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[Histoire] ARABE ET PERSE

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1[Histoire] ARABE ET PERSE Empty [Histoire] ARABE ET PERSE Jeu 21 Fév - 21:14

admin"SNP1975"

admin
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Arabes et Iraniens
Elizabeth PICARD et Pierre-Jean LUIZARD

Qu'est-ce qui, dans les stéréotypes les plus courants de l'autre, oppose Arabes et Iraniens ? C'est sans doute qu'ils se reprochent la même chose: une prétention à un leadership religieux que, de plus, chacun de son côté soupçonne de n'être qu'un paravent au nationalisme expansionniste de l'autre.

Cette relation conflictuelle, où domine la suspicion sur les intentions supposées de l'autre, tire sa justification d'une histoire singulière. Lorsque les Arabes conquirent le Moyen-Orient au nom de l'islam, les Persans furent, de tous les peuples convertis à la religion de Muhammad, le principal qui, premier affront, refusa de s'arabiser. Les choses devinrent encore moins acceptables pour les Arabes quand ces mêmes Persans commencèrent à leur disputer une légitimité islamique qu'ils considèrent comme leur propriété exclusive: il s'agissait de savoir lequel des deux peuples, arabe ou persan, pouvait prétendre à une place particulière dans l'islam. Comme il était hasardeux de remettre en cause le rôle des Arabes dans la naissance de la religion, les Persans contournèrent la difficulté en adoptant le chiisme.

Ainsi, c'est par l'effet de son infinie miséricorde que Dieu aurait choisi pour sa révélation un messager et prophète parmi les tribus arabes... sans doute, sous-entend-on du côté iranien, pour compenser leur état d'arriération et d'inculture (ce que les Arabes appellent eux-mêmes jâhiliyya, mais que les Iraniens ont tendance à n'appliquer qu'aux Arabes -- parler de jâhiliyya à propos de la Perse de Cyrus et de Darius les ferait rire). Très vite, pourtant, les Arabes se seraient montrés indignes de la mission divine qui leur avait été confiée et leurs vieux démons reprirent le dessus avec l'avènement des Omeyyades, présenté comme le triomphe de la "tribu arabe" sur le "vrai islam".

Du côté arabe, on base plutôt la supériorité spirituelle des Arabes sur le fait que la révélation a été faite en arabe à un Arabe, et sur une supériorité militaire, celle d'un expansion voulue par Dieu, là où les Iraniens mettent en avant ce qu'ils considèrent, eux, comme leur supériorité culturelle. Pour ces derniers, l'islam n'aurait fait que reprendre la gloire culturelle de l'ancienne Perse et, si l'arabe est la langue de la révélation, le persan serait celle du paradis. Le mépris iranien pour les Arabes, "tribus bédouines arriérées et incultes", colle encore à la peau de nombreux intellectuels de l'autre côté de la frontière. Combien d'Iraniens sont persuadés que l'Egypte et le Liban qui ont connu, à l'instar de l'Iran, des civilisations préislamiques glorieuses, ne peuvent pas être "arabes" mais "pharaonique" ou "copte", et "phénicien". Les préjugés anti-arabes sont les plus forts chez les adversaires de la République islamique, celle-ci ayant, de façon notable, contribué à diffuser une image des Arabes plus positive parmi les Iraniens.

Car l'Iran a rarement été une grande puissance militaire ou politique; sa véritable force réside dans son rayonnement culturel. La culture iranienne irradie loin au-delà des frontières de l'Iran moderne, depuis Delhi jusqu'au jabal 'Amil au Liban, en passant par l'Asie centrale et le Caucase. Le chiisme en est devenu le principal vecteur. Cette propension de l'Iran à imposer son monde mental, ses rites, son architecture, aux communautés chiites non-iraniennes n'est pas nouvelle, au point qu'on ne sait plus trop à quoi pouvait ressembler le chiisme avant la conversion de l'Iran à cette version de l'islam.

Les Arabes ressentent la volonté iranienne d'assumer un leadership islamique comme une remise en cause de leur place privilégiée en islam. Les Iraniens, pense-t-on du côté arabe, voudraient s'approprier ce que les Arabes ont produit de meilleur: l'islam. Un mot arabe, shu'ûbiyya, désigne cette prétention inacceptable. Le ressentiment arabe oscille entre une indifférence totale et une allergie à tout ce qui est iranien -- deux attitudes encore repérables chez de nombreux intellectuels arabes. On a donc ici une relation particulière qui diffère, par exemple, du rapport avec les Turcs. Là, les choses ont été plus claires: les Turcs ont été les vainqueurs et les maîtres en terre arabe pendant des siècles, mais ils s'investirent rarement d'une mission religieuse disputant aux Arabes leur rôle en islam. Les Iraniens, transformant leur défaite face aux armées musulmanes en victoire, posent un problème d'identité. Qui sommes-nous, les Arabes, si nous acceptons de voir les Iraniens tels qu'ils se prétendent ? Pour de nombreux Arabes, les Iraniens utilisent l'islam pour prendre leur revanche. Ainsi, Khomeyni, qui n'est qu'un "mage" ou un "shah enturbanné", tandis que le nationalisme persan avance masqué par un chiisme dévoyé.

