Français, Juifs, Musulmans ... en Algérie de 1830 à 1962
article de la rubrique les deux rives de la Méditerranée > les « populations » de l’Algérie coloniale
date de publication : juillet 2003
Une synthèse d’après l’ouvrage de Patrick Weil, « Qu’est-ce qu’un Français ? » - Grasset 2002.
« Depuis 1848, les musulmans d’Algérie étaient français - formellement. Pratiquement, ils étaient soumis au code de l’Indigénat et avaient une nationalité dégradée, dénaturée. Pour devenir pleinement français, ils devaient d’ailleurs en passer par une naturalisation : entre 1865 et 1962, seuls 7 000 d’entre eux sont devenus ainsi français ! Et pourtant on leur tenait le discours sur la République, l’égalité et la fraternité.
« Jamais ailleurs qu’en Algérie la distance n’a été aussi grande entre les mots du discours républicain et sa pratique. »
Patrick Weil
Voir en ligne : "Le statut des musulmans en Algérie coloniale" par Patrick Weil (document de 15 pages, au format PDF)
L’Algérie est la seule colonie "moderne" de la France devenue, en vertu de la Constitution de 1848, territoire français. C’est la seule colonie de peuplement : elle attire des Français de métropole ; elle a vu aussi affluer des étrangers venus d’Espagne, d’Italie, de Malte ou d’Allemagne, et leurs enfants vont donc être faits français par la loi de 1889. Restent à l’écart de ce processus "d’intégration", qui a déjà concerné les juifs algériens en 1870, les " indigènes musulmans ", qui constituent la majorité de la population de l’ Algérie. Formellement, ils sont sujets français - mais leur nationalité est vidée de ses droits.
Napolitaine Nègre Mozabite Gitana Arabe Maltaise Gitane Vieille-Juive "Types algériens" - Carte postale d’Assus - 1905 De la porte fermée à l’ouverture au compte-gouttes
Lors du traité de capitulation signée par le bey d’Alger, le 5 juillet 1830, la France s’engage solennellement « à ne pas porter atteinte à la liberté des habitants de toutes classes et à leur religion ». En pratique, les indigènes - c’est ainsi que les habitants de l’Algérie sont dénommés - sont régis par un statut particulier et distinct selon qu’ils sont juifs ou musulmans, mais ils ne sont pas français.
Dès l’annexion de l’Algérie prononcée par l’ordonnance royale du 24 février 1834, les indigènes musulmans ou juifs sont considérés comme sujets français. Mais ils n’ont pas la pleine nationalité française et aucune procédure ne leur permet de l’obtenir. Un projet vise bien, dès 1846, à faciliter la naturalisation en réduisant le délai de dix ans alors en vigueur en métropole, mais il réserve cette facilité aux étrangers résidant en Algérie. Ce projet de loi qui ne voit pas le jour en raison de la chute de la monarchie de Juillet, est repris tout au long des années 1850 sans plus de succès, mais avec la même orientation : on est prêt à faciliter la naturalisation des étrangers, mais pas question de "naturaliser" des musulmans et des juifs.
En 1865, dans le cadre de sa politique du "royaume arabe", Napoléon III promulgue un sénatus-consulte qui permet aux indigènes musulmans et israélites de demander à "jouir des droits de citoyen français" ; l’étranger justifiant de trois années de résidence en Algérie peut bénéficier de la même procédure. Pour la première fois, la pleine nationalité s’ouvre aux indigènes juifs et musulmans. Les trois catégories d’habitants d’ Algérie non pleinement français, - les 30 000 juifs, les 3 millions de musulmans et les 250 000 étrangers - sont traités séparément mais presque sur le même pied, dans ce droit de la nationalité ad hoc qui s’applique dorénavant en Algérie. Cette égalité formelle entre les trois catégories de "non pleinement Français" est vite rompue, dès 1870, lorsque le statut des juifs est modifié.
Le décret Crémieux et la "naturalisation" des juifs
Le 24 octobre 1870, un décret du gouvernement de la Défense nationale constitué après la défaite de Sedan face à la Prusse confère la nationalité française aux Israélites indigènes des départements d’Algérie et abroge pour ce qui les concerne le sénatus-consulte du 14 juillet 1865. C’est, pour les juifs d’ Algérie, la dernière étape d’un processus d’assimilation qui a débuté dès le début de la conquête française.
