SEPT FRÈRES POUR UN ROYAUME (1728-1757)
Après 56 ans de règne, Moulay Ismaïl laisse à ses successeurs un royaume florissant. Mais l’essentiel n’a pas été assuré : dès la mort du vieux sultan, qui n’a laissé aucune consigne officielle, le royaume sombre dans une inextricable guerre de succession. Cette période d’anarchie durera trente ans.
Une nouvelle crise de succession
Moulay Ismaïl, sultan au harem mythique, laisse plusieurs centaines de fils. Même si, de son vivant, le sultan a écarté ou tué plusieurs de ses enfants rebelles, il n’a pas véritablement choisi entre ses deux fils préférés, Moulay Ahmed Addahbi et Moulay Abdelmalek. Résultat des courses, c’est un troisième fils, Moulay Abdellah, qui parvient à s’imposer après 18 années de lutte, non sans avoir entre-temps été déposé trois fois. Au début, la succession de Moulay Ismaïl semble se faire sans heurts. Moulay Ahmed est proclamé sultan par les Abid Al Boukhari grâce aux largesses qu’il leur octroie et qui lui valent le surnom d’Addahbi. Sa première préoccupation est de se défaire des hommes de son père, parfois fidèles à ses concurrents. Conséquence presque immédiate, les gouverneurs de Tanger et de Tétouan entrent en dissidence. Une anarchie généralisée éclate spontanément : brigandage, pillages, razzias et autres méfaits perpétrés par les Abid Al Boukhari et le guich des Oudayas. Les révoltes des tribus berbères se multiplient, l’insoumission de villes comme Fès et Meknès est à son comble. Elles sont régulièrement assiégées par les sept sultans qui se succèdent pendant dix-huit ans.
Les Abid Al Boukhari font la loi
Pendant la période d’anarchie qui suit la mort de Moulay Ismaïl, ce sont les Abid Al Boukhari et, dans une moindre mesure, le guich des Oudayas, qui font et défont les sultans. Ils offrent leur concours au mieux disant, à celui qui leur propose la meilleure solde. Faute d’accord, ils se livrent au pillage de Meknès qui, depuis le règne de Moulay Ismaïl, leur sert de garnison. Les sept frères en guerre n’ont de cesse de jouer à la fois sur la terreur que font régner les Abid et sur l’intérêt qu’ils peuvent tirer du soutien des tribus berbères. Mais, malgré l’anarchie, la continuité de la dynastie ne semble pas menacée : les soldats renversent certes les sultans, mais toujours pour les remplacer par de nouveaux sultans, choisis au sein de la famille alaouite.
La victoire de Moulay Abdellah
Les historiens ne sont pas d’accord sur le nombre de règnes de Moulay Abdellah. Il est cependant avéré que ce sont d’abord ses deux frères, Moulay Ahmed Addahbi et Moulay Abdelmalek, qui s’épuisent en guerres fratricides. Le premier meurt de maladie peu de temps après avoir fait étrangler le second. Moulay Abdellah monte alors une première fois sur le trône en 1729. Pour Henri Terrasse, historien théoricien du “bled siba”, explique que le nouveau sultan “ne tarde pas à se signaler par sa cruauté et ses destructions”. Après s’être imposé par les armes face à ses quatre autres concurrents, Moulay Abdellah entame, en 1745, un règne de 12 ans. Mais il ne jouira jamais de cette apparente stabilité. Jusqu’à sa mort, en 1757, il devra compter avec le pouvoir de nuisance du guich des Oudayas et des Abid Al Boukhari.
DE LA RENAISSANCE À L'AUTARCIE (1757-1822)
La mort de Moulay Abdellah coïncide avec la fin de la période d’anarchie. Sidi Mohammed, son fils, accède au trône sans difficulté, presque plébiscité. Mais son œuvre modernisatrice semble rétrospectivement gâchée par son fils Moulay Yazid. Le règne de Moulay Slimane (autre fils de Moulay Abdellah) qui, tout en sauvant les apparences sur la scène internationale, plonge le royaume en autarcie, ne fait que retarder le choc de l’impérialisme occidental.
Sidi Mohammed (1757-1790)
Un sultan enfin accepté
Sidi Mohammed fait ses preuves en tant que khalifa de son père à Marrakech d’où il a chassé son oncle rebelle Moulay Mostadi. A la demande de la population marrakchie, le sultan Moulay Abdellah lui donne la capitale mérinide à administrer, tâche dont le prince s’acquitte avec brio. C’est donc tout naturellement qu’il succède à son père. Son règne est marqué par un effort de modernisation sans précédent. Sa priorité est de mettre au pas les Abid et de reconstituer une armée avec les restes du guich des Oudayas. Il allège également les impôts et parvient à assainir la situation financière du pays. Sur le plan international, le souverain rayonne. Il reprend Mazagan aux Portugais en 1769 et fonde la ville de Mogador dont il confie la construction à l’architecte français Cournot.
Moulay Yazid (1790-1792)
Un intermède de terreur
Moulay Yazid tente de prendre le pouvoir du vivant de son père. D’abord fils chéri de Sidi Mohammed, il le trahit à plusieurs reprises avant que celui-ci ne cherche à l’éloigner du pouvoir en l’envoyant en pèlerinage à La Mecque. Moulay Yazid ne rend pas les armes pour autant. Entre autres faits héroïques, il pille une ambassade que son père a dépêchée à La Mecque. A la mort de Sidi Mohammed, Moulay Yazid qui, malgré ses violences, est apprécié pour sa haine viscérale des chrétiens et des juifs, n’a pas de mal à se faire accepter par les ouléma. Mais le nouveau sultan, réputé pour sa cruauté, ne tarde pas à se mettre à dos le sud du pays. Son frère, Moulay Hicham, est proclamé sultan à Marrakech. Moulay Yazid qui, en ardent combattant du jihad, avait alors ouvert une guerre avec l’Espagne, est obligé de se porter, avec ses troupes, au devant de son frère. Il meurt des suites d’une blessure sur le champ de bataille. En deux ans de règne, il se sera rendu célèbre par ses exactions envers la communauté juive et par une guerre sans succès menée contre l’Occident.
Moulay Slimane (1792-1822)
Un règne mitigé
Moulay Slimane est, selon les historiens, préféré à ses frères “à cause de sa piété, de sa réserve et de son intelligence”. “Jamais, raconte Al Nasri dans son Kitab Al Istiqsa (1936), il n’avait eu de goût pour les plaisirs favoris de ses frères aînés et cadets, comme la chasse, la musique, les plaisanteries des courtisans et tout ce qui porte atteinte à la dignité”. Moulay Slimane doit néanmoins, pendant quatre ans, faire face à la révolte de trois de ses frères, dont l’épidémie de peste de l’hiver 1796 le débarrasse finalement. Une épidémie qui aura également pour conséquence de réduire les échanges commerciaux du royaume avec ses voisins. La grande affaire de Moulay Slimane reste pour autant religieuse : il lutte contre les confréries dont il interdit les moussems. A la fin de son règne, les berbères du Moyen-Atlas qui se sont unis parviennent à le battre, à prendre Fès et à proclamer Moulay Saïd, son fils, nouveau sultan. Moulay Slimane rétablit son trône in extremis et choisit d’abdiquer en faveur de son neveu. Il meurt en 1822, laissant à son successeur un pays affaibli et recroquevillé sur lui-même.
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