Bélaïd Abdesselam s’explique à propos du livre polémique qu’il vient de diffuser sur internet
« L’armée est la seule structure qui fait face aux tempêtes »
L’ancien chef du gouvernement, Bélaïd Abdesselam, revient au devant de l’actualité à la faveur d’un livre pour le moins polémique qu’il vient de « balancer » sur la toile comme une bombe à fragmentation. Posé sur le guéridon, dans un coin de son appartement, le fameux livre est là, gros manuscrit de 322 pages, relié avec soin à défaut d’une publication en bonne et due forme.
Avant de commencer le long entretien de quatre heures qu’il nous a accordé (c’était avant la dernière sortie publique du général Touati), il prend la peine de convoquer un vieux radio-cassettes pour garder une empreinte sonore de l’entretien. « C’est une relique du PAP (plan antipénurie) », blague-t-il. Et une longue rétrospective de commencer sur fond de questionnements de l’histoire tumultueuse de l’Algérie contemporaine.
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image] Monsieur le Premier ministre, vous venez de mettre en ligne un livre que vous avez intitulé Pour rétablir certaines vérités sur treize mois à la tête du gouvernement. Ce que nous constatons d’emblée, c’est que votre livre se présente essentiellement comme une longue réponse au général Mohamed Touati qui avait critiqué votre gestion dans l’interview qu’il avait accordée à notre quotidien, le 27 septembre 2001. La première question que d’aucuns se posent est pourquoi avoir attendu six ans pour répondre au général Touati, et pourquoi avoir choisi une édition « online » plutôt qu’une édition « papier » ? Eh bien, que l’on me croie ou pas, ce sont des écueils purement circonstanciels qui ont fait que cela n’a paru que six ans après. J’avais commencé à rédiger ce livre en 2001. Cette même année, il y avait eu les inondations de Bab El Oued qui devaient être suivies deux ans plus tard par le séisme de Boumerdès. Ces deux événements m’ont affecté dans ma propre famille. J’ai eu en tout cas à m’occuper de problèmes familiaux. Ajoutez à cela des problèmes de santé. Tout cela m’a pris du temps, si bien que je n’avais pas la tranquillité nécessaire pour me consacrer à cet ouvrage. Maintenant, pour ce qui est des motivations de ce livre, il se trouve que pour de nombreux observateurs, le général Touati ne s’exprime pas toujours à titre personnel. Il était toujours présenté comme le porte-parole d’une institution. Si ce n’était qu’un point de vue personnel, je me serais gardé de lui répondre. Mais comme il est censé exprimer la position d’une institution, j’ai décidé de lui répondre et je me suis résolu à lui répondre cette fois-ci par écrit. Touati ne faisait en réalité que reprendre une thèse qui circulait depuis longtemps, à savoir que mon gouvernement a été renvoyé parce qu’il a échoué. Quand Ali Kafi m’a dit : ce gouvernement a échoué, nous mettons fin à sa mission, je n’ai pas voulu entrer dans une polémique à l’époque, d’autant plus que le pays était en crise. Après, je me suis mis à rédiger ce livre. Je vous surprendrai peut-être en vous disant que cela fait plus d’une année que le livre est achevé. J’ai essayé de l’éditer en 2006, mais l’on m’a posé des conditions inacceptables. Vous faites un travail et quelqu’un vous dit : vous me cédez ce travail, j’en fais ce que je veux. Ce qui m’intéresse, ce n’est pas de faire une opération commerciale. Mon objectif était de faire connaître mon point de vue. Aussi, ai-je été amené à dire à l’un des éditeurs que j’ai contactés : prenez l’ouvrage et publiez-le. Je ne vous demande rien d’autre. Mais lui, il a exigé que je signe un contrat en vertu duquel je devais lui céder tout, pour toutes les langues, pour tous les pays et pour toute la durée des droits. En contrepartie, il s’engageait à imprimer 1000 exemplaires. A l’évidence, j’ai refusé ce marché. C’est ainsi que je me suis résigné à le diffuser par internet. Voilà. Ce sont ces circonstances qui ont accompagné l’élaboration de ce livre. Ce n’est ni une conjoncture politique, ni un calcul particulier. Ce sont simplement les aléas que je viens de citer.
