Mensonges et secrets d’Etat sur le déclin de l’islamisme
Une effervescence intense s’est emparée des états-majors politiques et militaires occidentaux. Comment peuvent-ils contrer cette tempête de coups d’Etat populaires en Afrique du Nord et dans le monde arabe ?
Cette soudaine explosion de révoltes chez des peuples musulmans longtemps « ligotés » par leur soumission au totalitarisme étonne par son ampleur et sa maturité. Comme si un puissant taleb avait brisé les « carcans maraboutiques » auxquels ils étaient soumis contre leur gré.
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Les experts en communication, en renseignement et des journalistes tentent de remettre à la une des médias « l’épouvantail islamiste ».
Exactement comme ils l’avaient déjà fait dans les décennies 80 et 90 lorsque les visages des leaders du Front Islamique du Salut (FIS), Abassi Madani et Ali Benhadj, trônaient à la une de la presse mondiale.
Le sursaut démocratique raté de l’Algérie
On se souvient que la révolte algérienne du 5 octobre 1988 avait brisé le carcan du parti unique, des candidats uniques et du parti-Etat totalitaire et socialisant dans la majeure partie des pays arabo-africains.
L’Algérie avait été le précurseur d’une nouvelle ère de multipartisme. Mais l’Occident colonisateur et dominateur voyait d’un mauvais œil cette démocratisation de la vie politique des pays du Sud.
Lorsque les premières élections pluralistes en Algérie ont été gagnées par le FIS, la panique a atteint son comble et le rejet de cette « insurrection électorale » fut brutal.
Des voix minoritaires, aussi bien dans le monde arabe qu’en Occident, s’étaient pourtant prononcées pour laisser se dérouler ce « laboratoire politique islamiste » en pronostiquant sa « régression féconde » et son déclin inéluctable.
Mais pour les tenants de la realpolitik, il était hors de question de laisser l’islamisme radical poursuivre son mouvement insurrectionnel contre les assises d’un Etat construit sur le modèle de l’Etat colonial jacobin. L’Occident ne voulait pas d’un autre exemple à l’iranienne dans l’espace sunnite et méditerranéen.
Après quelques jours de flottement suivant le premier tour des élections législatives du 26 décembre 1991, le journal gouvernement El Moudjahid rapporte cette information capitale et laconique : un entretien téléphonique du président Chadli Bendjedid avec François Mitterand et le roi Fahd d’Arabie Saoudite.
Par contre, ce qui n’était pas écrit, était leur « souhait » que le FIS ne devait pas accéder au pouvoir. Un témoin rapporta à l’auteur que c’est Chadli lui-même qui donna l’ordre au ministre de la Défense Khaled Nezzar de tout arrêter.
Puis pris de remords, il tenta de se raviser et de poursuivre le processus électoral, encouragé en cela par l’alliance politique nouée entre les trois fronts (FLN, FFS, FIS). Mais c’était trop tard. Les généraux, qui avaient reçu la même instruction par un autre canal, déboulèrent dans son bureau pour le contraindre par la force à démissionner pour les laisser gérer la suite des événements.
Tout ce renversement de situation s’était déroulé en 15 jours, mais l’Algérie l’a payé de son sang durant une décennie.
La peur du l’intifadha terroriste
La terrible réaction armée des islamistes a surpris les généraux et l’Occident autant que leur victoire électorale. Le savoir-faire militaire des moudjahiddines revenus d’Afghanistan et des nombreux déserteurs, qui ont rejoint les maquis, ont causé de lourdes pertes aux forces de l’ordre.
Malgré toutes les infiltrations et les faux maquis, le germe contestataire islamiste s’est militarisé, organisé et tenait bon. Les exilés du FIS aux Etats-Unis et en Europe multipliaient les initiatives et les contacts internationaux, naviguant habilement entre les réseaux de renseignements qui avaient du mal à les neutraliser. On se rappelle des multiples descentes faites par le Ministre de l’intérieur Charles Pasqua dans les milieux islamistes en France.
Une nouvelle peur s’est alors de nouveau installée en Occident sur le danger de propagation de « l’intifadha terroriste » que suivaient avec curiosité et avidité la jeunesse des pays arabes.
