Responsables vis-à-vis de l’histoire
La mort de feu Raiss, figure emblématique des rescapés du bagne de Tazmamart, a donné lieu à différents commentaires.
Elle a d’abord ravivé les blessures non cicatrisées des survivants parmi les rescapés, puisque cinq d’entre eux nous ont quittés et surtout remis en lumière les problèmes d’intégration de certains d’entre eux.
Il faut absolument rendre hommage au courage de ces hommes qui ont subi un enfer prévu pour les briser à jamais. Feu Raiss, en racontant ses mémoires publiées par «Al Ittihad Al Ichtiraqui», avait bouleversé ses lecteurs par l’horreur, l’abomination de ce mouroir. Merzouki et Binebine, ses compagnons, ont eux aussi livré, chacun selon sa sensibilité, le rendu d’un vécu aussi cauchemardesque qu’injuste et illégal.
Il est de coutume de présenter l’affaire de Tazmamart comme le summum de l’horreur des années de plomb et de l’imputer totalement au Makhzen et à ses structures sécuritaires. C’est une lecture étriquée de l’histoire.
Où étions-nous ? Les militaires jugés pour leur implication dans les deux tentatives de coups d’Etat ont été enlevés de la prison centrale de Kénitra. Ni la Justice, ni l’administration pénitentiaire ne s’en sont émues, ni n’ont montré la moindre résistance. Les partis de l’opposition de l’époque, qui multipliaient les communiqués réclamant la libération des détenus politiques, n’ont jamais mentionné les militaires.
Pire, le mouvement des Droits de l’Homme, qui a commencé à s’organiser au milieu des années 70, n’a pas fait grand cas de la séquestration illégale, dans un lieu secret et sans aucun lien avec le reste du monde, d’hommes qui ont été jugés et dont la majorité avait purgé sa peine.
Nous devons la vérité à l’histoire et à la jeunesse de ce pays. Obnubilés par la lutte pour le pouvoir, nous ne considérons pas ce dossier comme intéressant la société. Dans les années 80, l’affaire de ces militaires était pour tous les militants de gauche «une cuisine interne» de l’ennemi, du Makhzen et de son armée.
L’implication du général Oufkir dans le second coup d’Etat empêchait toute sympathie envers les putchistes, même si l’on sait maintenant qu’en majorité, ils ont été embarqués de force dans l’aventure et que certains partageaient les mêmes griefs que nous avions sur le Maroc d’alors.
C’étaient des «fascistes» et nous n’avions pas à nous en occuper outre mesure. Il faut se repositionner dans le contexte de l’époque, mais le faire de manière sincère si nous voulons réellement construire un Etat de droit où plus jamais un individu ou un groupe d’individus ne peuvent subir l’arbitraire, la violence de l’Etat.
Instrumentalisation politique Il faut aussi rappeler qu’alors qu’en 1974 le groupe Anis Balafrej a été soutenu par les avocats de l’Istiqlal de l’USFP et du PPS, en 1977 les militants d’Ila Al Amam ont été livrés à leur sort.
Bouabid en tête, les avocats ont abandonné la défense face à l’intransigeance d’Abraham Serfaty sur la question du Sahara. Il faut rappeler ces faits, non pour le plaisir de l’autoflagellation, mais pour montrer que les approches étaient aux antipodes de celles d’aujourd’hui et que le contexte est totalement différent.
La question des Droits de l’Homme était assujettie aux implications de la situation politique. Les gauchistes peuvent légitimement développer un certain ressentiment tant il est vrai qu’ils ont été abandonnés à leur sort, à cause de leur soutien au séparatisme.
La gauche patriotique défendait l’intégrité territoriale, mais avait aussi repositionné ses options politiques dans le cadre du choix du processus démocratique. Rapidement, cette option a dégagé la nécessité du combat pour les Droits humains en tant que tels.
La création de l’OMDH répond à cette nécessité. La gauche, malgré son emprise sur les instances, a voulu une certaine autonomie de cette organisation. Rappelons que c’est Mehdi El Manjra qui avait été élu président lors du congrès constitutif et que, devant le veto du Palais, c’est Omar Azziman qui a repris le flambeau.
