12.02.09 à 16:16
Couverture du livre Tazmamort. /DR
Tazmamort : le témoignage de Aziz BineBine
Dans son récit intitulé « Tazmamort » (1), Aziz BineBine témoigne de l’enfer qu’il vécut avec ses camarades. Un récit pour ne pas oublier tous ceux qui sont mort en détention. Rencontre.
Délivré de Tazmamart en 1991, Aziz BineBine voulait oublier l’enfer du bagne. Ces 18 années enfermé dans une cellule de trois mètres par deux, sans lumière, sans soins, sans protection contre le froid ou la chaleur, avec le minimum de nourriture. Comment vivre avec un tel fardeau ? “Il fallait passer à autre chose, vivre maintenant et oublier le passé” explique t il. Il se marie, devient papa et se lance dans l’informatique en ouvrant le premier cybercafé de Marrakech.
“J’ai volontairement oublié pour ne pas traîner ce souvenir comme un boulet, et ne plus être prisonnier dans ma tête.”
Tazmamart est sorti de sa vie, c’est devenu un épisode étranger à sa propre existence. Aziz en est persuadé. Pour preuve : son sommeil ne garde aucune trace du bagne. Aucun cauchemar ne vient hanter ses nuits. Et lorsqu’il parle de cette période, il a l’impression qu’une autre personne l’a vécue à sa place.
Oublier une telle épreuve
Impossible à admettre pour ceux qui ne reviennent pas de l’enfer. Et pourtant, survivre à Tazmamart n’a été possible qu’au prix d’une formidable volonté, d’une extraordinaire force, mais aussi d’un cheminement personnel et philosophique suivi par Aziz. “Il fallait se débarrasser de tout sentiment de révolte ou de haine. Se glisser dans la peau d’un personnage, le prisonnier. J’étais là pour longtemps. Je devais oublier l’extérieur et ne rien espérer de l’avenir”.
Aziz accepte donc son sort. “J’étais persuadé que je devais me conformer à ce qui m’était imposé. Aujourd’hui, je pense toujours que c’était la volonté de Dieu, et je l’ai accepté.” Pour Aziz, Dieu a voulu mettre à l’épreuve un homme, et c’était lui. “Il y ceux à qui Dieu donne tout, et ceux à qui il enlève tout. Si Dieu m’avait tout donné, aurais-je bien utilisé ce don ?”
L’abnégation apparaît à Aziz comme un besoin vital. S’oublier, se tourner vers les autres, les aider du mieux que l’on peut. C’est la mission qu’il se fixe. “Se parler était un moyen de lutter contre l’isolement, la folie, le dépérissement, la mort qui rôdait sans cesse” et emporta bon nombre des camarades d’Aziz dans des conditions souvent effroyables. Aziz se fait conteur, rassemblant ses souvenirs, ses lectures. La littérature qu’il découvrit avec passion dans ses jeunes années est un appui précieux. Il en fait des contes qui captivent ses camarades.
Aujourd’hui Aziz est en paix avec son passé. Il ne réclame pas vengeance envers les hommes. Pas de haine, pas ressentiment chez lui. Une seule motivation : témoigner pour les disparus et leurs familles. “On parle beaucoup des survivants, mais on passent sous silence les morts, or ce sont eux les grands perdants. Et je voulais leur rendre hommage”.
Tazmamort, d’Aziz BineBine, éditions Denoël, février 2009, 315 pages.
BineBine, père et frère
Le père d’Aziz BineBine était un proche d’Hassan II. Courtisan, il faisait partie des intimes du roi, lui tenant compagnie et lui faisant partager sa vaste érudition. Alors que son fils est incarcéré, il reste entièrement dévoué au monarque.
Le frère d’Aziz est le peintre et écrivain Mahi. Pendant les années de plomb, Mahi quitte le pays pour la France et les Etats-Unis et fréquente les milieux d’opposition. Aujourd’hui revenu au Maroc, il mène une carrière internationale. Certaines de ses œuvres ont été acquises par Mohammed VI.
Bio express
1946 : naissance
1971 : participation malgré lui au putsch de Skhirat ; condamnation à 10 ans de prison
1973 : transfert à Tazmamart
1991 : libération
2000 : publication de Cet aveuglant besoin de lumière, roman de Tahar Benjelloun inspiré du témoignage d’Aziz BineBine
2009 : publication de Tazmamort
Auteur : Cyril Bonnel, correspondant à Paris
Tags:
=Bagne]Bagne, =Tazmamart]Tazmamart, =Bine+Bine]Bine Bine
Couverture du livre Tazmamort. /DR
Tazmamort : le témoignage de Aziz BineBine
Dans son récit intitulé « Tazmamort » (1), Aziz BineBine témoigne de l’enfer qu’il vécut avec ses camarades. Un récit pour ne pas oublier tous ceux qui sont mort en détention. Rencontre.
