Reportage : Zaouïa Tidjaniyya (Jeudi 26 Août 2010)
LE NOUVEL ÉLAN DES ZAOUAÏAS
La Tidjaniyya : il était une fois…
Par : zoubir ferroukhi
Comment comprendre le soufisme ? Quel rôle pour la zaouïa en Algérie ? Quelle place pour les tarîqat soufies aujourd’hui et demain ? Et d’autres questions encore que nous nous sommes posées, face à une conjoncture plus que jamais favorable, sinon exceptionnelle dans cette direction évidente qui est celle de l’essor aujourd’hui, ou, si l’on veut, du nouveau tournant des zaouaïas et, de manière plus générale, du soufisme dans notre pays.
Avec cette constante à l’esprit que le soufisme et les zaouïas ont été longtemps décriés, pourquoi et par qui, alors même que leur participation à la résistance face à la conquête coloniale et, par la suite, durant la guerre de Libération a été gigantesque ; nous avons voulu fouiner dans l’histoire, remontant les siècles pour les interpeller. Faible mot que ce dernier, quand il s’agit de questionner en même temps l’avenir. Et l’entreprise nous parut trop touffue pour en rester là, tant les données sont immensément abondantes, disparates, voire même contradictoires, les historiens eux-mêmes n’étant pas toujours d’accord. Alors nous préférâmes rouler par nos propres moyens et partir à la rencontre des zaouïas et des soufis, leurs tarîqat et leurs cheikhs. Comme ils sont disséminés à travers les quatre coins du pays — l’Algérie compterait au moins 300 zaouïas —, nous avons choisi les bases des quatre tarîqat les plus en vue en Algérie, pour une compréhension plus fluide et plus directe : la Tidjaniyya, la Alawwiya, la Rahmaniyya et la Hebriyya. L’accueil est toujours sobre et courtois là où l’on va dans ces lieux beaux et si calmes, reflétant l’humilité et la paix : les zaouïas de nos ancêtres. Nous commençons aujourd’hui par la tariqa soufie qui, vraisemblablement, connaît le plus de fidèles et revendique pas moins de 350 millions d’adeptes dans le monde : la Tidjaniyya.
Wilaya de Laghouat. Une centaine de kilomètres environ au nord-ouest du chef-lieu. La fin du printemps a rendu à la terre semi-aride sa dureté rocailleuse et grisâtre, et les touffes d’alfa finissent de sécher dans l’oubli, faute de mieux. L’endroit est perdu quelque part sur les Hauts-Plateaux, entre le djebel Amour et les premiers contours sahariens, comme un bijou périmé dans son écrin usé, et loin de tout il ne reste du palais de Kourdane que des ruines et des souvenirs disparates d’un passé à la fois relativement somptueux certes, mais ambigu aussi, dans la mesure où il ne reflète pas plus l’austérité légendaire des maîtres soufis que le site choisi pour un palais, sec et sans personnalité. De gros pigeons s’enfuient dans un bruit d’ailes affolant, dérangés par notre passage dans le grand salon du premier étage, quand nous foulons le carrelage qui part en miettes éparpillées sur un sol prêt à s’écrouler un jour proche. Du balcon du premier étage du palais, la vue à l’extérieur du grand jardin encore bien entretenu nous fait repérer l’ombre géante, traversée peu auparavant, d’un arbre centenaire qui abrite dans un coin le carré où sont disposées des tombes de quelques-uns des descendants du cheikh Sid-Ahmed Tidjani, illustre cheikh qui jeta les bases de la confrérie qui portera son nom, à Fès, en 1777, où il séjournait en s’instruisant auprès du cheikh de la tarîqa Kadiria de Sidi Abdelkader al-Jilani, pour la développer ensuite à travers le Sahara, le Touat (Adrar), le Soudan, la Tunisie, au Moyen-Orient, plus loin en Asie et plus près de nous en Afrique.
Le palais de Kourdane demeure un autre symbole que l’on tient à venir visiter à Laghouat depuis de lointains pays. Le nom de ce palais sonne un peu comme une appellation de la profonde Afrique, alors qu’il s’agit de la chaîne de montagnes située derrière le palais, qui forme le djebel Amour à son tour rattaché à l’Atlas saharien. L’intérêt du lieu est lié à la présence d’une source d’eau qui surgit de l’Atlas et baigne les terres avoisinantes. C’est un descendant du fondateur de la tarîqa qui construisit ce palais à la demande de son épouse (1888), surnommée à l’époque Princesse des sables. De l’extérieur, la vue est impressionnante : architecture en arcades, terrasses à ballast, le tout ressemblant à un mas de Provence planté au beau milieu des portes du désert.
