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[Histoire] Abattre Hassan II

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1[Histoire] Abattre Hassan II Empty [Histoire] Abattre Hassan II Lun 26 Mai - 16:03

admin"SNP1975"

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Par Mehdi Sekkouri Alaoui
et Karim Boukhari

Histoire. Abattre Hassan II

Oubliez Skhirat et le Boeing…
Révélations sur 10 coups d’Etat manqués entre 1958 et 1983


On ne meurt qu'une fois. Hassan II, éternel roi du Maroc (1961 - 1999), est mort une fois, donc, dans son lit, le 23 juillet 1999. De vieillesse. Crise cardiaque. Comme il l'avait prédit, à sa manière, dans son style si particulier, quatre années auparavant, au lendemain d'un rapport de la Banque Mondiale accablant pour le sous-développement du royaume : “Le Maroc est au bord la crise cardiaque”. Le Maroc, c'était lui. Des


centaines d'hommes ont essayé de le lui disputer. Issus du mouvement national, anciens résistants de l'ALN (Armée de libération nationale, d'abord décimée dans l'opération Ecouvillon dans le Sud en 1958, avant d'être officiellement dissoute en 1960), dirigeants de l'UNFP (Union nationale des forces populaires, le parti fondé en 1959 par Mehdi Ben Barka), officiers de l'armée et membres de l'entourage immédiat de Hassan II, tous ont trempé, à un moment ou à un autre, dans le bain de la complotite. Pour bien comprendre le pourquoi, et bien sûr le comment, il est nécessaire d'effectuer un bond en arrière.

Flash-back. Nous sommes en 1934. Mohammed V, jeune sultan de 25 ans, se rend à Al Qaraouiyine, à Fès, pour la prière du vendredi. Il y est accueilli par les quolibets du jeune public dans les ruelles de la capitale spirituelle. “Ce genre d'accueil n'avait rien d'exceptionnel, Mohammed V était encore surnommé Soltane França (le sultan des Français) dans certaines couches populaires”, rappelle l'une des sources consultées pour les besoins du dossier. Mohammed V, respecté mais pas (encore) sacré, retourne ce jour-là dans son palais à Rabat. Et comprend très vite qu'il a tout intérêt à s'allier au mouvement national, alors balbutiant, pour jouer la carte de l'indépendance. Le pacte entre la monarchie et les nationalistes, sorte de mariage de raison, remonte, selon plusieurs sources crédibles, à cette année 1934. La confiance, le respect, sont si profonds que le jour où Allal El Fassi, leader du nationalisme marocain, a été accusé (à tort), “de vouloir être sultan à la place du sultan”, le vénérable homme, comme cela nous a été rapporté, a dû improviser un long poème à la gloire de Sidi Mohammed Ben Youssef (“Je sais bien que le poème n'est pas d'une très haute tenue littéraire”, avoue plus tard, mi-amusé, mi-dépité, El Fassi à Abdellah Ibrahim, un autre nationaliste, futur chef de gouvernement sous Mohammed V).

La donne change et la voie s'ouvre à toutes les équivoques dès le lendemain de l'indépendance. “Parce que la déception était totale, à tous les niveaux”, résume Mohamed Bensaïd Aït Idder, ancien résistant. “La monarchie a cherché à dissoudre l'ALN, liquidant de fiers combattants, abandonnant l'Algérie voisine aux mains de la France. Les jeunes Forces armées royales n'ont pas été confiées aux nationalistes mais aux traîtres qui avaient servi dans l'armée française, etc. Toutes ces décisions malheureuses étaient personnifiées par un homme : le prince Moulay Hassan”, poursuit notre source.

