Un dossier provenant du journal El Watan sera publié demain sur ce phénomène .
Dernière édition par admin le Sam 25 Sep - 2:21, édité 1 fois
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Commençons par ce billet exaustif en attendant.
La presse algérienne révèle que «Les circuits du Tassili du Hoggar sont interdits aux agences de tourisme de Tamanrasset… les services de sécurité ont reconduit manu militari des touristes et leurs accompagnateurs… Des touristes en bivouac ont été carrément embarqués à bord d’hélicoptère, débarqués à Tamanrasset, et abandonnés sans aucune explication.» (1)
En réalité, un vent de panique s’est emparé des autorités après une interception de communication de téléphones satellitaires concernant une «commande de kidnapping».
Ce qui devait arriver arriva. La persistance d’une insécurité chronique généralisée au Sahel a fini par remonter de nouveau au Sahara qui a déjà connu le retentissant épisode de février 2003 où 32 touristes avaient été enlevés entre Djanet et Illizi.
Comme on le craignait, le paiement de rançons a suscité toutes les convoitises et poussé à la tentation des chauffeurs guides des agences de voyages, qui avaient pour mission de livrer quelques touristes, contre de fortes sommes d’argent. Plusieurs arrestations ont suivi cette alerte.
L’engrenage qui risque de s’emballer est prévisible: l’insécurité va remonter encore plus au nord vers les zones pétrolières et poussera les autorités à militariser davantage tout le Sud algérien. Les Sahara mauritanien, marocain, tunisien et libyen ne seront pas non plus épargnés par ces nouveaux «rezzous», comme ce fut déjà le cas avec le kidnapping d’un couple d’autrichiens en Tunisie en février 2008, et d’espagnols en Mauritanie en novembre 2009.
Cette grave atteinte à l’activité économique prometteuse du tourisme saharien sonne comme un «sabotage caractérisé» du tout récent activisme algérien qui a provoqué en ce début d’année 2010 plusieurs réunions de coordination des états-majors diplomatiques, militaires et du renseignement, pour combattre le terrorisme et s'opposer à toute intervention étrangère.
C’est aussi une conséquence directe de la mauvaise perception et gestion politico-militaire du problème Touareg, qui dure depuis l’indépendance des Etats africains. L’invention récente du terrorisme d’Al Qaïda est utilisée comme un arbre qui cache la forêt de la rébellion touarègue qui n’a jamais cessé depuis le début du siècle contre le colonisateur et s’est poursuivie après les indépendances à cause d’un tracé frontalier arbitraire et contre nature. Encore un autre héritage colonial empoisonné.
Le message lancé continuellement par les Touaregs est pourtant simple. Comme le dit l’adage populaire: «nalâab ouala nahsad» (Soit je joue, soit je ne vous laisserai jamais jouer). Tant que le problème touareg ne sera pas résolu, aucun espace sahélo-saharien ne connaîtra la paix, la sécurité et la prospérité.
Pour éviter le pire, en tant que pays central et leader du Sahara, l’Algérie doit remettre les compteurs géopolitiques de la région à zéro, opérer un changement radical de la gestion du problème Touareg, et reconstruire ses relations avec tous les pays voisins du Maghreb et du Sahel sur de nouvelles fondations.
La géopolitique des populations du Sahel
Le Sahel est la bande semi désertique prolongeant le Sahara des cinq pays d’Afrique du Nord (Maroc, Algérie, Tunisie, Libye, Egypte) aux cinq Etats subsahariens: Mauritanie, Mali, Niger, Tchad, Soudan. Ces pays du Sahel, créés de toutes pièces par la décolonisation sont considérés, en droit international, comme des États, mais n’ont jamais été des Nations.
Cet ensemble de cinq pays ne compte que 80 millions d’habitants en 2008 sur un espace de 7,323 millions de km2, soit moins de 11 habitants/km2. Cette densité est trois fois inférieure à la moyenne de l’Afrique (32 hab/km2), et cinq fois inférieure à la moyenne du Monde (49 hab/km2). Ce peuplement est encore très inégal selon l’occupation territoriale, avec une dominante du nomadisme, allant jusqu’à moins d’un hab/km2. (2)
De telles configurations de peuplement et de surfaces désertiques expliquent les difficultés de souveraineté et de gouvernance sur ces vastes territoires. Aucun des cinq Etats n’a ni la volonté, ni les moyens budgétaires et logistiques d’y déployer un maillage territorial permettant d’exercer l’administration et la sécurité. Il est donc inévitable que des groupes locaux ethniques, «héritiers légitimes» de leurs territoires, en prennent le contrôle, et se rebellent contre le pouvoir central.
