: Le DRS avance sa carte Ouyahia
le 23 Avril, 2008
Il y a des signes qui ne trompent pas. Au déclenchement de la Révolution française de 1789, la reine Marie-Antoinette surprise par l'ampleur de la révolte populaire demanda : «Mais que réclament donc ces gens?» On lui répondit : «Du pain». Elle eut alors cette réplique laissée à la postérité avant de passer à l'échafaud avec le roi Louis XVI : «Et bien qu'ils mangent de la brioche». Toute proportion gardée, on peut dire que la réaction ironique du chef du gouvernement Belkhadem face aux harragas est identique. Il leur promet de l'argent, du travail et des locaux, alors que les jeunes revendiquent espoir, bonheur, liberté, dignité. Tous les dispositifs d'assistanat Ansej, Cnac, Angem, filet social … n'y peuvent plus rien. Les harragas ne crèvent pas de faim. Ils crèvent de mal vie, d'ennui et d'humiliation. Ils enragent de voir l'égoïsme et la boulimie des gens du système trop occupés à dilapider les richesses du pays et à se partager les dividendes dans leurs tours d'ivoire. Ils tentent donc de faire ce que font depuis longtemps les élites qui ne manque de rien matériellement : fuir ce pays maudit. Une des preuves les plus criantes de cet égoïsme des dirigeants algériens est leur silence face à la «tsunami alimentaire» qui frappe les pays voisins, alors que tous les dirigeants occidentaux s'inquiètent et se dépêchent d'envoyer des aides d'urgence. Ils ne voient pas le désarroi des populations frontalières. Le feu couve aux frontières sud où la famine et la rébellion touareg poussent à un exode massif des populations du nord-Mali et du nord-Niger. Même des marocains et tunisiens commencent discrètement et progressivement à s'installer dans un mouvement d'anticipation et de survie. Le pouvoir est resté sourd à l'appel fraternel du Maroc, pays enclavé sans ressources pétrolières dont le seul voisin est … l'Algérie. Il n'a pas non plus entendu l'avertissement du DG du FMI sur les menaces de guerre dans ces pays pauvres et affamés. On ne dira jamais assez que la région du Sahel est une vraie bombe à retardement. Comment le premier responsable du FLN, parti d'essence populaire, ainsi que tout le gouvernement en sont-il arrivés à ne plus rien comprendre aux aspirations de leur peuple et à l'évolution dangereuse de leur environnement. Tout simplement parce que ceux qui sont chargés d'être les yeux et les oreilles de l'Etat, les informateurs, les avertisseurs, les tireurs de sonnettes d'alarme ne travaillent plus ni pour le gouvernement, ni pour la sécurité de leur pays. Ils ont délaissé leur métier et trahi leur serment de fidélité à la patrie. Ils travaillent pour leur propre compte, ils font du business grâce à l'énorme pouvoir que leur a octroyé le décret d'état d'urgence. Tous les postes de responsabilité civile sont doublés par des officiers du DRS. Ils ont ainsi accès à toutes les informations, s'ouvrent toutes les portes et les coffres-forts. Qui dans ces conditions ne peut être tenté de s'enrichir, de pratiquer le délit d'initié et de corruption. Comme ils l'ont fait à l'envie en orchestrant les détournements du groupe Khalifa… sans jamais être inquiétés et en envoyant des lampistes en prison. En imposant une autorité occulte à toutes les institutions, le DRS a concentré entre ses mains toutes les sources de renseignement militaire, policière, judiciaire, économique, diplomatique, médiatique. A tel point qu'il n'existe plus en Algérie que deux sphères de pouvoir : le DRS et la présidence. Le DRS contrôle l'armée, la gendarmerie, la police, l'administration, le secteur économique public et privé, le RDN, le MSP, l'UGTA et une partie du FLN qu'il retournera à son avantage le moment venu. Bouteflika, qui avait «redressé» et asservi le FLN, avait acquis les soutiens diplomatiques du monde arabe et des puissances occidentales qui l'ont conforté in extremis pour son deuxième mandat contre Benflis, candidat d'une partie de l'armée. Mais sa volonté de briguer un troisième mandat s'est heurtée à un refus catégorique de soutien des grandes puissances dont leurs constitutions limitent la présidence à deux mandats. Il craint aussi de subir le même désaveu que le vénézuelien Hugo Chavez, qui a eu l'audace de vouloir réviser sa propre constitution, désavoué par le référendum populaire. Sentant le danger et sa fin imminente, Bouteflika hésite à faire des sorties