Un contre ordre occidental a exigé des généraux de mettre un terme à ces tueries et de négocier avec les islamistes.
Dès l’été 1993, le ministre de la défense Khaled nezzar fut débarqué manu militari et remplacé par Liamine Zeroual muni d’une feuille de route de réconciliation. Sa première action spectaculaire fut de rendre visite aux chefs du FIS dans leur cellule à la prison militaire de Blida. Ensuite, il fut intronisé président de l'Etat en janvier 1994, avec les pleins pouvoirs pour finaliser les négociations, alors que les coups de feu et les bombes éclataient partout dans le pays causant d'énormes dégâts.
Après d’âpres discussions, Zeroual et les généraux étaient à deux doigts d’accepter le partage du pouvoir avec le FIS. Ces deux doigts sont ceux du n°2 du FIS, Ali Benhadj qui, devant ses six compagnons médusés, jeta le stylo et refusa de signer l’appel à l’arrêt de la violence et le retrait de la couverture islamiste aux actes terroristes. (2)
Zeroual et les généraux, désemparés, clôturèrent brutalement le dossier du FIS. Mais la partie continuait d’être sanglante sous les regards réprobateurs des puissances occidentales et le ras-le-bol des hommes de troupe.
Le recours à l’islamisme modéré
C’est ce moment que choisit Mahfoud Nahnah pour proposer l’alternative de l’islamisme modéré pour le partage du pouvoir. Il le paiera cher avec l’assassinat de 70 militants de son parti Hamas, mais il ne flancha pas et accompagna Zeroual dans le retour aux élections présidentielles de 1995 et législatives de 1997, couronnées par une entrée au gouvernement.
Le pôle islamiste était passé d’une violence insurrectionnelle à la normalisation et une représentation institutionnelle minoritaire, acceptant même les fraudes électorales.
Pendant ces vingt dernières années, la société algérienne et le monde arabe ont évolué, se sont transformé au sein de la mondialisation. Une nouvelle génération a grandi avec le téléphone portable, Internet, google, facebook, etc…
Les nombreux islamistes exilés en Occident se sont « politisés » et rendus à l’évidence sur la relativité de la Chariaâ. Des musulmanes circulaient librement voilées ou en tchador dans les capitales occidentales tolérantes, sans que personne ne les oblige à s’accoutrer de cette façon, ni à les déshabiller.
Ils ont redécouvert l’adage « pas de contrainte en religion » et compris que le musulman est le seul juge de son libre arbitre, qu’il peut vivre comme bon lui semble chez lui ou ailleurs dans le monde chrétien.
L’expérience positive et victorieuse du parti islamiste AKP en Turquie, après des années de répression, sert aujourd’hui de modèle aux adeptes de l’idéologie islamiste.
Les leaders occidentaux savent évidemment tout ça, mais ce n’est pas l’idéologie qui les préoccupe. C’est évidemment l’émancipation économique que va nécessairement engendrer la démocratisation des pays arabes, hors de leur contrôle et de leurs intérêts.
Comme dans un système de vases communicants, les capitaux, les compétences, la main d’œuvre qualifiée, la technologie qui ont longtemps fui un monde arabe hostile et rétrograde vont s’y installer durablement et efficacement.
Le déclin économique de plusieurs pays occidentaux est déjà confronté à la montée en puissance de la Chine, l’Inde, le Brésil. La crise financière a déjà dévoilé la vulnérabilité des petits pays comme la Grèce, Espagne, Italie, Grande-Bretagne,…
Les médias remettent à la une Rached Ghannouchi en Tunisie et les Frères musulmans en Egypte, pour faire peur à leurs opinions publiques et justifier une nouvelle riposte violente contre l’espoir démocratique. Les médias agitent aussi les marionnettes de l’invisible Ben Laden ou d’Al Qaida.
Mais les mouvements contestataires doivent rester vigilants et ne pas s’auto détruire en redevenant complices de pouvoirs dictatoriaux.
Le réveil démocratique et des sociétés civiles du monde arabe, représente un enjeu vital, qu’une diversion islamiste hyper médiatisée ne doit plus empêcher.
