WikiLeaks : au Maroc, la corruption s'institutionnalise et n'épargne pas le Palais royal
LEMONDE | 10.12.10
"Les pratiques de corruption existaient durant le règne de Hassan II. Elles se sont institutionnalisées avec le roi Mohammed VI." Le constat émane d'un homme d'affaires étranger, installé de longue date dans le royaume, en contrepoint d'une aventure dont il est le principal protagoniste et dont on peut lire les détails dans un télégramme diplomatique de novembre 2009 intitulé "Un conte aux proportions royales", obtenu par Wikileaks et révélé par Le Monde.
La corruption occupe une part non négligeable des télégrammes américains émanant du Maroc. Ils donnent l'image d'une pratique répandue dans le royaume, qui concerne les civils comme les militaires, ignore les classes sociales et touche jusqu'au palais royal.
L'homme d'affaires, d'origine étrangère, souhaitait investir dans un projet immobilier au Maroc. Il avait obtenu le permis de construire. Le financement (220 millions de dollars, soit 168 millions d'euros), en partie d'origine étrangère, était bouclé. Mais le projet allait être bloqué pour des raisons qui échappèrent à l'homme d'affaires jusqu'au jour où il fût approché par le responsable d'une société liée au palais royal. Ce dernier "l'encourage fortement" à faire une place à cette entreprise.
"RAPACITÉ DES PROCHES DU ROI MOHAMMED VI"
"Ayant refusé la proposition et après des mois de gel du projet", l'entrepreneur accepte une nouvelle offre : il n'est plus question d'une participation, mais l'homme d'affaires devra user de son réseau de relations pour faciliter les contacts entre la société marocaine et les investisseurs potentiels d'un pays du Golfe. Ce qu'il accepte. La mission revenue au Maroc, la firme marocaine "à la demande du palais, honore partiellement ses engagements, ne réclamant qu'une participation de 5 %".
Cité dans le même télégramme, un financier, bien introduit dans le makhzen (un mot intraduisible pour signifier le monde politico-économique qui gravite autour du palais royal) est catégorique : "Les grandes décisions d'investissements, confie-t-il à son interlocuteur américain, doivent avoir le feu vert de trois personnes (…) Discuter avec quelqu'un d'autre serait une perte de temps." Suivent les noms des trois personnes. Elles occupent toutes une position privilégiée au cœur de la monarchie.
L'affairisme du palais royal, à vrai dire, n'étonne pas vraiment le haut fonctionnaire, qui rappelle qu'un ancien ambassadeur américain, "resté proche du palais, est venu se plaindre auprès de nous de la rapacité des proches du roi Mohammed VI". Et l'auteur de conclure : "Ce phénomène fragilise sérieusement les efforts de bonne gouvernance que le gouvernement s'efforce de promouvoir."
Un câble précédent, daté d'août 2008, avait, lui, mis l'accent sur la "corruption institutionnalisée" dans les hautes sphères des Forces armées royales (FAR), en particulier celles stationnées au Sahara occidental. "Des rapports crédibles indiquent que le général Benanni utilise sa position de commandant du secteur sud pour récupérer de l'argent des contrats militaires et peser sur les décisions dans le domaine des affaires."
"Benanni, comme beaucoup d'autres officiers supérieurs, possède une somptueuse maison de famille probablement construite avec de l'argent provenant de pots-de-vin", assure le mémo, qui regrette qu'en dépit des promesses faites par les autorités d'éradiquer la corruption parmi les officiers, "peu de choses ont été faites" à ce jour.
La corruption, l'économie parallèle, les passe-droits, on les retrouve dans une autre étude confidentielle du consulat de Casablanca, rédigée en mai 2008 et consacrée aux causes de l'opulence de la capitale économique du royaume. "Le trafic de drogue, le blanchiment d'argent et une corruption endémique jouent un rôle dans la croissance", indique le document.
A l'appui de la démonstration, l'auteur cite le cas d'un officier devenu importateur de motos de marque allemande après avoir eu connaissance que la police allait passer une importante commande. Ou celui de terrains gelés par la municipalité mais "devenus constructibles après le versement de pots-de-vin par des promoteurs".
Le consulat américain à Casablanca a touché du doigt l'importance de cette économie parallèle lorsqu'il a voulu s'agrandir : "Sur la trentaine de sites identifiés, plus de vingt ont du être exclus tout de suite car les propriétaires ne voulaient pas vendre dans le cadre d'une transaction officielle."