A la guerre comme à la guerre
Ce qui n'était au départ qu'une série d'incompréhensions a rapidement pris des allures de guerre ouverte. Hassan II, avant même d'hériter du trône, a pesé de tout son poids sur les gouvernements successifs de Mohammed V (qui en a usé cinq en cinq ans d'indépendance, un beau record). En 1960, quand il parvient à renverser à lui seul le gouvernement Abdellah Ibrahim, il réussit en fait ce que Hamid Berrada, rescapé de ces années de braise, appelle “un parfait coup d'Etat”. Et déterre définitivement la hache de guerre : “Nous, en face, nous avons alors compris que c'était fini, que la politique ne servait plus à rien. Tous les pouvoirs allaient être concentrés entre les mains du (futur) roi. On ne nous respectait plus, il était légitime que l'on ne respecte plus l'inviolabilité du trône en retour. D'où notre décision de réagir de la même manière qu'avec le colonisateur : par les armes” nous explique, la gorge encore nouée malgré les cinq décennies qui le séparent des événements, Mohamed Bensaïd Aït Idder.

“Même si la balance n'était pas équitable, à chaque fois que Hassan II attaquait, on ripostait. Oui, on avait souvent des projets d'attenter à sa vie. Mais lui, en face, gonflait les tentatives de complot et s'en servait pour mater tous ceux qui (lui) résistaient”, nous rappelle un vieux militant de l'UNFP. L'art de gonfler, de déjouer les tentatives de coup d'Etat, a fini par créer le sentiment que la vie politique de ce Maroc version sixties n'est faite que de faux complots. Ce qui n'est pas tout à fait vrai, comme le précise…Hassan II lui-même, avec un certain cynisme, dans son livre d'entretiens avec Eric Laurent, “Mémoire d'un roi” (Ed. Plon, 1993) : “Le terme de complot peut se discuter, mais cela en était un dans l'esprit de ceux qui l'ont préparé. Comme il s'agissait d'amateurs qui ont été jugés avec des critères que l'on applique habituellement aux professionnels, les gens ont pensé qu'on avait peut-être grossi un peu les choses”.

L'opposition incarnée, pour l'essentiel, par la direction de l'UNFP et sa branche armée, conduite par Fqih Basri, a fait preuve, il faut bien l'admettre, d'un amateurisme certain dans la plupart de ses entreprises régicides. Mais elle n'était pas la seule à cibler le roi. “Hassan II a toujours fait des vagues, créant du ressentiment même dans son propre entourage. C'est ce qui explique que, tour à tour, des proches comme Medbouh, Oufkir, éventuellement Dlimi, se sont retournés contre lui” remarque pour sa part Mohamed Aït Kaddour, un ancien de l’UNFP.

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Des années 50 aux années 80, résistants, politiques et militaires, se sont mêlés, parfois main dans la main, à la guerre contre Hassan II. À défaut de tout tenter, ils ont tout envisagé : le ciel, la mer, l'attentat à la bombe, la guerilla, etc. En pure perte. TelQuel vous invite à découvrir, ci-après, les secrets de dix tentatives d'attenter à la vie du défunt roi. Certaines sont avérées, d'autres restent discutables. Presque toutes renseignent sur le degré d'habileté du roi, de ses services auxiliaires de sécurité, et le total manque de réussite de ceux qui l'ont combattu.

