Par Mehdi Sekkouri Alaoui
et Karim Boukhari
Histoire. Abattre Hassan II
Oubliez Skhirat et le Boeing…
Révélations sur 10 coups d’Etat manqués entre 1958 et 1983
On ne meurt qu'une fois. Hassan II, éternel roi du Maroc (1961 - 1999), est mort une fois, donc, dans son lit, le 23 juillet 1999. De vieillesse. Crise cardiaque. Comme il l'avait prédit, à sa manière, dans son style si particulier, quatre années auparavant, au lendemain d'un rapport de la Banque Mondiale accablant pour le sous-développement du royaume : “Le Maroc est au bord la crise cardiaque”. Le Maroc, c'était lui. Des
centaines d'hommes ont essayé de le lui disputer. Issus du mouvement national, anciens résistants de l'ALN (Armée de libération nationale, d'abord décimée dans l'opération Ecouvillon dans le Sud en 1958, avant d'être officiellement dissoute en 1960), dirigeants de l'UNFP (Union nationale des forces populaires, le parti fondé en 1959 par Mehdi Ben Barka), officiers de l'armée et membres de l'entourage immédiat de Hassan II, tous ont trempé, à un moment ou à un autre, dans le bain de la complotite. Pour bien comprendre le pourquoi, et bien sûr le comment, il est nécessaire d'effectuer un bond en arrière.
Flash-back. Nous sommes en 1934. Mohammed V, jeune sultan de 25 ans, se rend à Al Qaraouiyine, à Fès, pour la prière du vendredi. Il y est accueilli par les quolibets du jeune public dans les ruelles de la capitale spirituelle. “Ce genre d'accueil n'avait rien d'exceptionnel, Mohammed V était encore surnommé Soltane França (le sultan des Français) dans certaines couches populaires”, rappelle l'une des sources consultées pour les besoins du dossier. Mohammed V, respecté mais pas (encore) sacré, retourne ce jour-là dans son palais à Rabat. Et comprend très vite qu'il a tout intérêt à s'allier au mouvement national, alors balbutiant, pour jouer la carte de l'indépendance. Le pacte entre la monarchie et les nationalistes, sorte de mariage de raison, remonte, selon plusieurs sources crédibles, à cette année 1934. La confiance, le respect, sont si profonds que le jour où Allal El Fassi, leader du nationalisme marocain, a été accusé (à tort), “de vouloir être sultan à la place du sultan”, le vénérable homme, comme cela nous a été rapporté, a dû improviser un long poème à la gloire de Sidi Mohammed Ben Youssef (“Je sais bien que le poème n'est pas d'une très haute tenue littéraire”, avoue plus tard, mi-amusé, mi-dépité, El Fassi à Abdellah Ibrahim, un autre nationaliste, futur chef de gouvernement sous Mohammed V).
La donne change et la voie s'ouvre à toutes les équivoques dès le lendemain de l'indépendance. “Parce que la déception était totale, à tous les niveaux”, résume Mohamed Bensaïd Aït Idder, ancien résistant. “La monarchie a cherché à dissoudre l'ALN, liquidant de fiers combattants, abandonnant l'Algérie voisine aux mains de la France. Les jeunes Forces armées royales n'ont pas été confiées aux nationalistes mais aux traîtres qui avaient servi dans l'armée française, etc. Toutes ces décisions malheureuses étaient personnifiées par un homme : le prince Moulay Hassan”, poursuit notre source.
A la guerre comme à la guerre
Ce qui n'était au départ qu'une série d'incompréhensions a rapidement pris des allures de guerre ouverte. Hassan II, avant même d'hériter du trône, a pesé de tout son poids sur les gouvernements successifs de Mohammed V (qui en a usé cinq en cinq ans d'indépendance, un beau record). En 1960, quand il parvient à renverser à lui seul le gouvernement Abdellah Ibrahim, il réussit en fait ce que Hamid Berrada, rescapé de ces années de braise, appelle “un parfait coup d'Etat”. Et déterre définitivement la hache de guerre : “Nous, en face, nous avons alors compris que c'était fini, que la politique ne servait plus à rien. Tous les pouvoirs allaient être concentrés entre les mains du (futur) roi. On ne nous respectait plus, il était légitime que l'on ne respecte plus l'inviolabilité du trône en retour. D'où notre décision de réagir de la même manière qu'avec le colonisateur : par les armes” nous explique, la gorge encore nouée malgré les cinq décennies qui le séparent des événements, Mohamed Bensaïd Aït Idder.
