Dans notre monde globalisé, quand la demande pour un produit est supérieure à l’offre, c’est partout dans le monde que la hausse des prix se ressent. Après le pétrole, les métaux, c’est aujourd’hui nos matières premières les plus sensibles et les plus vitales qui manquent : les céréales, base de toute l’alimentation humaine. Le point sur les conséquences et sur quelques pistes de moyens d’action pour éviter une famine globale.
Depuis un peu plus d’un an, j’évoque sur mon blog et sur Agoravox l’envolée des prix des produits agricoles (voir : "Vers une hausse des prix agricoles ?" du 29 janvier 2007). Le 20 mars 2007, dans mon article "La rareté et les crises alimentaires à venir" (ou "La fin des produits agricoles à bas prix" dans la version Agoravox), j’écrivais : "si les prix doublent, cela aura un impact non négligeable sur notre inflation et notre pouvoir d’achat (+15 %, reste à voir en combien de temps), mais ce sera un tsunami pour les plus pauvres. Et, hélas, les malchanceux vivant dans les mauvaises régions souffriront vite de famines. Si les prix triplaient, c’est tout le continent africain qui retomberait dans la malnutrition, mais aussi l’ensemble des pays émergents qui seraient menacés. Si les prix décuplaient... je ne préfère pas imaginer les conséquences". Depuis six mois, les prix augmentent effectivement (+60 % sur un an selon The Economist) et, depuis quelques semaines, nous commençons à en percevoir les conséquences. De nombreux pays ont ainsi vu leur population provoquer récemment des "émeutes de la faim".
Dès 2006, le prix du maïs avait fortement augmenté avec le décollage des biocarburants américains. Et, en 2007, les Mexicains, dont les tortillas quotidiennes sont essentiellement composées de maïs, avaient manifesté leur mécontentement quand le prix de détail de la farine avait augmenté. En 2007, c’est le prix du blé qui a explosé, suite à une année de récolte particulièrement mauvaise. Et conséquence, début 2008 apparaissent des émeutes de la faim, en Afrique et à Haïti et on ne peut que le comprendre. Si vous dépensiez 80 % de vos revenus rien que pour votre nourriture, comment faites-vous quand son prix augmente subitement de 60 % ?! Et, depuis quelques semaines, c’est le prix du riz qui s’envole. Nul doute que, dans quelques mois, le temps que la hausse se répercute sur les prix de détail, les rues du Cambodge, du Laos, du Bangladesh, mais aussi de Chine et d’Inde, seront le théâtre d’autres émeutes de la faim. A partir de cette année, et tant que les prix resteront aussi élevés, la famine s’installera vraisemblablement dans des dizaines de pays supplémentaires dans le monde.
Le phénomène s’amplifiera dans les pays non autosuffisants en nourriture, car la tentation protectionniste ("gardons notre nourriture chez nous") est grande dans les pays producteurs. Nombre d’entre eux (Argentine, Inde, Russie...) ont ainsi déjà instauré ou augmenté les taxes à l’exportation sur les céréales. Certaines denrées sont même purement interdites à l’exportation. L’offre disponible pour les pays dépendants se réduit ainsi sur le marché, ce qui a été la cause d’un bond de 30 % en un seul jour du prix du riz en mars notamment ! Les Etats essaieront probablement de limiter la hausse, en subventionnant (certains le font déjà) les denrées de base. Mais, bien que cela améliore le sort des plus démunis, cela aura vite un coût insupportable pour leurs finances publiques.
Les moins sensibles de mes lecteurs se diront peut-être que, des pauvres et des famines, il y en a déjà et que l’on arrive quand même à vivre dans nos pays développés sans trop de problèmes. Mais ce serait ignorer l’instinct de survie de l’homme. Si, demain, vos revenus ne vous permettaient plus d’acheter de quoi manger à votre faim, au point que vous puissiez entrevoir votre mort de faim prochaine, croyez-moi, vous tenteriez tout pour survivre. Vous déclencheriez des émeutes, vous voleriez, vous tueriez peut-être. Et vous essaierez de partir là où d’autres mangent à leur faim. Clairement, c’est une vague d’immigration massive (comptez en centaines de millions d’individus) qui attend l’Europe et l’Amérique du Nord ! Et nous savons que les famines favorisent les maladies et même les pandémies. Vivant tous dans un monde globalisé, nous sommes tous concernés !