Al Hoceïma, 1958
Répression
princière pour
complot imaginaire
Avant d'être officiellement désigné prince héritier en 1957, Moulay Hassan hérite du titre de chef d'état-major de la toute jeune armée créée en 1956. C'est à ce titre qu'il est chargé de mater le soulèvement du Rif entre 1958 et 1959. Le prince est secondé par Mohamed Oufkir, un ancien de l'armée française. Et la répression qui s'abat sur le Rif est terrible. “C'est des choses qui ne s'oublient pas, résume aujourd'hui Mohamed Bensaïd Aït Idder. C'est à partir de là que l'on a compris que les Forces armées royales étaient devenues un instrument chargé de protéger le pouvoir en place, et non servir le peuple”. Le gouvernement de l'époque finit d'ailleurs par s'émouvoir de l'offensive menée contre le Rif. Au point que le Premier ministre, Abdellah Ibrahim, s'en est ouvert auprès du prince héritier. “Abdellah Ibrahim a demandé un jour à Moulay Hassan les raisons de cet acharnement (contre le Rif). Le prince lui a répondu qu'on avait essayé d'attenter à sa vie à Al Hoceïma. Ibrahim enquêta discrètement, mais ni lui, ni la police politique dirigée par Mohamed Laghzaoui, n'ont jamais pu établir quoi que ce soit”, raconte Mohamed Louma, un ancien de l'UNFP, qui a recueilli les confessions de Abdellah Ibrahim peu avant sa mort en 2005. L'épisode du Rif, ajouté au rôle joué par Moulay Hassan dans la fameuse opération Ecouvillon, a creusé le fossé séparant le futur Hassan II de l'aile dure du mouvement national. Irrémédiablement. “Fqih Basri racontait autour de lui que Moulay Hassan II a régulièrement survolé le Sud marocain pour constater les dégâts subis par l'ALN dans l'opération Ecouvillon” explique pour sa part Mohamed Aït Kaddour. “Avec le Rif, on raconte que Moulay Hassan II s'en était sorti avec une petite blessure au visage. Avec Ecouvillon, il s'en est tiré sans égratignure. Ce qui était perçu comme une grande injustice”, poursuit notre source. Mais à quelque chose malheur est bon : la “guerre” naissante avec Hassan II a poussé le vieux parti de l'Istiqlal, aussi puissant qu'hétéroclite, à la scission. Les amis de Allal El Fassi se sont délesté de l'aile dure de Mehdi Ben Barka, les autres ont fondé le parti qui allait dominer le pays durant toute la décennie suivante : l'UNFP (Union nationale des forces populaires).

Casablanca, 1959
La révolution
par le foot
Au Maroc, foot et politique ont toujours marché de pair. Question de pouvoir. De l'indépendance jusqu'à l'intronisation de Hassan II, en 1961, le ballon rond marocain, comme le pouvoir politique, est alors chancelant, partagé entre le dernier cercle des résistants et un Palais qui n'a pas fini de verrouiller le royaume. La saison de foot 1958-1959 en est le parfait reflet. Le championnat est remporté par l'Etoile jeunesse de Derb Ghallef (EJSC), dirigée par les anciens résistants de Casablanca, alors que la Coupe du trône revient à l'équipe de l'armée, les FAR de Rabat, dirigée par le prince héritier Moulay Hassan himself. Avant le dénouement de la saison sportive, les hasards du tirage au sort les mettent nez à nez, dans une confrontation décisive pour le compte de la Coupe du trône. La rencontre a lieu au Stade d'Honneur à Casablanca (actuel complexe Mohammed V), le public est tout acquis à la cause de l'Etoile. Sur le terrain, pourtant, les FAR l'emportent 1-0. Ce jour-là, les patrons des deux clubs, Benhamou Fakhri et Moulay Hassan, sont présents dans les vestiaires. Ils ne s'apprécient guère et la rivalité sportive n'explique pas tout, loin de là. “L'ancien résistant (Fakhri) refusait de saluer le prince héritier, il l’insultait ouvertement. Le jour du match, il est allé loin, très loin…”, se souvient un témoin de la scène. Fakhri chambre Moulay Hassan, qui encaisse mal. “Il faut bien comprendre le contexte de l'époque : Moulay Hassan n'était pas encore roi et Fakhri, qui avait la gâchette facile, était puissant et craint comme la peste”, rappelle Abdellatif Jebrou, ancien de l'UNFP. “Je me souviens que, quelques jours avant le match, j'étais en voiture avec Fakhri et d'autres résistants. Nous roulions sur la corniche casablancaise quand il s'est rendu compte qu'une voiture nous collait le train. Sans en être certain, et sans même vérifier que la voiture n'appartenait pas à la police, Fakhri a sommé le chauffeur de se garer en nous disant : si la voiture se gare aussi, je sors tout de suite ma mitraillette et je l'arrose de balles !”, se souvient encore notre témoin.
La légende rapporte, comme nous l'a expliqué Mohamed Bensaïd Aït Idder, autre témoin de l'époque, que ce même Fakhri “avait le projet d'attenter à la vie du futur Hassan II à l'intérieur d'un stade de football, à l'aide d'une bombe artisanale”. Le doute (vrai ? pas vrai ?) continue d'exister. Cette histoire renseigne sur le degré d'animosité que vouait le “charbonnier” Fakhri au futur Hassan II. Qui le savait si bien. Il a fallu attendre la disparition de Mohammed V pour que Hassan II passe à l'acte et venge son honneur personnel. Fakhri est arrêté en 1961 et condamné, en compagnie de trois autres résistants parmi les plus connus, à la peine de mort. En 1962, ils ont tous été exécutés. Pourtant, comme nous l'explique notre source, “la veille encore de l'exécution, une délégation conduite par l'ancien proviseur du Collège royal, qui connaissait si bien Hassan II, avait imploré le pardon royal pour Fakhri et ses amis. En réponse, Hassan II leur a dit : Ykoun Khir (on fera pour le mieux)”.

