Algérie-Maroc : un différend qui n’a que trop duré
Par Akram Belkaïd -OPINION 4/10/2008,
« Le roi Mohammed VI peut toujours demander la réouverture de la frontière terrestre entre l’Algérie et le Maroc. Elle le sera quand nous l’aurons décidé et quand toutes les conditions seront réunies ». Cette confidence faite à Paris par un haut responsable algérien en marge du sommet de l’Union pour la Méditerranée de juillet dernier, résume bien l’état des relations algéro-marocaines. Officiellement, les deux pays sont « frères » et leurs dirigeants rappellent avec constance « les combats et les sacrifices communs contre le colonialisme français. » De même, l’Union du grand Maghreb arabe demeure un thème récurrent dans les discours même si elle est en totale déshérence depuis sa création en 1989 (*). En réalité, c’est une paix froide pour ne pas dire une hostilité larvée qui oppose dirigeants algériens et marocains. Comme le note l’historien Benjamin Stora qui a consacré un essai sur ce sujet, « l’invocation ritualisée du ‘grand Maghreb’ camoufle, de plus en plus mal, l’inertie des responsables nord-africains pour construire réellement, une unité économique et politique (**). »
Il faut dire que rien dans l’histoire récente ne démontre une quelconque volonté sérieuse de rapprochement. Depuis l’indépendance de l’Algérie en 1962, deux brefs conflits armés ont même opposé l’Armée nationale populaire algérienne (ANP) et les Forces armées royales marocaines (FAR). Le premier, plus connu sous le nom de « Guerre des sables », a eu lieu en octobre 1963, et portait sur un différend frontalier. Le second est intervenu en février 1976 quelques semaines après le coup d’envoi de la Marche Verte où plus de 350.000 volontaires répondant à l’appel du roi Hassan II sont partis d’Agadir pour investir l’ex-Sahara espagnol revendiqué par le Maroc. Le statut de ce territoire de 266.000 km2 appelé désormais Sahara Occidental est d’ailleurs considéré comme la raison principale des mauvaises relations entre les deux pays.
Côté marocain, on considère que le Front Polisario, qui revendique l’indépendance du Sahara et a proclamé en 1976 la République arabe sahraouie démocratique ou RASD, est une « création » de l’Algérie. A l’inverse, à Alger, on estime que cette question relève de la justice internationale, que le Polisario est un acteur légitime et que le peuple sahraoui a le droit à l’autodétermination sous l’égide de l’ONU. A Rabat comme à Alger, on rejette les arguments du voisin, ce qui alimente de manière régulière des campagnes de presse haineuses. Et dans les colloques et rencontres consacrées au Maghreb ou à la Méditerranée, il est de bon ton pour les personnalités des deux pays de déplorer l’inexistence d’un Maghreb économiquement intégré. Mais rares sont celles qui conviennent, du moins en public, que le dossier du Sahara occidental est un alibi bien commode pour les deux régimes. C’est pourtant le cas.
Au Maroc, le conflit saharien et le bras de fer avec l’Algérie ont très tôt servi à occuper une armée qui, dans les années 1970, avait tenté de renverser la monarchie à au moins deux reprises. De même, le Sahara est-il un thème fédérateur qui a toujours bridé l’opposition politique marocaine, l’obligeant même à être plus nationaliste que le roi en dénonçant les rares initiatives conciliatrices de Hassan II. Aujourd’hui encore, alors qu’une partie de la population marocaine commence à se demander si Mohammed VI est bien le roi du changement, « le retour des provinces sahraouies dans le giron national » est un slogan qui permet de resserrer les rangs.
En Algérie, le soutien au Polisario a d’abord permis au régime de Houari Boumediene (1965-1978) de contrecarrer les ambitions régionales et panafricaines du Maroc en l’obligeant à livrer une longue et coûteuse guerre aux indépendantistes. De même, la possibilité d’un nouvel affrontement militaire entre l’ANP et les FAR favorise encore l’armement continu et la modernisation des forces armées algériennes. Par contre, sur le plan intérieur, le sort des populations sahraouies, notamment celles réfugiées dans les camps de Tindouf, a rarement ému les Algériens à l’inverse de la cause palestinienne. Et lorsqu’il s’agit de faire diversion pour mobiliser une population accablée par les problèmes sociaux et la résurgence du terrorisme, la diatribe anti-française s’avère bien plus efficace que la critique des Marocains.
Mais sans être dupes quant aux motivations de leurs dirigeants, les deux peuples ont de plus en plus tendance à adhérer aux mises en cause belliqueuses contre le voisin ce qui aggrave le fossé qui sépare les deux pays. L’idée même de mettre de côté le contentieux du Sahara pour aller de l’avant et permettre l’émergence d’un bloc de 70 millions d’habitants, qui serait bien plus crédible dans ses négociations commerciales avec l’Union européenne, est moins populaire que dans les années 1990.
« Chacun des deux pays est convaincu qu’il peut s’en sortir seul, explique un diplomate algérien qui a longtemps vécu au Maroc. A Rabat, on sait que l’on pourra toujours compter sur l’appui de la France et des Etats-Unis alors qu’à Alger le pétrole permet toutes les suffisances. C’est dommage, quand on connaît le poids économique et les manques des deux pays. » Selon les estimations les plus fréquentes, une union économique réelle avec libre circulation des personnes et des marchandises générerait au moins un point de croissance supplémentaire. Cela sans compter le fait que l’agriculture algérienne bénéficierait du savoir-faire des ouvriers agricoles marocains tandis que l’est du Royaume, asphyxié économiquement, a un besoin urgent de l’ouverture de la frontière terrestre. C’est ce qui explique les appels répétés du gouvernement marocain pour que ce problème de frontière soit découplé du dossier sahraoui.
Des appels que le gouvernement algérien ne semble pas vouloir entendre, cette surdité volontaire n’étant pas directement liée à la question du Sahara occidental. A Alger, de nombreux hommes politiques n’ont pas oublié que c’est bien le Maroc qui a instauré de manière unilatérale le visa pour les Algériens après les attentats de Marrakech en 1994. Plus rancuniers encore, des officiers supérieurs sont persuadés que de nombreuses armes à destination des maquis islamistes ont transité par cette frontière avec l’assentiment ou l’indifférence des services secrets marocains.
Mais pour qui rêverait encore d’unité maghrébine, le plus grave demeure le lent divorce entre les deux peuples. Très proches jadis, encore liés par une unité religieuse, culturelle et linguistique, Algériens et Marocains évoluent aujourd’hui dans des univers séparés et ignorent tout les uns des autres. Les jeunes générations qui n’ont pas connu les luttes pour l’indépendance n’ont pas de repères communs et s’ignorent par la force des choses quand elles ne s’insultent pas dans les forums sur internet. Une volonté politique pour mettre les différends à plat en discutant d’une réconciliation définitive est inexistante et le silence des élites des deux pays est assourdissant. Finalement, à ce jeu où les deux régimes pensent gagner, ce sont les peuples algérien et marocain qui perdent.
(*) L’Union du Maghreb arabe (UMA) a été créée le 17 février 1989 lors du sommet de Marrakech. Elle regroupe l’Algérie, la Libye, le Maroc, la Mauritanie et la Tunisie.
(**) Algérie-Maroc, Histoires parallèles, destins croisés, collection Zellige, Maisonneuve & Larose.
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Dernière édition par Admin le Dim 5 Oct - 4:21, édité 1 fois