Les Marocains au quotidien - Malaise social à tous les étages
La scène se déroule dans un marché populaire, dans les faubourgs de Rabat. Une femme, presque sans âge, demande à son boucher de lui donner pour 20 dhs de viande -« pas plus !» s'empresse-t-elle de préciser- puis se rend chez les marchands ambulants de légumes pour acheter deux tomates, trois pommes de terres et autant d'oignons.
En ce début de semaine, cette citoyenne a dépensé 30 dirhams et sans pour autant remplir son panier de ménagère, elle pense déjà au trou dans son budget « Qu'on ne s'y trompe pas, cette scène est révélatrice d'un malaise social de plus en plus profond. Une majorité de Marocains se bat pour (sur)vivre et n'arrive pas à joindre les deux bouts alors que les riches deviennent de plus en plus riches et les pauvres de plus en plus pauvres », commente un économiste de la place.
Résultat, la société civile s'est emparée du débat né de la cherté de la vie, avec une Association marocaine des droits humains (AMDH) en pointe, qui n'en finit pas de multiplier les manifestations et sit-in contre la hausse des prix. Et si le gouvernement de Abbas El Fassi tente de calmer les foules en ébullition en promettant, main sur le coeur, de ne pas toucher aux prix de produits de base, il décide en même temps de s'attaquer à la réforme de la caisse de compensation. « Les riches profitent autant que les pauvres des produits compensés. Il est temps d'arrêter cette anomalie », dénonce, devant les députés, le ministre des Affaires générales, Nizar Baraka. Les dommages collatéraux sont déjà annoncés par les oracles. « Ce sont les couches démunies et à faibles revenus qui en seront une fois de plus les premières victimes quoi qu'en dise l'Exécutif », soupire un syndicaliste échaudé par plusieurs rounds de dialogue social.
Et c'est sans surprise que les premières épreuves du cabinet de l'Istiqlalien Abbas El Fassi prennent leur source dans le malaise social que vit le pays. Hier, le gouvernement était confronté à une grève générale dans la fonction publique et les collectivités locales déclenchée pour protester contre la dégradation du pouvoir d'achat des fonctionnaires. Les revendications traduisent la précarisation grandissante de ceux qui sont censés être la classe moyenne : augmentation des salaires en fonction du coût de la vie, annulation urgente des décrets relatifs à la promotion interne, réforme du système de retraite
«La santé publique ? Elle est atteinte d'une maladie chronique!»
Quelques semaines auparavant, Yasmina Baddou est confrontée à sa première grève dans la santé publique. La crise des hôpitaux apparaît soudain au grand jour. Pourtant, en janvier 2006, le rapport général sur le développement humain, coaché par le Conseiller Meziane Belfquih, avait pointé les défaillances du système de santé publique. « Plusieurs questions directement liées à la gouvernance, pourtant bien diagnostiquées, se posent toujours. Elles concernent principalement l'absence d'un cadre stratégique d'action et d'une vision globale du système de santé, la diversité des intérêts des acteurs et intervenants et la présence de nombreuses situations de rente qui ont fini par devenir de réelles forces d'inertie, le centralisme excessif de l'administration sanitaire et le faible développement des services locaux, ainsi que la crise de l'hôpital public. Confronté à la concurrence accrue des établissements privés qui drainent la majorité de la population solvable, l'hôpital public est à la recherche d'un positionnement nouveau qui pourrait lui permettre de développer ses capacités et d'augmenter ses ressources afin d'être en mesure de fournir un service de qualité », notent les experts qui ont planché sur ce rapport publié à l'occasion du cinquantenaire de l'Indépendance du Maroc. « La santé publique est malade d'elle-même. En fait, elle est atteinte d'une maladie chronique. Il est urgent d'en faire une priorité nationale pour que l'accès au soin devienne une réalité », résume, tranchant, un ancien patron passé du public au privé et qui ne supportait plus de voir les malades acheter «médicaments et fils pour pouvoir se faire soigner à l'hôpital».
