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[Histoire] l’Epître (Risâla) d’Ibnou Zakrî (Alger, 1903), mufti de la G

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admin"SNP1975"

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L’auteur propose une réflexion de sociologie religieuse et historique de la Kabylie du xviiie siècle à nos jours à partir d’un document original, une épître : la Risâla d’Ibnou Zakrî rédigée en 1903 par un imâm1 de la grande mosquée d’Alger. Formé dans une zâwiya et clerc au service d’un pouvoir colonial, Ibnou Zakrî a fait partie de ce mouvement de penseurs cléricaux pré-réformistes, soucieux d’apporter des solutions pratiques et concrètes à une situation sociale et religieuse en crise.

L’épître d’Ibnou Zakrî est fort intéressante à plus d’un titre : d’une part, parce qu’elle établit un état des lieux de la situation politique et religieuse de la Kabylie du xixe siècle2 et d’autre part parce qu’elle est rédigée par un musulman non arabe qui, de surcroît, est un clerc officiel. On reviendra plus tard sur la façon dont la berbérité du clerc est exprimée et assumée. La pensée d’Ibnou Zakrî est marquée par deux éléments fondamentaux : la décadence de la société kabyle, notamment celle de ses mœurs, de ses traditions et de ses institutions, et celle d’une élite qui n’arrive pas à émerger ou ne souhaite pas être représentative. Cette Risâla3 s’adresse à deux publics qu’elle souhaite réconcilier : celui constitué par les autorités coloniales et le public kabyle.

“ La Risâla d’Ibnou Zakrî est de bout en bout une œuvre de conciliation, d’adaptation, de compromis et de réforme, c’est-à-dire la réponse à cette situation douloureuse d’un auteur marqué par sa condition ethnique de kabyle (zawawi) et contraint par sa position politique de clerc musulman officiel à produire une réflexion, à vrai dire une leçon de réformisme ” (p. 33).


Si la Risâla vise à réformer la société kabyle en y apportant des réponses concrètes, elle ne remet pas du tout en cause le cadre colonial français.

Avec la lettre d’Ibnou Zakrî et l’analyse qu’en fait l’auteur, nous sommes loin des représentations traditionnelles de l’islam kabyle qui, dès la fin du xixe siècle, abondent dans la surenchère d’un islam “ laïc ” ou alors dans celle d’un islam obscurantiste pétri de superstitions et de croyances craintives. Elle démontre qu’il existait en Kabylie des maîtres religieux reconnus par leur savoir religieux, scriptuaire et spécialisé4. C’est une Kabylie des sciences religieuses, des lettrés qui émerge et qui nous est présentée dans cet ouvrage qui conjugue plusieurs méthodes disciplinaires : l’histoire, la sociologie et la biographie. C’est une autre Kabylie, loin des clichés et poncifs habituels5, où l’islam est au centre de la réalité sociale. Cette présentation est à l’opposédes tableaux traditionnels de la société kabyle constituée de saints marabouts et d’amusnawen uniques dépositaires du savoir religieux et réputés et craints pour leurs pouvoirs magiques.

La Risâla donne également à la zâwiya kabyle une place déterminante dans la société kabyle (entre 35 et 40 zawâyâ au xixe siècle)6 ; une place à la fois politique, sociale et religieuse, encore plus importante, selon l’auteur, que celle généralement attribuée à la tajma‘at7 considérée comme la seule institution villageoise fédératrice reconnue aux Kabyles8. La zâwiya présentée comme La Mecque des Kabyles, mais qui, selon l’auteur, a fait l’objet d’un double anti-cléricalisme : celui des ulémas traditionnels et celui des agents de pouvoir de la Troisième République. L’auteur n’accorde pas à la tajma‘at l’importance qu’elle revêt dans les productions postérieures à Ibnou Zakrî.

Il démontre d’ailleurs tout au long de sa thèse pourquoi la zâwiya a connu autant de vicissitudes et d’illégitimité notamment avec la politique coloniale française (et le traumatisme de la répression de 1871) pour que les sciences sociales n’en retiennent qu’une institution obscurantiste, malheureuse et oubliée.