Au cours de son voyage en Algérie, en mai 1865, Napoléon III avait reçu une pétition de 10 000 signataires juifs qui demandaient la "naturalisation collective". Cet acte, Napoléon III en a approuvé le principe ; son gouvernement a transmis le 8 mars 1870 le projet de naturalisation collective qui devient, le 24 octobre suivant, l’un des sept décrets pris sous l’inspiration d’Adolphe Crémieux par le gouvernement provisoire au sujet de l’Algérie. L’assimilation juridique des israélites d’Algérie assure leur fidélité au nouveau régime et apporte à une population française d’environ 90 000 personnes le renfort de 35 000 nouveaux citoyens.
Cette naturalisation collective se fait en revanche contre l’administration coloniale ; une partie des colons, après l’avoir approuvée, s’y oppose également. Un compromis intervient en octobre 1871 qui confirme la naturalisation des « Israélites nés en Algérie depuis l’occupation française ou nés depuis cette époque de parents établis en Algérie à l’époque où elle s’est produite ».
Les étrangers plutôt que les musulmans
Le décret Crémieux de naturalisation collective des juifs aurait pu être l’amorce d’une politique d’accès à la "pleine nationalité" pour les musulmans. Chez les colons, cette perspective, immédiatement rejetée en 1871, l’est de plus en plus, au fur et à mesure des années.
En mars 1871, une révolte massive se produit en Kabylie, dans la foulée de la défaite de l’armée française face à la Prusse et de la désorganisation du pouvoir en France. Le 5 mai 1871, Mokrani, chef de la révolte, est tué par les troupes françaises et le 13 septembre, la Kabylie est définitivement soumise. Comment dès lors envisager la naturalisation collective réclamée entre 1858 et 1870 ? « On créerait d’un seul coup deux millions de citoyens au milieu desquels la minorité française serait étouffée. Que deviendrait alors le principe et la base de notre domination ? » résume en 1872 le gouverneur de Gueydon. La "nouvelle doctrine" des colons d’Algérie est fixée : pas question de naturalisation en masse ; il faut en rester à la porte étroite de la naturalisation individuelle ouverte par le sénatus-consulte de 1865. La naturalisation étant souvent mal vue des musulmans (qui considèrent ceux qui la demandent et l’obtiennent comme des M’tourni, c’est-à-dire des renégats), le nombre des naturalisations est faible, variant de 20 à 70 par an, avec une pointe de 137 en 1875.
En fait, les élus des colons français au Parlement sont alors mobilisés par une autre cause que celle des musulmans. Le sénatus-consulte de 1865 n’avait pas eu les effets escomptés sur les étrangers installés en Algérie (Espagnols, Italiens, etc. ) : malgré le faible coût et la rapidité de la procédure, il n ’y avait eu, entre 1865 et 1881, que 4 428 naturalisations, soit 276 par an. Aussi la population étrangère s’accroissait-elle jusqu’à dépasser la population française. D’où la constatation du gouverneur Louis Tirman qui expose sa démarche dans un discours prononcé le 20 novembre 1884 au Conseil supérieur de l’ Algérie : « Le dernier recensement de 1881 a constaté que la population française d’origine européenne ne l’emporte plus sur la population étrangère que d’un chiffre de 14 064 individus. Cet écart, qui était de 26 248 en 1865, va chaque année en diminuant et dans le département d’Oran l’élément national n’est plus en majorité. Puisque nous n’avons plus l’espérance d’augmenter la population française au moyen de la colonisation officielle, il faut rechercher le remède dans la naturalisation d’étrangers. »Le recensement de 1886 confortera son analyse : en Algérie, on comptabilise 219 627 Français et 202 212 étrangers, sans compter les 17 445 Marocains. Le danger est pour la France de voir son reuvre de colonisation contestée par l’Espagne et surtout par l’Italie, qui s’est récemment alliée à l’Autriche et à l’Allemagne.