L’exemple le plus significatif est celui du Mali. On distingue 23 ethnies réparties en cinq principaux groupes: mandingue (Bambara, Soninké, Malinké, Bozo), pulsar (Peul, Toucouleur), voltaïque (Bobo, Sénoufo, Minianka), saharien (Maure, Touareg) et Songhaï. Les 9/10 de la population, noirs sédentaires, se concentrent dans le sud du pays, le Mali utile en termes de potentialités agricoles. Mais deux tiers du territoire malien sont revendiqués par les Touaregs qui n’ont jamais accepté le pouvoir noir de Bamako.
Le Niger est un territoire tripolaire composé à l’ouest des Djerma-Shongaï, 22% de la population, au centre et à l’est des Haoussas, 56%, et au nord des Touaregs, environ 10% qui revendiquent les trois quart du territoire. Comme au Mali, la rébellion permanente des Touaregs atteste de la fragilité chronique de l’État nigérien.
Du caractère transfrontalier de nombreuses ethnies, à l’exemple de l’ethnie zaghawae transfrontalière entre le Tchad et le Soudan, il en résulte que les territoires des pays voisins sont utilisés comme lieux de replis lors des conflits. Ainsi, le Soudan a-t-il servi de lieu de repli pour des groupes rebelles du Tchad, comme le Tchad l’est pour des groupes du Soudan. Le Sahara algérien et libyen est utilisé comme lieu de repli par les rebelles touaregs du Niger et du Mali, qui considèrent aussi ces régions comme leur espace vital.
Avant la colonisation, il existait des frontières naturelles entre les populations blanches d’Afrique du Nord et les royaumes noirs sub-sahariens. Elles s’étendaient des fleuves Sénégal et Niger jusqu’au Lac Tchad. Le dogme intangible des frontières coloniales a bouleversé profondément les équilibres géo-démographiques du Sahel.
La réunion de l’OUA d’Addis Abeba en Mai 1963 et la conférence des chefs d’Etat du Caire en juillet 1964 ont entériné le statu quo des frontières issues de l’époque coloniale. En fait, ces frontières se substituèrent aux limites administratives établies par la France, lors de la création de l’Organisation Commune des Régions Sahariennes (OCRS), le 10 janvier 1957. (3)
«L’esprit qui a présidé à l’élaboration de l’OCRS dévoile une conception ethnique du territoire dont un des objectifs était de créer une barrière politique définissant une «chasse gardée française» susceptible d’éviter des contacts entre une Algérie qui avait engagé une guerre pour acquérir son indépendance et une Afrique noire traversée par l’opinion des leaders indépendantistes… Cette barrière ethnico-politique pouvait se dresser en jouant sur une série d’oppositions classiques telles que nomades et sédentaires, Touaregs/Arabes, Touaregs/populations noires et bien sûr Blancs/Noirs. À l’évidence, cette conception ethnico-territoriale, voire cette «arme ethnique» utilisée par les services français, ne pouvait qu’exacerber les relations interethniques déjà tendues.» (4)
La mystification coloniale du problème touareg
La France coloniale présente en Afrique noire, notamment au Sénégal depuis le 17è siècle, et en Afrique du Nord depuis l’invasion de l’Algérie en 1830, voulait faire la jonction de son empire colonial entre le Nord et le Sud, mais s’était heurtée à ces populations mystérieuses de nomades du Sahara surgissant de nulle part.
Après plusieurs missions de géographes explorateurs comme Henry Duveyrier (1840-1892), une première incursion militaire menée par le colonel Paul Flatters en 1881 dans le Hoggar fut massacrée par les Touaregs.
Il a ensuite fallu attendre 1902 et la fameuse bataille de Tit pour entamer le début de la conquête du Sahara. Les livres d’histoire citent souvent cette «glorieuse victoire de l’armée française», en prenant bien soin d’occulter qu’il n’y avait en fait qu’un seul français dans cette expédition, le lieutenant Cottenest alors que la centaine de combattants étaient tous des algériens Chaâmbas de la région de Ouargla, rivaux héréditaires des touaregs dans les rezzous. Ce fut le début d’une abondante littérature de mystification coloniale qui a toujours fait croire à une supériorité militaire française, une pacification du Sahara et à la soumission des Touaregs devenus «amis des français».