Le ton est donné : il s’agit, au cœur de la démonstration, de présenter l’islamité des Kabyles et d’analyser la façon dont elle s’est manifestée dans la société, dans ses rapports avec les mouvements religieux maghrébins et moyen-orientaux et avec le pouvoir colonial. L’analyse est stimulante car elle permet de comprendre pourquoi les Berbères ont été toujours été perçus comme des islamisés et non comme des musulmans. Un prisme renforcé par le mythe kabyle que l’auteur présente comme

“ une mythologie scientifique et politique qui a été et est toujours, l’inconscient de cette absence de la science, des idées et des mouvements religieux qui ont traversé la Kabylie depuis le xixe siècle ” (p. 301).


L’ouvrage est divisé en trois parties. Dans une longue introduction, l’auteur retrace son propre parcours universitaire et intellectuel avec, en arrière-plan, un panorama de la production des sciences sociales sur le champs d’études berbères par les Algériens et les chercheurs étrangers. Ce passage est fort intéressant dans la mesure où l’auteur s’interroge sur les méthodes sociologiques qui l’ont formé et reprend à son compte les conseils de Bourdieu, à savoir faire la sociologie de la sociologie que l’on pratique : il se met ainsi volontairement en scène, dans une position intellectuelle qui s’expose mais témoigne de son souci d’honnêteté ; car être l’acteur et l’observateur d’une société en mouvement est une entreprise courageuse et périlleuse. L’ouvrage est entièrement marqué, à la fois, par la distance froide que l’auteur réserve à son objet d’études et par la sensibilité avec laquelle il aborde son terrain. L’acuité de l’analyse, le ton incisif et l’écriture nerveuse rendent la lecture passionnante et loin des représentations et des poncifs qui demeurent dans l’historiographie classique. Une façon de prendre à rebrousse-poil les idées qui dominent dans ce champs produites par les sciences sociales et accentuées par les Kabyles eux-mêmes.

La première partie est consacrée à l’histoire et à l’implantation des zawâyâ en Kabylie des xviiie et xixe siècles ; cette approche historique et sociologique se fait à partir d’itinéraires biographiques de chioukh kabyles et de leur influence dans les zawâyâ jusqu’à l’insurrection de 1871. Ces parcours de vie sont débarrassés de tous les aspects légendaires et mythiques attribués traditionnellement aux saints maraboutiques9 ; des personnages vénérés comme Sidi Abderahmane, cheikh Mohamad Ben Alla et Sidi Ali Mussa. Dans ce paysage religieux des xviiie et xixe siècles, on rencontre des maîtres religieux connus comme spécialistes en fiqh (droit musulman) et en naÌw (grammaire arabe) qui, au passage, accordent leur prestige aux confréries religieuses de la Khalwatiya et de la Rahmania. L’auteur montre les contrastes qui existent entre la Haute-Kabylie montagneuse où la zâwiya est quasi-absente et la Basse-Kabylie qui est une pépinière de lieux saints et de mausolées. Dans cette région de forte religiosité, l’auteur avance l’hypothèse suivante :

“ tout porte à croire que, sans la colonisation française, la Kabylie aurait probablement cheminé vers une principauté confrérique par imitation et concurrence avec les deux beylicats d’Alger et de Constantine qui l’enserraient ” (p. 73).

http://www.marocainsdalgerie.net

admin"SNP1975"

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La seconde partie propose une présentation d’Ibnou Zakrî, témoin d’une époque particulièrement troublée et auteur d’un projet de réforme à propos des zawaya kabyles. L’auteur établit la formation religieuse et intellectuelle qui prévalait à l’époque et sort de l’oubli ces précurseurs du réformisme trop hâtivement oubliés et

“ rangés dans ces brouillons de l’élite réformiste qui émergera une trentaine d’années plus tard de manière élaborée dans l’Association des Ulemas Musulmans Algériens ” (p. 302).


