« Remettons-nous dans l'esprit de l'époque. L'ALN a plus de combattants que les FAR [Forces Armées Royales], pendant les deux premières années d'indépendance. Beaucoup d'insoumis, surtout au Sud, comme Abdellah Nemri [principale figure de l'ALN du Sud, puis membre actif de l'état major de l'ALN en exil, tué au combat le 8 mai 1973], Bensaïd Aït Idder [l'actuel secrétaire général de l'OADP (ex. 23 mars)], ne rendent pas les armes pour la simple raison qu'ils tiennent à libérer les régions encore sous le protectorat. Ainsi, bien avant la Marche verte, "le 23 novembre 1957, l'ALN-Sud déclenche une offensive d'envergure sur plusieurs localités du Sahara. La riposte, brutale, dans une opération baptisée "Opération Ecouvillon" sonnera le glas de cette armée. "Le Palais, garant d'une indépendance acquise de haute lutte, n'y trouve rien à redire : l'affaire affaiblit l'ALN, renforce les FAR et l'appareil sécuritaire du régime. Les ex-tuteurs coloniaux continuent à assumer leur rôle de protecteurs du trône".
Lorsque Hassan II accède au pouvoir, l'éradication de l'ALN et l'étouffement des libertés viennent s'ajouter au renvoi du gouvernement d'Abdallah Ibrahim (UNFP)[Union Nationale des Forces Populaires]. Mehdi Ben Barka [opposant marocain enlevé en France en octobre 1965] met au point le texte "Option Révolutionnaire", manifeste visionnaire qui reflète une profonde mutation idéologique. Des militants s'abreuvent de cette littérature contestataire. Entre temps, des irréductibles de l'ALN ont repris du service. Et en 1963, le tout culmine vers le premier complot armé. "Moumen Douri, qui avait servi d'intermédiaire entre Mehdi Ben Barka et Cheikh Al-Arab, avait acquis un chargement d'armes à la base américain de Kenitra, comme il le faisait jadis pour le compte du FLN algérien, ce dont il avait fait commerce. Au procès qui s'ouvre le 22 novembre 1963 pour se terminer le 14 mars 1964, il y a 200 inculpés, dont 85 présents. Les vedettes sont le fquih Basri [un des fondateurs de l'UNFP, partisan de la lutte armée trois fois condamné à mort, exilé dès 1966 avant de rentrer au bercail au début des 90], Moumen Diouri, Omar Ben Jelloun [un des dirigeant de l'USFP, assassiné par les fascistes en 1978] et A.Youssfi [Premier ministre au gouvernement de Hassan II puis celui de Mohammed VI], présentés comme les cerveaux de la conjuration".
Les orphelins de Ben Barka ?
Le milieu des années 60 est tumultueux. Mais l'assassinat de Ben Barka y est considéré comme un événement central. Son manifeste marque les esprits et acquiert, dès lors, la valeur d'un testament politique. La recherche des moyens de mener la révolution devient une obsession. Fquih Basri, condamné à mort par contumace en 1964, et autres Nemri, Bouras, survivants de l'ALN, tirent les ficelles, recrutement et organisent les cellules clandestines au Maroc. En parallèle, une nouvelle génération, menée par Ahmed Ben Jelloun [Un des chefs du Tanzim en Syrie], Mohamed Bennouna ou encore Omar Dahkoun [ militant clandestin dés le début des années 60, chef des cellules du Tanzim de Rabat et Casablanca, exécuté le 1er novembre 1973], sortis de la Toufoula Chaabiya [l'Enfance populaire] (UNFP), veulent "mettre sur pied une force armée révolutionnaire disciplinée et organisée". Ils considèrent que l'UNFP n'a rien d'un parti révolutionnaire. "Une avant-garde lui fait défaut. Alors ils veulent constituer une force de frappe autonome qui n'utilisera pas la structure du parti comme base d'appui, mais comme instrument de mobilisation des masses en vue d'une transition cers la lutte armée". L'organisation, sobrement appelée "Tanzim", est née dans