Mais sans de Gaulle l’Algérie n’aurait certainement pas été indépendante en 1962,
Le hasard, en cette année universitaire 2005-2006, a orienté mes recherches vers deux événements dans lesquels de Gaulle a été partie prenante : le procès de Nuremberg et l’indépendance de l’Algérie.
Double surprise : le Général, qui était tellement soucieux du rang de la France dans le monde et utilisait tout moyen pour l’affirmer et l’affermir, ne s’est guère intéressé à la préparation du procès des dirigeants nazis, et moins encore à son déroulement, alors que le pays qu’il dirigeait (jusqu’au 20 janvier 1946 -justement le mois-charnière du procès) en était l’un des organisateurs, théoriquement sur un pied d’égalité avec les trois autres ; en revanche, alors qu’on présente ordinairement la décolonisation comme un processus inéluctable et, en conséquence, l’indépendance de l’Algérie comme fatale, avec ou sans de Gaulle, j’ai abouti, sous l’inspiration et la stimulation de Jacques Baumel, à une conclusion différente : sans son action à la fois patiente et opportuniste, les partisans de l’Algérie française auraient pu retarder l’échéance pendant de nombreuses années encore en aggravant les pertes de toute nature, et on ne peut même exclure que quelque préside, analogue à ceux de Ceuta et de Melilla, ait subsisté jusqu’à nos jours. De même, cette indépendance aurait pu, à la satisfaction générale, n’être pas complète et les deux pays garder des liens organiques, si de Gaulle avait soustrait assez tôt la masse des pieds-noirs aux bergers aveugles qu’elle a suivis presque jusqu’à la fin : elle ne s’était en effet rebellée, du moins contre l’OAS, que pour sauver sa peau lors de l’exode terminal, interdit sous peine de mort par la célèbre organisation terroriste, heureusement privée des moyens d’imposer ses vues. Le devenir de l’Afrique du Sud, permis par l’assagissement final de la minorité blanche, offre un support pour imaginer, à l’autre extrémité du continent, le maintien sur place d’une forte proportion des colons européens sous un pouvoir majoritairement indigène. Loin d’être un menteur et un traître, résolu depuis le départ à remettre l’Algérie à un gouvernement musulman ivre de vengeance contre les colonisateurs, de Gaulle a poursuivi une solution moyenne et l’a manquée faute d’une coopération suffisante des intéressés, réussissant tout de même un divorce aux moindres frais.
Cette séparation de la France et de l’Algérie, somme toute rapide compte tenu de l’impasse dans laquelle on s’était enfoncé entre 1954 et 1958, est un exploit plus considérable encore que l’appel immédiat à la résistance contre le pétainisme, suivi d’effet à peu près dans le même délai. Sans de Gaulle il y aurait eu de toute manière une résistance et elle aurait pris la tête du pays en 1944 -probablement avec un peu plus de soubresauts et en tenant la dragée moins haute aux Anglo-Saxons (à ceci près que l’appoint de la France libre, même s’il était symbolique et justement parce qu’il l’était, a joué son rôle pour empêcher un premier ministre très secoué, nommé Churchill, d’être renversé par Halifax en juin 1940). Mais sans de Gaulle l’Algérie n’aurait certainement pas été indépendante en 1962, les partisans de cette solution, communistes, socialistes de diverses nuances, chrétiens de gauche ou libéraux intelligents tels que Raymond Aron, étant bien incapables, et de conjuguer durablement leurs efforts, et d’imposer leur point de vue aux forces armées. Même s’ils ont compté, bien sûr, comme une piétaille critique et grognarde, réticente encore aujourd’hui (personnellement ou par famille politique interposée) à reconnaître pleinement le mérite de celui qui a trouvé la sortie.
Voici donc une occasion d’élargir et d’affiner une méditation sur le rôle des grands hommes dans l’histoire, commencée vers 1990 par le constat qu’en 1940 s’étaient affrontés, avant tout, deux volontés et deux talents, notamment oratoires, à la tête respectivement de l’Allemagne et de l’Angleterre. C’est l’occasion, en particulier, de mieux repérer ce qui bloque la réflexion, ce qui entrave l’historien quand il essaye de tracer une ligne de partage entre le chef et les masses ou, pour employer le langage initié par Pierre Renouvin, « les décideurs et les forces profondes ». L’ennemi principal n’est sans doute pas une méfiance dictée par Marx, et relayée par l’école des Annales, envers l’histoire-bataille et le primat des idées sur la matière. Ce qui gêne pour rendre justice au chef, quand c’est bien lui qui commande, c’est plutôt, à chaque fois, une volée de considérations individuelles, sur sa personne même, qu’on peut résumer d’un mot : le moralisme. Churchill ? un ivrogne. De Gaulle ? un ambitieux. Hitler ? un excité brouillon, un autodidacte paresseux. C’est bien la polarisation sur le secondaire -et sa fréquente exagération, voire son invention pure et simple-, dans la personnalité même des dirigeants, qui empêche de voir l’essentiel, d’analyser froidement quelle place ils ont tenue dans la définition et la mise en œuvre d’une politique.
Le vulgaire ramène tout à lui. On se grandit en élevant le regard. L’historien n’échappe pas à cette loi.
18 juin 2006 : de Gaulle
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Ouvrons le debat:
Par ce vieux dicton "que dieu maudisse DEGAULE de vous avoir donner l'independance"
Pronnoncer par des vieux algeriens en dispute dans des cafés maures.