Les velléités iraniennes de disputer aux Arabes un certain leadership en islam par le biais du chiisme n'auraient pas trop inquiété les Arabes s'il était possible de confondre totalement chiisme et Iran. Les Arabes auraient alors pu abandonner aux Iraniens le chiisme, présenté comme une simple hérésie persane. Mais le chiisme n'est pas seulement iranien. Certains pays arabes ont même une majorité chiite: l'Irak, le Liban et Bahrein. De plus, même si les rapports entre sunnisme et chiisme ne sont toujours pas codifiés, un anathème porté contre le chiisme par le sunnisme serait contraire à l'esprit du sunnisme. Il le ferait paraître comme une secte parmi d'autres, alors que c'est précisément sa vocation "oecuménique" qui fonde son identité. Parce qu'il joue le rôle d'une mauvaise conscience, apparue dès l'origine de l'islam, le chiite ne peut être frappé d'excommunication par la majorité sunnite. Ces considérations contraignent les Arabes, en grande majorité sunnites, à traiter le chiisme comme un rameau de l'islam et, en conséquence, à supporter les prétentions iraniennes.

Pour les Arabes, l'identité de l'Iran rend plus difficile encore cette appréhension d'un pays qui n'est pas comme les autres. Après la disparition de l'Empire ottoman, l'Iran est, en effet, le dernier héritier des grands empires musulmans multiethniques. Son ciment est le chiisme et, même si celui-ci sert de vecteur privilégié au nationalisme persan, l'identité du pays est autant religieuse, ou confessionnelle, qu'ethnique. Les Arabes, qui vivent aujourd'hui dans des "Etats-nations", sont confrontés à un discours islamique iranien qui n'est pas sans fondement, alors qu'eux ont adopté un mode de gouvernement basé sur le nationalisme ethnique. La dispute n'est donc pas près de s'éteindre, entre deux conceptions qui ont un point commun: remettre l'autre en cause, dans la légitimité de sa propre représentation. Les Arabes refusent les prétentions islamiques de l'Iran, un pays qui a pour identité le chiisme, soit un certain islam qu'il est impossible de rejeter comme une hérésie. Et les Iraniens nient celles des Arabes à une place particulière en islam, alors que le nationalisme arabe, et surtout sa version islamiste moderne, trouvent dans la religion de "leur" prophète Muhammad, un fondement essentiel de leur identité. Comme celles du passé, les conceptions modernes de l'arabité et de l'iranité qui dominent de part et d'autre, s'excluent mutuellement.

Ces querelles d'image et de légitimité ne sont pas vains jeux de casuistes. Leur intériorisation, on pourrait presque dire leur ritualisation, structure les sociétés arabes et la société iranienne, et modèle le rapport conflictuel entre leurs Etats. La défense du "vrai islam" motive, ou justifie, des stratégies de pouvoir à l'intérieur de chacune des sociétés. Même les gouvernements "laïcs" n'échappent pas à la tentation de s'immiscer dans les affaires religieuses, par le moyen des impôts ou des subventions, par celui de la législation, ou sur un mode plus musclé, au nom de l'ordre public et de la sécurité. La propagation du "vrai islam" va de pair avec des entreprises marchandes qui la subventionnent et qu'elle cautionne en retour, si bien que des réseaux d'entrepreneurs s'appuient sur la frontière entre monde arabe et monde iranien pour mieux la contourner, et que la mondialisation a fait migrer jusqu'aux antipodes ces échanges complexes entre biens matériels et biens du salut, entre Arabes et Iraniens, entre sunnites et chiites. Enfin, leur opposition structure la géopolitique de la région, en donnant corps aux ambitions rivales des Etats. Elle dicte les règles de la diplomatie et allume les guerres.

Dans ce rapport difficile, et souvent conflictuel, la terminologie est un piège, en même temps qu'une ressource inépuisable. Les deux termes "Arabes", "Iraniens", placés dans un ordre banalement alphabétique, sont loin de lever les ambiguïtés, même lorsqu'ils sont liés par une petite conjonction d'apparence anodine. Ainsi, un individu devrait être arabe ou iranien. Il est pourtant parfois arabe et iranien, si on se place dans le champ du droit. Il peut être un Arabe persanisé, ou un Persan arabisé, dit l'anthropologue. Parfois il est né arabe, arabzadeh, et il a grandi persan -- ou l'inverse. Il peut même être tantôt arabe, tantôt iranien, selon l'interlocuteur auquel il s'adresse. Et, sur les rives du Golfe, les appartenances à l'arabité et à l'iranité se modifient par gradations successives comme les teintes d'un tissu. L'histoire et la mémoire construisent ces nuances, mais aussi les modes de vie, l'économie, et le traumatisme des guerres et des déplacements forcés. Un groupe a besoin de s'opposer à l'autre pour se définir: tantôt au Arab, le bédouin, qui n'est pas d'ici; et tantôt au 'Ajam, terme qui signifie en arabe "persan" mais dont le sens premier renvoie au fait qu'il parle une langue incompréhensible aux Arabes.