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image] Vous avez pris la tête de l’Exécutif juste après l’assassinat du président Boudiaf. Vous vous êtes assigné une mission de redressement économique et de retour à la stabilité, et pour cela, écrivez-vous dans votre livre, vous avez préconisé une période de transition de 5 années assortie de la proclamation de l’état d’exception. Ce qui n’a évidemment pas été observé. Pourquoi aviez-vous recommandé le recours à l’état d’exception ? Cette question nous renvoie à une question fondamentale : pourquoi a-t-on fait le coup de janvier 1992 ? C’est tout le problème. J’estime que ce qui s’est passé le 11 janvier 1992 est quelque chose de très problématique. Le peuple a voté. Il y a eu un résultat électoral. On a enlevé le chef de l’Etat. On a annulé les élections. On a engagé le pays dans un processus qui a abouti à ce que vous connaissez. Après les événements du 5 octobre 1988, Chadli était désemparé. Il a réuni le bureau politique du FLN et a demandé : dites-moi si je dois partir, je suis prêt à partir. Quelqu’un lui a répondu : ce qui vient de se passer, c’est le signe que nous avons échoué. Par conséquent, nous devons tous partir. Evidemment, ce n’est pas la solution qui a été adoptée. Chadli s’est donc maintenu et a poursuivi ses prétendues réformes. Pour autant, le mécontentement populaire ne s’est pas arrêté. On a donné ainsi la possibilité au FIS d’exploiter ce mécontentement et il est devenu l’opposant par excellence.
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image] Vous notez que la manière dont Chadli a été « démissionné » était un « véritable coup d’Etat » que l’ANP aurait dû assumer en tant que tel. Et vous précisez que « c’est un coup d’Etat contre le peuple plus que contre Chadli ». En acceptant la responsabilité, vous avez, d’une certaine manière, cautionné ce coup d’Etat… Non seulement je l’ai cautionné, mais j’étais pour le coup d’Etat. Mais je dis qu’il aurait fallu le faire au moment opportun et le faire dans une logique salvatrice pour le pays. A partir du moment où l’on a laissé se faire le processus électoral, on a donné une légitimation au FIS. Avant les élections, le FIS était un parti politique. Après les élections, c’est devenu un parti représentatif. C’est différent. Il a gagné les élections. Ce n’est pas la même chose. Vous n’avez plus affaire au FIS, vous avez affaire au peuple. C’est complètement différent. On ne pouvait pas se permettre un tel acte qui est très grave du point de vue politique si on ne l’accompagnait pas d’autre chose. Il fallait donc une politique entièrement nouvelle. Une politique qui apportât au peuple la réponse qu’il attendait. On m’avait consulté à l’époque sur cette question. On était venu m’annoncer qu’il était question de faire démissionner Chadli et de le faire remplacer. On était venu me dire : « Ton nom est cité. »
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image] Qui « on » ? Je le dirai peut-être plus tard… Enfin, quelqu’un qui était dans le coup, plus ou moins. Je lui ai dit : on aurait fait le coup d’Etat avant décembre (1991), c’est une chose. Maintenant, c’est autre chose. Vous ne pouvez pas dissoudre le FIS seul et laisser le FLN. L’appareil du FLN qui a conduit cette politique, vous ne pouvez pas l’épargner. Pour cela, Chadli ne devait pas partir comme cela. J’ai dit qu’il fallait le destituer en condamnant sa politique. A partir de là, il eût fallu se donner le temps de mettre en pratique une politique nouvelle avant de retourner au processus électoral. A l’époque, j’ai estimé qu’il fallait une période de cinq ans pour mener à bien ce redressement. Mais eux, au lieu de cela, ils firent démissionner Chadli. Pis encore, ils lui fournirent l’occasion de sortir par la grande porte.
« L’armée est la seule structure qui fait face aux tempêtes »
L’ancien chef du gouvernement, Bélaïd Abdesselam, revient au devant de l’actualité à la faveur d’un livre pour le moins polémique qu’il vient de « balancer » sur la toile comme une bombe à fragmentation. Posé sur le guéridon, dans un coin de son appartement, le fameux livre est là, gros manuscrit de 322 pages, relié avec soin à défaut d’une publication en bonne et due forme.
Avant de commencer le long entretien de quatre heures qu’il nous a accordé (c’était avant la dernière sortie publique du général Touati), il prend la peine de convoquer un vieux radio-cassettes pour garder une empreinte sonore de l’entretien. « C’est une relique du PAP (plan antipénurie) », blague-t-il. Et une longue rétrospective de commencer sur fond de questionnements de l’histoire tumultueuse de l’Algérie contemporaine.
