Par Ahmed R. Benchemsi
PESSIMISME
Les intérêts de Fouad Ali El Himma, c’est évident, sont le fil rouge de ce remaniement ministériel.
Au Maroc, décidément, le pessimisme ne nous laisse pas de répit. Dès qu’il s’assoupit et qu’on commence à se dire “tout ne va pas si mal, finalement”… une actualité nouvelle surgit, qui le relance de plus belle. C’est ainsi que lundi dernier, à la surprise générale, le roi Mohammed VI a remplacé cinq ministres dont ceux - cruciaux - de l’Intérieur et de la
Justice.
La plus grande victime du remaniement est sans conteste Chakib Benmoussa. On savait le ministre de l’Intérieur en sursis depuis des mois. Le fait qu’il ait été - selon une tradition makhzénienne désormais bien établie - le dernier informé de son propre limogeage, ainsi que de l’identité de son remplaçant, confirme sa disgrâce. Mais qu’est-ce qui l’a motivée ? On parle de l’expulsion illégale d’Aminatou Haïdar (revenue, telle un boomerang, dans la face de l’Etat), ainsi que des multiples dépassements qui ont marqué la campagne punitive contre la presse en 2009. Chakib Benmoussa payerait ainsi son “ignorance de la loi”. Balivernes ! Selon toute vraisemblance, Benmoussa, homme de compétence et de moralité, meilleur ministre de l’Intérieur que le Maroc ait eu depuis longtemps, se contentait d’appliquer des ordres qui le dépassaient. Sans doute se disait-il qu’avaler couleuvre après couleuvre relevait d’une certaine “raison d’Etat” - et peut-être n’avait-il pas tort. Il a juste oublié qu’au-delà d’un certain nombre de couleuvres avalées, on perd son âme et on devient un fusible commode, que la monarchie peut faire sauter à l’envi. C’est ce qui lui est arrivé, et il aura dorénavant tout le temps de méditer cette cruelle leçon…
Et puis, si la volonté de “restaurer l’Etat de droit” est la raison du remplacement de Benmoussa par Moulay Taïeb Cherkaoui, il y a, c’est le moins qu’on puisse dire, erreur de casting. Non que le nouveau ministre de l’Intérieur, éminent juriste, ait des casseroles visibles dans son sillage - il est bien trop malin pour cela. Mais que peut-on attendre de quelqu’un qui a été “l’homme du Palais” au ministère de la Justice (donc son véritable patron) pendant près de 30 ans - 30 ans d’instrumentalisation éhontée de la justice par le Pouvoir, sous Mohammed VI autant que sous Hassan II ?
Le nouveau ministre de la Justice, Mohammed Naciri, est lui aussi un éminent juriste, deux fois bâtonnier et patron du plus grand cabinet d’avocats d’affaires du pays - dont le client le plus prestigieux est Siger, le tentaculaire holding royal. Choisir son propre avocat pour diriger la justice du pays n’est assurément pas le meilleur message d’indépendance que pouvait envoyer Mohammed VI. De séparation des pouvoirs, il n’est d’ailleurs pas plus question sous Naciri que sous son prédécesseur, Abdelouahed Radi. Lui aussi informé au dernier moment de son limogeage, il déclarait à l’AFP, la veille encore : “La justice dépend directement du roi, et nous ne pouvons travailler qu’à l’intérieur de ce cadre”. On voit mal le nouveau ministre affirmer le contraire… A dire vrai, le limogeage de Radi n’est que l’ultime affront infligé à ce dernier par le Palais royal. Tout en refusant sa démission fin 2008 (Radi avait pourtant promis à ses militants de se consacrer à l’USFP, dont il avait été élu premier secrétaire), Mohammed VI l’avait chargé de “réformer la justice”. Un an plus tard, il l’a évincé… 3 jours à peine après que le pauvre Radi ait déposé 17 projets de loi, ossature supposée de ladite “réforme” !
Croyez-vous que l’USFP ait eu la décence de protester contre ce énième camouflet, par exemple en envisageant de quitter le gouvernement ? Pas du tout ! Dimanche dernier, l’ancien “parti des masses” a, au contraire, précipitamment validé la nomination au gouvernement de Driss Lachgar, jusque-là ardent défenseur de… la sortie de l’USFP de ce même gouvernement ! Un pas de plus dans le renoncement et l’indignité… Et une pierre de plus dans le jardin de Fouad Ali El Himma, qui a ainsi mis fin aux velléités de rapprochement de Lachgar avec les islamistes. Car El Himma, c’est évident, est le fil rouge de ce remaniement ministériel. Le leader du PAM et intime de Mohammed VI a enfin obtenu la tête du ministre de l’Intérieur, coupable d’avoir prétendu le gêner pendant les communales de juin 2009 (c’est sans aucun doute la vraie raison de la chute de Benmoussa) - et il a réussi à le faire remplacer par un homme dont on le dit très proche. En attendant qu’il ne le soit plus…
Moralité de tout cela : le pouvoir royal est plus absolu et imprévisible que jamais, et ses motivations profondes sont toujours aussi obscures et marquées par le jeu secret de la Cour…
Avec tout ça, comment ne pas être pessimiste ?