Le 30 septembre 1884, Tirman soumet au gouvernement un projet de loi élaboré par l’école de droit d’Alger, qui propose de conférer la nationalité française à tout individu né en Algérie de parents étrangers (à moins qu’il ne décide de conserver sa nationalité d’origine dans l’année qui suit sa majorité). Mais le gouvernement, attaché au principe selon lequel " la nationalité résulte des liens du sang ", rejette une disposition qui consacrerait le droit du sol. Le 23 mai 1885, Tirman revient à la charge avec un projet de loi spéciale à l’ Algérie, rejeté à nouveau. Une fenêtre d’opportunité s’ouvre enfin lorsque le grand texte de loi sur la nationalité (voté en 1889) vient en discussion à la Chambre. Les députés du Nord et des départements frontières veulent le retour du jus soli pour imposer aux enfants d’immigrés l’égalité des devoirs, en particulier les devoirs militaires. Le renfort des élus d’Algérie, qui obtiennent l’application du jus soli à leur territoire, contribue sans aucun doute à l’adoption de la loi de 1889. Dorénavant, l’enfant né en Algérie d’un parent déjà né en Algérie est français à la naissance comme l’enfant né en France d’un parent né en France 127. Si les parents sont nés à l’étranger, l’enfant sera français à sa majorité, sauf renonciation dans l’année qui la suit. Appliquée à une population étrangère souvent présente depuis deux générations, la loi produit immédiatement ses effets. Dès 1890, le nombre d’inscrits pour la conscription passe de 2 631 à 4 740, pour rester à ce niveau les années suivantes. Au recensement de 1891, il y a 267 672 Français contre 215 793 étrangers ; en 1896, l’écart s’accroît encore (331 137 contre 211 580). En 1898, le gouverneur Edouard Laferrière estime que parmi les 384 000 Français d’Algérie, 275 000 sont "d’origine" et 109 000 sont "naturalisés" (dont 53 000 israélites). La loi de 1889 est bien "l’acte de naissance du peuple européen d’Algérie" (Ageron).
Le statut d’infériorité des indigènes musulmans
A la demande des élus d’Algérie, la loi de 1889 ne s’applique donc pas aux indigènes musulmans. Pour devenir pleinement français, ils sont régis par le sénatus-consulte de 1865. Restant sujets, ils sont soumis à un statut spécial. En 1830, un tel statut pouvait paraître l’octroi par le vainqueur d’un privilège au vaincu : le droit de s’auto-administrer. Mais très vite, ce privilège fond, et le musulman se voit soumis à un statut exceptionnel d’infériorité.
En 1899, l’assemblée de l’Algérie comporte 48 représentants pour 630 000 européens, et 21 pour les 3,6 millions de musulmans.
La dénaturation de la nationalité
Officiellement, le musulman d’ Algérie est français, mais avec un statut particulier. Il peut demander à devenir pleinement français - pour cela, il doit se soumettre à une procédure plus contraignante encore que la procédure de naturalisation réservée à l’étranger résidant en France.
Pour expliquer le nombre très faible de musulmans d’ Algérie demandant l’accession à la pleine nationalité, la raison le plus couramment invoquée est le souhait d’une très large majorité d’entre eux de conserver le statut personnel dicté par le Coran. Il est vrai que le sénatus-consulte de 1865 oblige le musulman d’ Algérie non pas à renier sa religion musulmane - il peut continuer de la considérer en tant que code moral et comme recueil de prescriptions religieuses -, mais à respecter le Code civil français, c’est-à-dire à ne plus pratiquer les cinq coutumes qui sont incompatibles avec lui : la polygamie ; le droit de djebr, qui permet à un père musulman de marier son enfant jusqu’à un certain âge ; le droit de rompre le lien conjugal à la discrétion du mari ; la théorie de " l’enfant endormi " qui permet de reconnaître la filiation légitime d’un enfant né plus de dix mois et jusqu’à cinq ans après la dissolution d’un mariage ; enfin le privilège des mâles en matière de succession.
Il ne faut pas croire que le fait de renoncer au statut personnel de musulman (c’est-à-dire aux coutumes incompatibles avec le Code civil) suffisait en Algérie pour acquérir la pleine nationalité. La preuve en est donnée par les musulmans convertis au catholicisme - dans les années 1920, ils sont plusieurs centaines ou quelques milliers. La plupart sont naturalisés, mais pas tous ; dans ce cas, le converti non naturalisé reste considéré comme un indigène musulman soumis au "code de l’indigénat", au régime pénal et de police, aux tribunaux répressifs indigènes, mais aussi au tribunal du cadi là où il existe. Pour justifier cette règle, la cour d’appel d’Alger a statué en 1903 que le terme musulman « n’a pas un sens purement confessionnel, mais qu’il désigne au contraire l’ensemble des individus d’origine musulmane qui, n’ayant point été admis au droit de cité, ont nécessairement conservé leur statut personnel musulman, sans qu’il y ait lieu de distinguer s’ils appartiennent ou non au culte mahométan ».
le TGI de Tizi-Ouzou déclare le sieur Ould Aoudia Boudjemâ [...] admis à la qualité de citoyen français. [1]
article de la rubrique les deux rives de la Méditerranée > les « populations » de l’Algérie coloniale
date de publication : juillet 2003
Une synthèse d’après l’ouvrage de Patrick Weil, « Qu’est-ce qu’un Français ? » - Grasset 2002.