“Même si la balance n'était pas équitable, à chaque fois que Hassan II attaquait, on ripostait. Oui, on avait souvent des projets d'attenter à sa vie. Mais lui, en face, gonflait les tentatives de complot et s'en servait pour mater tous ceux qui (lui) résistaient”, nous rappelle un vieux militant de l'UNFP. L'art de gonfler, de déjouer les tentatives de coup d'Etat, a fini par créer le sentiment que la vie politique de ce Maroc version sixties n'est faite que de faux complots. Ce qui n'est pas tout à fait vrai, comme le précise…Hassan II lui-même, avec un certain cynisme, dans son livre d'entretiens avec Eric Laurent, “Mémoire d'un roi” (Ed. Plon, 1993) : “Le terme de complot peut se discuter, mais cela en était un dans l'esprit de ceux qui l'ont préparé. Comme il s'agissait d'amateurs qui ont été jugés avec des critères que l'on applique habituellement aux professionnels, les gens ont pensé qu'on avait peut-être grossi un peu les choses”.
L'opposition incarnée, pour l'essentiel, par la direction de l'UNFP et sa branche armée, conduite par Fqih Basri, a fait preuve, il faut bien l'admettre, d'un amateurisme certain dans la plupart de ses entreprises régicides. Mais elle n'était pas la seule à cibler le roi. “Hassan II a toujours fait des vagues, créant du ressentiment même dans son propre entourage. C'est ce qui explique que, tour à tour, des proches comme Medbouh, Oufkir, éventuellement Dlimi, se sont retournés contre lui” remarque pour sa part Mohamed Aït Kaddour, un ancien de l’UNFP.
et Karim Boukhari
Histoire. Abattre Hassan II
Oubliez Skhirat et le Boeing…
Révélations sur 10 coups d’Etat manqués entre 1958 et 1983
On ne meurt qu'une fois. Hassan II, éternel roi du Maroc (1961 - 1999), est mort une fois, donc, dans son lit, le 23 juillet 1999. De vieillesse. Crise cardiaque. Comme il l'avait prédit, à sa manière, dans son style si particulier, quatre années auparavant, au lendemain d'un rapport de la Banque Mondiale accablant pour le sous-développement du royaume : “Le Maroc est au bord la crise cardiaque”. Le Maroc, c'était lui. Des
centaines d'hommes ont essayé de le lui disputer. Issus du mouvement national, anciens résistants de l'ALN (Armée de libération nationale, d'abord décimée dans l'opération Ecouvillon dans le Sud en 1958, avant d'être officiellement dissoute en 1960), dirigeants de l'UNFP (Union nationale des forces populaires, le parti fondé en 1959 par Mehdi Ben Barka), officiers de l'armée et membres de l'entourage immédiat de Hassan II, tous ont trempé, à un moment ou à un autre, dans le bain de la complotite. Pour bien comprendre le pourquoi, et bien sûr le comment, il est nécessaire d'effectuer un bond en arrière.