C’est un moderniste sensible aux idées nouvelles et aux inventions qui circulent en ce début du xxe siècle. Il est conscient de la pauvreté et du retard économique de la société algérienne et particulièrement kabyle et mesure le fossé qui ne cesse de se creuser entre elle et la société métropolitaine. Ce pré-réformiste ne s’oppose pas à la puissance française et coloniale en termes de combat et d’opposition. Il pense qu’il peut exister un dialogue entre les deux parties en termes de respect et de civilité ; et que ses compatriotes ont beaucoup à apprendre de la France.

Il pose un regard critique sur l’histoire kabyle ; son analyse de l’insurrection de 1871 est particulièrement virulente et à l’opposé de l’historiographie berbéro/kabyle officielle. Il parle en effet de suicide collectif et remet en cause la responsabilité des leaders politiques de l’époque qui n’ont pas mesuré la disproportion des forces en présence. Il parle également d’une révolution illicite qui a mené la Kabylie dans la tragédie. Son regard sur la société kabyle n’est pas particulièrement complaisant. Il remet en cause, en termes très sévères, l’histoire de l’héritage et de l’exhérédation des femmes et le droit coutumier. Son regard sur le statut de la femme kabyle est un regard de réformiste qui mérite d’être particulièrement souligné pour un homme de son époque. Ses écrits puis ceux de son disciple Abu-Yaâla militent pour une nécessaire réforme des zawâyâ, accusées de maraboutisme et d’extatisme, et de l’enseignement religieux en Kabylie. K. Chachoua montre remarquablement les registres d’expression d’Ibnou Zakrî, qui oscillent entre la difficulté sinon la honte d’être un ‘alîm non arabe et la fierté qu’il éprouve à l’égard de sa région natale et de sa langue maternelle. Il semblerait que les deux états, Berbère et musulman, aient eu du mal à être conciliables dans le milieu arabe et citadin dans lequel évoluait Ibnou Zakrî. L’auteur n’hésite pas à soulever le tabou qui pèse sur cette question : le sentiment de handicap sinon de complexe des clercs kabyles attachés à une identité et à une langue non arabes. En sortant de l’oubli ces itinéraires de vie de clercs kabyles, il révèle les rapports entre une islamité arabe et une islamité non-arabe et les complexes et les malentendus qui en ont découlé conjugués au complexe de la provincialité qui ont connoté péjorativement l’islam kabyle. Les Berbères sont toujours considérés comme des islamisés et ont intégré sinon cultivé l’idée qu’ils doivent toujours justifier de l’authenticité de leur foi et de leurs pratiques religieuses.

La troisième partie propose une lecture de sociologie politique du réformisme des années 1930 à l’islamisme radical des années 1990.

Dans un premier temps, il fait l’état des lieux de l’iÒlaÌ (mouvement réformiste musulman) en Kabylie et montre les relations étroites entretenues par les commerçants et artisans avec le mouvement réformiste puis avec le mouvement national algérien. Ces catégories économiques, par leur mobilité et leur rôle social se positionnaient comme informateurs et stimulaient les rencontres et les débats particulièrement en basse-Kabylie :

“ il s’agit de mettre en évidence ce lien entre le réseau serré des zawâyâ qui tient en écharpe la Soummam, la fertilité de la terre et la prospérité qui en résulte, le commerce et la diffusion de l’ iÒlaÌ ” (p. 227).


Les zawâyâ qui n’ont concédé en rien au maraboutisme et au confrérisme (qui continuent à les caractériser) semblent cohabiter avec les idées réformistes et même devenir des espaces relais à l’islahisme. L’auteur explique cette relative autonomie religieuse de la Kabylie par l’importance des activités commerciales et agricoles et par la forte émigration que connaît la région dès le début des années 1900. Une émigration qui jouera un rôle non négligeable dans l’apprentissage du débat et du combat politique.

Ce passage est extrêmement intéressant car il démontre

“ qu’il y avait une présence de l’iÒlaÌ en Kabylie, mais aussi une présence de la Kabylie (comme unité linguistique, politique, géographique et religieuse) dans le discours islahiste ainsi qu’une collaboration forte et permanente des islahistes kabyles dans l’association des ulémas ” (p. 268).


