“La presse a le droit de critiquer le roi”
--------------------------------------------------------------------------------
Le président du Syndicat national de la presse marocaine (SNPM) Younes Moujahid revient sur le cas Erraji, le projet de réforme du Code de la presse et les militairescondamnés dans l’affaire Al Watan Al An.
Mohamed Erraji, jeune bloggeur gadiri, a été traduit en justice pour manquement au respect dû à la personne du roi. Quelle est votre réaction ?
J’ai été choqué d’apprendre cette nouvelle, que je considère comme une énième atteinte à la liberté d’expression dans notre pays. Ce qu’on reproche à Mohamed Erraji n’a aucun sens. Le texte qu’il a publié sur le Net n’est en aucune manière irrespectueux envers le roi. Mais ce qui est encore plus scandaleux, c’est la procédure à laquelle a eu droit Mohamed Erraji. Ce dernier a été du jour au lendemain arrêté comme un malfaiteur, puis condamné sans la présence d’un avocat à ses côtés. En tout cas, au SNPM, nous sommes résolus à ne pas laisser passer ce nouveau dérapage de la justice marocaine. Après avoir fait part de notre protestation aux autorités concernées, nous demandons l’ouverture d’une enquête qui établirait les responsabilités dans cette affaire.
Vous estimez que le texte publié par Erraji n’est en rien condamnable ?
Absolument. Mohamed Erraji n’a enfreint aucune loi ni aucune règle déontologique. Il a publié une simple critique d’un comportement politique, d’ailleurs très répandu au Maroc. Dans son texte, Mohamed Erraji a utilisé des mots appropriés et justes qui ne portent préjudice à personne.
Est-ce qu’un journaliste a le droit de critiquer le roi, selon vous ?
Bien sûr. La presse a le droit et même le devoir d’analyser et de commenter les activités de l’ensemble des acteurs du paysage politique, dont le roi lui même. Nul n’est sacré. En tout cas, aucune loi ne l’en empêche. Les textes en vigueur censés protéger le monarque sont très clairs à ce sujet. Ils condamnent un journaliste au cas où il publierait un article “offensant”, “portant atteinte” à la personne du roi. De ces chefs d’accusation, aucun ne s’applique à Mohamed Erraji, ni à d’autres affaires qui se sont retrouvées instruites par la justice. Le seul problème qui se pose, malheureusement, c’est l’utilisation abusive et infondée qui en est faite.
Dans ces conditions, quelle serait d’après vous la condamnation la plus juste pour un journaliste coupable, comme vous l’avez précisé, “d’humiliation, préjudice ou manque de respect” envers le roi ?
J’aimerais avant tout rappeler une chose. Toutes ces règles ne s’appliquent pas seulement au roi, mais plutôt à l’ensemble des citoyens marocains, qui sont eux aussi protégés par les textes. Un journaliste n’est pas au-dessus de la loi et ne peut pas écrire n’importe quoi, ni n’importe comment. Il y a des règles déontologiques qu’il se doit de respecter. Au SNPM, nous sommes contre les peines privatives de liberté à l’encontre des journalistes. Nous préconisons plutôt des amendes proportionnelles à la faute commise.
Pensez-vous que cette affaire aura des répercussions sur la blogosphère marocaine, considérée jusqu’ici comme la plus dynamique du monde arabe ?
Ces dernières années, lorsque nous participions à des rencontres à l’étranger, nous étions fiers d’être présentés comme des exemples à suivre en la matière. Est-ce que l’affaire Erraji va y changer quelque chose ? Notre image a été certes écornée par cette histoire et, dorénavant, nous allons probablement être perçus autrement. Mais je ne pense pas qu’elle aura un impact sur le dynamisme de nos blogueurs. Il suffit de voir par où est passée la presse indépendante durant cette décennie pour en être convaincu. Elle a eu droit à des procès, des condamnations, des amendes… Et malgré tout cela, elle répond toujours à l’appel. Elle est même encore plus forte qu’avant.
Certains observateurs estiment qu’il y a un recul en matière de liberté d’expression au Maroc. Qu’en pensez-vous ?
