Energie. Un gazoduc en phase terminale
Pour ne pas être dépendant de l’Algérie, le Maroc a longtemps refusé de se servir du pipeline Maghreb-Europe dont un tiers traverse son territoire. (AFP)
Pour éviter de se retrouver dépendant du pipeline algérien, le Maroc mise sur la construction d’un terminal portuaire pour l’importation de gaz naturel liquéfié. Vieille histoire d’un gazoduc et contours d’un nouveau projet.
A côté du solaire et de l’éolien, le gaz naturel est l’une des plus importantes composantes de la nouvelle stratégie énergétique du pays. Néanmoins, si ces deux premières sources d’énergie font l’objet de plans ambitieux, le royaume reste très en retard sur le gaz naturel. Le
plan gazier élaboré en 2003, qui visait à porter à 20% en 2020 (contre 4% actuellement) la contribution de ce combustible dans la production d’énergie, n’a effectivement jamais pu être mis en place. Aujourd’hui, le voilà remis sur le tapis avec l’annonce, en mai dernier, de la signature d’une convention entre le holding royal SNI et le groupe Akwa pour la mise en place d’un terminal portuaire de traitement de gaz naturel liquéfié (GNL). Nuance, apportée par ce haut patron qui a fait une bonne partie de sa carrière dans le domaine de l’énergie : “Depuis sept ans, les études se suivent et se ressemblent, sans aucun résultat concret”.
En effet, en février 2006 déjà, une convention quasi identique avait été signée entre le ministère de l’Energie, Akwa Holding, l’Office national de l’électricité (ONE) et la raffinerie La Samir. Les études étaient même finalisées et un projet ficelé avait été déposé au gouvernement. Quelques mois plus tard, la proposition du consortium avait été définitivement enterrée par la ministre de l’Energie, Amina Benkhadra. “Dans ce plan d’équipement, il n’y avait aucune assurance sur la disponibilité du gaz. Nous ne pouvions pas le bâtir sur des capacités en gaz dont l’approvisionnement n’était pas garanti”, a déclaré la ministre à la
presse, en janvier 2009. Ainsi, ce sont les sources d’approvisionnement qui poseraient problème. Pourtant, l’un des plus grands exportateurs au monde de gaz naturel n’est autre que le voisin algérien. Une bonne partie de son gaz acheminé vers l’Europe passe d’ailleurs par un gazoduc qui traverse le territoire national. Un pipeline qui avait autrefois symbolisé la reprise des relations commerciales entre les deux Etats. L’histoire remonte à une vingtaine d’années déjà.
Négociations ratées
Cet expert du Maghreb se souvient encore de la venue du président algérien au début de l’année 1989. “Hassan II avait reçu Chadli Bendjedid dans le palais royal de Fès. Ce dernier avait fait le déplacement avec quasiment tout son gouvernement pour signer un protocole d’accord pour la création d’une société algéro-marocaine chargée de piloter les études pour le gazoduc”, raconte-t-il. La ratification de cet accord était la consécration d’une ouverture politique entre les deux pays. “Le choix de construire un gazoduc s’expliquait par deux faits : la technique de pose d’un gazoduc en eaux profondes était depuis peu maîtrisée par la compagnie italienne SAIPEM, et le marché espagnol d’énergie était en pleine croissance. Le Maroc, lui, y trouverait son compte grâce aux royalties qu’il en tirerait”, explique Francis Ghilès, spécialiste des questions énergétiques et de l’intégration économique au Maghreb, dans un récent entretien publié sur le site web de l’Institut Amadeus. Il ajoute : “La perspective d’achat par le Maroc de gaz algérien (au-delà des quantités offertes par les royalties) s’ouvrait également, et cela permettait au royaume de satisfaire ses besoins croissants, notamment à Jorf Lasfar et à Casablanca”.
Dans la même interview, Ghilès livre même des révélations croustillantes sur les détails des tractations entre les deux pays. “Ces négociations aboutirent au début des années 1990 à un accord pour construire le gazoduc Pedro Duran Farrell. Le Maroc a commis néanmoins deux maladresses : la première fut d’insister pour obtenir des royalties de 7% du flux de gaz ( la Tunisie avait accepté 5,5% pour le gazoduc Enrico Mattei qui reliait l’Algérie à l’Italie depuis 1983) ; la seconde fut de refuser une participation de l’Algérie au capital de la partie sous marine du nouveau gazoduc, alors que tel était le cas pour la partie sous-marine du gazoduc Enrico Mattei. En plus, le Maroc, qui s’était initialement engagé à acheter 1 milliard de mètres cubes de gaz algérien par an au-delà des royalties, a retiré cette offre juste avant la signature du contrat”.
