Tahia Boutef...ou Tahia Eljazair . du petrol / Gaz et des gourbis.
Khemis El Khechna à l’ouest de Boumerdès
La commune des mille et un gourbis
La circulation automobile sur la route reliant la commune de Rouiba à celle de Khemis El Khechna est très dense. Le ciel est couver d’une brume épaisse et le billet météorologique annonce de nouvelles pluies pour l’après-midi. L’itinéraire est très exigu et ponctué de part et d’autre de fermes datant de l’époque coloniale que les exploitants algériens ont par la suite transformées en haouchs.
De petites cités sont érigées anarchiquement au détriment des terres fertiles, affectant ainsi l’avenir de l’agriculture et, par ricochet, la sécurité alimentaire de milliers de personnes. Les familles qui habitent les lieux semblent avoir infligé plus de mal que de bien à ces richesses offertes par Dame Nature. Sur une distance de 10 km environ, des constructions, en béton ou en toub, rythment, notre périple. Il nous suffit d’une demi-heure de route pour rejoindre notre destination : Khemis El Khechna, la commune la plus peuplée et la plus vaste de toute la wilaya de Boumerdès, située à une trentaine de kilomètres à l’extrêmité de la wilaya. A l’arrêt du bus, le seul dont dispose cette localité, un spectacle désolant attire les regards. Un lieu qui en dit long sur ce que sera le reste de la ville. Cet espace ceinturé par deux murs, qui ne servent à rien, n’est doté ni d’abribus ni d’espaces de stationnement et encore moins de quais dallés pour améliorer les conditions de travail des transporteurs. Faute d’aménagement, le lieu est envahi par les eaux formant de grands cloaques et des nids-de-poule de 50 cm de profondeur. La boue noirâtre contraint les voyageurs à attendre les bus à l’extérieur de la station, histoire d’éviter la boue ou de se voir maculer par les eaux stagnantes.
Ici, tout le monde est unanime pour dire que ces arrêts de bus constituent un calvaire pour les habitants de la région. « En temps de pluie, l’endroit devient infréquentable comme c’est le cas aujourd’hui », nous disent des voyageurs. « C’est le point noir de la localité. L’aménagement de cette petite mais importante structure ne coûte en fait qu’une bagatelle, mais nos responsables ne semblent pas se soucier de notre calvaire. Nos responsables locaux sont toujours occupés par d’autres problèmes autrement plus importants que cet arrêt de bus », déclare un transporteur assurant la ligne Rouiba-Khemis El Khechna. Et à son collègue de renchérir : « Plusieurs journalistes sont passés par là sans que rien ne soit fait. On dirait qu’ils (les responsables) ne lisent pas les journaux. » Bien qu’exigus, ces arrêts servent aussi d’espaces de stationnement à des camions de gros tonnage. Ce qui fait croire à un parking communal. Des engins, comme nous l’avons constaté sur place, ont accaparé le plus grand espace, contraignant ainsi les usagers à se morfondre et à se bousculer pour atteindre les bus. Cette entrée en matière, peut-être banale pour les uns, semble avoir une grande importance pour d’autres. Direction Ouled Ali, une agglomération secondaire située à 2 km à l’ouest du chef-lieu. Le village est constitué d’une centaine de maisons éparses ça et là sur des étendues agricoles. Les bus, très vétustes assurant la desserte, illustrent parfaitement les conditions dans lesquelles vivent les habitants.
Ouled Ali, Hai Ellouz, VSA1, Plateau et les oubliés de….