Le lendemain, sous un soleil du Sud écrasant, nous visiterons à quelques encablures de là, à Aïn Madhi, fief de la tarîqa Tidjaniyya, le ksar entièrement bâti de pierre taillée construit par la tribu des Ouled Salah il y a plusieurs siècles, et qui côtoie la zaouïa. Ce ksar est une antiquité en plein air, à l’abandon, remarquablement restauré en partie et délaissé pour de vagues motifs, et dont les murs hauts de plusieurs mètres risquent à tout instant de s’affaisser. Un certain Madhi Ben Yakroub, sultan arabe, aurait été le premier à découvrir la source d’eau qui permit le peuplement progressif de la région et avant même la construction du ksar tout autour. C’est une évocation importante ce ksar pour les Tidjanis et adeptes de toute la tarîqa Tidjaniyya qui s’étend ainsi dans de nombreux pays du continent africain jusqu’en Égypte et ailleurs dans le monde, en revendiquant officieusement pas moins de 350 millions de disciples. Car c’est là, à Aïn Madhi et dans ce ksar, que la lignée des Tidjanis trouve ses racines.
De rite malékite
et de tendance ash’arite
Le faste de l’époque a disparu avec ses promoteurs. Mais là n’est pas le plus important. Car le véritable enjeu aujourd’hui c’est en réalité de bien connaître, pour la tarîqa Tidjaniyya comme pour toutes les autres tarîqat, le contenu de la mission sociale et éducative que disent devoir remplir les adeptes du soufisme, et qui, pour beaucoup, n’est pas tout à fait compris, des siècles après l’arrivée des premiers soufis en Algérie (au XIIe ou XIIIe siècle), sinon passe pour être totalement inconnu pour la plupart des Algériens. La tarîqa Tidjaniyya s’illustre, cela dit, par son impact considérable en Afrique en effet, notamment au Soudan et au Sénégal, et en quantité de fidèles d’ailleurs de loin plus nombreux dans d’autres pays du continent qu’en Algérie. Elle semble être plus implantée dans ces pays et autrement plus présente aussi bien dans la vie politique que dans tous les autres secteurs.
À deux reprises, des délégations de haut niveau conduites par des descendants directs de cheikh Sid-Ahmed Tidjani sont parties de Laghouat (en 2004 et en 2009) pour intervenir dans le conflit du Darfour au Soudan, porteuses de message de paix. Elles ont été reçues de façon quasiment officielle à Khartoum. À Dakar, au Sénégal, l’ex-président Abou Diouf reste un Tidjani convaincu qui a hautement honoré, durant son mandat, les cheikhs de la tarîqa. Les exemples de la présence remarquable de la Tidjaniyya dans le monde sont légion.
Or, le pilier principal du soufisme est surtout constitué du dhikr, on le sait, c’est-à-dire l’évocation répétée plusieurs fois du nom de Dieu, l’étude du Coran, l’étude de hadiths (récits rapportant des paroles ou des actes du Prophète Mohammed), la lecture du Coran. L’ensemble se déclare entièrement de rite malékite (“madhhab maliqi”, qui ne se contenterait pas d’une analyse superficielle du texte à l’égard du Saint Coran et de la sunna) et asch'ara, du nom de l’imam irakien Abou al-Hassan al-Asch'ar, descendant d’un compagnon du Prophète Mohammed, et qui développa un courant de pensée théologique de l’Islam se basant en gros sur la dialectique (kalam plutôt que falsafa). Peut-être s’agirait-il ici de l’explication globale, voire principale, de la raison d’être du soufisme, et, partant, des tarîqat et des zaouaïas, la nuance entre ces deux dernières est que la première initie la démarche, pendant que la seconde est l’organisation qui sert à mettre en œuvre cette démarche. De fait, il s’oppose donc au mouvement wahhabite dont le fondement est le salafisme, en référence aux salafs, premiers musulmans des trois premiers siècles après le Prophète Mohammed, mouvement qui prône une approche littéraliste de l’Islam. Ce mouvement, rappelons-le, refuse, en effet, le culte des saints — et stigmatise donc ouvertement les zaouïas, à son tour —, comme il refuse également la démocratie et la laïcité qu’il accuse de “corrompre la foi musulmane”. Enfin, rappelons encore que les salafistes se disent vouloir imiter le Prophète Mohammed en tout, y compris dans leur façon de s'habiller ou de manger, les plus célèbres d’entre eux étant At-Tirmidhiy et Ibn Taymiyyah dont les œuvres contribuèrent à développer le dogme fondé sur le reniement des quatre écoles de jurisprudence sunnites, (les madhahib : maliqi, hanafi, chafiî et hanbali) et à disputer en même temps les courants soufis et ascha’rites.