Royalties du gaz
Le royaume avait donc la possibilité dès le début des années 1990 de sécuriser son approvisionnement en gaz naturel en signant le contrat avec les Algériens. Mais quelques mois seulement après le lancement des travaux de ce pipeline de 1400 kilomètres de longueur (dont 548 au Maroc), les relations entre les deux pays se sont à nouveau détériorées. Conséquence : le gaz est devenu non grata dans le bouquet énergétique du royaume, afin de ne pas se retrouver dépendant vis-à-vis de l’Algérie. Même pour les droits de passage, le Maroc va pendant longtemps préférer les encaisser en devises (voir infographie) plutôt qu’en nature. Ce n’est qu’en 2005, avec la finalisation de la centrale électrique de Tahaddart, que l’on a commencé à se servir modestement du pipeline Maghreb-Europe qui traverse notre territoire.
Aujourd’hui encore, les deux pays se regardent toujours en chiens de faïence. L’Algérie préfère contourner le sol marocain pour renforcer sa capacité de transport vers l’Espagne via l’installation d’un gazoduc maritime Medgaz (opérationnel dans quelques semaines). Le Maroc, de son côté, préfère miser sur l’importation de gaz liquéfié, d’où ce nouveau projet de terminal portuaire. “Le Maroc a tout intérêt à ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier et diversifier ses approvisionnements. Mais écarter définitivement un accord commercial avec l’Algérie ne serait pas forcément à son avantage, explique notre expert. Puiser directement dans le gazoduc est une option nettement moins coûteuse que d’importer du gaz liquéfié avec toute la logistique de transport, les installations pour la transformation et la distribution qui vont avec”. En effet, le projet de terminal gazier récemment réactivé par SNI et Akwa devrait coûter plus d’un milliard de dollars, pour une entrée en service en 2016. Inchallah !
Législation. Mais où est donc passé le code gazier ?
Evoqué depuis le début des années 2000, le code gazier devait normalement préparer le terrain à l’extension de l’utilisation du gaz naturel dans la production énergétique. L’objectif : assurer le cadrage réglementaire et juridique de ce secteur et d’instaurer une autorité indépendante de régulation pour assurer la transparence des opérations, l’application des règles de concurrence et l’équité des tarifs pour les consommateurs. Néanmoins, après la présentation d’une première mouture en 2007, le projet de loi sur le gaz naturel a été jugé peu attractif et peu étoffé par les opérateurs du secteur. Depuis, il prend de la poussière dans le tiroir de l’administration et le code n’est plus évoqué. Ce qui n’a pas empêché le royaume d’accorder plusieurs permis d’exploration en se référant au code sur les hydrocarbures promulgué en 2004. Plusieurs découvertes de gisement de gaz ont d’ailleurs été annoncées au cours du premier semestre 2009. Pour leur exploitation, il faudra patienter une bonne décennie.
Telquel
Pour ne pas être dépendant de l’Algérie, le Maroc a longtemps refusé de se servir du pipeline Maghreb-Europe dont un tiers traverse son territoire. (AFP)
Pour éviter de se retrouver dépendant du pipeline algérien, le Maroc mise sur la construction d’un terminal portuaire pour l’importation de gaz naturel liquéfié. Vieille histoire d’un gazoduc et contours d’un nouveau projet.
A côté du solaire et de l’éolien, le gaz naturel est l’une des plus importantes composantes de la nouvelle stratégie énergétique du pays. Néanmoins, si ces deux premières sources d’énergie font l’objet de plans ambitieux, le royaume reste très en retard sur le gaz naturel. Le
plan gazier élaboré en 2003, qui visait à porter à 20% en 2020 (contre 4% actuellement) la contribution de ce combustible dans la production d’énergie, n’a effectivement jamais pu être mis en place. Aujourd’hui, le voilà remis sur le tapis avec l’annonce, en mai dernier, de la signature d’une convention entre le holding royal SNI et le groupe Akwa pour la mise en place d’un terminal portuaire de traitement de gaz naturel liquéfié (GNL). Nuance, apportée par ce haut patron qui a fait une bonne partie de sa carrière dans le domaine de l’énergie : “Depuis sept ans, les études se suivent et se ressemblent, sans aucun résultat concret”.
En effet, en février 2006 déjà, une convention quasi identique avait été signée entre le ministère de l’Energie, Akwa Holding, l’Office national de l’électricité (ONE) et la raffinerie La Samir. Les études étaient même finalisées et un projet ficelé avait été déposé au gouvernement. Quelques mois plus tard, la proposition du consortium avait été définitivement enterrée par la ministre de l’Energie, Amina Benkhadra. “Dans ce plan d’équipement, il n’y avait aucune assurance sur la disponibilité du gaz. Nous ne pouvions pas le bâtir sur des capacités en gaz dont l’approvisionnement n’était pas garanti”, a déclaré la ministre à la
presse, en janvier 2009. Ainsi, ce sont les sources d’approvisionnement qui poseraient problème. Pourtant, l’un des plus grands exportateurs au monde de gaz naturel n’est autre que le voisin algérien. Une bonne partie de son gaz acheminé vers l’Europe passe d’ailleurs par un gazoduc qui traverse le territoire national. Un pipeline qui avait autrefois symbolisé la reprise des relations commerciales entre les deux Etats. L’histoire remonte à une vingtaine d’années déjà.