Je n’irai pas jusque-là. Mais une chose est sûre, depuis quelque temps, on assiste à un duel acharné entre une presse jeune et dynamique qui ne veut pas lâcher le morceau, et les autorités qui improvisent selon l’humeur du moment.
Au final, qui serait le vainqueur de ce duel, selon vous ?
Si les autorités ne changent pas d’attitude, j’ai bien peur que la médiocrité prenne le dessus sur tout.
Où en est le projet de réforme du Code de la presse, tant attendu par la profession ?
Il est toujours entre les mains du gouvernement. Nous n’avons aucun écho à ce sujet. Nous attendons toujours le début des discussions officielles pour faire aboutir un texte final, dont la profession a aujourd’hui grandement besoin.
Pourquoi ce retard alors ? Où se situe le blocage ?
Le nombre important d’intervenants dans ce dossier n’arrange d’ailleurs pas les choses. Le dernier à être entré dans la course est le Conseil consultatif des droits de l’homme. Cela dit, il y a des désaccords fondamentaux entre les représentants des journalistes et le gouvernement, notamment sur trois points. Nous sommes contre le maintien de peines privatives de liberté à l’encontre des journalistes, contre la création d’un Conseil national de la presse non représentatif. Et, bien entendu, contre l’article condamnant le manquement au “respect” dû à la personne du roi.
Actuellement, des militaires sont détenus à la prison de Salé pour avoir divulgué des informations au quotidien Al Watan Al An. On ne vous a pas beaucoup entendu sur cette question…
(Après réflexion). En effet, au sein du SNPM, nous avons décidé de ne pas intervenir et avons considéré que cette affaire était du ressort des associations de droits humains.
Ce dossier soulève pourtant la question de la protection des sources d’information, censée vous interpeller…
Je pense qu’on devrait traiter ce problème autrement. Il faudrait se battre pour qu’on ait au Maroc une loi permettant le droit d’accès à l’information. Ce qui faciliterait davantage le travail des journalistes. Tout cela reste, pour le moment, au stade des intentions.
TelQuel
__________________
--------------------------------------------------------------------------------
Le président du Syndicat national de la presse marocaine (SNPM) Younes Moujahid revient sur le cas Erraji, le projet de réforme du Code de la presse et les militairescondamnés dans l’affaire Al Watan Al An.
Mohamed Erraji, jeune bloggeur gadiri, a été traduit en justice pour manquement au respect dû à la personne du roi. Quelle est votre réaction ?
J’ai été choqué d’apprendre cette nouvelle, que je considère comme une énième atteinte à la liberté d’expression dans notre pays. Ce qu’on reproche à Mohamed Erraji n’a aucun sens. Le texte qu’il a publié sur le Net n’est en aucune manière irrespectueux envers le roi. Mais ce qui est encore plus scandaleux, c’est la procédure à laquelle a eu droit Mohamed Erraji. Ce dernier a été du jour au lendemain arrêté comme un malfaiteur, puis condamné sans la présence d’un avocat à ses côtés. En tout cas, au SNPM, nous sommes résolus à ne pas laisser passer ce nouveau dérapage de la justice marocaine. Après avoir fait part de notre protestation aux autorités concernées, nous demandons l’ouverture d’une enquête qui établirait les responsabilités dans cette affaire.
Vous estimez que le texte publié par Erraji n’est en rien condamnable ?
Absolument. Mohamed Erraji n’a enfreint aucune loi ni aucune règle déontologique. Il a publié une simple critique d’un comportement politique, d’ailleurs très répandu au Maroc. Dans son texte, Mohamed Erraji a utilisé des mots appropriés et justes qui ne portent préjudice à personne.
Est-ce qu’un journaliste a le droit de critiquer le roi, selon vous ?