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LE NOUVEL ÉLAN DES ZAOUAÏAS
La Tidjaniyya : il était une fois…
Par : zoubir ferroukhi
Comment comprendre le soufisme ? Quel rôle pour la zaouïa en Algérie ? Quelle place pour les tarîqat soufies aujourd’hui et demain ? Et d’autres questions encore que nous nous sommes posées, face à une conjoncture plus que jamais favorable, sinon exceptionnelle dans cette direction évidente qui est celle de l’essor aujourd’hui, ou, si l’on veut, du nouveau tournant des zaouaïas et, de manière plus générale, du soufisme dans notre pays.
Avec cette constante à l’esprit que le soufisme et les zaouïas ont été longtemps décriés, pourquoi et par qui, alors même que leur participation à la résistance face à la conquête coloniale et, par la suite, durant la guerre de Libération a été gigantesque ; nous avons voulu fouiner dans l’histoire, remontant les siècles pour les interpeller. Faible mot que ce dernier, quand il s’agit de questionner en même temps l’avenir. Et l’entreprise nous parut trop touffue pour en rester là, tant les données sont immensément abondantes, disparates, voire même contradictoires, les historiens eux-mêmes n’étant pas toujours d’accord. Alors nous préférâmes rouler par nos propres moyens et partir à la rencontre des zaouïas et des soufis, leurs tarîqat et leurs cheikhs. Comme ils sont disséminés à travers les quatre coins du pays — l’Algérie compterait au moins 300 zaouïas —, nous avons choisi les bases des quatre tarîqat les plus en vue en Algérie, pour une compréhension plus fluide et plus directe : la Tidjaniyya, la Alawwiya, la Rahmaniyya et la Hebriyya. L’accueil est toujours sobre et courtois là où l’on va dans ces lieux beaux et si calmes, reflétant l’humilité et la paix : les zaouïas de nos ancêtres. Nous commençons aujourd’hui par la tariqa soufie qui, vraisemblablement, connaît le plus de fidèles et revendique pas moins de 350 millions d’adeptes dans le monde : la Tidjaniyya.
Wilaya de Laghouat. Une centaine de kilomètres environ au nord-ouest du chef-lieu. La fin du printemps a rendu à la terre semi-aride sa dureté rocailleuse et grisâtre, et les touffes d’alfa finissent de sécher dans l’oubli, faute de mieux. L’endroit est perdu quelque part sur les Hauts-Plateaux, entre le djebel Amour et les premiers contours sahariens, comme un bijou périmé dans son écrin usé, et loin de tout il ne reste du palais de Kourdane que des ruines et des souvenirs disparates d’un passé à la fois relativement somptueux certes, mais ambigu aussi, dans la mesure où il ne reflète pas plus l’austérité légendaire des maîtres soufis que le site choisi pour un palais, sec et sans personnalité. De gros pigeons s’enfuient dans un bruit d’ailes affolant, dérangés par notre passage dans le grand salon du premier étage, quand nous foulons le carrelage qui part en miettes éparpillées sur un sol prêt à s’écrouler un jour proche. Du balcon du premier étage du palais, la vue à l’extérieur du grand jardin encore bien entretenu nous fait repérer l’ombre géante, traversée peu auparavant, d’un arbre centenaire qui abrite dans un coin le carré où sont disposées des tombes de quelques-uns des descendants du cheikh Sid-Ahmed Tidjani, illustre cheikh qui jeta les bases de la confrérie qui portera son nom, à Fès, en 1777, où il séjournait en s’instruisant auprès du cheikh de la tarîqa Kadiria de Sidi Abdelkader al-Jilani, pour la développer ensuite à travers le Sahara, le Touat (Adrar), le Soudan, la Tunisie, au Moyen-Orient, plus loin en Asie et plus près de nous en Afrique.
Le palais de Kourdane demeure un autre symbole que l’on tient à venir visiter à Laghouat depuis de lointains pays. Le nom de ce palais sonne un peu comme une appellation de la profonde Afrique, alors qu’il s’agit de la chaîne de montagnes située derrière le palais, qui forme le djebel Amour à son tour rattaché à l’Atlas saharien. L’intérêt du lieu est lié à la présence d’une source d’eau qui surgit de l’Atlas et baigne les terres avoisinantes. C’est un descendant du fondateur de la tarîqa qui construisit ce palais à la demande de son épouse (1888), surnommée à l’époque Princesse des sables. De l’extérieur, la vue est impressionnante : architecture en arcades, terrasses à ballast, le tout ressemblant à un mas de Provence planté au beau milieu des portes du désert.