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Casablanca, juillet 63
Un complot peut en cacher un autre
Le pays est en ébullition. Mai 1963, les premières élections législatives du royaume débouchent sur une grande pagaille. Le FDIC, parti cocotte-minute monté par Ahmed Reda Guedira pour “épauler” Hassan II (dans sa bataille contre l'UNFP) s'impose, mais le parti de Ben Barka n'est pas ridicule. Son fondateur arrive même à décrocher un siège au Parlement, lui qui a été victime d'une tentative d'assassinat quelques mois auparavant. Et voilà que le 16 juillet, le CAB 1 de Hassan II opère une descente inopinée au siège casablancais de l'UNFP, où se tient une réunion du comité central. Tous sont embarqués : plus de 100 personnes. Le CAB 1 fait plus, étendant ses rafles à tout le royaume, arrêtant, avec la douceur qu'on lui connaît, près de 5000 personnes. La suite (séquestrations, tortures, etc.) repousse l'horreur à des limites jamais égalées, ni avant ni après. Le prétexte ? Un vaste complot UNFP… “En fait, il y avait de tout dans les accusations officielles. Du vrai et du faux. Des éléments de l'UNFP avaient, comme souvent, un vague projet de complot, mais la police de Hassan II a noirci le tableau pour mater une fois pour toutes le parti”, conclut, avec le recul, Abdellatif Jebrou, qui a vécu à son corps défendant la répression policière de cette année-là. Le complot en gros, expliqué par Mohamed Bensaïd : “Fqih Basri (ndlr : ou Omar Benjelloun, selon les versions) avait réussi à se débrouiller les plans du palais. L'idée était d'envoyer un commando dans la chambre de Hassan II, pour le tuer. Certains officiers des FAR devaient faciliter les choses”. D'autres personnes sont plus ou moins mises au parfum, d'une manière ou d'une autre, de cette “intention” de complot. “L'opération a rapidement échoué, puisque quelqu'un avait vendu la mèche”, se rappelle Mohamed Bensaïd. Dans le même temps, Moumen Diouri et d'autres dirigeants de l'UNFP sont arrêtés pour avoir tenté d'acheter des armes à la base américaine de Kénitra. Complot ! “A mon sens, le roi savait tout depuis le début. Les Américains, qui étaient en contact avec au moins l'un des exécutants, ont dû le prévenir”, renchérit Hamid Berrada, autre témoin (et acteur) de l'époque. A signaler, pour l'anecdote, que le nom de Mohamed Medbouh, le futur “héros” de Skhirat en 1971, alors ministre des Postes et télécommunications et très proche de Hassan II, a souvent été évoqué à l'occasion de ces “intentions” de complot, sans que l'on sache exactement s'il était, déjà, oui ou non, complice de la bande à Fqih Basri : “De toute façon, le rôle de Medbouh est resté très flou dans cette affaire. Appelé à témoigner lors du procès, il s'est débrouillé pour ne pas y être”, nous explique Abdellatif Jebrou.