Pourtant, le Comte Henry-Marie de la Croix de Castries, explorateur et historien de l’Afrique du Nord où il fut affecté en 1873 aux Affaires indigènes, avouait son admiration de «la vie de ces grands chefs bédouins, si proche de celles des temps bibliques. Ce jeune lieutenant se sentait tout pénétré d’inspirations orientales «qui de cette vie arabe lui causa l’impression la plus profonde et la plus durable, de la foi sereine, active et méritoire de ces musulmans convaincus.»
Il relatait aussi la sévère leçon d’humilité que lui donnait l’exemple de ses cavaliers d’escorte, mettant pied à terre pour prier Dieu. «Je m’éloignai; j’aurais voulu rentrer sous terre! Je voyais les amples burnous s’incliner à la fois dans un geste superbe aux prostrations rituelles; j’entendais l’invocation: Allahou Akbar! Dieu est le plus grand! Et cet attribut de la divinité prenait dans mon esprit un sens que toutes les démonstrations métaphysiques des théodicées n’avaient jamais réussi à lui donner. J’étais en proie à un malaise indicible, fait de honte et de colère. Je sentais que dans ce moment de prière, ces cavaliers arabes, si serviles tout à l’heure, avaient conscience qu’ils reprenaient sur moi leur supériorité.» (5)
Le Sahara, présenté par les colons comme une frontière déserte infranchissable a en fait toujours été une zone peuplée, reliée par des pistes, des points d’eau et des oasis. Le chameau y était présent depuis l’Antiquité et les traces des nomades transsahariens remontent aux peintures rupestres. Les populations des rives nord et sud du Sahara n’ont jamais été séparées.
«L’installation du père De Foucauld à Tamanrasset ne relève pas seulement d’un souci mystique de solitude, mais de raisons proprement patriotiques et militaires. Le massif montagneux du Hoggar est le centre géographique de la vaste zone désertique qui s’étend du versant sud de l’Atlas, au nord, jusqu’aux bassins du Niger et du Tchad au sud, et de l’océan Atlantique à l’ouest; jusqu’à la Tripolitaine à l’est. Cette forteresse est au carrefour des pistes qui mènent aux ports méditerranéens l’or, l’ivoire, les esclaves importés d’Afrique noire. Les agiles Touaregs du Hoggar fondaient à l’improviste sur les lourds convois chargés de marchandises ou se faisaient grassement payer pour les protéger». (6)
Les cités touarègues de la boucle du fleuve Niger (Tombouctou, Gao, Agadez, Tahoua) ont été reliées depuis plusieurs siècles aux cités du grand Maghreb (Marrakech, Fez, Tlemcen, Tihert, Cirta, Ouargla, Biskra, Kairouan,…). Chaque année, les pèlerins transitaient par ces villes pour leur voyage à La Mecque, en passant par la Tripolitaine, le Fezzan, le Tibesti et l’Egypte. Au XVe siècle, la ville mythique Tombouctou comptait environ 100.000 habitants (30.000 aujourd’hui), dont 25.000 étudiants qui fréquentaient la célèbre université.
Une délégation touareg qui rencontra à Biskra le général de la Roque en 1890, lui confirmera l’étendue de leur territoire: «Partout où nous allons nous nous heurtons à vous… du Sud tunisien aux portes de Ghadamès,…au Nezfaoua et dans le Sahara jusqu’à Figuig, nous vous trouvons partout ; avec vous ces contrées là nous sont fermées et nous sommes comme murés chez nous.» (6) En cette fin de siècle, les Kel Ahagar et Kel Ajjer se retrouvent encerclés, privés de leurs débouchés au Sud comme au Nord.
Occultant et bafouant l’histoire millénaire des populations sahariennes, la France a tenté d’imposer au Sahara le triptyque colonial des 3 C défini par David Livingstone: Civilisation, Christianisme, Commerce. Mais malgré tous leurs efforts, Charles de Foucauld et les missionnaires chrétiens n’ont jamais réussi à évangéliser, ni franciser un seul homme bleu.
Dans sa lettre du 29 Mai 1909 à Henry de Castries, Foucauld écrivait avec un étrange mélange de naïveté et de mépris: «Je vais reprendre mon travail quotidien: apprivoisement des Touaregs, des Indigènes de toute race, en tâchant de leur donner un commencement d’éducation intellectuelle et morale… Tout cela pour amener, Dieu sait quand, peut-être dans des siècles, au christianisme. Tous les esprits sont faits pour la vérité, mais pour les Musulmans, c’est affaire de très longue haleine.» (5)
Même le tamasheq restera la langue dominante, tenant tête au français. Et à ce jour les pistes commerciales ancestrales restent toujours contrôlées par les touaregs.