Saâd Lounès
Une effervescence intense s’est emparée des états-majors politiques et militaires occidentaux. Comment peuvent-ils contrer cette tempête de coups d’Etat populaires en Afrique du Nord et dans le monde arabe ?
Cette soudaine explosion de révoltes chez des peuples musulmans longtemps « ligotés » par leur soumission au totalitarisme étonne par son ampleur et sa maturité. Comme si un puissant taleb avait brisé les « carcans maraboutiques » auxquels ils étaient soumis contre leur gré.
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Les experts en communication, en renseignement et des journalistes tentent de remettre à la une des médias « l’épouvantail islamiste ».
Exactement comme ils l’avaient déjà fait dans les décennies 80 et 90 lorsque les visages des leaders du Front Islamique du Salut (FIS), Abassi Madani et Ali Benhadj, trônaient à la une de la presse mondiale.
Le sursaut démocratique raté de l’Algérie
On se souvient que la révolte algérienne du 5 octobre 1988 avait brisé le carcan du parti unique, des candidats uniques et du parti-Etat totalitaire et socialisant dans la majeure partie des pays arabo-africains.
L’Algérie avait été le précurseur d’une nouvelle ère de multipartisme. Mais l’Occident colonisateur et dominateur voyait d’un mauvais œil cette démocratisation de la vie politique des pays du Sud.
Lorsque les premières élections pluralistes en Algérie ont été gagnées par le FIS, la panique a atteint son comble et le rejet de cette « insurrection électorale » fut brutal.
Des voix minoritaires, aussi bien dans le monde arabe qu’en Occident, s’étaient pourtant prononcées pour laisser se dérouler ce « laboratoire politique islamiste » en pronostiquant sa « régression féconde » et son déclin inéluctable.
Mais pour les tenants de la realpolitik, il était hors de question de laisser l’islamisme radical poursuivre son mouvement insurrectionnel contre les assises d’un Etat construit sur le modèle de l’Etat colonial jacobin. L’Occident ne voulait pas d’un autre exemple à l’iranienne dans l’espace sunnite et méditerranéen.
Après quelques jours de flottement suivant le premier tour des élections législatives du 26 décembre 1991, le journal gouvernement El Moudjahid rapporte cette information capitale et laconique : un entretien téléphonique du président Chadli Bendjedid avec François Mitterand et le roi Fahd d’Arabie Saoudite.
Par contre, ce qui n’était pas écrit, était leur « souhait » que le FIS ne devait pas accéder au pouvoir. Un témoin rapporta à l’auteur que c’est Chadli lui-même qui donna l’ordre au ministre de la Défense Khaled Nezzar de tout arrêter.
Puis pris de remords, il tenta de se raviser et de poursuivre le processus électoral, encouragé en cela par l’alliance politique nouée entre les trois fronts (FLN, FFS, FIS). Mais c’était trop tard. Les généraux, qui avaient reçu la même instruction par un autre canal, déboulèrent dans son bureau pour le contraindre par la force à démissionner pour les laisser gérer la suite des événements.
Tout ce renversement de situation s’était déroulé en 15 jours, mais l’Algérie l’a payé de son sang durant une décennie.
La peur du l’intifadha terroriste
La terrible réaction armée des islamistes a surpris les généraux et l’Occident autant que leur victoire électorale. Le savoir-faire militaire des moudjahiddines revenus d’Afghanistan et des nombreux déserteurs, qui ont rejoint les maquis, ont causé de lourdes pertes aux forces de l’ordre.
Malgré toutes les infiltrations et les faux maquis, le germe contestataire islamiste s’est militarisé, organisé et tenait bon. Les exilés du FIS aux Etats-Unis et en Europe multipliaient les initiatives et les contacts internationaux, naviguant habilement entre les réseaux de renseignements qui avaient du mal à les neutraliser. On se rappelle des multiples descentes faites par le Ministre de l’intérieur Charles Pasqua dans les milieux islamistes en France.
Une nouvelle peur s’est alors de nouveau installée en Occident sur le danger de propagation de « l’intifadha terroriste » que suivaient avec curiosité et avidité la jeunesse des pays arabes.