Quand l'ascenseur social est en panne
Si l'accès aux soins est loin de se généraliser en attendant l'entrée en vigueur du régime de l'assistance médicale, l'enseignement, lui, n'est pas mieux loti. Le dernier rapport de la Banque mondiale consacré à ce secteur classe le Maroc parmi les plus mauvais élèves de la zone MENA. La réplique du premier ministre selon laquelle «le Maroc n'a pas attendu la Banque mondiale pour etc, etc » apparaît bien futile face à l'étendue des dégâts. Le constat est unanime : l'école marocaine forme des analphabètes bilingues. «La tentation d'une arabisation encore plus poussée, annoncée par le chef de l'Exécutif dans sa déclaration gouvernementale va davantage compliquer la situation. Sur le marché de l'emploi local, les langues de travail sont le français, l'espagnol et l'anglais. On n'a pas le droit de l'ignorer quand on a une armée de diplômés chômeurs sur le marché.
Dans quelle langue croyez-vous que les call center qui s'installent de plus en plus au Maroc travaillent-ils?», fait observer un diplomate occidental. Au malaise social vient s'ajouter un sentiment d'injustice et de désespoir. Au Maroc, les tribunaux contribuent à véhiculer l'image d'une justice qui ne rend pas justice. Le quotidien des justiciables, perdus dans les dédales de tribunaux engorgés, vient s'ajouter à la longue litanie de doléances citoyennes. D'une juridiction à l'autre, le chantier est immense et catalyse toutes les attentes par rapport à un projet de société. « En fait, on se rend compte que l'ascenseur social est en panne. Et c'est cela le plus grave. Les populations démunies sont-elles condamnées à ne pas avoir d'horizon ? L'avenir radieux n'est-il plus finalement qu'un slogan perdu dans la littérature politique ? », s'interroge un militant de gauche. Les rêves de grand soir ont définitivement cédé la place aux matins laborieux.
LIBERATION
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La scène se déroule dans un marché populaire, dans les faubourgs de Rabat. Une femme, presque sans âge, demande à son boucher de lui donner pour 20 dhs de viande -« pas plus !» s'empresse-t-elle de préciser- puis se rend chez les marchands ambulants de légumes pour acheter deux tomates, trois pommes de terres et autant d'oignons.
En ce début de semaine, cette citoyenne a dépensé 30 dirhams et sans pour autant remplir son panier de ménagère, elle pense déjà au trou dans son budget « Qu'on ne s'y trompe pas, cette scène est révélatrice d'un malaise social de plus en plus profond. Une majorité de Marocains se bat pour (sur)vivre et n'arrive pas à joindre les deux bouts alors que les riches deviennent de plus en plus riches et les pauvres de plus en plus pauvres », commente un économiste de la place.
Résultat, la société civile s'est emparée du débat né de la cherté de la vie, avec une Association marocaine des droits humains (AMDH) en pointe, qui n'en finit pas de multiplier les manifestations et sit-in contre la hausse des prix. Et si le gouvernement de Abbas El Fassi tente de calmer les foules en ébullition en promettant, main sur le coeur, de ne pas toucher aux prix de produits de base, il décide en même temps de s'attaquer à la réforme de la caisse de compensation. « Les riches profitent autant que les pauvres des produits compensés. Il est temps d'arrêter cette anomalie », dénonce, devant les députés, le ministre des Affaires générales, Nizar Baraka. Les dommages collatéraux sont déjà annoncés par les oracles. « Ce sont les couches démunies et à faibles revenus qui en seront une fois de plus les premières victimes quoi qu'en dise l'Exécutif », soupire un syndicaliste échaudé par plusieurs rounds de dialogue social.
