L’Etat tragique : l’instant du danger. (1re partie)
L’objectif supposé des « réformes » politiques annoncées après octobre 1988 était de réaliser une transition conduisant à des transformations de l’Etat, sa redéfinition et aux équilibres du pouvoir.
Ces « réformes » ont été confisquées. C’est un constat d’échec, puisque nous en sommes à les réclamer. Mais aujourd’hui, il n’est plus permis de se précipiter et de décider en petit comité. Depuis la mort symbolique et politique du président Boumediène, plus précisément depuis 1974, les régimes se sont succédé en une schizophrénie consciente et perçue d’un Etat en dislocation existentielle. La vie politique y est diffuse et se manifeste de façon intermittente : il n’y a que des institutions politiques sur mesure pour des situations politiques. Le présent, c’est-à-dire l’état actuel de dégradation du système politique, ne permet aucune prospective. Le système est bloqué et pour donner le change, on tente de lui insuffler une fonctionnalité de l’illusoire. Quant à elle, la société « travaillée » ne s’exprime que par le désordre. Il faut donc faire une pause permettant d’engager une réflexion sur l’état des lieux. Pour signaler « aujourd’hui », j’ai dû survoler le passé immédiat. Celui-ci ne fait évidemment pas l’objet d’une analyse exhaustive car il n’est pas lui-même l’objet de cette réflexion. Mais il faut tout de même rappeler quelques repères pour retrouver la « traçabilité » du système. Après l’indépendance politique et formelle, l’Algérie entendait conquérir son indépendance économique. Cette problématique ramène à la question de savoir comment les groupes réagissaient-ils déjà à un tel programme, comment se faisait la répartition des richesses, du pouvoir, plus précisément du groupe au pouvoir. Le pouvoir au sens de groupe qui prend les décisions déterminantes.Le président Boumediène ne voulait ressembler en rien aux leaders précédents ; Messali Hadj et Ben Bella. Il se voulait un chef « historique » qui s’est emparé de l’Etat, représentant le groupe national aux yeux de celui-ci. Il voulait incarner le nationalisme, moyen d’encadrement et de mobilisation idéologique des masses. L’Algérie du moment a ainsi utilisé le nationalisme, appuyé de plus sur une religion qui favorise « l’unanimitarisme ». L’originalité de l’Algérie tenait dans le fait qu’elle persistait dans la recherche des voies originales. Elle a essentiellement réussi à surmonter sa crise de déculturation ; suite logique de la colonisation. Le traumatisme social classique, aggravé par l’exode rural, et l’urbanisation désordonnée ont donné lieu à l’apparition de groupes marginaux. Mais la nouvelle société algérienne a peu à peu trouvé de nouvelles structures et les hommes déracinés, arrivés dans des conditions nouvelles, y ont trouvé des images de comportement pour gouverner leur nouveau personnage d’Algérien indépendant. Après l’aliénation culturelle de la colonisation, elle s’est mise en quête de sa propre identité, c’est-à-dire à la fois la recherche de soi et le ressourcement. Cette quête a évidemment commencé bien avant 1962 et on peut faire remonter la préhistoire du discours algérien à 1912- 1919. Le premier point acquis est un certain rejet de la culture étrangère et son corollaire, la réanimation, la réactivation de la culture spécifiquement algérienne. Cela se fait non sans mal. Tout concourt à prouver que le FLN du temps de guerre, donc l’équipe au pouvoir, sa légitime héritière, a eu raison de se battre sur le thème de l’Unité du peuple algérien, contesté par la puissance coloniale mais aussi par l’ethnologie. La France n’a pas réussi à détruire l’Algérie en l’assimilant, mais l’Algérie moderne va réussir cette unification au nom de la révolution. Toute l’opération a consisté à nationaliser la socialisation. Le pouvoir s’est fondé sur une doctrine unificatrice, centrée sur le pays lui-même, en partie socialement radicale avec l’espoir que l’intériorisation maximale des valeurs nationales apporterait un minimum de stabilité nécessaire à l’imposition par le haut de la modernisation économique et sociale. L’usage de la « modernité » est d’ailleurs très équivoque. Le concept et les faits, c’est-à-dire le modernisme, sont tous à la fois une idéologie, un climat, une modalité du vécu, une affectivité et une mythologie de l’éphémère. L’équipe dirigeante algérienne fait une analyse sévère de ses concitoyens et parce qu’elle détient en même temps l’appareil