« Depuis 1848, les musulmans d’Algérie étaient français - formellement. Pratiquement, ils étaient soumis au code de l’Indigénat et avaient une nationalité dégradée, dénaturée. Pour devenir pleinement français, ils devaient d’ailleurs en passer par une naturalisation : entre 1865 et 1962, seuls 7 000 d’entre eux sont devenus ainsi français ! Et pourtant on leur tenait le discours sur la République, l’égalité et la fraternité.
« Jamais ailleurs qu’en Algérie la distance n’a été aussi grande entre les mots du discours républicain et sa pratique. »
Patrick Weil
Voir en ligne : "Le statut des musulmans en Algérie coloniale" par Patrick Weil (document de 15 pages, au format PDF)
L’Algérie est la seule colonie "moderne" de la France devenue, en vertu de la Constitution de 1848, territoire français. C’est la seule colonie de peuplement : elle attire des Français de métropole ; elle a vu aussi affluer des étrangers venus d’Espagne, d’Italie, de Malte ou d’Allemagne, et leurs enfants vont donc être faits français par la loi de 1889. Restent à l’écart de ce processus "d’intégration", qui a déjà concerné les juifs algériens en 1870, les " indigènes musulmans ", qui constituent la majorité de la population de l’ Algérie. Formellement, ils sont sujets français - mais leur nationalité est vidée de ses droits.
Napolitaine Nègre Mozabite Gitana Arabe Maltaise Gitane Vieille-Juive "Types algériens" - Carte postale d’Assus - 1905 De la porte fermée à l’ouverture au compte-gouttes
Lors du traité de capitulation signée par le bey d’Alger, le 5 juillet 1830, la France s’engage solennellement « à ne pas porter atteinte à la liberté des habitants de toutes classes et à leur religion ». En pratique, les indigènes - c’est ainsi que les habitants de l’Algérie sont dénommés - sont régis par un statut particulier et distinct selon qu’ils sont juifs ou musulmans, mais ils ne sont pas français.
Dès l’annexion de l’Algérie prononcée par l’ordonnance royale du 24 février 1834, les indigènes musulmans ou juifs sont considérés comme sujets français. Mais ils n’ont pas la pleine nationalité française et aucune procédure ne leur permet de l’obtenir. Un projet vise bien, dès 1846, à faciliter la naturalisation en réduisant le délai de dix ans alors en vigueur en métropole, mais il réserve cette facilité aux étrangers résidant en Algérie. Ce projet de loi qui ne voit pas le jour en raison de la chute de la monarchie de Juillet, est repris tout au long des années 1850 sans plus de succès, mais avec la même orientation : on est prêt à faciliter la naturalisation des étrangers, mais pas question de "naturaliser" des musulmans et des juifs.
En 1865, dans le cadre de sa politique du "royaume arabe", Napoléon III promulgue un sénatus-consulte qui permet aux indigènes musulmans et israélites de demander à "jouir des droits de citoyen français" ; l’étranger justifiant de trois années de résidence en Algérie peut bénéficier de la même procédure. Pour la première fois, la pleine nationalité s’ouvre aux indigènes juifs et musulmans. Les trois catégories d’habitants d’ Algérie non pleinement français, - les 30 000 juifs, les 3 millions de musulmans et les 250 000 étrangers - sont traités séparément mais presque sur le même pied, dans ce droit de la nationalité ad hoc qui s’applique dorénavant en Algérie. Cette égalité formelle entre les trois catégories de "non pleinement Français" est vite rompue, dès 1870, lorsque le statut des juifs est modifié.
Le décret Crémieux et la "naturalisation" des juifs
Le 24 octobre 1870, un décret du gouvernement de la Défense nationale constitué après la défaite de Sedan face à la Prusse confère la nationalité française aux Israélites indigènes des départements d’Algérie et abroge pour ce qui les concerne le sénatus-consulte du 14 juillet 1865. C’est, pour les juifs d’ Algérie, la dernière étape d’un processus d’assimilation qui a débuté dès le début de la conquête française.
