Le grand «bof» du pays qui baille
par Kamel Daoud
On se réveille avec l'idée d'écrire sur le retour d'Ouyahia, la chute vers le haut de Belkhadem et les volontés de Bouteflika puis, d'un coup, on s'en lasse. Et en cours de route, on peut fignoler le délire : Belkhadem a été appelé à représenter le choix du Président, Ouyahia le choix de ses opposants et Bouteflika le choix de lui-même. Puis on s'en lasse. La route étant longue, on se dit qu'on peut aller plus loin : Belkhadem va servir de futur faux candidat, Ouyahia de futur vice-Président et Bouteflika va se servir du peuple pour le futur de Bouteflika. Puis cela remonte à la bouche : le goût fade de son propre cadavre piéton dans un pays qui se passe de vous. Même si certains journaux républicains ont entamé la journée avec des éditos d'enterrement pour Belkhadem et de bienvenus pour le nouvel homme fort (qu'ils fusillaient allègrement autrefois), l'essentiel est sous les yeux, dans la bouche, visible depuis une décennie : on se passe de nous en notre nom. Le pays peut bien compter 36 millions d'habitants, seuls deux ou trois en possèdent l'acte de propriété et se disputent la cuisine. Dans le tas, on restera assis à regarder défiler la nation sans sous-titrage : Ouyahia aime les chiffres, Belkhadem aime Bouteflika, Bouteflika s'aime lui-même et ce sont nous qui portons la torchère pour éclairer au pétrole cette étroite endogamie. Il s'agit d'une illusion populiste que d'attendre de ces hommes ce que le pays lui-même n'arrive pas à faire de lui-même. Le plus lassant dans l'affaire est qu'il va falloir en parler pendant quelque temps et leur couper les cheveux en quatre pour leur trouver de la teneur, du propos comestible ou quelques variantes de couleur pour meubler le temps. Cruelle métaphysique sans sel alors que le monde réduit, de plus en plus, ce pays à un jerrican d'essence gouverné par des gardiens de pompes. Pourquoi ce sentiment d'abîmement alors qu'Ouyahia n'est ni pire, ni meilleur que les autres ? Parce que. Parce qu'il est humain d'espérer le changement et qu'à force de l'attendre, on finit par espérer au moins une catastrophe ou une inondation javelisante. Dieu l'a accordé pour Noé, pourquoi pas pour nous ? En attendant, Ouyahia est chez lui, comme Bouteflika, comme Belkhadem. Ce sont nous qui sommes invités à les regarder se choisir les uns les autres, en essayant de lire dans les couleurs des costumes, les épisodes des noces cachées et des sentiments invisibles.
par Kamel Daoud
On se réveille avec l'idée d'écrire sur le retour d'Ouyahia, la chute vers le haut de Belkhadem et les volontés de Bouteflika puis, d'un coup, on s'en lasse. Et en cours de route, on peut fignoler le délire : Belkhadem a été appelé à représenter le choix du Président, Ouyahia le choix de ses opposants et Bouteflika le choix de lui-même. Puis on s'en lasse. La route étant longue, on se dit qu'on peut aller plus loin : Belkhadem va servir de futur faux candidat, Ouyahia de futur vice-Président et Bouteflika va se servir du peuple pour le futur de Bouteflika. Puis cela remonte à la bouche : le goût fade de son propre cadavre piéton dans un pays qui se passe de vous. Même si certains journaux républicains ont entamé la journée avec des éditos d'enterrement pour Belkhadem et de bienvenus pour le nouvel homme fort (qu'ils fusillaient allègrement autrefois), l'essentiel est sous les yeux, dans la bouche, visible depuis une décennie : on se passe de nous en notre nom. Le pays peut bien compter 36 millions d'habitants, seuls deux ou trois en possèdent l'acte de propriété et se disputent la cuisine. Dans le tas, on restera assis à regarder défiler la nation sans sous-titrage : Ouyahia aime les chiffres, Belkhadem aime Bouteflika, Bouteflika s'aime lui-même et ce sont nous qui portons la torchère pour éclairer au pétrole cette étroite endogamie. Il s'agit d'une illusion populiste que d'attendre de ces hommes ce que le pays lui-même n'arrive pas à faire de lui-même. Le plus lassant dans l'affaire est qu'il va falloir en parler pendant quelque temps et leur couper les cheveux en quatre pour leur trouver de la teneur, du propos comestible ou quelques variantes de couleur pour meubler le temps. Cruelle métaphysique sans sel alors que le monde réduit, de plus en plus, ce pays à un jerrican d'essence gouverné par des gardiens de pompes. Pourquoi ce sentiment d'abîmement alors qu'Ouyahia n'est ni pire, ni meilleur que les autres ? Parce que. Parce qu'il est humain d'espérer le changement et qu'à force de l'attendre, on finit par espérer au moins une catastrophe ou une inondation javelisante. Dieu l'a accordé pour Noé, pourquoi pas pour nous ? En attendant, Ouyahia est chez lui, comme Bouteflika, comme Belkhadem. Ce sont nous qui sommes invités à les regarder se choisir les uns les autres, en essayant de lire dans les couleurs des costumes, les épisodes des noces cachées et des sentiments invisibles.
Dernière édition par Admin le Sam 28 Juin - 22:07, édité 1 fois