Marrakech, octobre 63
Les armes, le vélo, le taxi, etc.
L’été 1963 a laissé des traces parmi les anciens résistants, affiliés pour la plupart à l'UNFP. “Il fallait tenter quelque chose, n'importe quoi, pour venger nos frères disparus, enlevés ou tout bonnement assassinés”, nous résume l'un d'eux, qui n'a pas désiré dévoiler son identité. Mais la vengeance est un plat qui se mange froid, de préférence. Autrement, c'est la porte ouverte à n'importe quoi. C'est exactement ce qui s'est passé à Marrakech, à la rentrée 1963, quand une cellule locale a décidé, en coordination avec des résistants en fuite en Algérie, d'attenter à la vie du roi. “Cela devait se passer à la mosquée de la Koutoubia, où Hassan II devait se rendre pour la prière du vendredi. Le plan était échafaudé, il ne restait plus que l'approvisionnement en armes”, poursuit notre source. Un modeste arsenal (une mitrailleuse, 2 revolvers 9 mm, 2 grenades, quelques dizaines de munitions) est ainsi convoyé de Casablanca à Marrakech…via un autocar. C'est un certain Abderrahim Tassoumt qui a réussi l'étonnante opération. A Marrakech, Belhaj Atlas est chargé de transmettre l'arsenal à Lahcen Zaghloul, chargé de l'exécution. Rendez-vous est alors donné à Bab Khmis, dans la périphérie de la ville ocre. Les armes ne sont jamais arrivées… “L'intermédiaire, qui roulait en vélo avec une trop grosse valise sur le porte-bagages, s'est fait arrêter par deux agents des Forces auxiliaires. Les mokhaznis pensaient qu'il transportait du kif !”. Absolument pas préparés à une telle prise, les deux agents ne disposent ni de menottes, ni de voiture de service. Résultat : ils se servent d'une corde pour ligoter le pauvre intermédiaire…et font appel à un taxi pour le convoyer jusqu'au commissariat le plus proche. Lahcen Zaghloul (“J'attendais la livraison des armes, je me suis retrouvé avec le spectacle surréaliste d'un taxi conduit par des mokhaznis, avec mon agent de liaison ligoté, et un vélo accroché sur le porte-bagage”, confie-t-il plus tard à ses compagnons de lutte) a pris la fuite pour l'Algérie où il a vécu près de 30 ans, alors que les autres, une quinzaine de personnes, ont été condamnées à de lourdes peines de prison. Des condamnations à mort ont été prononcées dans la foulée, dont l'une pour le malheureux “convoyeur”, mais aussi -par contumace- pour Mohamed Bensaïd et Abdeslam Jebli, considérés, à raison ou à tort, comme les “cerveaux” de la lamentable opération. Le héros malheureux de l'histoire, Belhaj Atlas, décédé il y a peu, a “gagné”, pour cette rocambolesque (més)aventure, 21 longues années en prison.

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Marrakech, 1969
Quand l'Espagne joue le jeu
Tout au long de l'année 1969, des dizaines de militants formés dans des camps militaires en Syrie sont rentrés au Maroc. Leur mission, comme le raconte Mehdi Bennouna dans “Héros sans gloire” (Ed. Tarif, 2003), “former des cellules clandestines de 3 à 6 membres, recruter et encadrer des militants à la lutte armée, étudier les effectifs des casernes de la gendarmerie et des Forces auxiliaires”. Abdellatif Jebrou, qui a vécu les événements, se rappelle : “1969 aurait pu, dans l'absolu, être fatale pour Hassan II, qui n'a dû finalement son salut qu'aux tuyaux fournis par un certain ‘Mounadi’, petit commerçant marrakchi passé lui aussi par les camps syriens”. L'indélicat paie le prix fort, quelque mois plus tard : il est liquidé par un sympathisant de l'UNFP, qui récolte pour sa part une condamnation à mort. Une nouvelle campagne de répression s'abat alors sur le parti, dont la plupart des dirigeants sont toujours en fuite. Mohamed Elyazghi, Habib Forkani, ainsi que des dizaines de personnes soupçonnées d’appartenir à des cellules clandestines, sont mis aux arrêts. Suivent d'autres vagues d'arrestations dans tout le pays, qui se soldent par leur lot, désormais coutumier, de condamnations à mort et de lourdes peines de prison. Hassan II arrive même à réussir une sorte de prouesse : alors qu'il n'existe aucun accord d'extradition entre le Maroc et l'Espagne, il parvient à “récupérer”, de Madrid, deux éléments-clés de cette tentative d'insurrection : Saïd Bounaïlat et Ahmed Benjelloun. Le premier, 88 ans aujourd'hui, est un résistant de la première heure (“Et ancien boxeur qui est monté sur le ring contre Marcel Cerdan”, précise l'un de ses anciens compagnons). Le deuxième, actuel leader du parti du PADS, n'est autre que le frère de Omar Benjelloun, qui allait être assassiné en 1975.