Au cours de son voyage en Algérie, en mai 1865, Napoléon III avait reçu une pétition de 10 000 signataires juifs qui demandaient la "naturalisation collective". Cet acte, Napoléon III en a approuvé le principe ; son gouvernement a transmis le 8 mars 1870 le projet de naturalisation collective qui devient, le 24 octobre suivant, l’un des sept décrets pris sous l’inspiration d’Adolphe Crémieux par le gouvernement provisoire au sujet de l’Algérie. L’assimilation juridique des israélites d’Algérie assure leur fidélité au nouveau régime et apporte à une population française d’environ 90 000 personnes le renfort de 35 000 nouveaux citoyens.
Cette naturalisation collective se fait en revanche contre l’administration coloniale ; une partie des colons, après l’avoir approuvée, s’y oppose également. Un compromis intervient en octobre 1871 qui confirme la naturalisation des « Israélites nés en Algérie depuis l’occupation française ou nés depuis cette époque de parents établis en Algérie à l’époque où elle s’est produite ».
Les étrangers plutôt que les musulmans
Le décret Crémieux de naturalisation collective des juifs aurait pu être l’amorce d’une politique d’accès à la "pleine nationalité" pour les musulmans. Chez les colons, cette perspective, immédiatement rejetée en 1871, l’est de plus en plus, au fur et à mesure des années.
En mars 1871, une révolte massive se produit en Kabylie, dans la foulée de la défaite de l’armée française face à la Prusse et de la désorganisation du pouvoir en France. Le 5 mai 1871, Mokrani, chef de la révolte, est tué par les troupes françaises et le 13 septembre, la Kabylie est définitivement soumise. Comment dès lors envisager la naturalisation collective réclamée entre 1858 et 1870 ? « On créerait d’un seul coup deux millions de citoyens au milieu desquels la minorité française serait étouffée. Que deviendrait alors le principe et la base de notre domination ? » résume en 1872 le gouverneur de Gueydon. La "nouvelle doctrine" des colons d’Algérie est fixée : pas question de naturalisation en masse ; il faut en rester à la porte étroite de la naturalisation individuelle ouverte par le sénatus-consulte de 1865. La naturalisation étant souvent mal vue des musulmans (qui considèrent ceux qui la demandent et l’obtiennent comme des M’tourni, c’est-à-dire des renégats), le nombre des naturalisations est faible, variant de 20 à 70 par an, avec une pointe de 137 en 1875.
En fait, les élus des colons français au Parlement sont alors mobilisés par une autre cause que celle des musulmans. Le sénatus-consulte de 1865 n’avait pas eu les effets escomptés sur les étrangers installés en Algérie (Espagnols, Italiens, etc. ) : malgré le faible coût et la rapidité de la procédure, il n ’y avait eu, entre 1865 et 1881, que 4 428 naturalisations, soit 276 par an. Aussi la population étrangère s’accroissait-elle jusqu’à dépasser la population française. D’où la constatation du gouverneur Louis Tirman qui expose sa démarche dans un discours prononcé le 20 novembre 1884 au Conseil supérieur de l’ Algérie : « Le dernier recensement de 1881 a constaté que la population française d’origine européenne ne l’emporte plus sur la population étrangère que d’un chiffre de 14 064 individus. Cet écart, qui était de 26 248 en 1865, va chaque année en diminuant et dans le département d’Oran l’élément national n’est plus en majorité. Puisque nous n’avons plus l’espérance d’augmenter la population française au moyen de la colonisation officielle, il faut rechercher le remède dans la naturalisation d’étrangers. »Le recensement de 1886 confortera son analyse : en Algérie, on comptabilise 219 627 Français et 202 212 étrangers, sans compter les 17 445 Marocains. Le danger est pour la France de voir son reuvre de colonisation contestée par l’Espagne et surtout par l’Italie, qui s’est récemment alliée à l’Autriche et à l’Allemagne.