Jean-Pierre Tuquoi
LEMONDE | 10.12.10
"Les pratiques de corruption existaient durant le règne de Hassan II. Elles se sont institutionnalisées avec le roi Mohammed VI." Le constat émane d'un homme d'affaires étranger, installé de longue date dans le royaume, en contrepoint d'une aventure dont il est le principal protagoniste et dont on peut lire les détails dans un télégramme diplomatique de novembre 2009 intitulé "Un conte aux proportions royales", obtenu par Wikileaks et révélé par Le Monde.
La corruption occupe une part non négligeable des télégrammes américains émanant du Maroc. Ils donnent l'image d'une pratique répandue dans le royaume, qui concerne les civils comme les militaires, ignore les classes sociales et touche jusqu'au palais royal.
L'homme d'affaires, d'origine étrangère, souhaitait investir dans un projet immobilier au Maroc. Il avait obtenu le permis de construire. Le financement (220 millions de dollars, soit 168 millions d'euros), en partie d'origine étrangère, était bouclé. Mais le projet allait être bloqué pour des raisons qui échappèrent à l'homme d'affaires jusqu'au jour où il fût approché par le responsable d'une société liée au palais royal. Ce dernier "l'encourage fortement" à faire une place à cette entreprise.
"RAPACITÉ DES PROCHES DU ROI MOHAMMED VI"
"Ayant refusé la proposition et après des mois de gel du projet", l'entrepreneur accepte une nouvelle offre : il n'est plus question d'une participation, mais l'homme d'affaires devra user de son réseau de relations pour faciliter les contacts entre la société marocaine et les investisseurs potentiels d'un pays du Golfe. Ce qu'il accepte. La mission revenue au Maroc, la firme marocaine "à la demande du palais, honore partiellement ses engagements, ne réclamant qu'une participation de 5 %".
Cité dans le même télégramme, un financier, bien introduit dans le makhzen (un mot intraduisible pour signifier le monde politico-économique qui gravite autour du palais royal) est catégorique : "Les grandes décisions d'investissements, confie-t-il à son interlocuteur américain, doivent avoir le feu vert de trois personnes (…) Discuter avec quelqu'un d'autre serait une perte de temps." Suivent les noms des trois personnes. Elles occupent toutes une position privilégiée au cœur de la monarchie.
L'affairisme du palais royal, à vrai dire, n'étonne pas vraiment le haut fonctionnaire, qui rappelle qu'un ancien ambassadeur américain, "resté proche du palais, est venu se plaindre auprès de nous de la rapacité des proches du roi Mohammed VI". Et l'auteur de conclure : "Ce phénomène fragilise sérieusement les efforts de bonne gouvernance que le gouvernement s'efforce de promouvoir."
Un câble précédent, daté d'août 2008, avait, lui, mis l'accent sur la "corruption institutionnalisée" dans les hautes sphères des Forces armées royales (FAR), en particulier celles stationnées au Sahara occidental. "Des rapports crédibles indiquent que le général Benanni utilise sa position de commandant du secteur sud pour récupérer de l'argent des contrats militaires et peser sur les décisions dans le domaine des affaires."
"Benanni, comme beaucoup d'autres officiers supérieurs, possède une somptueuse maison de famille probablement construite avec de l'argent provenant de pots-de-vin", assure le mémo, qui regrette qu'en dépit des promesses faites par les autorités d'éradiquer la corruption parmi les officiers, "peu de choses ont été faites" à ce jour.
La corruption, l'économie parallèle, les passe-droits, on les retrouve dans une autre étude confidentielle du consulat de Casablanca, rédigée en mai 2008 et consacrée aux causes de l'opulence de la capitale économique du royaume. "Le trafic de drogue, le blanchiment d'argent et une corruption endémique jouent un rôle dans la croissance", indique le document.
A l'appui de la démonstration, l'auteur cite le cas d'un officier devenu importateur de motos de marque allemande après avoir eu connaissance que la police allait passer une importante commande. Ou celui de terrains gelés par la municipalité mais "devenus constructibles après le versement de pots-de-vin par des promoteurs".
Le consulat américain à Casablanca a touché du doigt l'importance de cette économie parallèle lorsqu'il a voulu s'agrandir : "Sur la trentaine de sites identifiés, plus de vingt ont du être exclus tout de suite car les propriétaires ne voulaient pas vendre dans le cadre d'une transaction officielle."
Jean-Pierre Tuquoi