Aujourd'hui, les oppositions entre monde sunnite et monde chiite, entre Arabes et Iraniens, sont souvent formulées en termes de territoires et de frontières, et analysées comme des conflits d'Etats. C'est simple comme la guerre irako-iranienne, net comme le tracé du thalweg dans le Chott el-'Arab, précis comme la petite et la grande Tomb, comptabilisable comme le nombre des morts sur le champ de bataille ou celui du débit du pétrole évalué en barils/jour. Les dirigeants du Moyen-Orient ne sont pas les derniers à utiliser ces ressources du système international pour renforcer leur pouvoir, à défaut de fonder leur légitimité. La référence au terroir dimensionné à la mesure du groupe social, de ses besoins et de son imaginaire, a fait place à la recherche du contrôle du territoire, de l'appropriation de ses richesses, de la domination de ses habitants.

Par delà leurs oppositions, Arabes et Iraniens partagent pourtant les mêmes motivations pour remettre en cause la frontière qui les sépare. Le désir de faire rayonner l'islam; le besoin d'avoir librement accès à ses lieux saints et à ses foyers d'enseignement; la culture politique héritée des empires, qui connaît la différence entre le centre du pouvoir et ses périphéries, mais cherche à en repousser toujours les frontières; et l'audace marchande, qui fit la prospérité d'une économie de circulation et pousse les entrepreneurs à déterritorialiser leur activité. Les stratégies d'expatriation de centaines de mujtahid, la transplantation des dynasties de sayyid, de Qom à Najaf, de Tyr à Meshhed, et vice-versa, ont ainsi été portées par de denses réseaux marchands qui tissent l'espace de relations entre Iraniens et Arabes -- sur les boutres des vendeurs d'éponges et jusqu'aux établissements bancaires de la City. Si le paradigme de l'Etat-nation, imposé par les puissances occidentales tant aux Arabes qu'Iraniens, n'est pas responsable de leur longue conflictualité, il est souvent considéré comme coupable de l'avoir figée et aiguisée. D'où la séduction, a contrario, du mythe de l'espace ouvert, chez les nouveaux acteurs -- commerçants, intellectuels et religieux -- d'une rive comme de l'autre.

Plusieurs thèmes qui pourraient illustrer la relation paradoxale entre Arabes et Iraniens, intimité et inimitié, communauté et différences, manquent à ce dossier: une étude sur le Khouzistan/Arabistan où vivent la majorité des Arabes d'Iran, enjeu et victimes de la première guerre du Golfe (1980-1988). Une analyse de l'instrumentalisation de la question kurde par les Etats, qui réclame à elle seule tout un dossier. Il aurait fallu, aussi, réintroduire dans cette confrontation l'interlocuteur turc qui, depuis l'intervention des Seljoucides au XVe siècle, est devenu partie prenante à ce débat d'identité et de souveraineté. Et, sans doute, rouvrir le dossier du pétrole, talon d'achille des relations entre des Etats dont les hydrocarbures fournissent plus de 90% du PIB. Car si les gouvernements arabes sont restés étonnamment indifférents à la grave crise qui secoua l'Iran suite à la nationalisation de la NIOC par Mossadegh en 1953, l'enjeu du pétrole a maintes fois mobilisé ensemble Arabes et Iraniens, ne serait-ce qu'au sein de l'OPEP. Ensemble, mais pas toujours pour des objectifs communs, d'autant que leur compétition s'inscrit sous l'égide des Etats-Unis, premier consommateur du monde et défenseur, comme on sait, de la "stabilité" du Golfe. Sans doute la diversification des approches disciplinaires et l'élargissement des perspectives problématiques eussent-elles évité à ce dossier d'être consacré trop exclusivement aux idées et aux représentations. Sans doute aurait-il gagné aussi à mettre ces représentations en regard de processus de production et de circulation de biens matériels.

Chacun des auteurs a choisi à son gré et pour notre plaisir, de nous entraîner au rythme de sa discipline. Perspective cavalière d'une histoire braudélienne; observation minutieuse des "manières de faire" de communautés minuscules mais pas insignifiantes; analyse critique des ressources et des pratiques des pouvoirs dans leurs stratégies de discrimination, d'exclusion et d'affrontement; décryptage des discours de légitimation -- tous ces "ismes" qui alimentent les mobilisations politiques --, mais aussi des mémoires subjectives d'individus et de groupes luttant pour leur survie. Et, surtout, prise en compte des deux grandes références qui structurent deux univers de sens, sunnisme et chiisme. La juxtaposition de contributions à l'approche variée veut ainsi rendre justice à la richesse et à la complexité du thème, derrière l'apparente simplicité du titre.

Pour citer cet article

http://www.marocainsdalgerie.net

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