Le 30 septembre 1884, Tirman soumet au gouvernement un projet de loi élaboré par l’école de droit d’Alger, qui propose de conférer la nationalité française à tout individu né en Algérie de parents étrangers (à moins qu’il ne décide de conserver sa nationalité d’origine dans l’année qui suit sa majorité). Mais le gouvernement, attaché au principe selon lequel " la nationalité résulte des liens du sang ", rejette une disposition qui consacrerait le droit du sol. Le 23 mai 1885, Tirman revient à la charge avec un projet de loi spéciale à l’ Algérie, rejeté à nouveau. Une fenêtre d’opportunité s’ouvre enfin lorsque le grand texte de loi sur la nationalité (voté en 1889) vient en discussion à la Chambre. Les députés du Nord et des départements frontières veulent le retour du jus soli pour imposer aux enfants d’immigrés l’égalité des devoirs, en particulier les devoirs militaires. Le renfort des élus d’Algérie, qui obtiennent l’application du jus soli à leur territoire, contribue sans aucun doute à l’adoption de la loi de 1889. Dorénavant, l’enfant né en Algérie d’un parent déjà né en Algérie est français à la naissance comme l’enfant né en France d’un parent né en France 127. Si les parents sont nés à l’étranger, l’enfant sera français à sa majorité, sauf renonciation dans l’année qui la suit. Appliquée à une population étrangère souvent présente depuis deux générations, la loi produit immédiatement ses effets. Dès 1890, le nombre d’inscrits pour la conscription passe de 2 631 à 4 740, pour rester à ce niveau les années suivantes. Au recensement de 1891, il y a 267 672 Français contre 215 793 étrangers ; en 1896, l’écart s’accroît encore (331 137 contre 211 580). En 1898, le gouverneur Edouard Laferrière estime que parmi les 384 000 Français d’Algérie, 275 000 sont "d’origine" et 109 000 sont "naturalisés" (dont 53 000 israélites). La loi de 1889 est bien "l’acte de naissance du peuple européen d’Algérie" (Ageron).
Le statut d’infériorité des indigènes musulmans
A la demande des élus d’Algérie, la loi de 1889 ne s’applique donc pas aux indigènes musulmans. Pour devenir pleinement français, ils sont régis par le sénatus-consulte de 1865. Restant sujets, ils sont soumis à un statut spécial. En 1830, un tel statut pouvait paraître l’octroi par le vainqueur d’un privilège au vaincu : le droit de s’auto-administrer. Mais très vite, ce privilège fond, et le musulman se voit soumis à un statut exceptionnel d’infériorité.
En 1899, l’assemblée de l’Algérie comporte 48 représentants pour 630 000 européens, et 21 pour les 3,6 millions de musulmans.
La dénaturation de la nationalité
Officiellement, le musulman d’ Algérie est français, mais avec un statut particulier. Il peut demander à devenir pleinement français - pour cela, il doit se soumettre à une procédure plus contraignante encore que la procédure de naturalisation réservée à l’étranger résidant en France.
Pour expliquer le nombre très faible de musulmans d’ Algérie demandant l’accession à la pleine nationalité, la raison le plus couramment invoquée est le souhait d’une très large majorité d’entre eux de conserver le statut personnel dicté par le Coran. Il est vrai que le sénatus-consulte de 1865 oblige le musulman d’ Algérie non pas à renier sa religion musulmane - il peut continuer de la considérer en tant que code moral et comme recueil de prescriptions religieuses -, mais à respecter le Code civil français, c’est-à-dire à ne plus pratiquer les cinq coutumes qui sont incompatibles avec lui : la polygamie ; le droit de djebr, qui permet à un père musulman de marier son enfant jusqu’à un certain âge ; le droit de rompre le lien conjugal à la discrétion du mari ; la théorie de " l’enfant endormi " qui permet de reconnaître la filiation légitime d’un enfant né plus de dix mois et jusqu’à cinq ans après la dissolution d’un mariage ; enfin le privilège des mâles en matière de succession.
Il ne faut pas croire que le fait de renoncer au statut personnel de musulman (c’est-à-dire aux coutumes incompatibles avec le Code civil) suffisait en Algérie pour acquérir la pleine nationalité. La preuve en est donnée par les musulmans convertis au catholicisme - dans les années 1920, ils sont plusieurs centaines ou quelques milliers. La plupart sont naturalisés, mais pas tous ; dans ce cas, le converti non naturalisé reste considéré comme un indigène musulman soumis au "code de l’indigénat", au régime pénal et de police, aux tribunaux répressifs indigènes, mais aussi au tribunal du cadi là où il existe. Pour justifier cette règle, la cour d’appel d’Alger a statué en 1903 que le terme musulman « n’a pas un sens purement confessionnel, mais qu’il désigne au contraire l’ensemble des individus d’origine musulmane qui, n’ayant point été admis au droit de cité, ont nécessairement conservé leur statut personnel musulman, sans qu’il y ait lieu de distinguer s’ils appartiennent ou non au culte mahométan ».
le TGI de Tizi-Ouzou déclare le sieur Ould Aoudia Boudjemâ [...] admis à la qualité de citoyen français. [1]