« Il n’y a absolument rien à voir ici », ne cesse de répéter le chauffeur du bus qui nous a transportés, en s’interrogeant sur les raisons qui nous ont poussés à nous déplacer dans cette région. Ici, les signes de la misère et de malvie se lisent sur tous les visages. La route est à la limite du praticable. De par son exiguïté, la circulation se fait à sens unique. Les transporteurs font une sorte de tournée du village. Ils entrent par l’axe du côté sud et sortent de l’autre qui donne sur Haï Ellouz et le village agricole. Le bus observe une trentaine d’arrêts sans que ces derniers soient réellement signalés. Le chauffeur est sommé de s’arrêter pratiquement devant chaque domicile des voyageurs. En poursuivant notre parcours, nous découvrons Haï Ellouz, un groupe d’habitations distant d’un kilomètre de Ouled Ali. Pas question d’évoquer les moyens et les infrastructures dont est dotée cette agglomération, car même le strict minimum fait défaut. Les habitants parlent de l’eau potable quasiment absente dans les robinets, de la route défoncée depuis des années et des infrastructures pour jeunes, promises mais non entamées, ainsi que de l’inexistence de salle de soins, pour ne citer que ces manques.
« Nous avons une seule école primaire qui est dépourvue de toutes les commodités nécessaires au bon déroulement des études pour des bambins censés trouver toutes les conditions utiles à leur scolarité. Les élèves prennent des repas froids dans la rue. Ils n’ont pas de cantine », fulmine Belkacem, un parent d’élève assis devant une échoppe d’alimentation générale. Nous quittons Haï Ellouz pour rejoindre le village agricole n°1 situé à quelques encablures. La route est sinueuse comme la quasi-totalité des axes de la commune. Notre accompagnateur nous fait savoir que contrairement aux villages agricoles du pays, le leur vit une profonde léthargie. « L’agriculture, raison pour laquelle fut créé le village, n’existe plus. Il n’y a plus d’agriculture ici, les vrais fellahs ne sont plus de notre monde. Non, nos terres ne produisent plus les fruits et les légumes qui faisaient jadis notre fierté », lance-t-il. La grande préoccupation demeure bien évidemment le chômage, le reste semble être sans importance. L’absence d’infrastructures de jeunes ou de santé n’est pas la première préoccupation des habitants. « On réclame du travail. On veut travailler pour ne pas sombrer dans les fléaux sociaux. On ne veut pas s’adonner à la drogue...
Il y a des jeunes qui se droguent. Ils ne le font pas par ignorance. Bien au contraire, ils savent fort bien que c’est très mauvais pour la santé, mais Allah Ghaleb où voulez-vous qu’on aille ? Nous tournons en rond à longueur de journée », explique un jeune avec amertume. Bien que cette agglomération soit dotée d’un tissu industriel assez important, constitué d’entreprises publiques et privées telles que Transcanal, Label et la briqueterie, pour ne citer que celles-ci, le chômage demeure pesant. Les responsables locaux estiment que « seule la remise en marche de certaines entreprises qui ont fermé leurs portes au niveau de la zone d’activité pourra réduire un tant soit peu le chômage ». Rappelons que parmi les 48 unités industrielles que compte ladite zone, plus de vingt d’entre elles ont mis la clef sous le paillasson depuis fort longtemps. Selon le P/APC de cette commune, « le wali, qui a effectué récemment une visite d’inspection et de travail dans cette zone, a promis de relancer l’ctivité de ces entreprises ». Les jeunes attendent la concrétisation de cette promesse.
Sur le chemin du retour vers le chef-lieu communal, un groupe hétéroclite de baraquements frustes réalisés avec des matériaux disparates attire notre attention. Erigées sans ossature ou structure assurant leur stabilité, ces baraques dépourvues d’un minimum de commodité forment, de par leur multiplication, un bidonville similaire aux favelas brésiliennes. Ses habitants, dont le nombre dépasse 1200 âmes, le surnomment Haouch Riacha. Il est situé aux abords de la route reliant Haï Ellouz au lieudit « Plateau », à 2km environ du chef-lieu et regroupe plus de 400 baraques. L’endroit offre une image de misère et de désolation et paraît, à première vue, déserté. Hormis quelques chérubins qui jouaient devant leurs « gourbis » construits à l’aide de parpaing et autres objets hétéroclites, aucun adulte ne rôde autour des lieux.