Le hasard, en cette année universitaire 2005-2006, a orienté mes recherches vers deux événements dans lesquels de Gaulle a été partie prenante : le procès de Nuremberg et l’indépendance de l’Algérie.
Double surprise : le Général, qui était tellement soucieux du rang de la France dans le monde et utilisait tout moyen pour l’affirmer et l’affermir, ne s’est guère intéressé à la préparation du procès des dirigeants nazis, et moins encore à son déroulement, alors que le pays qu’il dirigeait (jusqu’au 20 janvier 1946 -justement le mois-charnière du procès) en était l’un des organisateurs, théoriquement sur un pied d’égalité avec les trois autres ; en revanche, alors qu’on présente ordinairement la décolonisation comme un processus inéluctable et, en conséquence, l’indépendance de l’Algérie comme fatale, avec ou sans de Gaulle, j’ai abouti, sous l’inspiration et la stimulation de Jacques Baumel, à une conclusion différente : sans son action à la fois patiente et opportuniste, les partisans de l’Algérie française auraient pu retarder l’échéance pendant de nombreuses années encore en aggravant les pertes de toute nature, et on ne peut même exclure que quelque préside, analogue à ceux de Ceuta et de Melilla, ait subsisté jusqu’à nos jours. De même, cette indépendance aurait pu, à la satisfaction générale, n’être pas complète et les deux pays garder des liens organiques, si de Gaulle avait soustrait assez tôt la masse des pieds-noirs aux bergers aveugles qu’elle a suivis presque jusqu’à la fin : elle ne s’était en effet rebellée, du moins contre l’OAS, que pour sauver sa peau lors de l’exode terminal, interdit sous peine de mort par la célèbre organisation terroriste, heureusement privée des moyens d’imposer ses vues. Le devenir de l’Afrique du Sud, permis par l’assagissement final de la minorité blanche, offre un support pour imaginer, à l’autre extrémité du continent, le maintien sur place d’une forte proportion des colons européens sous un pouvoir majoritairement indigène. Loin d’être un menteur et un traître, résolu depuis le départ à remettre l’Algérie à un gouvernement musulman ivre de vengeance contre les colonisateurs, de Gaulle a poursuivi une solution moyenne et l’a manquée faute d’une coopération suffisante des intéressés, réussissant tout de même un divorce aux moindres frais.
Cette séparation de la France et de l’Algérie, somme toute rapide compte tenu de l’impasse dans laquelle on s’était enfoncé entre 1954 et 1958, est un exploit plus considérable encore que l’appel immédiat à la résistance contre le pétainisme, suivi d’effet à peu près dans le même délai. Sans de Gaulle il y aurait eu de toute manière une résistance et elle aurait pris la tête du pays en 1944 -probablement avec un peu plus de soubresauts et en tenant la dragée moins haute aux Anglo-Saxons (à ceci près que l’appoint de la France libre, même s’il était symbolique et justement parce qu’il l’était, a joué son rôle pour empêcher un premier ministre très secoué, nommé Churchill, d’être renversé par Halifax en juin 1940). Mais sans de Gaulle l’Algérie n’aurait certainement pas été indépendante en 1962, les partisans de cette solution, communistes, socialistes de diverses nuances, chrétiens de gauche ou libéraux intelligents tels que Raymond Aron, étant bien incapables, et de conjuguer durablement leurs efforts, et d’imposer leur point de vue aux forces armées. Même s’ils ont compté, bien sûr, comme une piétaille critique et grognarde, réticente encore aujourd’hui (personnellement ou par famille politique interposée) à reconnaître pleinement le mérite de celui qui a trouvé la sortie.
Voici donc une occasion d’élargir et d’affiner une méditation sur le rôle des grands hommes dans l’histoire, commencée vers 1990 par le constat qu’en 1940 s’étaient affrontés, avant tout, deux volontés et deux talents, notamment oratoires, à la tête respectivement de l’Allemagne et de l’Angleterre. C’est l’occasion, en particulier, de mieux repérer ce qui bloque la réflexion, ce qui entrave l’historien quand il essaye de tracer une ligne de partage entre le chef et les masses ou, pour employer le langage initié par Pierre Renouvin, « les décideurs et les forces profondes ». L’ennemi principal n’est sans doute pas une méfiance dictée par Marx, et relayée par l’école des Annales, envers l’histoire-bataille et le primat des idées sur la matière. Ce qui gêne pour rendre justice au chef, quand c’est bien lui qui commande, c’est plutôt, à chaque fois, une volée de considérations individuelles, sur sa personne même, qu’on peut résumer d’un mot : le moralisme. Churchill ? un ivrogne. De Gaulle ? un ambitieux. Hitler ? un excité brouillon, un autodidacte paresseux. C’est bien la polarisation sur le secondaire -et sa fréquente exagération, voire son invention pure et simple-, dans la personnalité même des dirigeants, qui empêche de voir l’essentiel, d’analyser froidement quelle place ils ont tenue dans la définition et la mise en œuvre d’une politique.
Le vulgaire ramène tout à lui. On se grandit en élevant le regard. L’historien n’échappe pas à cette loi.
18 juin 2006 : de Gaulle
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Par ce vieux dicton "que dieu maudisse DEGAULE de vous avoir donner l'independance"
Pronnoncer par des vieux algeriens en dispute dans des cafés maures.