El Hajeb, mai 1971
Ababou et Medbouh, déjà
Avant le putsch de Skhirat, Hassan II a échappé de peu à un autre projet d'attentat échafaudé au courant de la même année. Le plan : assassiner le roi à l'occasion du défilé militaire commémorant le 15ème anniversaire des FAR. La date : le 15 mai. Le lieu : El Hajeb, petite localité à quelques kilomètres de Meknès, réputée pour être l'une des plus importantes garnisons militaires de l'époque. “L'idée a été mijotée par le tandem Medbouh-Ababou, les futurs protagonistes de Skhirat. Tous les deux étaient décidés à en finir avec Hassan II. Mais ils ne sont pas passés à l'acte à El Hajeb, à cause de la présence, dans le ciel, d'un hélicoptère de surveillance. L'appareil risquait de mettre à nu le dispositif imaginé par Mohamed Medbouh et M'hamed Ababou”, nous rapporte un témoin de l'époque. Il existe d'autres versions sur le “projet” d'El Hajeb. L'historien Maâti Monjib soutient par exemple que l'idée était de “couper la route à Hassan II avant même d'arriver à El Hajeb”, et que “c'est le brouillard qui a annulé le plan en détournant l'itinéraire du convoi royal”. D'autres sources expliquent encore que le plan visait à “enlever Hassan II, sans le tuer”. Ce qui est sûr, c'est que le projet est rapidement tombé à l'eau, et la parade militaire de ce 15 mai 1971 a été aussi propre que l'air de la montagne. Mais ce n'est que partie remise. Le mois suivant, Ababou et Medbouh allaient remettre “ça”, cette fois à Skhirat, pour le 42ème anniversaire de Hassan II.

Rabat, 1972
Avant le Boeing, l'hélicoptère
Le putsch de Skhirat n'a pas eu raison de Hassan II, malgré un terrible bain de sang. Le coup suivant, celui du Boeing royal en août 1972, est déjà en préparation. Mais les militaires ne chôment pas. “Entre 1971 et 1972, la vieille garde de l'armée, celle des Oufkir, Bougrine et les autres, s'empresse de tenter le coup de sang, pour éviter que les jeunes officiers ne prennent les devants et ne mènent la révolution à leur place, voire à leurs dépens. C'est un vrai gap de génération”, analyse l'historien Maâti Monjib. Analyse intéressante, qui s'appuie fortement sur les rivalités, qui ont éclaté au grand jour, respectivement, entre Medbouh et Ababou (1971), Oufkir et Amokrane (1972). Car la jeune garde bouge, propose. Exemple de Mohamed Amokrane, qui multiplie les contacts dans la dernière ligne avant l'attentat du Boeing. Un ancien compagnon de Fqih Basri raconte : “Un jour du printemps 72, Amokrane est venu nous voir pour nous proposer un marché. J'ai l'habitude de conduire Hassan II en hélicoptère, nous a-t-il dit, et je peux parfaitement simuler, quand je le veux, une panne technique. Vous n'avez plus qu'à m'indiquer le lieu où vous désirez que j'atterrisse en hélicoptère, mais je vous le demande : est-ce que vous pouvez, alors, vous occuper du roi ?”. Fqih Basri et ses hommes n'ont pas donné suite à cette proposition de “s'occuper” du roi et, quelques mois plus tard, Amokrane est passé à l'action, sans eux. C'est l'attentat du Boeing, un appareil “héroïque” que Hassan II n'a pas hésité à décorer “chevalier de l'ordre du trône”.