La stratégie coloniale de diviser pour régner a complètement perturbé la perception géopolitique du problème touareg. En réalité, ce terme, devenu générique, englobe l’ensemble des tribus du Sahara et du Sahel qui parlent le tamasheq, de la même façon qu’on désigne par le terme arabe tous ceux qui parlent la langue arabe. Au fil des siècles et du nomadisme, le métissage tribal et l’assimilation culturelle ne permettent plus de distinguer touaregs et arabes, comme on le fait encore à tort entre les populations amazighophones et les berbères arabisés au Maghreb. Les Kountas, Beraber, Berabich, Zenaga, Iguellad, Ansar, Chorfa, etc… d’origine arabo-berbères, qui nomadisaient des confins désertiques maghrébins jusqu’à Zinder, se sont au fil des siècles complètement fondus dans la culture touareg du désert (langue, mœurs, traditions, habillement, coutumes sociales et juridiques,…). Ils forment en réalité un seul peuple vivant en symbiose. (7)
Depuis les indépendances, on constate une sédentarisation forcée des touaregs en Algérie et Libye, une marginalisation au Niger et une discrimination au Mali avec une seule alternative: l’exil ou les armes. Pourtant, rien au Sahara ni au Sahel ne peut se faire sans le consentement de ces chevaliers du désert.
Les frontières sahélo-sahariennes «géométriques» entre les 10 Etats, en plein désert, ont-elles un sens? Elles ne sont qu’un fait accompli colonial, une contrainte exogène absurde, artificielle, handicapante. Le droit occidental colonial a imposé une «territorialité» en contradiction avec la nature de l’immensité de l’espace saharien et du mode vital et économique nomade et pastoral. Chez les populations nomades, la géographie politico-économique est mouvante selon la pluviométrie, les rapports de force tribaux et la liberté immuable de circuler. L’idée même d’une frontière fixe est un concept inexistant chez les peuples sahariens. En définitive, personne au Sahara n’a jamais considéré ces frontières théoriques et fictives. Ni les puissances coloniales, ni les Etats indépendants, ni les populations… ni les «nouveaux terroristes» (8)
Le problème touareg renvoie à la complexité géographique de l’espace saharien, aux enjeux humains et économiques du nomadisme. Il pousse à s’interroger sur une nouvelle perception du principe de souveraineté partagé sur des déserts. Comme il est hors de question de marginaliser ou d’exterminer les Touaregs, comme le furent tragiquement les Indiens d’Amérique, la question fondamentale est celle de définir leur intégration et leur rôle dans cet immense espace saharien partagé entre ces 10 Etats. Cette problématique dépasse largement le cadre défini par les Accords de Tamanrasset en 1991 et d’Alger en 2006, qui n’ont en fait jamais été appliqués.
Le morcellement de l’espace touareg voulu par le colonisateur et perpétué par les Etats indépendants doit être abandonné au profit d’une intégration civilisationnelle, géographique, linguistique de cet espace selon un double système d’Etats fédéraux et de zones franches. Des personnalités africaines ont déjà prôné une «déconstruction» de cet héritage colonial des «cadres territoriaux existants, par la remise en question des frontières convenues et la création simultanée d’espaces mouvants».
Les Touaregs veulent des Etats fédéraux
Dès les indépendances de 1960, après la création de l’OCRS, une alliance s’était nouée au Mali pour soutenir une partition territoriale du «Soudan français», afin d’éviter d’être gouvernés par des pouvoirs noirs.
Une des figures emblématiques de cette résistance au fait accompli colonial était Mohamed Ali ag At-Tahar (1904-1994), Aménokal des Kel Antessar. Il ressemblait en tous points à son père At-Tahar ag Al Mahdi, né vers 1868 et devenu Aménokal en 1914, que décrit de fort belle manière Paul Marty : «At Tahar est le type du grand, vigoureux et beau Targui. D’une magnifique prestance, d’une dignité souveraine, il fait le plus bel effet. Intelligent ouvert, sympathique, c’est un assez bon lettré arabe, encore qu’il soit beaucoup plus guerrier que taleb.» (7)
At-Tahar adopta une attitude pleine d’ambiguïté et de diplomatie avec les colonisateurs dans la région de Tombouctou. Ni soumis, ni rebelle, il avait pour souci de protéger sa tribu par une cohabitation et une collaboration tactique avec l’autorité coloniale. Il agissait comme Moussa Ag Amestane, Aménokal des Kel Ahaggar qui avait toujours fait planer cette confusion subtile entre soumission et alliance avec l’ordre colonial qui exaspérait le général Laperrine: «il s’agissait de remettre au point la soumission de Moussa faite à In Salah et de bien établir que c’était une soumission et non une alliance. Il fallait faire accepter par les tribus un léger impôt qui fut une marque tangible de cette soumission.» (Laperrine, 1913) (9)
Laperrine et ses adjoints avaient mis au point cette politique subtile d’affrontement avec les Touaregs: «Le Touareg obéira à la force; il y obéira comme l’Arabe, d’une façon parfaite, mais seulement quand il aura constaté qu’il ne peut faire autrement. Il faut donc lui prouver, lui montrer notre force.» (9)
Mohamed Ali ag At-Tahar grandit dans la lignée des révolutionnaires indépendantistes africains. Rebelle à l’autorité coloniale, il finit par léguer le Tabbel d’Aménokal à son frère, Mohamed Al Mahdi, né en 1923 et toujours en exercice à Bamako.