une ambiance internationale, de lutte des fedayin palestiniens, de baasisme en Syrie et d'euphorie du FLN algérien. Finalement, "c'est à Damas que le destin de ces hommes se noue autour d'un projet commun : matérialiser l'option révolutionnaire". Comment ? D'abord grâce à des agents recruteurs du Fquih, comme Lakhsassi et Taoufiq Drissi, qui infiltrent les milieux de l'UNEM en France [l'Union nationale des étudiants du Maroc] et attirent des étudiants. Ces derniers donnaient raison à l'UNFP lorsque le parti disait en forme de surenchère : "il n'y a de remède à ce régime que dans sa disparition". Mais comment y arriver ? En tous les cas, pas à travers l'action politique. D'autres dirigeants du Tanzim, comme Dahkoun, ont récupéré des hommes du réseau de Cheikh Al-Arab, mais aussi des enseignants gagnés par le vent de la révolte. Tout ce beau monde se retrouve en 1969 au camp Zabadani en Syrie pour un entraînement aux méthodes révolutionnaires. "Le camp est situé à 60 kms au nord-ouest de Damas. Plus de 800 militaires y séjournent en permanence. Cinquante militants marocains[officiellement, ils sont Tunisiens venus rejoindre les Fedayin palestiniens] y établissent leurs quartiers." Evidemment que le stage syrien devait servie à renforcer et encadrer les cellules clandestines au Maroc. Mais, voilà, en décembre 1969, une série d'arrestations touchant des dirigeants et autres clandestins s'abat sur le Tanzim, ce qui fut appelé "le complot de 1969" aura été démasqué grâce un délateur providentiel. Mais Hassan II exige plus. Il veut la tête des chefs Maquisards. Il dépêche le Général Oufkir à Alger et Tunis pour leur faire part du "complot baasiste" dont la capital est à Damas et interpelle la France et l'Espagne, comme ce fut le cas contre l'ALN. Ahmed Ben Jelloun et Saïd Bounailat [Mohamed Ajjar, 3 fois condamné à mort dont deux fois par Hassan II] tomberont à Madrid et Nemri à Paris. Ils seront livrés pieds et poings liés à leurs geôliers marocains]
L'UNFP et l'option libyenne ?
En 1970, Fquih Basri est déjà persona non grata en Algérie. L'arrivée de Hafez Al Assad a réduit ses chances d'action en Syrie. Et le putsch de Kadhafi tome à point nommé. Hossein El Manouzi (toujours disparu), formé à Zabadani, y était depuis 1967. Les allers-retours d'autres dirigeants se multiplient et en octobre 1971, un temps d'antenne est accordé au Tanzim sur les ondes libyennes. Il sera baptisé "Voix de la libération". Brahim Ouchelh [Responsable du Tanzim en Libye], cadre de l'UNFP, sen occupe. "Tous les mercredi et samedis à 19h, les rues et les cafés des grandes villes du Maroc sont désertes. L'oreille collée à leur transistors, les Marocains ne perdent rien de ces bulletins d'information échappés à la censure. Dans un paysage médiatique sous haute surveillance, la radio Libye se profile déjà comme une radio libre avant l'heure. Pour restreindre son impact, les autorités marocaines tenteront de brouiller ses fréquences. Un commando ira même jusqu'à plastiquer le principal pylône de télécommunication à Gargadech à l'ouest de Tripoli dans le ut de faire cesser les émissions." Même A. Youssfi [l'actuel Premier ministre] y tenait une chronique hebdomadaire. En attendant, le Tanzim essaie de se ressaisir sur le terrain. Et que fait l'UNFP, pendant ce temps ? Durant cette période d'incertitude, explique Gallisot, "A. Bouaid a deux mains, une qui retient l'action armée, et l'autre qui est tendue au Roi. L'option Révolutionnaire sert de réfréner". Mais si les dirigeants du parti se servent de cette option comme d'un moyen de négociation, les personnes impliquées dedans y croient dur comme fer.