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Moulay Bouazza, 1973
La grande (dés)illusion
L’échec du putsch contre le Boeing royal n'a pas découragé l'aile radicale de l'UNFP dans son projet de renverser Hassan II. Bien au contraire. “Il faut aller vite, on est très en retard, l'armée risque de nous devancer (dans la course au coup d’Etat)”, répète alors Fqih Basri à ses hommes, formés pour la plupart dans des camps d'entraînement syriens ou libyens. Basri, le plus en contact avec les officiers rebelles de Sa Majesté, comprend que le compte à rebours a commencé. Ce que nous confirme, aujourd'hui, l'un de ses hommes à l'époque : “Pour nous, surtout au lendemain de Skhirat et du coup du Boeing, on était persuadés que les jours de Hassan II étaient comptés. Et que c'était à qui, de nous, ou de l'armée, allait atteindre le palais le premier”. Doux fantasme. En ce début des années 1970, l'heure est encore aux rêves de guérilla, inspirée des méthodes qui ont si bien “marché” au Vietnam, et surtout à Cuba. La manière forte, directe (assassinat du chef d'Etat), ayant invariablement échoué, Fqih Basri, qui trône à la tête de la nébuleuse du Tanzim, organisation clandestine de guerilleros répartis dans trois ou quatre pays du monde arabe, pousse ses hommes à retourner au pays, le fusil à l'épaule… “Les guerilleros venus d'Arabie devaient se joindre à ce qui restait comme cellules clandestines implantées, elles, dans les périmètres urbains”, précise Mehdi Bennouna, dont le père, Mahmoud, est le meneur de cette insurrection. Sauf que le jour J, rien ne marche pour nos desperados. Le 3 mars 1973, le déclenchement des hostilités à Moulay Bouazza, dans le Moyen-Atlas, est un fiasco pour les hommes de Mahmoud, décimés en un temps record par l'armée. Les hommes du Tanzim sont cueillis sans effort, facilement, mais sauvagement, par les auxiliaires de Hassan II. Comment pouvait-il en être autrement ? Une anecdote illustre parfaitement les égarements du Tanzim : des membres de l'organisation avaient réussi, malgré tout, à poser quatre bombes, à Casablanca et Rabat (théâtre Mohammed V, centre culturel américain, etc.). Ils ont poussé le luxe jusqu'à les estampiller “cadeau pour Hassan”. Mais, comme le rapporte Mehdi Bennouna, “le moment venu, aucun engin n'a explosé, le voltage utilisé pour les détonateurs était insuffisant pour actionner la mise à feu”. Amateurisme, infiltrations tous azimuts, désorganisation totale (un comble pour un “Tanzim” qui signifie, littéralement, “l'organisation”), la révolution armée n'aura définitivement pas lieu. Le drame de Moulay Bouazza signe, par la même occasion, le divorce entre Fqih Basri, accusé d'avoir envoyé ses meilleurs hommes à la mort, et l'aile “douce” de l'UNFP, incarnée par Abderrahim Bouabid, qui a tourné la page de la complotite.

