En dépit de l’importance vitale pour son économie de l’ouverture de la frontière, Rabat ne fait aucun effort pour convaincre l’Algérie d’accepter cette requête. En effet, elle ne veut rien offrir en contrepartie, alors qu’Alger exige un apurement de tous les contentieux existant entre les pays pour rouvrir la frontière, fermée en août 1994 suite aux attentats de Marrakech qui avaient vu le gouvernement marocain accuser l’Algérie d’en être responsable. Plus grave, le makhzen avait même décidé d’instaurer le visa pour les ressortissants algériens désireux se rendre au Maroc, d’où l’application d’une mesure réciproque par Alger. Bien que celle-ci ait été levée de part et d’autre par la suite, la frontière demeure toujours fermée parce que la partie algérienne veut un règlement de tous les dossiers en instance entre les deux pays, avant d’aborder enfin cette question. Alger reste convaincue que le projet de l’Union du Maghreb arabe ne peut aboutir sans un assainissement global de tous les dossiers restés en suspens ces dernières années entre l’Algérie et le Maroc. Pour rappel, Noureddine Yazid Zerhouni, ministre algérien de l’Intérieur, avait clairement averti, en réponse aux nombreux appels de ses homologues marocains à la réouverture de la frontière, qu’“il ne s'agit pas de construire un Maghreb où les uns gagnent et les autres perdent. Le Maghreb ne se limite pas seulement au Maroc et à l'Algérie. Il faut que tous les peuples qui se trouvent dans cet ensemble trouvent leur place”. Il avait également dit que la question était liée à “une approche globale” de l'avenir du Maghreb, ajoutant que “le problème de la circulation des biens et des personnes aux frontières entre l'Algérie et le Maroc ne peut être dissocié d'une approche globale de ce que nous voulons faire de notre Maghreb”. Zerhouni avait aussi demandé à Rabat de présenter des garanties en soulignant que “la réouverture s’opère par une simple décision, mais là n’est pas le problème. Pour une telle éventualité, il faut que le citoyen algérien, une fois sur le territoire du royaume, ait les garanties pour circuler librement et dans la dignité”. Pour en revenir aux questions devant être réglées en priorité entre les deux parties, figure celle des terres des Algériens spoliées au Maroc, que ce dernier refuse d’indemniser alors que tous les autres ressortissants étrangers, qui ont été victimes de cette expropriation, l’ont été. Dans ce cadre, il y a lieu de relever que dans le cas où Rabat accepterait de trouver une solution à cette question des terres, que ce soit leur restitution ou l’indemnisation des propriétaires, tout indique qu’elle sera la principale bénéficiaire, car en contrepartie, elle obtiendra la réouverture de la frontière, laquelle permettra au Maroc oriental de retrouver son activité économique.
Le Maroc oriental ressuscitera
Pour rappel, la mesure de la fermeture de la frontière a eu l’effet d’un séisme financier pour le Maroc oriental, dont les opérateurs économiques réalisaient jusque-là annuellement avec l’Algérie un chiffre d’affaires estimé à plusieurs centaines de millions de dollars. Ce fut la ruine pour l’économie de cette partie du Maroc, sans parler des familles qui ne vivaient que de la contrebande de produits algériens. Depuis 1994, les conditions de vie se sont énormément dégradées dans les villes limitrophes de l’Algérie, notamment Oujda. Il en résultera la multitude d’appels en direction du gouvernement marocain afin de tout faire pour la réouverture de la frontière. Certes, la contrebande, surtout de carburants, bat son plein, malgré toutes les mesures des services de sécurité algériens, mais cela ne suffit pas. Si le chiffre d’affaires du commerce informel à travers la contrebande est estimé à près d’un demi-milliard de dollars par an en faveur du Maroc, la réouverture de la frontière rapportera au Makhzen entre deux et trois millions d’euros/jour, soit pas loin d’un milliard d’euros annuellement. Ainsi, la partie orientale du Maroc ne ressuscitera économiquement que si la frontière est ouverte de nouveau. Cela explique pourquoi les responsables marocains ne ratent aucune occasion d’insister pour qu’Alger accède à cette requête. Pour ce faire, les responsables marocains devront se mettre autour d’une table avec leurs homologues algériens pour traiter toutes les affaires en suspens, dont celle des terres des Algériens spoliées en violation des accords bilatéraux en la matière. Rabat posera, sans aucun doute, l’affaire des Marocains expulsés d’Algérie après la crise de 1975 entre les deux pays en raison du conflit du Sahara occidental. Ce cas-là est totalement différent de celui des Algériens dépossédés de leurs terres au Maroc, parce que les Algériens sont des propriétaires alors que l’écrasante majorité des Marocains renvoyés chez eux, par mesure de réciprocité après les représailles du Makhzen contre nos ressortissants, étaient des travailleurs, particulièrement dans l’agriculture “khamassine”, ne possédant pratiquement pas de biens en Algérie.
Le royaume chérifien bénéficiera du flux de touristes algériens
Outre les bénéfices que tirera la partie orientale du Maroc de la réouverture de la frontière, ce pays pourra également profiter d’une autre manne financière très importante que lui apporteront les touristes algériens. Ces derniers, qui se rendent actuellement en Tunisie en raison des facilités qui leur sont offertes, comme la possibilité de se déplacer par route, seront fort nombreux à se diriger vers l’Ouest une fois la possibilité de s’y rendre par voie terrestre devenue effective. Bien que jusqu’à maintenant, ils ne puissent se rendre au Maroc que par avion, ce qui leur revient cher, les Algériens qui ont les moyens n’hésitent pas à y aller. C’est dire qu’ils seront des centaines de milliers à changer de destination, car nul n’ignore les affinités existant entre les Algériens et les Marocains en dépit de tous les problèmes politiques entre les gouvernements algérien et marocain. Il va sans dire que la ruée des touristes algériens vers l’Ouest serait vue d’un très bon œil par nos voisins, car elle contribuera à agrandir les revenus du tourisme dans ce pays, où ce secteur jouit d’un intérêt particulier de la part de l’État, pour la simple raison qu’il représente sa plus importante source de rentrée financière.
Il appartient donc au Makhzen de faire le nécessaire pour que des discussions sérieuses soient entamées par les deux capitales dans les meilleurs délais parce qu’ils ne fait aucun que doute que sans le dialogue, rien ne sera réglé, d’autant plus qu’il semble exister un accord tacite pour laisser de côté le conflit du Sahara occidental.