Négociations ratées
Cet expert du Maghreb se souvient encore de la venue du président algérien au début de l’année 1989. “Hassan II avait reçu Chadli Bendjedid dans le palais royal de Fès. Ce dernier avait fait le déplacement avec quasiment tout son gouvernement pour signer un protocole d’accord pour la création d’une société algéro-marocaine chargée de piloter les études pour le gazoduc”, raconte-t-il. La ratification de cet accord était la consécration d’une ouverture politique entre les deux pays. “Le choix de construire un gazoduc s’expliquait par deux faits : la technique de pose d’un gazoduc en eaux profondes était depuis peu maîtrisée par la compagnie italienne SAIPEM, et le marché espagnol d’énergie était en pleine croissance. Le Maroc, lui, y trouverait son compte grâce aux royalties qu’il en tirerait”, explique Francis Ghilès, spécialiste des questions énergétiques et de l’intégration économique au Maghreb, dans un récent entretien publié sur le site web de l’Institut Amadeus. Il ajoute : “La perspective d’achat par le Maroc de gaz algérien (au-delà des quantités offertes par les royalties) s’ouvrait également, et cela permettait au royaume de satisfaire ses besoins croissants, notamment à Jorf Lasfar et à Casablanca”.
Dans la même interview, Ghilès livre même des révélations croustillantes sur les détails des tractations entre les deux pays. “Ces négociations aboutirent au début des années 1990 à un accord pour construire le gazoduc Pedro Duran Farrell. Le Maroc a commis néanmoins deux maladresses : la première fut d’insister pour obtenir des royalties de 7% du flux de gaz ( la Tunisie avait accepté 5,5% pour le gazoduc Enrico Mattei qui reliait l’Algérie à l’Italie depuis 1983) ; la seconde fut de refuser une participation de l’Algérie au capital de la partie sous marine du nouveau gazoduc, alors que tel était le cas pour la partie sous-marine du gazoduc Enrico Mattei. En plus, le Maroc, qui s’était initialement engagé à acheter 1 milliard de mètres cubes de gaz algérien par an au-delà des royalties, a retiré cette offre juste avant la signature du contrat”.
Royalties du gaz
Le royaume avait donc la possibilité dès le début des années 1990 de sécuriser son approvisionnement en gaz naturel en signant le contrat avec les Algériens. Mais quelques mois seulement après le lancement des travaux de ce pipeline de 1400 kilomètres de longueur (dont 548 au Maroc), les relations entre les deux pays se sont à nouveau détériorées. Conséquence : le gaz est devenu non grata dans le bouquet énergétique du royaume, afin de ne pas se retrouver dépendant vis-à-vis de l’Algérie. Même pour les droits de passage, le Maroc va pendant longtemps préférer les encaisser en devises (voir infographie) plutôt qu’en nature. Ce n’est qu’en 2005, avec la finalisation de la centrale électrique de Tahaddart, que l’on a commencé à se servir modestement du pipeline Maghreb-Europe qui traverse notre territoire.
Aujourd’hui encore, les deux pays se regardent toujours en chiens de faïence. L’Algérie préfère contourner le sol marocain pour renforcer sa capacité de transport vers l’Espagne via l’installation d’un gazoduc maritime Medgaz (opérationnel dans quelques semaines). Le Maroc, de son côté, préfère miser sur l’importation de gaz liquéfié, d’où ce nouveau projet de terminal portuaire. “Le Maroc a tout intérêt à ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier et diversifier ses approvisionnements. Mais écarter définitivement un accord commercial avec l’Algérie ne serait pas forcément à son avantage, explique notre expert. Puiser directement dans le gazoduc est une option nettement moins coûteuse que d’importer du gaz liquéfié avec toute la logistique de transport, les installations pour la transformation et la distribution qui vont avec”. En effet, le projet de terminal gazier récemment réactivé par SNI et Akwa devrait coûter plus d’un milliard de dollars, pour une entrée en service en 2016. Inchallah !
Législation. Mais où est donc passé le code gazier ?
Evoqué depuis le début des années 2000, le code gazier devait normalement préparer le terrain à l’extension de l’utilisation du gaz naturel dans la production énergétique. L’objectif : assurer le cadrage réglementaire et juridique de ce secteur et d’instaurer une autorité indépendante de régulation pour assurer la transparence des opérations, l’application des règles de concurrence et l’équité des tarifs pour les consommateurs. Néanmoins, après la présentation d’une première mouture en 2007, le projet de loi sur le gaz naturel a été jugé peu attractif et peu étoffé par les opérateurs du secteur. Depuis, il prend de la poussière dans le tiroir de l’administration et le code n’est plus évoqué. Ce qui n’a pas empêché le royaume d’accorder plusieurs permis d’exploration en se référant au code sur les hydrocarbures promulgué en 2004. Plusieurs découvertes de gisement de gaz ont d’ailleurs été annoncées au cours du premier semestre 2009. Pour leur exploitation, il faudra patienter une bonne décennie.
Telquel