Mohamed Ali s’exila dès 1952 en Arabie Saoudite chez le roi Fayçal avec toute sa famille et ses domestiques. Puis il s’installa en Egypte chez Nasser qui lui offrit une épouse égyptienne. C’est au Caire qu’il se fit connaître de tous les révolutionnaires africains et arabes, notamment des leaders du FLN. Ensuite, il partit en Libye chez le roi Idriss, avant de s’installer au Maroc en 1960 chez le roi Mohamed V qu’il avait déjà rencontré en 1955 à son retour d’exil.
Alors qu’il était royalement reconnu et respecté, la puissance coloniale craignait que Mohamed Ali fédère toutes les tribus dans un «royaume touareg», et remette en cause la stratégie «d’indépendance dans l’interdépendance» conçue et mise en œuvre par les gaullistes et leurs réseaux de supplétifs de l’Armée Coloniale d’Afrique.
La proposition d’un Etat fédéral touareg au Sahara ayant été rejetée par la France, les Touaregs commencèrent à s’armer et se révolter dès 1961, moins d’un an après l’indépendance du Mali et du Niger. Une première insurrection eut lieu fin 1962, contre le gouvernement de Bamako de Modibo Keita. Les Touaregs n'eurent comme réponse qu'une sévère répression qui décima les tribus des Adrar des Iforas, d'où avait été lancé le mouvement.
Le tournant historique s’est joué en 1963 lorsque Modibo Keita réussit un coup de maître en poussant les duo algérien, Ben Bella-Boumediene, et marocain Hassan II-Oufkir à trahir les touaregs. Le 29 octobre 1963, Modibo joue un rôle d’arbitre dans la sortie du conflit frontalier de la «guerre des sables» qui opposait le Maroc à l’Algérie. Il réunit à Bamako Hassan II et Ben Bella en présence du négus Haïlé Sélassié d’Éthiopie et obtient des belligérants un cessez-le-feu immédiat.
En échange de sa médiation, et «sous la menace d’une généralisation des conflits frontaliers en Afrique», il demande et obtient l’arrestation et l’extradition des leaders touaregs exilés en Algérie et au Maroc.
C’est ainsi que Mohamed Ali Ag At Tahar est arrêté en 1963 par le général Mohamed Oufkir sur ordre du roi et livré au Mali qui le maintiendra en détention durant 12 ans, jusqu’à sa libération en 1975 par Moussa Traoré. Brisé, il retourna en exil au Maroc, chez Hassan II qui le prit en charge et le plaça dans une prison dorée pour le «neutraliser» jusqu’à sa mort en 1994.
De son côté, l’Algérie extrada deux chefs touaregs, Zaid ag Tahar ag Illi et Ilias Ag Ayuba, et un jeune messager Mohamed El Ansari, neveu de Mohamed Ali, envoyé spécialement du Maroc pour avertir Zaid et arrivé par malchance le jour même de son arrestation.
Zaid, Amenokal des Iforas de Kidal, s’était d’abord exilé à Tamanrasset puis à Ouargla. Ses disciples avaient déclenché une révolte en récupérant un stock d’armes que l’armée coloniale avait enterré à Silet (120kms au sud-est de Tamanrasset). Comme Mohamed Ali, Zaid s’était aussi désisté de sa chefferie au profit de son frère Intallah plus docile, toujours en exercice à Kidal.