Avec l’indépendance, l’État algérien institue une politique de dévalorisation et de fermeture des zawâyâ avec l’implantation générale des écoles publiques et l’imposition de l’enseignement religieux. Certaines zawâyâ sont transformées en instituts islamiques d’enseignement religieux (dès 1963). L’auteur pose la question de leur résistance ou de leur survivance. Avec ces bouleversements apparaît, dans les années 1970, un nouveau corps de clercs

“ mi-savants, mi-profanes, ni tout à fait choisis, ni complètement imposés, essaient de plaire à tous, ce qui contraste indéniablement avec les prédécesseurs qui multipliaient les distinctions physiques et symboliques afin de maintenir le fossé entre eux et la vie profane ” (p. 295), corps fonctionnarisé qui, selon l’auteur, a “ définitivement consacré et peut-être inventé la coupure entre culture savante et religion populaire ” (p. 296).


K. Chachoua explique la faiblesse relative de l’implantation de l’islamisme en Kabylie par l’ancienneté des confréries, des mausolées et des lieux de culte. Il établit une corrélation très intéressante entre les espaces urbains sans mémoire et le radicalisme musulman :

“ des lieux en somme vides d’ancêtres et sans histoire qui étaient aussi les hauts lieux de déracinement ”10.


K. Chachoua s’est attaqué à un sujet difficile, lequel soulève de nombreuses interrogations méthodologiques et scientifiques. C’est également une critique de l’enfermement idéologique et notionnel des Kabyles eux-mêmes qui reprennent à leur compte les clichés les plus éculés produits par la colonisation. Il s’agit de montrer

“ l’histoire d’une automutilation et d’une autodestruction systématique encore de nos jours ”.


L’auteur reprend les théories de domination de Pierre Bourdieu dans le sens où les dominés participent pleinement à leur domination. En rendant aux Kabyles leurs responsabilités collectives, qui font d’eux des acteurs agissants de leur propre histoire, l’auteur tranche avec les lectures misérabilistes ou les interprétations passives qui dominent encore le champ d’études berbères.

Cette étude est à l’opposé des discours construits et élaborés sur l’identité berbère par une élite intellectuelle et militante (qui ne fait qu’accentuer le décalage des réalités sociales et historiques entre le groupe et son élite). Cette étude la juge d’ailleurs sévèrement :

“ Seule la vision un peu trop positiviste et pessimiste de son élite scientifique et politique a pu, par une sorte de mythomanie et d’aliénation intellectuelle, convertir ce capital objectif (ouverture sur les langues et les pensées des autres) en handicap et stigmate, en présentant la somme de ces apports comme des facteurs de déracinement, de domination et d’aliénation sociale et culturelle ”11.


D’autre part, ce livre est rédigé dans une langue fluide et simple, débarrassée des formulations jargonantes dont sont si friands les anthropologues et les sociologues. Il est très rare de conjuguer la simplicité de la langue à la profondeur de la réflexion dans les productions en sciences sociales. L’auteur a su gagner ce pari si difficile : expression accessible, lecture passionnante et parfois déstabilisante (car éloignée des représentations classiques), hypothèses stimulantes, croisement et maîtrise des méthodes en sciences sociales. Sa double formation de sociologue et d’arabisant donne au lecteur l’opportunité de toucher au plus près l’intimité de ses matériaux de travail (la traduction de la Risâla est particulièrement remarquable).

S’il y avait un reproche à formuler, ce serait peut-être l’absence de comparaison avec d’autres groupes berbérophones. Cela aurait permis une approche plus large de l’arabisation et de l’islamisation en milieu berbère. L’auteur évoque trop brièvement, en quelques lignes à la fin de l’ouvrage, le Mzab et les Aurès.

À n’en pas douter, cet ouvrage, qui a déjà soulevé quelques débats polémiques et passionnés et qui propose une lecture nouvelle et audacieuse de l’islam dans les espaces non arabes, devrait devenir incontournable en sociologie religieuse du Maghreb.

http://www.marocainsdalgerie.net

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