par Kamel Daoud
C'est quoi une néo-dé-colonisation fictive ? C'est reprendre les armes, le maquis, l'hymne et la révolution, mais en s'inventant une armée d'occupation qui n'existe pas, juste pour occuper le terrain ou occuper le peuple. En Algérie, on peut en effet devenir ancien Moudjahid longtemps après le départ du dernier colon. Pour être plus directe, la criminalisation de la colonisation française a déjà été un verdict de l'histoire de l'Algérie et peut se passer d'avocats et surtout du genre à demander à être payé, en tout cas, avec des comités «brusque» à la fausse naissance spontanée. Le projet de loi qui veut criminaliser la colonisation française et qui aurait été signé par 125 députés et déposé sur le bureau de Ziari qui ne sait pas quoi en faire sans indication précise de sa hiérarchie politique, est certes un scénario de réparation qui pourra rappeler à la France et au monde que coloniser n'est pas construire et tuer n'est pas sourire, mais il se trouve que ce projet sonne comme un fonds de commerce et va très peu emballer des Algériens dévitalisés de l'histoire nationale et réduit à des zappeurs plutôt qu'à des témoins à charge contre l'ancien colon. La France coloniale a commis un crime, mais ceux qui tentent d'en faire une loi en Algérie commettent un début d'arnaque sur le sens, selon la majorité encore indifférente. «Demander que la France s'excuse pour une évidence, c'est transformer une victoire en une défaite» résumera un collègue ancien chroniqueur des années de meurtre. Et c'est formidablement vrai.
Ce récent projet sent donc un peu cette mauvaise odeur du débat identitaire en France. Ici et là-bas, il y a encore des vendeurs de cadavres, minoritaires mais avec une voix stridente. En plus profond, il s'agit d'un meuble plus que d'une lutte est-on tenté de croire. Après le match du Soudan entre l'Algérie et l'Ex-Egypte, il y a eu trois cadavres : l'un physique (l'Ex-Egypte en campagne de reproduction présidentielle) et deux cadavres idéologiques : l'islamisme et le néo-nassérisme. Ici en Algérie, c'est un match de foot qui a réussi à parachever la liquidation de deux grandes illusions utopistes et émotionnelles «arabe» : l'arabité et la barbe. On comprendra alors qu'il ne restera plus rien à des courants nationalistes locaux qui ont fondé leur légitimité sur ces deux fleuves de nos amertumes. Que peuvent vendre aujourd'hui des partis comme le FLN à un peuple qui a compris qu'il est algérien et qui veut vivre ici et maintenant ? Comment rester dans la ligne de visibilité sans s'appuyer sur l'unité arabe fantasmatique ou le fond politisé de l'identité religieuse ? Que dire à un peuple qui court plus vite que soi et qui a compris qu'il est en avance sur ses militants démodés ? Comment capter son attention ? En lui inventant un remake de la guerre de libération et un nouveau spectacle d'héroïsme oral avec des martyrs que va épuiser la conjugaison et pas le maquis. C'est la dernière idéologie de rechange après le néo-nassérisme et l'islamisme soft. Les Algériens vont regarder puis s'occuper de leurs affaires. La raison ? Ils veulent un effet domino absolu : la colonisation a été un crime, la décolonisation a été transformée en crime. Les Algériens veulent les excuses de tous ceux qui ont fait mal à ce pays, l'ont colonisé, mangé, morcelé, détruit ou dépensé comme leur propre argent de poche. A commencer par la France et jusqu'à Sonatrach.
Le Quotidien d'Oran