PESSIMISME
Les intérêts de Fouad Ali El Himma, c’est évident, sont le fil rouge de ce remaniement ministériel.
Au Maroc, décidément, le pessimisme ne nous laisse pas de répit. Dès qu’il s’assoupit et qu’on commence à se dire “tout ne va pas si mal, finalement”… une actualité nouvelle surgit, qui le relance de plus belle. C’est ainsi que lundi dernier, à la surprise générale, le roi Mohammed VI a remplacé cinq ministres dont ceux - cruciaux - de l’Intérieur et de la
Justice.
La plus grande victime du remaniement est sans conteste Chakib Benmoussa. On savait le ministre de l’Intérieur en sursis depuis des mois. Le fait qu’il ait été - selon une tradition makhzénienne désormais bien établie - le dernier informé de son propre limogeage, ainsi que de l’identité de son remplaçant, confirme sa disgrâce. Mais qu’est-ce qui l’a motivée ? On parle de l’expulsion illégale d’Aminatou Haïdar (revenue, telle un boomerang, dans la face de l’Etat), ainsi que des multiples dépassements qui ont marqué la campagne punitive contre la presse en 2009. Chakib Benmoussa payerait ainsi son “ignorance de la loi”. Balivernes ! Selon toute vraisemblance, Benmoussa, homme de compétence et de moralité, meilleur ministre de l’Intérieur que le Maroc ait eu depuis longtemps, se contentait d’appliquer des ordres qui le dépassaient. Sans doute se disait-il qu’avaler couleuvre après couleuvre relevait d’une certaine “raison d’Etat” - et peut-être n’avait-il pas tort. Il a juste oublié qu’au-delà d’un certain nombre de couleuvres avalées, on perd son âme et on devient un fusible commode, que la monarchie peut faire sauter à l’envi. C’est ce qui lui est arrivé, et il aura dorénavant tout le temps de méditer cette cruelle leçon…
Et puis, si la volonté de “restaurer l’Etat de droit” est la raison du remplacement de Benmoussa par Moulay Taïeb Cherkaoui, il y a, c’est le moins qu’on puisse dire, erreur de casting. Non que le nouveau ministre de l’Intérieur, éminent juriste, ait des casseroles visibles dans son sillage - il est bien trop malin pour cela. Mais que peut-on attendre de quelqu’un qui a été “l’homme du Palais” au ministère de la Justice (donc son véritable patron) pendant près de 30 ans - 30 ans d’instrumentalisation éhontée de la justice par le Pouvoir, sous Mohammed VI autant que sous Hassan II ?
Le nouveau ministre de la Justice, Mohammed Naciri, est lui aussi un éminent juriste, deux fois bâtonnier et patron du plus grand cabinet d’avocats d’affaires du pays - dont le client le plus prestigieux est Siger, le tentaculaire holding royal. Choisir son propre avocat pour diriger la justice du pays n’est assurément pas le meilleur message d’indépendance que pouvait envoyer Mohammed VI. De séparation des pouvoirs, il n’est d’ailleurs pas plus question sous Naciri que sous son prédécesseur, Abdelouahed Radi. Lui aussi informé au dernier moment de son limogeage, il déclarait à l’AFP, la veille encore : “La justice dépend directement du roi, et nous ne pouvons travailler qu’à l’intérieur de ce cadre”. On voit mal le nouveau ministre affirmer le contraire… A dire vrai, le limogeage de Radi n’est que l’ultime affront infligé à ce dernier par le Palais royal. Tout en refusant sa démission fin 2008 (Radi avait pourtant promis à ses militants de se consacrer à l’USFP, dont il avait été élu premier secrétaire), Mohammed VI l’avait chargé de “réformer la justice”. Un an plus tard, il l’a évincé… 3 jours à peine après que le pauvre Radi ait déposé 17 projets de loi, ossature supposée de ladite “réforme” !
Croyez-vous que l’USFP ait eu la décence de protester contre ce énième camouflet, par exemple en envisageant de quitter le gouvernement ? Pas du tout ! Dimanche dernier, l’ancien “parti des masses” a, au contraire, précipitamment validé la nomination au gouvernement de Driss Lachgar, jusque-là ardent défenseur de… la sortie de l’USFP de ce même gouvernement ! Un pas de plus dans le renoncement et l’indignité… Et une pierre de plus dans le jardin de Fouad Ali El Himma, qui a ainsi mis fin aux velléités de rapprochement de Lachgar avec les islamistes. Car El Himma, c’est évident, est le fil rouge de ce remaniement ministériel. Le leader du PAM et intime de Mohammed VI a enfin obtenu la tête du ministre de l’Intérieur, coupable d’avoir prétendu le gêner pendant les communales de juin 2009 (c’est sans aucun doute la vraie raison de la chute de Benmoussa) - et il a réussi à le faire remplacer par un homme dont on le dit très proche. En attendant qu’il ne le soit plus…
Moralité de tout cela : le pouvoir royal est plus absolu et imprévisible que jamais, et ses motivations profondes sont toujours aussi obscures et marquées par le jeu secret de la Cour…
Avec tout ça, comment ne pas être pessimiste ?