Le Baroud d'honneur ?
À partir de fin 1972, les événements s'accélèrent. Une réunion stratégique, à laquelle avait appelé Mahmoud pour régler des questions organisationnelles, est tenue à Paris. "L'action armée, a été proposée et mise en exécution à partir de Paris." Mahmoud [Mohamed Bennouna, un des principaux dirigeants du Tanzim, mort au combat le 5 mars 1973], Dahkoun et Nemri sont rentrés et chacun s'est occupé d'une zone à lui (Guelmima, Khenifra, Tinghir...). La communication ainsi que l'acheminement des armes étaient assurées avec l'extérieur par le biais de passeurs et de messagers. Parmi ceux-ci El Mid [Ahmed Kheir], un homme de confiance du Fqih, décrié par tous. Une opération devait être menée le 3 mars 1973 [l'anniversaire de l'accession au trône de Hassan II], puis reporté, puis effectuée en solo à Moulay Bouazza (près de Khenifra). Ce cafouillage sera fatal. Plusieurs dirigeants seront tués ou arrêtés dans la foulée. Une réunion expresse suivra en Algérie, à laquelle prendra part la direction de l'UNFP. La décision est alors prise de "se dessaisir de l'opération et de l'aile armée". Brahim Ouchelh, toujours en charge de radio Libye, a écrit un premier texte où il met en cause toute la direction de l'UNFP. Mais ce n'est pas celui-ci qui sera diffusé. Un autre texte "communiqué de Meknès", signée Mohammed Ben Yahia [l'actuel attaché de presse du Premier ministre A. Youssfi. Son rôle restera obscur.], excluant tout lien du parti avec l'insurrection et l'imputant au "front de libération national marocain", jusque-là inconnu. ? » (ce texte est extrait du site Yassar, militants de gauche pour les droits de l'homme)
par Mehdi Bennouna
Lorsque Hassan II accède au pouvoir, l'éradication de l'ALN et l'étouffement des libertés viennent s'ajouter au renvoi du gouvernement d'Abdallah Ibrahim (UNFP)[Union Nationale des Forces Populaires]. Mehdi Ben Barka [opposant marocain enlevé en France en octobre 1965] met au point le texte "Option Révolutionnaire", manifeste visionnaire qui reflète une profonde mutation idéologique. Des militants s'abreuvent de cette littérature contestataire. Entre temps, des irréductibles de l'ALN ont repris du service. Et en 1963, le tout culmine vers le premier complot armé. "Moumen Douri, qui avait servi d'intermédiaire entre Mehdi Ben Barka et Cheikh Al-Arab, avait acquis un chargement d'armes à la base américain de Kenitra, comme il le faisait jadis pour le compte du FLN algérien, ce dont il avait fait commerce. Au procès qui s'ouvre le 22 novembre 1963 pour se terminer le 14 mars 1964, il y a 200 inculpés, dont 85 présents. Les vedettes sont le fquih Basri [un des fondateurs de l'UNFP, partisan de la lutte armée trois fois condamné à mort, exilé dès 1966 avant de rentrer au bercail au début des 90], Moumen Diouri, Omar Ben Jelloun [un des dirigeant de l'USFP, assassiné par les fascistes en 1978] et A.Youssfi [Premier ministre au gouvernement de Hassan II puis celui de Mohammed VI], présentés comme les cerveaux de la conjuration".
Les orphelins de Ben Barka ?