Le lendemain, sous un soleil du Sud écrasant, nous visiterons à quelques encablures de là, à Aïn Madhi, fief de la tarîqa Tidjaniyya, le ksar entièrement bâti de pierre taillée construit par la tribu des Ouled Salah il y a plusieurs siècles, et qui côtoie la zaouïa. Ce ksar est une antiquité en plein air, à l’abandon, remarquablement restauré en partie et délaissé pour de vagues motifs, et dont les murs hauts de plusieurs mètres risquent à tout instant de s’affaisser. Un certain Madhi Ben Yakroub, sultan arabe, aurait été le premier à découvrir la source d’eau qui permit le peuplement progressif de la région et avant même la construction du ksar tout autour. C’est une évocation importante ce ksar pour les Tidjanis et adeptes de toute la tarîqa Tidjaniyya qui s’étend ainsi dans de nombreux pays du continent africain jusqu’en Égypte et ailleurs dans le monde, en revendiquant officieusement pas moins de 350 millions de disciples. Car c’est là, à Aïn Madhi et dans ce ksar, que la lignée des Tidjanis trouve ses racines.
De rite malékite
et de tendance ash’arite
Le faste de l’époque a disparu avec ses promoteurs. Mais là n’est pas le plus important. Car le véritable enjeu aujourd’hui c’est en réalité de bien connaître, pour la tarîqa Tidjaniyya comme pour toutes les autres tarîqat, le contenu de la mission sociale et éducative que disent devoir remplir les adeptes du soufisme, et qui, pour beaucoup, n’est pas tout à fait compris, des siècles après l’arrivée des premiers soufis en Algérie (au XIIe ou XIIIe siècle), sinon passe pour être totalement inconnu pour la plupart des Algériens. La tarîqa Tidjaniyya s’illustre, cela dit, par son impact considérable en Afrique en effet, notamment au Soudan et au Sénégal, et en quantité de fidèles d’ailleurs de loin plus nombreux dans d’autres pays du continent qu’en Algérie. Elle semble être plus implantée dans ces pays et autrement plus présente aussi bien dans la vie politique que dans tous les autres secteurs.
À deux reprises, des délégations de haut niveau conduites par des descendants directs de cheikh Sid-Ahmed Tidjani sont parties de Laghouat (en 2004 et en 2009) pour intervenir dans le conflit du Darfour au Soudan, porteuses de message de paix. Elles ont été reçues de façon quasiment officielle à Khartoum. À Dakar, au Sénégal, l’ex-président Abou Diouf reste un Tidjani convaincu qui a hautement honoré, durant son mandat, les cheikhs de la tarîqa. Les exemples de la présence remarquable de la Tidjaniyya dans le monde sont légion.
Or, le pilier principal du soufisme est surtout constitué du dhikr, on le sait, c’est-à-dire l’évocation répétée plusieurs fois du nom de Dieu, l’étude du Coran, l’étude de hadiths (récits rapportant des paroles ou des actes du Prophète Mohammed), la lecture du Coran. L’ensemble se déclare entièrement de rite malékite (“madhhab maliqi”, qui ne se contenterait pas d’une analyse superficielle du texte à l’égard du Saint Coran et de la sunna) et asch'ara, du nom de l’imam irakien Abou al-Hassan al-Asch'ar, descendant d’un compagnon du Prophète Mohammed, et qui développa un courant de pensée théologique de l’Islam se basant en gros sur la dialectique (kalam plutôt que falsafa). Peut-être s’agirait-il ici de l’explication globale, voire principale, de la raison d’être du soufisme, et, partant, des tarîqat et des zaouaïas, la nuance entre ces deux dernières est que la première initie la démarche, pendant que la seconde est l’organisation qui sert à mettre en œuvre cette démarche. De fait, il s’oppose donc au mouvement wahhabite dont le fondement est le salafisme, en référence aux salafs, premiers musulmans des trois premiers siècles après le Prophète Mohammed, mouvement qui prône une approche littéraliste de l’Islam. Ce mouvement, rappelons-le, refuse, en effet, le culte des saints — et stigmatise donc ouvertement les zaouïas, à son tour —, comme il refuse également la démocratie et la laïcité qu’il accuse de “corrompre la foi musulmane”. Enfin, rappelons encore que les salafistes se disent vouloir imiter le Prophète Mohammed en tout, y compris dans leur façon de s'habiller ou de manger, les plus célèbres d’entre eux étant At-Tirmidhiy et Ibn Taymiyyah dont les œuvres contribuèrent à développer le dogme fondé sur le reniement des quatre écoles de jurisprudence sunnites, (les madhahib : maliqi, hanafi, chafiî et hanbali) et à disputer en même temps les courants soufis et ascha’rites.
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