A-t-on des moyens d’agir ? Peut-on éviter un désastre ?
Lancer des programmes humanitaires pour envoyer des paquets de riz en Afrique ? Bien sûr, il faut le faire très vite ! Mais le problème ne sera que retardé, pas réglé. Et, comme il y a plus de gens nécessiteux que de donateurs potentiels en Occident, ce sera insuffisant.
Ce qu’on peut faire à court terme, c’est utiliser moins de biocarburants dont on s’est rendu compte assez vite qu’ils n’étaient pas vraiment plus "verts" que l’essence pétrolière et dont on va se rendre compte très vite qu’ils constituent une sorte de "crime contre l’humanité" comme l’a dit en octobre 2007 Jean Ziegler, alors rapporteur des Nations unies sur le droit à l’alimentation, car il faut autant de céréales pour faire le plein d’éthanol dans un 4x4 que pour nourrir une personne pendant une année !
Une autre solution réside - paradoxalement - dans une des causes de ces augmentations de prix : il faut cinq fois plus d’hectares pour produire une calorie de viande qu’une calorie de céréales et les habitants des pays en développement en consomment de plus en plus. Autrement dit, étant donné que la surface cultivable est limitée à court terme, si nous mangeons moins de viande en Europe, nous pourrons exporter plus de céréales dans les pays les plus nécessiteux (voir liste en fin d’article). Mais je ne suis pas sûr que nous soyons prêts à choisir un plat de pâtes au beurre en lieu et place de notre steak. Je ne suis pas sûr que nous soyons capables d’une telle générosité, d’un tel sacrifice. "Heureusement", le marché a cet aspect autorégulateur : la hausse des prix va forcer de nombreux consommateurs partout dans le monde à faire ce "choix".
Il faut aussi et surtout, même si cela ne portera ses fruits (ainsi que ses légumes et ses céréales !) que dans quelques années, investir dans l’agriculture des pays pauvres. Si l’Afrique utilisait les mêmes techniques, outils, engrais et moyens de transport que l’Europe et les États-Unis, elle pourrait nourrir son milliard d’habitants actuel et même plus (2 milliards en 2050 selon les projections de l’ONU). Il faut pour cela développer le crédit (micro ou pas) et c’est la Banque mondiale et le Fonds monétaire international qui doivent jouer leur rôle (ce qui tombe bien au moment où ils s’en cherchaient un). Vu le niveau actuel des prix, ces nouvelles exploitations agricoles n’auront aucun mal à être rentables et à rembourser les prêts octroyés. C’est gagnant gagnant.
En combinant les deux leviers d’actions précités, si nous voulions vraiment éviter ces famines et sauver ces gens, nous instaurerions une taxe sur la viande dans tout l’Occident et utiliserions les sommes au développement agricole des pays pauvres de la planète. A nous de décider ce que nous voulons faire.
www.NonALaDette.fr
Pour information, la liste des pays les plus touchés par les pénuries de denrées alimentaires selon la FAO :
Afrique : Burundi, Centrafrique, Côte-d’Ivoire, Erythrée, Ethiopie, Ghana, Guinée, Guinée-Bissau, Kenya, Lesotho, Liberia, Mauritanie, Ouganda, République démocratique du Congo, République du Congo, Sierra Leone, Somalie, Soudan, Swaziland, Tchad et Zimbabwe.
Asie : Afghanistan, Bangladesh, Corée du Nord, Indonésie, Irak, Népal, Pakistan, Sri Lanka et Timor oriental.
Amérique latine : Bolivie, Haïti, Nicaragua et République dominicaine.
Europe : Moldavie et Tchétchénie (Fédération de Russie). |