Libéré lui aussi en 1975, Zaid mourut en 1998. Ilias Ag Ayuba, chef des Doushakis à Gao, tribus touaregs d’origine lointaine juive, avait suivi la rébellion de Zaid et l’avait rejoint à Tamanrasset puis Ouargla. Il vit toujours à Gao, alors que son frère Younès est installé à Tamanrasset où il a facilité l’insertion de nombreux membres de sa tribu. La répression de Modibo Keita aidés des virulents Songhaïs, qui a suivi ces arrestations, a été féroce, proche du génocide (tueries, massacres collectifs, abattage de cheptel, empoisonnement des puits, arrestations,…). Les régions du nord ont été décrétées zones militaires, tous les postes de fonctionnaires militarisés, et les touaregs écartés de toute fonction officielle. Après avoir nié la réalité et l’ampleur de cette dissidence, le gouvernement de Bamako annonce son écrasement complet en 1964.
Plusieurs exodes importants ont afflué vers les pays voisins essentiellement l'Algérie, mais aussi Libye et Mauritanie, dès l’indépendance, puis à chaque rébellion et lors des grandes sécheresses des décennies 70 et 80 et l'actuelle de 2010. La naissance du groupe musical malien Tinariwen en 1982 à Tamanrasset est intimement liée à cette situation d'exil et d'errance du peuple touareg. Il est l'émanation même de cette diaspora qu’il chante aux quatre coins du monde, en remplaçant le fusil par la guitare.
La trahison algéro-marocaine qui a soutenu le pouvoir de Bamako a profondément déçu et découragé les touaregs qui se sont exilés ou résignés à une résistance passive jusqu’à la nouvelle rébellion de 1990-1991 déclenchée par Iyad ag Ghali au Mali et Raïssa ag Boula et Mano Dayak au Niger.
L’Algérie, entrée elle-même dans une grave crise politique et sécuritaire, ne voulait surtout pas d’une nouvelle complication frontalière et s’activa à la conclusion rapide d’un cessez-le-feu et la conclusion d’accords d’intégration des touaregs dans l’administration de leurs territoires. Un accord fut signé à Tamanrasset le 6 janvier 1991. (10)
Mais une «main invisible» a décidé de défaire «immédiatement» l’appel à la sagesse et la pacification, et de poursuivre la marginalisation des touaregs. Dès le 8 janvier, le signataire de l’Accord, le Colonel Ousmane Coulibaly, Chef d'état-major général des armées, remplace au ministère de la défense le président Moussa Traoré, qui se fait ensuite renverser le 23 mars par un coup d’Etat du Lieutenant-Colonel Amadou Toumani Toure, à la tête d'un Comité de Transition pour le Salut du Peuple (CTSP).
Curieusement, le président algérien Chadli Bendjedid subira le «même processus», abandonnant le poste de ministre de la défense au général Khaled Nezzar en juin 1991, avant d’être «démissionné» en janvier 1992.
Le colonel Iyad ag Ghali a finalement été récupéré par Bamako et est actuellement ambassadeur du Mali en Arabie Saoudite, et «négociateur attitré» avec les preneurs d’otages maliens. Raïssa ag Boula, qui signa les accords de paix au Niger en avril 1994, participa à plusieurs gouvernements sous la présidence de Mamadou Tandja, qui vient d’être renversé par un coup d’Etat en février 2010.
Quant à Mano Dayak, il sera victime d’un mystérieux accident d’avion en décembre 1995.
Une nouvelle rébellion déclenchée par Ibrahim ag Bahanga en mai 2006, rejoint par Iyad ag Ghali et Hassan Fagaga, provoqua une nouvelle intervention du «pompier algérien» qui lui «intima l’ordre de rebrousser chemin alors que ses troupes étaient à 300 kms de Bamako». De nouveaux accords ont été laborieusement signés à Alger le 4 juillet 2006 avec la mise en place d’un Comité de suivi. (11)
Mais dès son retour à Bamako, le Général Kafougouna Koné, signataire des «accords de reddition d'Alger» selon la presse malienne, est convoqué par un groupe parlementaire et contraint de répondre aux interrogations des députés, en direct à la télévision. Il sera pris à partie sur la constitutionnalité du document et sur l'esprit de certaines de ses dispositions. Le cessez-le-feu ne fut pas respecté et plusieurs accrochages eurent lieu entre les rebelles et l'armée malienne. Bahanga fut aussi à l'origine de l'Alliance Touareg Niger-Mali fondée en juillet 2007. Finalement, aucune mesure n’a été mise en œuvre et tour à tour, les touaregs de l’Alliance Démocratique pour le Changement, puis l’Algérie se sont retirés de cet Accord, devenu caduc… depuis le rappel de l’ambassadeur algérien à Bamako, suite à l’affaire de la libération de l’agent de la DGSE Pierre Camatte, contre le paiement d’une rançon et la remise en liberté de terroristes algériens par ATT. L’équation politique touareg ressurgit régulièrement aussi simple que dangereuse. Les touaregs du Mali et du Niger ne veulent pas porter atteinte à la souveraineté des Etats existants, mais revendiquent l’instauration d’Etats fédéraux avec une large autonomie, liés juridiquement à Bamako et Niamey, mais ouverts et intégrés humainement et économiquement au grand Maghreb, et à l'Algérie en particulier, comme ils l’ont toujours été avant, pendant et après la colonisation. Les nouvelles générations de touaregs, sont prêts à lancer de nouvelles rébellions pour contrôler leurs territoires au nord du Mali et du Niger et contraindre Bamako et Niamey à négocier.