Un contre ordre occidental a exigé des généraux de mettre un terme à ces tueries et de négocier avec les islamistes.
Dès l’été 1993, le ministre de la défense Khaled nezzar fut débarqué manu militari et remplacé par Liamine Zeroual muni d’une feuille de route de réconciliation. Sa première action spectaculaire fut de rendre visite aux chefs du FIS dans leur cellule à la prison militaire de Blida. Ensuite, il fut intronisé président de l'Etat en janvier 1994, avec les pleins pouvoirs pour finaliser les négociations, alors que les coups de feu et les bombes éclataient partout dans le pays causant d'énormes dégâts.
Après d’âpres discussions, Zeroual et les généraux étaient à deux doigts d’accepter le partage du pouvoir avec le FIS. Ces deux doigts sont ceux du n°2 du FIS, Ali Benhadj qui, devant ses six compagnons médusés, jeta le stylo et refusa de signer l’appel à l’arrêt de la violence et le retrait de la couverture islamiste aux actes terroristes. (2)
Zeroual et les généraux, désemparés, clôturèrent brutalement le dossier du FIS. Mais la partie continuait d’être sanglante sous les regards réprobateurs des puissances occidentales et le ras-le-bol des hommes de troupe.
Le recours à l’islamisme modéré
C’est ce moment que choisit Mahfoud Nahnah pour proposer l’alternative de l’islamisme modéré pour le partage du pouvoir. Il le paiera cher avec l’assassinat de 70 militants de son parti Hamas, mais il ne flancha pas et accompagna Zeroual dans le retour aux élections présidentielles de 1995 et législatives de 1997, couronnées par une entrée au gouvernement.
Le pôle islamiste était passé d’une violence insurrectionnelle à la normalisation et une représentation institutionnelle minoritaire, acceptant même les fraudes électorales.
Pendant ces vingt dernières années, la société algérienne et le monde arabe ont évolué, se sont transformé au sein de la mondialisation. Une nouvelle génération a grandi avec le téléphone portable, Internet, google, facebook, etc…
Les nombreux islamistes exilés en Occident se sont « politisés » et rendus à l’évidence sur la relativité de la Chariaâ. Des musulmanes circulaient librement voilées ou en tchador dans les capitales occidentales tolérantes, sans que personne ne les oblige à s’accoutrer de cette façon, ni à les déshabiller.
Ils ont redécouvert l’adage « pas de contrainte en religion » et compris que le musulman est le seul juge de son libre arbitre, qu’il peut vivre comme bon lui semble chez lui ou ailleurs dans le monde chrétien.
L’expérience positive et victorieuse du parti islamiste AKP en Turquie, après des années de répression, sert aujourd’hui de modèle aux adeptes de l’idéologie islamiste.
Les leaders occidentaux savent évidemment tout ça, mais ce n’est pas l’idéologie qui les préoccupe. C’est évidemment l’émancipation économique que va nécessairement engendrer la démocratisation des pays arabes, hors de leur contrôle et de leurs intérêts.
Comme dans un système de vases communicants, les capitaux, les compétences, la main d’œuvre qualifiée, la technologie qui ont longtemps fui un monde arabe hostile et rétrograde vont s’y installer durablement et efficacement.
Le déclin économique de plusieurs pays occidentaux est déjà confronté à la montée en puissance de la Chine, l’Inde, le Brésil. La crise financière a déjà dévoilé la vulnérabilité des petits pays comme la Grèce, Espagne, Italie, Grande-Bretagne,…
Les médias remettent à la une Rached Ghannouchi en Tunisie et les Frères musulmans en Egypte, pour faire peur à leurs opinions publiques et justifier une nouvelle riposte violente contre l’espoir démocratique. Les médias agitent aussi les marionnettes de l’invisible Ben Laden ou d’Al Qaida.
Mais les mouvements contestataires doivent rester vigilants et ne pas s’auto détruire en redevenant complices de pouvoirs dictatoriaux.
Le réveil démocratique et des sociétés civiles du monde arabe, représente un enjeu vital, qu’une diversion islamiste hyper médiatisée ne doit plus empêcher.
Saâd Lounès