Bien sûr. La presse a le droit et même le devoir d’analyser et de commenter les activités de l’ensemble des acteurs du paysage politique, dont le roi lui même. Nul n’est sacré. En tout cas, aucune loi ne l’en empêche. Les textes en vigueur censés protéger le monarque sont très clairs à ce sujet. Ils condamnent un journaliste au cas où il publierait un article “offensant”, “portant atteinte” à la personne du roi. De ces chefs d’accusation, aucun ne s’applique à Mohamed Erraji, ni à d’autres affaires qui se sont retrouvées instruites par la justice. Le seul problème qui se pose, malheureusement, c’est l’utilisation abusive et infondée qui en est faite.
Dans ces conditions, quelle serait d’après vous la condamnation la plus juste pour un journaliste coupable, comme vous l’avez précisé, “d’humiliation, préjudice ou manque de respect” envers le roi ?
J’aimerais avant tout rappeler une chose. Toutes ces règles ne s’appliquent pas seulement au roi, mais plutôt à l’ensemble des citoyens marocains, qui sont eux aussi protégés par les textes. Un journaliste n’est pas au-dessus de la loi et ne peut pas écrire n’importe quoi, ni n’importe comment. Il y a des règles déontologiques qu’il se doit de respecter. Au SNPM, nous sommes contre les peines privatives de liberté à l’encontre des journalistes. Nous préconisons plutôt des amendes proportionnelles à la faute commise.
Pensez-vous que cette affaire aura des répercussions sur la blogosphère marocaine, considérée jusqu’ici comme la plus dynamique du monde arabe ?
Ces dernières années, lorsque nous participions à des rencontres à l’étranger, nous étions fiers d’être présentés comme des exemples à suivre en la matière. Est-ce que l’affaire Erraji va y changer quelque chose ? Notre image a été certes écornée par cette histoire et, dorénavant, nous allons probablement être perçus autrement. Mais je ne pense pas qu’elle aura un impact sur le dynamisme de nos blogueurs. Il suffit de voir par où est passée la presse indépendante durant cette décennie pour en être convaincu. Elle a eu droit à des procès, des condamnations, des amendes… Et malgré tout cela, elle répond toujours à l’appel. Elle est même encore plus forte qu’avant.
Certains observateurs estiment qu’il y a un recul en matière de liberté d’expression au Maroc. Qu’en pensez-vous ?
Je n’irai pas jusque-là. Mais une chose est sûre, depuis quelque temps, on assiste à un duel acharné entre une presse jeune et dynamique qui ne veut pas lâcher le morceau, et les autorités qui improvisent selon l’humeur du moment.
Au final, qui serait le vainqueur de ce duel, selon vous ?
Si les autorités ne changent pas d’attitude, j’ai bien peur que la médiocrité prenne le dessus sur tout.
Où en est le projet de réforme du Code de la presse, tant attendu par la profession ?
Il est toujours entre les mains du gouvernement. Nous n’avons aucun écho à ce sujet. Nous attendons toujours le début des discussions officielles pour faire aboutir un texte final, dont la profession a aujourd’hui grandement besoin.
Pourquoi ce retard alors ? Où se situe le blocage ?
Le nombre important d’intervenants dans ce dossier n’arrange d’ailleurs pas les choses. Le dernier à être entré dans la course est le Conseil consultatif des droits de l’homme. Cela dit, il y a des désaccords fondamentaux entre les représentants des journalistes et le gouvernement, notamment sur trois points. Nous sommes contre le maintien de peines privatives de liberté à l’encontre des journalistes, contre la création d’un Conseil national de la presse non représentatif. Et, bien entendu, contre l’article condamnant le manquement au “respect” dû à la personne du roi.
Actuellement, des militaires sont détenus à la prison de Salé pour avoir divulgué des informations au quotidien Al Watan Al An. On ne vous a pas beaucoup entendu sur cette question…
(Après réflexion). En effet, au sein du SNPM, nous avons décidé de ne pas intervenir et avons considéré que cette affaire était du ressort des associations de droits humains.
Ce dossier soulève pourtant la question de la protection des sources d’information, censée vous interpeller…
Je pense qu’on devrait traiter ce problème autrement. Il faudrait se battre pour qu’on ait au Maroc une loi permettant le droit d’accès à l’information. Ce qui faciliterait davantage le travail des journalistes. Tout cela reste, pour le moment, au stade des intentions.
TelQuel
__________________