Les touaregs rappellent pertinemment qu’ils sont les seuls capables de sécuriser l’espace sahélo-saharien et garantir la stabilité de cette vaste zone tampon entre l’Afrique du nord et l’Afrique noire. A défaut, ils sont aussi capables de la maintenir dans l'état d'une zone interdite à hauts risques d’instabilité géopolitique et de sous-développement chronique.
29-05-2010
(2) La géopolitique des populations du Sahel
(3) Histoire des frontières algériennes
(4) André Bourgeot (CNRS) - Sahara: Espace géostratégique et enjeux politiques
(5) Charles de Foucauld – Lettres à Henry de Castries (1850-1927) – Grasset, Paris 1938 - Préface de Jacques de Dampierre
(6) Georges Gorrée – Les Amitiés Sahariennes du Père de Foucauld – Arthaud, Paris, 1946. —
Dès son installation à Beni Abbès, «Foucauld a compris le rôle magnifique qu’il peut remplir au Sahara: conseiller le plus exactement possible les chefs qui ne se trouvent pas sur place. Officier français, il le demeurera jusqu’à sa mort, plaçant très haut l’honneur du pays qu’il incarnait aux yeux des populations sahariennes… le père Foucauld n’a jamais cessé un seul instant d’être officier explorateur; parce qu’il demeura près de quinze années consécutives au Sahara ; parce qu’il s’intéressa à tout ce qui touchait l’action de la France dans les territoires du Sud… Charles de Foucauld, moine missionnaire au Sahara, restera le modèle et le maître de tous les officiers des Affaires Indigènes des nations colonisatrices… En d’autres occasions, Foucauld ne se contente plus de renseigner, il donne lui-même des ordres, et ceux-ci sont exécutés sur le champ.» Pour le général Laperrine, «Charles de Foucauld demeure notre plus parfait instrument de pacification saharienne.»
Laperrine avait noté au bas du Rapport Officiel sur la mort de Foucauld : «l’assassinat du père de Foucauld doit se rattacher à la lettre trouvée à Agadès dans les papiers de Khaoussen et dans laquelle un européen (turc ou allemand) lui conseillait comme première mesure, avant de soulever les populations, de tuer ou prendre comme otage des européens connus comme ayant de l’influence sur les indigènes dévoués aux français.»
Lettre du 2/8/1915 de Charles de Foucauld à Laperrine: «Je mène ma vie ordinaire, dans un grand calme apparent, mais l’esprit étant au front avec vous, avec nos soldats. Après le Dictionnaire Touareg-Français abrégé et le Dictionnaire des Noms propres, voici le Dictionnaire Touareg-Français plus développé qui est terminé et prêt à être imprimé. Je viens de me mettre à la copie, pour l’impression, des poésies… cela me parait étrange, en des heures si graves, de passer une journée à copier des pièces de vers… Au cas où les lois de l’Eglise me permettraient de m’engager, ferais-je mieux de m’engager? Si oui, comment m’y prendre pour m’engager et être envoyé au front… Répondez-moi sans tarder; par ce même courrier, j’écris pour demander si l’Eglise autorise quelqu’un dans mon cas à s’engager.»– Lettres inédites au Général Laperrine, Pacificateur du Sahara – La Colombe, Paris, 1954. Préface de Georges Gorrée.
(7) Paul Marty - Etudes sur l’Islam et les tribus du Soudan, in Revue du Monde musulman dirigée par Louis Massignon – Ed Ernest Leroux – Paris – 1918-1919
(8) Kidal, 49ème wilaya d’Algérie
(9) Paul Pandolfi, Une correspondance saharienne, Lettres inédites du général Laperrine au commandant Cauvet (1902-1920), Karthala, Paris, 2006 —
Henry Laperrine (1860-1920), général de division, a été camarade de Charles de Foucauld au 4e Chasseurs d’Afrique en 1881. Après la mort de Foucauld (1/12/1916), la France coloniale craint l’embrasement du Sahara et Lyautey, ministre de la guerre, rappelle Laperrine du front franco-allemand pour reprendre en main la situation, dont les répercussions peuvent être d’une gravité incalculable pour l’Afrique du Nord et l’Afrique Noire. En 2 ans, il pacifie le Sahara pour la seconde fois, puis meurt le 18/2/1920, après 16 jours d’agonie dans le désert du Tanezrouft où son avion s’est écrasé. Foucauld disait de Laperrine: «C’est lui qui a donné le Sahara à la France… et qui a réuni nos possessions d’Algérie et notre colonie du Soudan.»