conceptuel et l’appareil coercitif, elle préfère être progressiste par le haut que démocrate. Mais « un peuple qui ne se sent concerné qu’en tant qu’auditeur, disciple ou témoin, ne peut se transformer » (J. Lacouture). La question est posée et ne sera jamais résolue. On a expliqué régulièrement au peuple algérien la politique faite en son nom. Il apprend que le Président est allé à Moscou et il tire quelque fierté de recevoir telle ou telle conférence ou telle ou telle visite, et cette fierté est soigneusement entretenue par une presse dithyrambique. Mais comment s’exprimait le peuple ? Par quels canaux ? Peu à peu, le Président incarnait la nation. Il ne se déchargeait pas sur son entourage de l’exercice du pouvoir effectif. On sentait poindre des luttes, mais peu de choses transpiraient. De quoi demain sera-t-il fait ? C’est une question que beaucoup d’Algériens se posent. Ils la posent essentiellement à l’occasion des écarts qui s’accroissent entre les groupes sociaux, entre les strates selon les villes et les quartiers. La volonté pragmatique de rationalisation de la société algérienne ne s’embarrasse guère de considérations théoriques. On perçoit une pratique idéologique qui a quelque chose de stalinien dans sa technique de croissance accélérée qui est la problématique algérienne du développement. Bien entendu, le parti n’était pas le moteur de la volonté politique, pas plus qu’il n’a été une administration parallèle et encore moins l’appareil d’Etat. L’utilisation du mot « stalinien » est entendue dans son sens pragmatique et non structurel.Le groupe dirigeant adhère à une idéologie pragmatique à base de technologie pour le développement. Le rôle de l’ANP a été considérable. On peut soutenir que c’est elle qui a remplacé le FLN défaillant et que c’est autour d’elle que se fait l’unité nationale. Le commissariat politique de l’ANP a toujours joué le rôle de « définisseur » de l’idéologie officielle et a continué si l’on en croit sa presse.Parallèlement et corollairement se développent des sociétés nationales concentrée, dans lesquelles l’efficacité est le seul critère retenu. L’armée n’est pas contrôlée, les sociétés nationales ne le sont guère mieux. Il n’y a aucun critère de contrôle démocratique qui puisse s’opposer aux mythes de la productivité, de la réussite, de la compétence technique. Il y a à ce niveau, au moins, confusion entre pouvoir et hiérarchie du savoir. La clé étant l’articulation entre hiérarchie, autorité et compétence.Pragmatique, l’équipe au pouvoir l’est aussi en ce qui concerne l’appareil d’Etat. Elle laisse se développer l’esprit de clan partout où la solution rationnelle ne peut être imposée. Le parti, les APC n’ont guère changé le fonctionnement des systèmes locaux et particularistes. On comprend mal comment et pourquoi le pouvoir tolère les pratiques de l’administration. Sinon par sa faiblesse idéologique et son incapacité à mobiliser les masses urbaines donc celles qui sont théoriquement les moins mal socialisées, c’est-à-dire adhérant à un minimum d’éléments diffusés. Les membres de l’appareil d’Etat ne cessent de répéter en conversations privées qu’un fonctionnaire anonyme est un progrès par rapport au cousin en burnous. Or ils pratiquent tous peu ou pour la République des cousins. La débrouillardise familiale est la clé de la survie du citoyen. Se développe ainsi une série de réflexes typiquement petits bourgeois, égoïstes, passe-droits. Parallèlement se développe une stratégie matrimoniale quasi planifiée. Elle s’appuie sur deux facteurs : le problème de l’émancipation de la femme est un faux problème ou au mieux un problème d’intellectuel occidentalisé et dépravé. Ce qui permet au groupe de passer avant l’individu, les mariages permettent d’étaler la richesse, de créer ou de remplacer les alliances, de compromettre le personnel politique. Cette démarche indique la création d’une classe qui prend conscience de son existence et organise, à son profit, une technique ethnocentriste. Le président Boumediène déclarait souvent que le peuple algérien était un peuple rebelle, ce qui flattait et renforçait le système D. On arrive à une quasi-institutionnalisation de ce type de rapports sociaux pour lesquels les Algériens ont un background qui les prédispose. De plus, les jeunes cadres commencent à réclamer leur place face à une classe dirigeante bien en place et jeune encore. Aussi cède-t-elle à une série de requêtes médiocres sur le plan