La gauche donc a voulu qu’une personnalité indépendante soit la tête visible de ce combat. Mais cela n’a en rien empêché sa volonté d’instrumentaliser politiquement l’OMDH et son combat.
Il aura fallu un long, un très long processus pour que, sous la présidence d’Abdellaziz Bennani, et alors même qu’un véritable pluralisme a été assuré au sein de l’organisation, celleci se dirige vers l’autonomie de la question des Droits humains dans leur acception universelle.
L’AMDH, elle, se comporte comme un parti politique, mais en son sein, le même processus se développe qui l’amènera, par la résolution du conflit actuel, à la même démarche. Il faut souhaiter que les militants des Droits de l’Homme soient vigilants. Car les militants politiques sont et resteront toujours dans la même logique.
Il m’est personnellement impossible de me solidariser, au-delà du formel, avec les extrémistes islamistes. Les militants des Droits humains doivent, eux, défendre le droit à un procès équitable, le refus de la torture, y compris quand il s’agit de terroristes avérés.
La construction d’un Etat de droit nécessite un mouvement fort, ayant une véritable crédibilité et une audience réelle auprès de l’opinion publique; crédibilité et audience qui ne peuvent s’obtenir que par l’indépendance de ce mouvement, son intransigeance et le respect du cadre.
Il est ainsi inquiétant de voir certains vouloir se substituer à la Justice et énoncer des verdicts alors que leur rôle est de s’assurer du respect des procédures.
La mort de Raïss doit inciter les responsables, le CCDH en premier lieu, à tout faire pour l’intégration des survivants. Il doit inciter tous les acteurs politiques à une introspection sérieuse.
Bien sûr que le régime était responsable des violations des Droits de l’Homme, mais dans notre action, en avions-nous fait un véritable levier de combat ? Si nous l’avions fait, le calvaire de Tazmamart n’aurait pas duré 18 ans.
Jamal Berraoui,
La mort de feu Raiss, figure emblématique des rescapés du bagne de Tazmamart, a donné lieu à différents commentaires.
Elle a d’abord ravivé les blessures non cicatrisées des survivants parmi les rescapés, puisque cinq d’entre eux nous ont quittés et surtout remis en lumière les problèmes d’intégration de certains d’entre eux.
Il faut absolument rendre hommage au courage de ces hommes qui ont subi un enfer prévu pour les briser à jamais. Feu Raiss, en racontant ses mémoires publiées par «Al Ittihad Al Ichtiraqui», avait bouleversé ses lecteurs par l’horreur, l’abomination de ce mouroir. Merzouki et Binebine, ses compagnons, ont eux aussi livré, chacun selon sa sensibilité, le rendu d’un vécu aussi cauchemardesque qu’injuste et illégal.
Il est de coutume de présenter l’affaire de Tazmamart comme le summum de l’horreur des années de plomb et de l’imputer totalement au Makhzen et à ses structures sécuritaires. C’est une lecture étriquée de l’histoire.
Où étions-nous ? Les militaires jugés pour leur implication dans les deux tentatives de coups d’Etat ont été enlevés de la prison centrale de Kénitra. Ni la Justice, ni l’administration pénitentiaire ne s’en sont émues, ni n’ont montré la moindre résistance. Les partis de l’opposition de l’époque, qui multipliaient les communiqués réclamant la libération des détenus politiques, n’ont jamais mentionné les militaires.
Pire, le mouvement des Droits de l’Homme, qui a commencé à s’organiser au milieu des années 70, n’a pas fait grand cas de la séquestration illégale, dans un lieu secret et sans aucun lien avec le reste du monde, d’hommes qui ont été jugés et dont la majorité avait purgé sa peine.
Nous devons la vérité à l’histoire et à la jeunesse de ce pays. Obnubilés par la lutte pour le pouvoir, nous ne considérons pas ce dossier comme intéressant la société. Dans les années 80, l’affaire de ces militaires était pour tous les militants de gauche «une cuisine interne» de l’ennemi, du Makhzen et de son armée.