Délivré de Tazmamart en 1991, Aziz BineBine voulait oublier l’enfer du bagne. Ces 18 années enfermé dans une cellule de trois mètres par deux, sans lumière, sans soins, sans protection contre le froid ou la chaleur, avec le minimum de nourriture. Comment vivre avec un tel fardeau ? “Il fallait passer à autre chose, vivre maintenant et oublier le passé” explique t il. Il se marie, devient papa et se lance dans l’informatique en ouvrant le premier cybercafé de Marrakech.
“J’ai volontairement oublié pour ne pas traîner ce souvenir comme un boulet, et ne plus être prisonnier dans ma tête.”
Tazmamart est sorti de sa vie, c’est devenu un épisode étranger à sa propre existence. Aziz en est persuadé. Pour preuve : son sommeil ne garde aucune trace du bagne. Aucun cauchemar ne vient hanter ses nuits. Et lorsqu’il parle de cette période, il a l’impression qu’une autre personne l’a vécue à sa place.
Oublier une telle épreuve
Impossible à admettre pour ceux qui ne reviennent pas de l’enfer. Et pourtant, survivre à Tazmamart n’a été possible qu’au prix d’une formidable volonté, d’une extraordinaire force, mais aussi d’un cheminement personnel et philosophique suivi par Aziz. “Il fallait se débarrasser de tout sentiment de révolte ou de haine. Se glisser dans la peau d’un personnage, le prisonnier. J’étais là pour longtemps. Je devais oublier l’extérieur et ne rien espérer de l’avenir”.
Aziz accepte donc son sort. “J’étais persuadé que je devais me conformer à ce qui m’était imposé. Aujourd’hui, je pense toujours que c’était la volonté de Dieu, et je l’ai accepté.” Pour Aziz, Dieu a voulu mettre à l’épreuve un homme, et c’était lui. “Il y ceux à qui Dieu donne tout, et ceux à qui il enlève tout. Si Dieu m’avait tout donné, aurais-je bien utilisé ce don ?”
L’abnégation apparaît à Aziz comme un besoin vital. S’oublier, se tourner vers les autres, les aider du mieux que l’on peut. C’est la mission qu’il se fixe. “Se parler était un moyen de lutter contre l’isolement, la folie, le dépérissement, la mort qui rôdait sans cesse” et emporta bon nombre des camarades d’Aziz dans des conditions souvent effroyables. Aziz se fait conteur, rassemblant ses souvenirs, ses lectures. La littérature qu’il découvrit avec passion dans ses jeunes années est un appui précieux. Il en fait des contes qui captivent ses camarades.
Aujourd’hui Aziz est en paix avec son passé. Il ne réclame pas vengeance envers les hommes. Pas de haine, pas ressentiment chez lui. Une seule motivation : témoigner pour les disparus et leurs familles. “On parle beaucoup des survivants, mais on passent sous silence les morts, or ce sont eux les grands perdants. Et je voulais leur rendre hommage”.
Tazmamort, d’Aziz BineBine, éditions Denoël, février 2009, 315 pages.
BineBine, père et frère
Le père d’Aziz BineBine était un proche d’Hassan II. Courtisan, il faisait partie des intimes du roi, lui tenant compagnie et lui faisant partager sa vaste érudition. Alors que son fils est incarcéré, il reste entièrement dévoué au monarque.
Le frère d’Aziz est le peintre et écrivain Mahi. Pendant les années de plomb, Mahi quitte le pays pour la France et les Etats-Unis et fréquente les milieux d’opposition. Aujourd’hui revenu au Maroc, il mène une carrière internationale. Certaines de ses œuvres ont été acquises par Mohammed VI.
Bio express
1946 : naissance
1971 : participation malgré lui au putsch de Skhirat ; condamnation à 10 ans de prison
1973 : transfert à Tazmamart
1991 : libération
2000 : publication de Cet aveuglant besoin de lumière, roman de Tahar Benjelloun inspiré du témoignage d’Aziz BineBine
2009 : publication de Tazmamort
Auteur : Cyril Bonnel, correspondant à Paris
Tags:
=Bagne]Bagne, =Tazmamart]Tazmamart, =Bine+Bine]Bine Bine