de rapport de force mais dangereuses sur le plan idéologique (voitures, sorties à l’étranger, villas, bourses d’études, facilités administratives). On est en présence d’un problème curieux qui marque bien la jonction inéluctable entre la consommation (ostentatoire, sociale) et l’idéologie : la classe dirigeante passée et présente ne détient pas les moyens de production. Elle est avant tout une techno-structure. Elle détient le système de décision La maintenance de l’union sacrée permet d’éviter les questions trop pertinentes. Tous frères, les Algériens sont à l’abri de la lutte des classes. C’est ici que la religion joue un rôle d’appui à l’idéologie unitarienne. Expliquer l’importance du problème religieux, c’est-à-dire dans un pays qui a opté pour le socialisme au moins au niveau du développement des forces productives, et qui a de plus réalisé l’appropriation collective, et surtout étatique, des moyens de production, relève de l’histoire et de la légitimité.Le caractère immédiat du pouvoir de coercition dépend de la participation communielle intense de tous ceux qui se rallient aux mêmes rites, aux mêmes symboles, aux mêmes valeurs. Le groupe en place bénéficie ainsi d’un soutien et d’une reproduction qui lui assure toute marge de manœuvre. Mais cela n’est possible que pour permettre à la future classe dirigeante de remplir le rôle – et peut-être même de le jouer – de courroie de transmission, voire de tête de pont, du système capitaliste mondial. Il paraît, en effet, assez évident qu’il y a une liaison, voire une causalité, entre la stratification sociale qui se dessine, les attitudes, les pratiques, l’idéologie des couches qui consomment, et les options économiques internes et externes du pouvoir. Cette relation marque, en fait, l’interaction, sinon la dépendance, entre la société algérienne et les différents partenaires internationaux auxquels elle s’adresse.Ce regard rapide porté sur la période Boumediène n’a pas beaucoup évolué, ses effets différés s’étalent dans le temps. Le pouvoir du président Boumediène a créé le modèle.Chadli Bendjedid, qui lui a succédé, a accéléré la dépendance. Il a remis entre les mains de son cercle élargi les richesses induites par les sociétés nationales en les présentant comme étant des réformes de privatisation et d’ouverture du marché, essentiellement le monopole de l’Etat sur le commerce extérieur. Le cercle élargi se composait de deux clans apparemment antinomiques, qui, étant donné les enjeux, ont évolué dans un équilibre total, du point de vue de la distribution des postes politiques comme des concessions pour les affaires. On y trouvait d’un côté le clan de la famille élargie dirigé par l’épouse du Président, le clan de Mazouna et par extension de l’Ouest, et celui de la famille proche du Président, le clan de l’Est. Le pouvoir s’est résumé à une cohabitation entre l’Est et l’Ouest du pays dans un parfait équilibre. De réforme, il ne s’agissait en fait que de transférer vers un nombre réduit de personnes le pouvoir d’importer les biens de consommation, notamment alimentaires. Le découpage étant réalisé et le « gâteau » de chacun défini, le reste a été réparti entre les anciens importateurs des sociétés nationales, devenus subitement retraités mais directeurs de bureaux privés d’importation des mêmes produits chez le même fournisseur ou alors avocat de celui-ci. Dans la pratique, la chaîne entre l’intérieur et l’extérieur n’a pas été rompue puisque les relais ont été sauvegardés, seul le statut juridique des individus a changé. Sur le plan politique, aucune avancée notable n’a été perçue, la Constitution instituant le pouvoir personnel a été maintenue, un artifice suscité, l’illusion que le changement d’hommes est associé par les analystes à un changement de système. Il s’agissait simplement du cercle immédiat du chef de l’Etat et des hommes d’affaires de l’ombre qui ont été remplacés, le pillage changeant de mains. Les contradictions, les mécontentements, les manipulations des groupes sociaux et des nouvelles mouvances qui s’affirmaient de plus en plus face aux abus du pouvoir provoquèrent l’explosion politique et sociale dans toutes les villes du pays. La réponse, médiocre et sans appui politique, aboutit à l’organisation d’élections immédiatement suspendues, suivies de la démission du président.Son remplacement par un Haut Comité d’Etat indique combien les représentations continuent à assurer l’essentiel de la politique.