publiques en Algérie. De report en annulation, le syndrome Boudiaf le hante depuis l'attentat manqué de Batna. Face à la toute puissance du DRS, le clan présidentiel ne peut plus rien. Bouteflika se tient prêt à abandonner ses fonctions en silence, comme l'avait fait Zeroual avant lui. Il prépare déjà sa retraite en allant visiter ses amis du Golfe. A la manière d'un cancer qui gangrène tout le corps, le DRS veut pousser son pouvoir totalitaire à sa phase terminale : placer un de ses agents les plus fidèles à la présidence. Il a commencé en 2005 à activer en sous-main quelques lièvres et tenté de remettre en selle Ali Benflis. Mais ce dernier, entré en hibernation depuis sa défaite d'avril 2004, ne fait plus recette et a du mal à rassembler ses ex-lieutenants et ses troupes qui hésitent à le suivre. Arrivé dans la dernière ligne droite, le DRS prend les devants et abat sa carte Ouyahia en l'imposant à Bouteflika par un «communiqué laconique de la présidence» et une suggestion dans la presse d'une «rencontre de deux heures»… qui n'a jamais eu lieu. C'est le commencement d'un nouveau coup d'Etat. Les tournées d'Ouyahia dans les instances internationales visent à lui donner une stature d'homme d'Etat et à quémander le soutien des grandes puissances et des pays arabes. Le DRS a engagé une nouvelle course contre la montre en éteignant tous les signaux d'alerte pour aveugler les états-majors et leur imposer Ouyahia, l'homme le plus impopulaire du pays. Des leurres et des messages codés sont distillées dans la presse pour tenir les clientèles du système en état d'alerte et les aiguiller vers cette seule direction. L'affolement des marchés financiers et pétroliers attise toutes les convoitises intérieures et extérieures sur les ressources financières et minières du pays dans un monde actuellement bloqué à cause du stand-by américain qui attend l'élection de son nouveau président. L'attentisme est dangereux et le réveil risque d'être douloureux. Les élites, divisées et dispersées, vont-elles laisser les déflagrations sociales éclater dans tous les sens et condamner le pays à entrer dans une ère de glaciation politique et de spoliation des richesses avec Ouyahia ?
Saad Lounes
Le matin
le 23 Avril, 2008
Il y a des signes qui ne trompent pas. Au déclenchement de la Révolution française de 1789, la reine Marie-Antoinette surprise par l'ampleur de la révolte populaire demanda : «Mais que réclament donc ces gens?» On lui répondit : «Du pain». Elle eut alors cette réplique laissée à la postérité avant de passer à l'échafaud avec le roi Louis XVI : «Et bien qu'ils mangent de la brioche». Toute proportion gardée, on peut dire que la réaction ironique du chef du gouvernement Belkhadem face aux harragas est identique. Il leur promet de l'argent, du travail et des locaux, alors que les jeunes revendiquent espoir, bonheur, liberté, dignité. Tous les dispositifs d'assistanat Ansej, Cnac, Angem, filet social … n'y peuvent plus rien. Les harragas ne crèvent pas de faim. Ils crèvent de mal vie, d'ennui et d'humiliation. Ils enragent de voir l'égoïsme et la boulimie des gens du système trop occupés à dilapider les richesses du pays et à se partager les dividendes dans leurs tours d'ivoire. Ils tentent donc de faire ce que font depuis longtemps les élites qui ne manque de rien matériellement : fuir ce pays maudit. Une des preuves les plus criantes de cet égoïsme des dirigeants algériens est leur silence face à la «tsunami alimentaire» qui frappe les pays voisins, alors que tous les dirigeants occidentaux s'inquiètent et se dépêchent d'envoyer des aides d'urgence. Ils ne voient pas le désarroi des populations frontalières. Le feu couve aux frontières sud où la famine et la rébellion touareg poussent à un exode massif des populations du nord-Mali et du nord-Niger. Même des marocains et tunisiens commencent discrètement et progressivement à s'installer dans un mouvement d'anticipation et de survie. Le pouvoir est resté sourd à l'appel fraternel du Maroc, pays enclavé sans ressources pétrolières dont le seul voisin est … l'Algérie. Il n'a pas non plus entendu l'avertissement du DG du FMI sur les menaces de guerre dans ces pays pauvres et affamés. On ne dira jamais assez que la région du Sahel est une vraie bombe à retardement. Comment le premier responsable du FLN, parti d'essence populaire, ainsi que tout le gouvernement en sont-il arrivés