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image] Monsieur le Premier ministre, vous venez de mettre en ligne un livre que vous avez intitulé Pour rétablir certaines vérités sur treize mois à la tête du gouvernement. Ce que nous constatons d’emblée, c’est que votre livre se présente essentiellement comme une longue réponse au général Mohamed Touati qui avait critiqué votre gestion dans l’interview qu’il avait accordée à notre quotidien, le 27 septembre 2001. La première question que d’aucuns se posent est pourquoi avoir attendu six ans pour répondre au général Touati, et pourquoi avoir choisi une édition « online » plutôt qu’une édition « papier » ? Eh bien, que l’on me croie ou pas, ce sont des écueils purement circonstanciels qui ont fait que cela n’a paru que six ans après. J’avais commencé à rédiger ce livre en 2001. Cette même année, il y avait eu les inondations de Bab El Oued qui devaient être suivies deux ans plus tard par le séisme de Boumerdès. Ces deux événements m’ont affecté dans ma propre famille. J’ai eu en tout cas à m’occuper de problèmes familiaux. Ajoutez à cela des problèmes de santé. Tout cela m’a pris du temps, si bien que je n’avais pas la tranquillité nécessaire pour me consacrer à cet ouvrage. Maintenant, pour ce qui est des motivations de ce livre, il se trouve que pour de nombreux observateurs, le général Touati ne s’exprime pas toujours à titre personnel. Il était toujours présenté comme le porte-parole d’une institution. Si ce n’était qu’un point de vue personnel, je me serais gardé de lui répondre. Mais comme il est censé exprimer la position d’une institution, j’ai décidé de lui répondre et je me suis résolu à lui répondre cette fois-ci par écrit. Touati ne faisait en réalité que reprendre une thèse qui circulait depuis longtemps, à savoir que mon gouvernement a été renvoyé parce qu’il a échoué. Quand Ali Kafi m’a dit : ce gouvernement a échoué, nous mettons fin à sa mission, je n’ai pas voulu entrer dans une polémique à l’époque, d’autant plus que le pays était en crise. Après, je me suis mis à rédiger ce livre. Je vous surprendrai peut-être en vous disant que cela fait plus d’une année que le livre est achevé. J’ai essayé de l’éditer en 2006, mais l’on m’a posé des conditions inacceptables. Vous faites un travail et quelqu’un vous dit : vous me cédez ce travail, j’en fais ce que je veux. Ce qui m’intéresse, ce n’est pas de faire une opération commerciale. Mon objectif était de faire connaître mon point de vue. Aussi, ai-je été amené à dire à l’un des éditeurs que j’ai contactés : prenez l’ouvrage et publiez-le. Je ne vous demande rien d’autre. Mais lui, il a exigé que je signe un contrat en vertu duquel je devais lui céder tout, pour toutes les langues, pour tous les pays et pour toute la durée des droits. En contrepartie, il s’engageait à imprimer 1000 exemplaires. A l’évidence, j’ai refusé ce marché. C’est ainsi que je me suis résigné à le diffuser par internet. Voilà. Ce sont ces circonstances qui ont accompagné l’élaboration de ce livre. Ce n’est ni une conjoncture politique, ni un calcul particulier. Ce sont simplement les aléas que je viens de citer.
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image] Vous avez pris la tête de l’Exécutif juste après l’assassinat du président Boudiaf. Vous vous êtes assigné une mission de redressement économique et de retour à la stabilité, et pour cela, écrivez-vous dans votre livre, vous avez préconisé une période de transition de 5 années assortie de la proclamation de l’état d’exception. Ce qui n’a évidemment pas été observé. Pourquoi aviez-vous recommandé le recours à l’état d’exception ? Cette question nous renvoie à une question fondamentale : pourquoi a-t-on fait le coup de janvier 1992 ? C’est tout le problème. J’estime que ce qui s’est passé le 11 janvier 1992 est quelque chose de très problématique. Le peuple a voté. Il y a eu un résultat électoral. On a enlevé le chef de l’Etat. On a annulé les élections. On a engagé le pays dans un processus qui a abouti à ce que vous connaissez. Après les événements du 5 octobre 1988, Chadli était désemparé. Il a réuni le bureau politique du FLN et a demandé : dites-moi si je dois partir, je suis prêt à partir. Quelqu’un lui a répondu : ce qui vient de se passer, c’est le signe que nous avons échoué. Par conséquent, nous devons tous partir. Evidemment, ce n’est pas la solution qui a été adoptée. Chadli s’est donc maintenu et a poursuivi ses prétendues réformes. Pour autant, le mécontentement populaire ne s’est pas arrêté. On a donné ainsi la possibilité au FIS d’exploiter ce mécontentement et il est devenu l’opposant par excellence.
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Dernière édition par Admin le Jeu 19 Juin - 14:07, édité 3 fois