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L’objectif supposé des « réformes » politiques annoncées après octobre 1988 était de réaliser une transition conduisant à des transformations de l’Etat, sa redéfinition et aux équilibres du pouvoir.
Ces « réformes » ont été confisquées. C’est un constat d’échec, puisque nous en sommes à les réclamer. Mais aujourd’hui, il n’est plus permis de se précipiter et de décider en petit comité. Depuis la mort symbolique et politique du président Boumediène, plus précisément depuis 1974, les régimes se sont succédé en une schizophrénie consciente et perçue d’un Etat en dislocation existentielle. La vie politique y est diffuse et se manifeste de façon intermittente : il n’y a que des institutions politiques sur mesure pour des situations politiques. Le présent, c’est-à-dire l’état actuel de dégradation du système politique, ne permet aucune prospective. Le système est bloqué et pour donner le change, on tente de lui insuffler une fonctionnalité de l’illusoire. Quant à elle, la société « travaillée » ne s’exprime que par le désordre. Il faut donc faire une pause permettant d’engager une réflexion sur l’état des lieux. Pour signaler « aujourd’hui », j’ai dû survoler le passé immédiat. Celui-ci ne fait évidemment pas l’objet d’une analyse exhaustive car il n’est pas lui-même l’objet de cette réflexion. Mais il faut tout de même rappeler quelques repères pour retrouver la « traçabilité » du système. Après l’indépendance politique et formelle, l’Algérie entendait conquérir son indépendance économique. Cette problématique ramène à la question de savoir comment les groupes réagissaient-ils déjà à un tel programme, comment se faisait la répartition des richesses, du pouvoir, plus précisément du groupe au pouvoir. Le pouvoir au sens de groupe qui prend les décisions déterminantes.Le président Boumediène ne voulait ressembler en rien aux leaders précédents ; Messali Hadj et Ben Bella. Il se voulait un chef « historique » qui s’est emparé de l’Etat, représentant le groupe national aux yeux de celui-ci. Il voulait incarner le nationalisme, moyen d’encadrement et de mobilisation idéologique des masses. L’Algérie du moment a ainsi utilisé le nationalisme, appuyé de plus sur une religion qui favorise « l’unanimitarisme ». L’originalité de l’Algérie tenait dans le fait qu’elle persistait dans la recherche des voies originales. Elle a essentiellement réussi à surmonter sa crise de déculturation ; suite logique de la colonisation. Le traumatisme social classique, aggravé par l’exode rural, et l’urbanisation désordonnée ont donné lieu à l’apparition de groupes marginaux. Mais la nouvelle société algérienne a peu à peu trouvé de nouvelles structures et les hommes déracinés, arrivés dans des conditions nouvelles, y ont trouvé des images de comportement pour gouverner leur nouveau personnage d’Algérien indépendant. Après l’aliénation culturelle de la colonisation, elle s’est mise en quête de sa propre identité, c’est-à-dire à la fois la recherche de soi et le ressourcement. Cette quête a évidemment commencé bien avant 1962 et on peut faire remonter la préhistoire du discours algérien à 1912- 1919. Le premier point acquis est un certain rejet de la culture étrangère et son corollaire, la réanimation, la réactivation de la culture spécifiquement algérienne. Cela se fait non sans mal. Tout concourt à prouver que le FLN du temps de guerre, donc l’équipe au pouvoir, sa légitime héritière, a eu raison de se battre sur le thème de l’Unité du peuple algérien, contesté par la puissance coloniale mais aussi par l’ethnologie. La France n’a pas réussi à détruire l’Algérie en l’assimilant, mais l’Algérie moderne va réussir cette unification au nom de la révolution. Toute l’opération a consisté à nationaliser la socialisation. Le pouvoir s’est fondé sur une doctrine unificatrice, centrée sur le pays lui-même, en partie socialement radicale avec l’espoir que l’intériorisation maximale des valeurs nationales apporterait un minimum de stabilité nécessaire à l’imposition par le haut de la modernisation économique et sociale. L’usage de la « modernité » est d’ailleurs très équivoque. Le concept et les faits, c’est-à-dire le modernisme, sont tous à la fois une idéologie, un climat, une modalité du vécu, une affectivité et une mythologie de l’éphémère. L’équipe dirigeante algérienne fait une analyse sévère de ses concitoyens et parce qu’elle détient en même temps l’appareil conceptuel et