L’implication du général Oufkir dans le second coup d’Etat empêchait toute sympathie envers les putchistes, même si l’on sait maintenant qu’en majorité, ils ont été embarqués de force dans l’aventure et que certains partageaient les mêmes griefs que nous avions sur le Maroc d’alors.
C’étaient des «fascistes» et nous n’avions pas à nous en occuper outre mesure. Il faut se repositionner dans le contexte de l’époque, mais le faire de manière sincère si nous voulons réellement construire un Etat de droit où plus jamais un individu ou un groupe d’individus ne peuvent subir l’arbitraire, la violence de l’Etat.
Instrumentalisation politique Il faut aussi rappeler qu’alors qu’en 1974 le groupe Anis Balafrej a été soutenu par les avocats de l’Istiqlal de l’USFP et du PPS, en 1977 les militants d’Ila Al Amam ont été livrés à leur sort.
Bouabid en tête, les avocats ont abandonné la défense face à l’intransigeance d’Abraham Serfaty sur la question du Sahara. Il faut rappeler ces faits, non pour le plaisir de l’autoflagellation, mais pour montrer que les approches étaient aux antipodes de celles d’aujourd’hui et que le contexte est totalement différent.
La question des Droits de l’Homme était assujettie aux implications de la situation politique. Les gauchistes peuvent légitimement développer un certain ressentiment tant il est vrai qu’ils ont été abandonnés à leur sort, à cause de leur soutien au séparatisme.
La gauche patriotique défendait l’intégrité territoriale, mais avait aussi repositionné ses options politiques dans le cadre du choix du processus démocratique. Rapidement, cette option a dégagé la nécessité du combat pour les Droits humains en tant que tels.
La création de l’OMDH répond à cette nécessité. La gauche, malgré son emprise sur les instances, a voulu une certaine autonomie de cette organisation. Rappelons que c’est Mehdi El Manjra qui avait été élu président lors du congrès constitutif et que, devant le veto du Palais, c’est Omar Azziman qui a repris le flambeau.
La gauche donc a voulu qu’une personnalité indépendante soit la tête visible de ce combat. Mais cela n’a en rien empêché sa volonté d’instrumentaliser politiquement l’OMDH et son combat.
Il aura fallu un long, un très long processus pour que, sous la présidence d’Abdellaziz Bennani, et alors même qu’un véritable pluralisme a été assuré au sein de l’organisation, celleci se dirige vers l’autonomie de la question des Droits humains dans leur acception universelle.
L’AMDH, elle, se comporte comme un parti politique, mais en son sein, le même processus se développe qui l’amènera, par la résolution du conflit actuel, à la même démarche. Il faut souhaiter que les militants des Droits de l’Homme soient vigilants. Car les militants politiques sont et resteront toujours dans la même logique.
Il m’est personnellement impossible de me solidariser, au-delà du formel, avec les extrémistes islamistes. Les militants des Droits humains doivent, eux, défendre le droit à un procès équitable, le refus de la torture, y compris quand il s’agit de terroristes avérés.
La construction d’un Etat de droit nécessite un mouvement fort, ayant une véritable crédibilité et une audience réelle auprès de l’opinion publique; crédibilité et audience qui ne peuvent s’obtenir que par l’indépendance de ce mouvement, son intransigeance et le respect du cadre.
Il est ainsi inquiétant de voir certains vouloir se substituer à la Justice et énoncer des verdicts alors que leur rôle est de s’assurer du respect des procédures.
La mort de Raïss doit inciter les responsables, le CCDH en premier lieu, à tout faire pour l’intégration des survivants. Il doit inciter tous les acteurs politiques à une introspection sérieuse.
Bien sûr que le régime était responsable des violations des Droits de l’Homme, mais dans notre action, en avions-nous fait un véritable levier de combat ? Si nous l’avions fait, le calvaire de Tazmamart n’aurait pas duré 18 ans.
Jamal Berraoui,