Et c'est sans surprise que les premières épreuves du cabinet de l'Istiqlalien Abbas El Fassi prennent leur source dans le malaise social que vit le pays. Hier, le gouvernement était confronté à une grève générale dans la fonction publique et les collectivités locales déclenchée pour protester contre la dégradation du pouvoir d'achat des fonctionnaires. Les revendications traduisent la précarisation grandissante de ceux qui sont censés être la classe moyenne : augmentation des salaires en fonction du coût de la vie, annulation urgente des décrets relatifs à la promotion interne, réforme du système de retraite
«La santé publique ? Elle est atteinte d'une maladie chronique!»
Quelques semaines auparavant, Yasmina Baddou est confrontée à sa première grève dans la santé publique. La crise des hôpitaux apparaît soudain au grand jour. Pourtant, en janvier 2006, le rapport général sur le développement humain, coaché par le Conseiller Meziane Belfquih, avait pointé les défaillances du système de santé publique. « Plusieurs questions directement liées à la gouvernance, pourtant bien diagnostiquées, se posent toujours. Elles concernent principalement l'absence d'un cadre stratégique d'action et d'une vision globale du système de santé, la diversité des intérêts des acteurs et intervenants et la présence de nombreuses situations de rente qui ont fini par devenir de réelles forces d'inertie, le centralisme excessif de l'administration sanitaire et le faible développement des services locaux, ainsi que la crise de l'hôpital public. Confronté à la concurrence accrue des établissements privés qui drainent la majorité de la population solvable, l'hôpital public est à la recherche d'un positionnement nouveau qui pourrait lui permettre de développer ses capacités et d'augmenter ses ressources afin d'être en mesure de fournir un service de qualité », notent les experts qui ont planché sur ce rapport publié à l'occasion du cinquantenaire de l'Indépendance du Maroc. « La santé publique est malade d'elle-même. En fait, elle est atteinte d'une maladie chronique. Il est urgent d'en faire une priorité nationale pour que l'accès au soin devienne une réalité », résume, tranchant, un ancien patron passé du public au privé et qui ne supportait plus de voir les malades acheter «médicaments et fils pour pouvoir se faire soigner à l'hôpital».
Quand l'ascenseur social est en panne
Si l'accès aux soins est loin de se généraliser en attendant l'entrée en vigueur du régime de l'assistance médicale, l'enseignement, lui, n'est pas mieux loti. Le dernier rapport de la Banque mondiale consacré à ce secteur classe le Maroc parmi les plus mauvais élèves de la zone MENA. La réplique du premier ministre selon laquelle «le Maroc n'a pas attendu la Banque mondiale pour etc, etc » apparaît bien futile face à l'étendue des dégâts. Le constat est unanime : l'école marocaine forme des analphabètes bilingues. «La tentation d'une arabisation encore plus poussée, annoncée par le chef de l'Exécutif dans sa déclaration gouvernementale va davantage compliquer la situation. Sur le marché de l'emploi local, les langues de travail sont le français, l'espagnol et l'anglais. On n'a pas le droit de l'ignorer quand on a une armée de diplômés chômeurs sur le marché.
Dans quelle langue croyez-vous que les call center qui s'installent de plus en plus au Maroc travaillent-ils?», fait observer un diplomate occidental. Au malaise social vient s'ajouter un sentiment d'injustice et de désespoir. Au Maroc, les tribunaux contribuent à véhiculer l'image d'une justice qui ne rend pas justice. Le quotidien des justiciables, perdus dans les dédales de tribunaux engorgés, vient s'ajouter à la longue litanie de doléances citoyennes. D'une juridiction à l'autre, le chantier est immense et catalyse toutes les attentes par rapport à un projet de société. « En fait, on se rend compte que l'ascenseur social est en panne. Et c'est cela le plus grave. Les populations démunies sont-elles condamnées à ne pas avoir d'horizon ? L'avenir radieux n'est-il plus finalement qu'un slogan perdu dans la littérature politique ? », s'interroge un militant de gauche. Les rêves de grand soir ont définitivement cédé la place aux matins laborieux.
LIBERATION
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