dire agression et exploitation de milliers de foyers. Curieusement, les chiffres «officiels» relatifs aux morts et aux victimes (invalides, blessés, dépossédés, incarcérés…) de ce Protectorat sont encore imprécis, voire non précisés. Pourquoi? Lyautey, quoi qu’on en dise, incarne la répression et la brutalité «à l’occidentale». A ce propos, le 50e anniversaire de l’indépendance du Maroc révèle, de fait, que le rapport France-Maroc s’insère dans ce rapport «agridulce» entre les deux nations, entre les deux idéologies où les limites apparaissent difficiles de tracer. Et voilà les gouvernements espagnol et français qui prennent amplement la parole lors des festivités! Non pour demander des excuses au peuple marocain ou avancer des «mea culpa» comme rappel des massacres et des destructions de l’époque coloniale, mais pour donner des prescriptions, des consignes et des évaluations pour le présent et pour le futur de l’Etat africain. Et fonder la démocratie. Le monde apparaît, sans doute, aller à l’envers! Le Protectorat, dans sa forme de «pacification», perdure-t-il encore? Lyautey ne serait-il pas l’explication d’une telle contradiction insoluble? Il est, de manière implicite, connu comme le continuateur de l’héritage politique d’Idriss 1er en 787 qui va fonder la nation arabo-islamique pérennisée à son tour par les autres dynasties (souvent amazigh mais se revendiquant et de nom et d’idéologie arabo-islamiques), et après le Maréchal fonder la nation «moderne et arabe» (que vont pérenniser les successifs sultans alaouites).
En outre, Lyautey, comme tout Conquérant, vit à travers un miroir qui reflète son image, et ce cri narcissique qui se redore au moment de penser aux méfaits de la colonisation pour se dire l’air hautain: «La colonisation, ça ne fait que du bien!». Cela est explicité dans ses lettres intimes. Rechercher ce qu’on a perdu, le désespérément convoité, et à la fin de la recherche se hisse la satisfaction du Conquérant qui se permet de réorganiser le vécu africain. Satisfaction et pacification sont alors synonymes dans l’esprit du militaire victorieux. Cette vision positive, dite à tue-tête par le Maréchal, n’est-elle tracée que pour avoir des Français un «compte rendu» de leurs bienfaits sempiternels?
Ces deux faits nous mènent à réfléchir à l’héritage de Lyautey, auteur de ce concept: «militaire colonisateur, point positif dans le développement et la préservation du patrimoine local», ainsi est-il question de la mission civilisatrice. Les comptes rendus «objectifs» refont, au juste, l’histoire de l’insurrection marocaine pour bien innocenter les coups «génocidaires» des militaires français et espagnols. De ce fait, l’ambivalence va remuer longuement le discours occidental: un discours pour soi, et un autre à délivrer aux autres mais refait par le retour des reflets du miroir. Que retient-elle alors l’Histoire?
A Suivre ....