Flash-back. Nous sommes en 1934. Mohammed V, jeune sultan de 25 ans, se rend à Al Qaraouiyine, à Fès, pour la prière du vendredi. Il y est accueilli par les quolibets du jeune public dans les ruelles de la capitale spirituelle. “Ce genre d'accueil n'avait rien d'exceptionnel, Mohammed V était encore surnommé Soltane França (le sultan des Français) dans certaines couches populaires”, rappelle l'une des sources consultées pour les besoins du dossier. Mohammed V, respecté mais pas (encore) sacré, retourne ce jour-là dans son palais à Rabat. Et comprend très vite qu'il a tout intérêt à s'allier au mouvement national, alors balbutiant, pour jouer la carte de l'indépendance. Le pacte entre la monarchie et les nationalistes, sorte de mariage de raison, remonte, selon plusieurs sources crédibles, à cette année 1934. La confiance, le respect, sont si profonds que le jour où Allal El Fassi, leader du nationalisme marocain, a été accusé (à tort), “de vouloir être sultan à la place du sultan”, le vénérable homme, comme cela nous a été rapporté, a dû improviser un long poème à la gloire de Sidi Mohammed Ben Youssef (“Je sais bien que le poème n'est pas d'une très haute tenue littéraire”, avoue plus tard, mi-amusé, mi-dépité, El Fassi à Abdellah Ibrahim, un autre nationaliste, futur chef de gouvernement sous Mohammed V).
La donne change et la voie s'ouvre à toutes les équivoques dès le lendemain de l'indépendance. “Parce que la déception était totale, à tous les niveaux”, résume Mohamed Bensaïd Aït Idder, ancien résistant. “La monarchie a cherché à dissoudre l'ALN, liquidant de fiers combattants, abandonnant l'Algérie voisine aux mains de la France. Les jeunes Forces armées royales n'ont pas été confiées aux nationalistes mais aux traîtres qui avaient servi dans l'armée française, etc. Toutes ces décisions malheureuses étaient personnifiées par un homme : le prince Moulay Hassan”, poursuit notre source.
A la guerre comme à la guerre
Ce qui n'était au départ qu'une série d'incompréhensions a rapidement pris des allures de guerre ouverte. Hassan II, avant même d'hériter du trône, a pesé de tout son poids sur les gouvernements successifs de Mohammed V (qui en a usé cinq en cinq ans d'indépendance, un beau record). En 1960, quand il parvient à renverser à lui seul le gouvernement Abdellah Ibrahim, il réussit en fait ce que Hamid Berrada, rescapé de ces années de braise, appelle “un parfait coup d'Etat”. Et déterre définitivement la hache de guerre : “Nous, en face, nous avons alors compris que c'était fini, que la politique ne servait plus à rien. Tous les pouvoirs allaient être concentrés entre les mains du (futur) roi. On ne nous respectait plus, il était légitime que l'on ne respecte plus l'inviolabilité du trône en retour. D'où notre décision de réagir de la même manière qu'avec le colonisateur : par les armes” nous explique, la gorge encore nouée malgré les cinq décennies qui le séparent des événements, Mohamed Bensaïd Aït Idder.
“Même si la balance n'était pas équitable, à chaque fois que Hassan II attaquait, on ripostait. Oui, on avait souvent des projets d'attenter à sa vie. Mais lui, en face, gonflait les tentatives de complot et s'en servait pour mater tous ceux qui (lui) résistaient”, nous rappelle un vieux militant de l'UNFP. L'art de gonfler, de déjouer les tentatives de coup d'Etat, a fini par créer le sentiment que la vie politique de ce Maroc version sixties n'est faite que de faux complots. Ce qui n'est pas tout à fait vrai, comme le précise…Hassan II lui-même, avec un certain cynisme, dans son livre d'entretiens avec Eric Laurent, “Mémoire d'un roi” (Ed. Plon, 1993) : “Le terme de complot peut se discuter, mais cela en était un dans l'esprit de ceux qui l'ont préparé. Comme il s'agissait d'amateurs qui ont été jugés avec des critères que l'on applique habituellement aux professionnels, les gens ont pensé qu'on avait peut-être grossi un peu les choses”.
L'opposition incarnée, pour l'essentiel, par la direction de l'UNFP et sa branche armée, conduite par Fqih Basri, a fait preuve, il faut bien l'admettre, d'un amateurisme certain dans la plupart de ses entreprises régicides. Mais elle n'était pas la seule à cibler le roi. “Hassan II a toujours fait des vagues, créant du ressentiment même dans son propre entourage. C'est ce qui explique que, tour à tour, des proches comme Medbouh, Oufkir, éventuellement Dlimi, se sont retournés contre lui” remarque pour sa part Mohamed Aït Kaddour, un ancien de l’UNFP.