l’appareil coercitif, elle préfère être progressiste par le haut que démocrate. Mais « un peuple qui ne se sent concerné qu’en tant qu’auditeur, disciple ou témoin, ne peut se transformer » (J. Lacouture). La question est posée et ne sera jamais résolue. On a expliqué régulièrement au peuple algérien la politique faite en son nom. Il apprend que le Président est allé à Moscou et il tire quelque fierté de recevoir telle ou telle conférence ou telle ou telle visite, et cette fierté est soigneusement entretenue par une presse dithyrambique. Mais comment s’exprimait le peuple ? Par quels canaux ? Peu à peu, le Président incarnait la nation. Il ne se déchargeait pas sur son entourage de l’exercice du pouvoir effectif. On sentait poindre des luttes, mais peu de choses transpiraient. De quoi demain sera-t-il fait ? C’est une question que beaucoup d’Algériens se posent. Ils la posent essentiellement à l’occasion des écarts qui s’accroissent entre les groupes sociaux, entre les strates selon les villes et les quartiers. La volonté pragmatique de rationalisation de la société algérienne ne s’embarrasse guère de considérations théoriques. On perçoit une pratique idéologique qui a quelque chose de stalinien dans sa technique de croissance accélérée qui est la problématique algérienne du développement. Bien entendu, le parti n’était pas le moteur de la volonté politique, pas plus qu’il n’a été une administration parallèle et encore moins l’appareil d’Etat. L’utilisation du mot « stalinien » est entendue dans son sens pragmatique et non structurel.Le groupe dirigeant adhère à une idéologie pragmatique à base de technologie pour le développement. Le rôle de l’ANP a été considérable. On peut soutenir que c’est elle qui a remplacé le FLN défaillant et que c’est autour d’elle que se fait l’unité nationale. Le commissariat politique de l’ANP a toujours joué le rôle de « définisseur » de l’idéologie officielle et a continué si l’on en croit sa presse.Parallèlement et corollairement se développent des sociétés nationales concentrée, dans lesquelles l’efficacité est le seul critère retenu. L’armée n’est pas contrôlée, les sociétés nationales ne le sont guère mieux. Il n’y a aucun critère de contrôle démocratique qui puisse s’opposer aux mythes de la productivité, de la réussite, de la compétence technique. Il y a à ce niveau, au moins, confusion entre pouvoir et hiérarchie du savoir. La clé étant l’articulation entre hiérarchie, autorité et compétence.Pragmatique, l’équipe au pouvoir l’est aussi en ce qui concerne l’appareil d’Etat. Elle laisse se développer l’esprit de clan partout où la solution rationnelle ne peut être imposée. Le parti, les APC n’ont guère changé le fonctionnement des systèmes locaux et particularistes. On comprend mal comment et pourquoi le pouvoir tolère les pratiques de l’administration. Sinon par sa faiblesse idéologique et son incapacité à mobiliser les masses urbaines donc celles qui sont théoriquement les moins mal socialisées, c’est-à-dire adhérant à un minimum d’éléments diffusés. Les membres de l’appareil d’Etat ne cessent de répéter en conversations privées qu’un fonctionnaire anonyme est un progrès par rapport au cousin en burnous. Or ils pratiquent tous peu ou pour la République des cousins. La débrouillardise familiale est la clé de la survie du citoyen. Se développe ainsi une série de réflexes typiquement petits bourgeois, égoïstes, passe-droits. Parallèlement se développe une stratégie matrimoniale quasi planifiée. Elle s’appuie sur deux facteurs : le problème de l’émancipation de la femme est un faux problème ou au mieux un problème d’intellectuel occidentalisé et dépravé. Ce qui permet au groupe de passer avant l’individu, les mariages permettent d’étaler la richesse, de créer ou de remplacer les alliances, de compromettre le personnel politique. Cette démarche indique la création d’une classe qui prend conscience de son existence et organise, à son profit, une technique ethnocentriste. Le président Boumediène déclarait souvent que le peuple algérien était un peuple rebelle, ce qui flattait et renforçait le système D. On arrive à une quasi-institutionnalisation de ce type de rapports sociaux pour lesquels les Algériens ont un background qui les prédispose. De plus, les jeunes cadres commencent à réclamer leur place face à une classe dirigeante bien en place et jeune encore. Aussi cède-t-elle à une série de requêtes médiocres sur le plan de rapport de force mais dangereuses