Meknès, 1974
Quand le complot tourne à la farce
Avec le démantèlement du Tanzim, c'est un autre Maroc qui voit le jour. Les révolutionnaires sont morts, exilés ou derrière les barreaux. Les plus sages, notamment dans les rangs de l'UNFP, ont décidé de déplacer la guerre vers le seul terrain politique. C'est cet esprit-là qui prévaut, d'ailleurs, à la création, quelque temps plus tard, de l'USFP, le parti fondé par Abderrahim Bouabid après une scission de l'UNFP. Coupés de leurs relais, les derniers “guerilleros” n'en démordent pourtant pas. Le cœur y est toujours mais la manière, encore une fois, laisse à désirer. “Il faut l'admettre, les révolutionnaires étaient sous-armés, mal entraînés, complètement désorganisés”, résume, sans doute à raison, Hamid Berrada. Ce qui ne les a jamais empêchés de rêver. Au risque de friser, parfois, le n'importe quoi… A Meknès, en ce janvier 1974, Mohamed B., exilé en Algérie, réussit à convoyer des armes légères à Zouhaïr O., un ancien des camps de Libye. L'objectif ? Mettre la cité ismaïlienne à feu et à sang avec l'espoir, ultime, de renverser le régime. Et en finir avec Hassan II. Mais rien ne marche comme prévu. La pagaille parmi les exécutants est telle que l'un d'eux finit, un jour, par se servir des armes…pour braquer un bureau de tabac. “C'était ridicule, le braqueur a été arrêté et, avec lui, 44 personnes ont été lourdement condamnées pour complots à différents degrés” raconte Mohamed Louma.

Marrakech, 1983
Et si Dlimi aussi… ?
Quand la télévision annonce, le 22 janvier 1983, la mort dans un “accident de voiture” du général Ahmed Dlimi, les Marocains savent que la version officielle est aussi crédible que le suicide du général Mohamed Oufkir en 1972. Dlimi a été vraisemblablement assassiné, comme tant d'autres généraux qui ont approché de trop près le roi. Mais plus que le comment, c'est le pourquoi de cette mort qui pose le plus problème. Le général, qui a été l'homme-clé de la Marche verte en 1975, a-t-il été liquidé pour des raisons strictement personnelles, liées à son inimitié légendaire avec le chargé de sécurité du roi, Haj Mohamed Mediouri, comme beaucoup le pensent ? A-t-il, plus classiquement (en 1983, le royaume émerge de près de trois décennies de complotite chronique, quasi permanente), été “suicidé” pour avoir comploté contre son roi ? Les deux pistes restent intéressantes. “Sur le cas Dlimi, comme sur tant d'autres, il existe très peu de sources disponibles, ou aisément recoupables”, prévient le chercheur Maâti Monjib. Il existe toutefois des indices. Comme celui que nous rapporte, pour la première fois, l'ancien maquisard Mohamed Aït Kaddour, qui a longtemps vécu en exil forcé à Paris. “Un jour, à l'IFRI (Institut français des relations internationales), un général retraité de l'armée française a rapporté, de retour d'une mission d'observation au Sahara, les propos alarmants que lui avait tenus Dlimi : mais comment pouvez-vous gagner la guerre quand le chef de l'armée dort jusqu'à midi !”. La phrase, qui égratigne clairement Hassan II, cadre mal avec l'image du fidèle (et excessivement zélé) serviteur du trône qui a si longtemps collé à Dlimi de son vivant. Entre le général et le “patron”, les relations n'étaient pas si bonnes, une fois clos le chapitre des si mouvementées années 1960. Et les rapports entre Dlimi et l'opposition ? “Longtemps exécrables, elles ont connu des éclaircies depuis la mort de Mohamed Oufkir”, explique Aït Kaddour. Le témoin se rappelle par exemple du jour où, interrogé sur la crise politique dans le royaume, Dlimi a répondu à la télévision française : “Mehdi Ben Barka nous aurait bien aidés s'il était encore là”. Au-delà du cynisme du général, directement impliqué dans la disparition du leader de l'UNFP, cette saillie peut être perçue, avec le recul, comme une petite campagne de “charme” destinée tant à l'opinion française qu'aux opposants marocains. Mehdi Bennouna, auteur de “Héros sans gloire”, qui a longtemps enquêté sur le sujet, abonde dans le même sens : “Nombreux sont les rescapés de Moulay Bouazza (complot de 1973) qui m'ont rapporté que les séances de torture avec Dlimi étaient devenues plus souples, presque symboliques. Le général se contentait de leur dire de se taire, de ne pas parler…”.

© 2008 TelQuel Magazine. Maroc. Tous droits résérvés

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