à ne plus rien comprendre aux aspirations de leur peuple et à l'évolution dangereuse de leur environnement. Tout simplement parce que ceux qui sont chargés d'être les yeux et les oreilles de l'Etat, les informateurs, les avertisseurs, les tireurs de sonnettes d'alarme ne travaillent plus ni pour le gouvernement, ni pour la sécurité de leur pays. Ils ont délaissé leur métier et trahi leur serment de fidélité à la patrie. Ils travaillent pour leur propre compte, ils font du business grâce à l'énorme pouvoir que leur a octroyé le décret d'état d'urgence. Tous les postes de responsabilité civile sont doublés par des officiers du DRS. Ils ont ainsi accès à toutes les informations, s'ouvrent toutes les portes et les coffres-forts. Qui dans ces conditions ne peut être tenté de s'enrichir, de pratiquer le délit d'initié et de corruption. Comme ils l'ont fait à l'envie en orchestrant les détournements du groupe Khalifa… sans jamais être inquiétés et en envoyant des lampistes en prison. En imposant une autorité occulte à toutes les institutions, le DRS a concentré entre ses mains toutes les sources de renseignement militaire, policière, judiciaire, économique, diplomatique, médiatique. A tel point qu'il n'existe plus en Algérie que deux sphères de pouvoir : le DRS et la présidence. Le DRS contrôle l'armée, la gendarmerie, la police, l'administration, le secteur économique public et privé, le RDN, le MSP, l'UGTA et une partie du FLN qu'il retournera à son avantage le moment venu. Bouteflika, qui avait «redressé» et asservi le FLN, avait acquis les soutiens diplomatiques du monde arabe et des puissances occidentales qui l'ont conforté in extremis pour son deuxième mandat contre Benflis, candidat d'une partie de l'armée. Mais sa volonté de briguer un troisième mandat s'est heurtée à un refus catégorique de soutien des grandes puissances dont leurs constitutions limitent la présidence à deux mandats. Il craint aussi de subir le même désaveu que le vénézuelien Hugo Chavez, qui a eu l'audace de vouloir réviser sa propre constitution, désavoué par le référendum populaire. Sentant le danger et sa fin imminente, Bouteflika hésite à faire des sorties publiques en Algérie. De report en annulation, le syndrome Boudiaf le hante depuis l'attentat manqué de Batna. Face à la toute puissance du DRS, le clan présidentiel ne peut plus rien. Bouteflika se tient prêt à abandonner ses fonctions en silence, comme l'avait fait Zeroual avant lui. Il prépare déjà sa retraite en allant visiter ses amis du Golfe. A la manière d'un cancer qui gangrène tout le corps, le DRS veut pousser son pouvoir totalitaire à sa phase terminale : placer un de ses agents les plus fidèles à la présidence. Il a commencé en 2005 à activer en sous-main quelques lièvres et tenté de remettre en selle Ali Benflis. Mais ce dernier, entré en hibernation depuis sa défaite d'avril 2004, ne fait plus recette et a du mal à rassembler ses ex-lieutenants et ses troupes qui hésitent à le suivre. Arrivé dans la dernière ligne droite, le DRS prend les devants et abat sa carte Ouyahia en l'imposant à Bouteflika par un «communiqué laconique de la présidence» et une suggestion dans la presse d'une «rencontre de deux heures»… qui n'a jamais eu lieu. C'est le commencement d'un nouveau coup d'Etat. Les tournées d'Ouyahia dans les instances internationales visent à lui donner une stature d'homme d'Etat et à quémander le soutien des grandes puissances et des pays arabes. Le DRS a engagé une nouvelle course contre la montre en éteignant tous les signaux d'alerte pour aveugler les états-majors et leur imposer Ouyahia, l'homme le plus impopulaire du pays. Des leurres et des messages codés sont distillées dans la presse pour tenir les clientèles du système en état d'alerte et les aiguiller vers cette seule direction. L'affolement des marchés financiers et pétroliers attise toutes les convoitises intérieures et extérieures sur les ressources financières et minières du pays dans un monde actuellement bloqué à cause du stand-by américain qui attend l'élection de son nouveau président. L'attentisme est dangereux et le réveil risque d'être douloureux. Les élites, divisées et dispersées, vont-elles laisser les déflagrations sociales éclater dans tous les sens et condamner le pays à entrer dans une ère de glaciation politique et de spoliation des richesses avec Ouyahia ?
Saad Lounes
Le matin