sur le plan idéologique (voitures, sorties à l’étranger, villas, bourses d’études, facilités administratives). On est en présence d’un problème curieux qui marque bien la jonction inéluctable entre la consommation (ostentatoire, sociale) et l’idéologie : la classe dirigeante passée et présente ne détient pas les moyens de production. Elle est avant tout une techno-structure. Elle détient le système de décision La maintenance de l’union sacrée permet d’éviter les questions trop pertinentes. Tous frères, les Algériens sont à l’abri de la lutte des classes. C’est ici que la religion joue un rôle d’appui à l’idéologie unitarienne. Expliquer l’importance du problème religieux, c’est-à-dire dans un pays qui a opté pour le socialisme au moins au niveau du développement des forces productives, et qui a de plus réalisé l’appropriation collective, et surtout étatique, des moyens de production, relève de l’histoire et de la légitimité.Le caractère immédiat du pouvoir de coercition dépend de la participation communielle intense de tous ceux qui se rallient aux mêmes rites, aux mêmes symboles, aux mêmes valeurs. Le groupe en place bénéficie ainsi d’un soutien et d’une reproduction qui lui assure toute marge de manœuvre. Mais cela n’est possible que pour permettre à la future classe dirigeante de remplir le rôle – et peut-être même de le jouer – de courroie de transmission, voire de tête de pont, du système capitaliste mondial. Il paraît, en effet, assez évident qu’il y a une liaison, voire une causalité, entre la stratification sociale qui se dessine, les attitudes, les pratiques, l’idéologie des couches qui consomment, et les options économiques internes et externes du pouvoir. Cette relation marque, en fait, l’interaction, sinon la dépendance, entre la société algérienne et les différents partenaires internationaux auxquels elle s’adresse.Ce regard rapide porté sur la période Boumediène n’a pas beaucoup évolué, ses effets différés s’étalent dans le temps. Le pouvoir du président Boumediène a créé le modèle.Chadli Bendjedid, qui lui a succédé, a accéléré la dépendance. Il a remis entre les mains de son cercle élargi les richesses induites par les sociétés nationales en les présentant comme étant des réformes de privatisation et d’ouverture du marché, essentiellement le monopole de l’Etat sur le commerce extérieur. Le cercle élargi se composait de deux clans apparemment antinomiques, qui, étant donné les enjeux, ont évolué dans un équilibre total, du point de vue de la distribution des postes politiques comme des concessions pour les affaires. On y trouvait d’un côté le clan de la famille élargie dirigé par l’épouse du Président, le clan de Mazouna et par extension de l’Ouest, et celui de la famille proche du Président, le clan de l’Est. Le pouvoir s’est résumé à une cohabitation entre l’Est et l’Ouest du pays dans un parfait équilibre. De réforme, il ne s’agissait en fait que de transférer vers un nombre réduit de personnes le pouvoir d’importer les biens de consommation, notamment alimentaires. Le découpage étant réalisé et le « gâteau » de chacun défini, le reste a été réparti entre les anciens importateurs des sociétés nationales, devenus subitement retraités mais directeurs de bureaux privés d’importation des mêmes produits chez le même fournisseur ou alors avocat de celui-ci. Dans la pratique, la chaîne entre l’intérieur et l’extérieur n’a pas été rompue puisque les relais ont été sauvegardés, seul le statut juridique des individus a changé. Sur le plan politique, aucune avancée notable n’a été perçue, la Constitution instituant le pouvoir personnel a été maintenue, un artifice suscité, l’illusion que le changement d’hommes est associé par les analystes à un changement de système. Il s’agissait simplement du cercle immédiat du chef de l’Etat et des hommes d’affaires de l’ombre qui ont été remplacés, le pillage changeant de mains. Les contradictions, les mécontentements, les manipulations des groupes sociaux et des nouvelles mouvances qui s’affirmaient de plus en plus face aux abus du pouvoir provoquèrent l’explosion politique et sociale dans toutes les villes du pays. La réponse, médiocre et sans appui politique, aboutit à l’organisation d’élections immédiatement suspendues, suivies de la démission du président.Son remplacement par un Haut Comité d’Etat indique combien les représentations continuent à assurer l’essentiel de la politique.
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