(10) Accords de Tamanrasset de 1991
(11) Accords d’Alger de juillet 2006
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Niger: après les rapts, l'avenir bouché d'Agadez, la belle cité du nord
"Ce n'est pas vivre, c'est vivoter", lâche Moussa au fond de son hôtel quasi-désert: après l'enlèvement de sept étrangers dans le nord du Niger, l'accablement et la colère gagnent la belle Agadez, capitale régionale à l'avenir désormais bouché.
Sous le rude soleil, il n'y a guère que les chèvres pour mener leur train habituel, dans les ruelles ocres comme le banco (argile et herbes sèches) dont sont faits murs et façades. Le rapt le 16 septembre dans la cité minière d'Arlit (240 km au nord) de cinq Français et de deux Africains --un Togolais et un Malgache-- par Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) est dans tous les esprits.
A Agadez (1.000 km au nord-est de Niamey), "on parle de ça dans toutes les fada (conversations, ndlr)", raconte à l'AFP Abdelaziz Afilo, qui travaille à la "librairie de l'Aïr", du nom du proche massif montagneux d'où seraient venus les ravisseurs.
"La menace restait lointaine jusque-là, les habitants n'y croyaient pas trop. Maintenant, les gens d'Aqmi sont là", explique Raliou Hamed Assaleh, responsable de la radio locale Radio Sahara.
Le gouvernorat d'Agadez est le coeur de cette cité de quelque 100.000 âmes aux portes du désert. On y règle les détails des convois - de voyageurs ou de matériel - vers les localités voisines ou très éloignées. Chaque convoi comprend des véhicules de l'armée ou de la gendarmerie, équipés d'armes lourdes.
Officiellement, ces dispositions sont héritées de l'époque de la dernière rébellion touareg (2007-2009) et maintenues pour parer aux attaques de "bandits armés", souvent d'ex-rebelles en rupture de ban. Mais ces derniers oeuvrent parfois pour le compte d'Aqmi.
Aussitôt après les enlèvements, le gouvernement a annoncé des mesures de sécurité "renforcées", en particulier dans la zone d'Agadez.
Jour et nuit, des patrouilles circulent dans la ville et les rares Occidentaux doivent se faire enregistrer à leur arrivée.
"C'est normal d'avoir peur, ça nous concerne tous", souligne Hadiza, après avoir servi du mouton à des clients dans la chaleur de son petit restaurant. La jeune femme ne sort d'Agadez qu'à l'heure des convois.
Au-delà de l'insécurité, l'avenir économique de la capitale régionale est au centre des inquiétudes.
Le groupe nucléaire français Areva et ses sous-traitants employaient à Arlit de nombreux habitants d'Agadez. Avec l'activité qui "tourne au ralenti" depuis la semaine dernière, ils se trouvent menacés de chômage, s'alarme un responsable du gouvernorat.
Quant aux visiteurs, ils ont plus de raisons que jamais d'éviter la destination.
A l'accueil de l'hôtel de la Paix, Moussa ressasse sa déception: une organisation internationale qui comptait y loger pendant plusieurs jours des collaborateurs, a finalement renoncé à leur venue "par mesure de sécurité", dit-il.
Pour les acteurs du tourisme ou de l'artisanat, c'est un crève-coeur. Symbole de ce coup du sort, la compagnie française Point Afrique a décidé de ne plus desservir une région devenue trop dangereuse.
Après le désarmement des rebelles en octobre 2009, il y avait "un début de reprise", mais à présent c'est le "découragement total", confie un Touareg. Turban gris et boubou rose, il prend le thé devant son agence de voyages qui, comme les autres de la ville, garde portes closes.
"On est musulmans depuis longtemps ici", insiste-t-il, le bras tendu vers la très ancienne mosquée, un des trésors de banco de la ville.
"Mais on ne comprend rien à ces musulmans-là ! Les gens d'Aqmi bloquent toute la région", accuse cet homme. Il ne se laissera identifier que par ses initiales "E.K.": "on a peur d'eux", justifie-t-il.
AFP
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