« Nous subissons une mort lente »
Après une brève attente, deux citoyens (Kamel et Belkacem) s’approchent du bidonville. Ce sont en fait des pères de famille qui reviennent du centre-ville. Le premier apporte deux baguettes de pain et un sachet de lait, alors que l’autre semble revenir bredouille. Après avoir décliné notre identité, Kamel nous lance sans hésitation : « C’est une mort lente que nous subissons ici. Cela semble être notre destin. » Natif de Khemis, Kamel a atterri dans cette région en 2003, lorsque ses beaux-parents lui ont signifié qu’ils ne pouvaient plus le prendre en charge. « Je n’ai ni sou pour louer une maison ni terrain pour construire. Je travaille au noir au marché des fruits et légumes. Quand je travaille, parce que c’est aléatoire, je ne gagne pas plus de 300 DA », nous confie-t-il. Parlant des conditions dans lesquelles il vit avec sa famille, constituée de trois enfants, Kamel dira : « J’habite dans deux petites baraques de 4 m2 chacune. En hiver, elles se transforment en une mare à cause de l’eau qui pénètre de partout.
En été, elles deviennent des étuves de par la chaleur torride de la saison. L’eau potable nous l’achetons à raison de 50 DA les 200 litres. Pour l’électricité, nous sommes raccordés à partir des baraques de voisins. Parmi les 400 taudis que compte le quartier, on dénombre une vingtaine seulement qui sont raccordés légalement au réseau électrique », poursuit-il. Contrairement à Kamel, Belkacem est natif d’une wilaya de l’intérieur du pays. Chômeur et père de trois enfants, il nous informe que certaines familles sont installées dans ces pénibles conditions depuis plus de quinze ans. Il y a beaucoup de jeunes qui sont nés ici. « Mes quatre enfants, exposés à toutes sortes de maladies, n’arrivent plus à supporter la vie dans ces baraques. Nous sommes ici depuis 1998 et nous n’avons jamais cessé de faire des demandes de logement. Apparemment nous n’avons aucune chance d’être un jour propriétaires d’un appartement », tempête Sarah, sa fille qui ajoutera : « C’est nous-mêmes qui devons nous occuper du problème de l’eau potable en le puisant à plus d’un kilomètre d’ici. Cette situation nous empêche de réussir dans nos études. »
Un autre habitant, Abdelkader, un quinquagénaire et père de huit enfants rappelle, non sans colère, qu’il a formulé une centaine de demandes pour un logement social, mais aucune réponse à ce jour. Notre interlocuteur qui dénonce cette situation soutient que rien ne pourra arrêter la poussée des bidonvilles tant que l’Etat ne réagit pas pour mettre fin aux cercles maffieux qui profitent du phénomène. « Plusieurs familles ont dû acheter des baraques à raison de 30 millions de centimes. Notre commune est gangrenée par la corruption. Tag âla men tag. Il n’y a ni baladia ni oualou. Pour un extrait de naissance il te faut parfois 100DA. »
Abdelkader n’a jamais voté. Il ne connaît même pas la tendance politique du P/APC de sa commune. En somme, bien qu’il y a risque d’effondrement au moindre souffle ou inondation, ces taudis continuent bel et bien d’exister et prennent encore de l’ampleur au su et au vu de toutes les autorités. La situation y est invivable durant toute l’année. En plus du manque d’hygiène, les enfants sont exposés à toutes sortes d’épidémies, sachant que les lieux sont privés de tout entretien de la part des services locaux. Devant l’absence de canalisation, les eaux usées ruissellent à l’air libre. Infiltrations de pluie en hiver, chaleur infernale et essaims de moustiques en été, c’est le lot infernal que subissent les habitants de cette localité où nous comptons quelque deux mille habitats précaires ou illicites. Quartier Dallas, 17 juin, Ouled Larbi, Haouch Raï, c’est une suite de bidonvilles qui font de Khemis El Khechna une commune où le gourbi et tous les aléas qui en découlent trouvent aisément leur place. Dommage pour une ville qui était prédestinée à un tout autre avenir.
Par Ramdane Koubabi