Le milieu des années 60 est tumultueux. Mais l'assassinat de Ben Barka y est considéré comme un événement central. Son manifeste marque les esprits et acquiert, dès lors, la valeur d'un testament politique. La recherche des moyens de mener la révolution devient une obsession. Fquih Basri, condamné à mort par contumace en 1964, et autres Nemri, Bouras, survivants de l'ALN, tirent les ficelles, recrutement et organisent les cellules clandestines au Maroc. En parallèle, une nouvelle génération, menée par Ahmed Ben Jelloun [Un des chefs du Tanzim en Syrie], Mohamed Bennouna ou encore Omar Dahkoun [ militant clandestin dés le début des années 60, chef des cellules du Tanzim de Rabat et Casablanca, exécuté le 1er novembre 1973], sortis de la Toufoula Chaabiya [l'Enfance populaire] (UNFP), veulent "mettre sur pied une force armée révolutionnaire disciplinée et organisée". Ils considèrent que l'UNFP n'a rien d'un parti révolutionnaire. "Une avant-garde lui fait défaut. Alors ils veulent constituer une force de frappe autonome qui n'utilisera pas la structure du parti comme base d'appui, mais comme instrument de mobilisation des masses en vue d'une transition cers la lutte armée". L'organisation, sobrement appelée "Tanzim", est née dans une ambiance internationale, de lutte des fedayin palestiniens, de baasisme en Syrie et d'euphorie du FLN algérien. Finalement, "c'est à Damas que le destin de ces hommes se noue autour d'un projet commun : matérialiser l'option révolutionnaire". Comment ? D'abord grâce à des agents recruteurs du Fquih, comme Lakhsassi et Taoufiq Drissi, qui infiltrent les milieux de l'UNEM en France [l'Union nationale des étudiants du Maroc] et attirent des étudiants. Ces derniers donnaient raison à l'UNFP lorsque le parti disait en forme de surenchère : "il n'y a de remède à ce régime que dans sa disparition". Mais comment y arriver ? En tous les cas, pas à travers l'action politique. D'autres dirigeants du Tanzim, comme Dahkoun, ont récupéré des hommes du réseau de Cheikh Al-Arab, mais aussi des enseignants gagnés par le vent de la révolte. Tout ce beau monde se retrouve en 1969 au camp Zabadani en Syrie pour un entraînement aux méthodes révolutionnaires. "Le camp est situé à 60 kms au nord-ouest de Damas. Plus de 800 militaires y séjournent en permanence. Cinquante militants marocains[officiellement, ils sont Tunisiens venus rejoindre les Fedayin palestiniens] y établissent leurs quartiers." Evidemment que le stage syrien devait servie à renforcer et encadrer les cellules clandestines au Maroc. Mais, voilà, en décembre 1969, une série d'arrestations touchant des dirigeants et autres clandestins s'abat sur le Tanzim, ce qui fut appelé "le complot de 1969" aura été démasqué grâce un délateur providentiel. Mais Hassan II exige plus. Il veut la tête des chefs Maquisards. Il dépêche le Général Oufkir à Alger et Tunis pour leur faire part du "complot baasiste" dont la capital est à Damas et interpelle la France et l'Espagne, comme ce fut le cas contre l'ALN. Ahmed Ben Jelloun et Saïd Bounailat [Mohamed Ajjar, 3 fois condamné à mort dont deux fois par Hassan II] tomberont à Madrid et Nemri à Paris. Ils seront livrés pieds et poings liés à leurs geôliers marocains]
L'UNFP et l'option libyenne ?
En 1970, Fquih Basri est déjà persona non grata en Algérie. L'arrivée de Hafez Al Assad a réduit ses chances d'action en Syrie. Et le putsch de Kadhafi tome à point nommé. Hossein El Manouzi (toujours disparu), formé à Zabadani, y était depuis 1967. Les allers-retours d'autres dirigeants se multiplient et en octobre 1971, un temps d'antenne est accordé au Tanzim sur les ondes libyennes. Il sera baptisé "Voix de la libération". Brahim Ouchelh [Responsable du Tanzim en Libye], cadre de l'UNFP, sen occupe. "Tous les mercredi et samedis à 19h, les rues et les cafés des grandes villes du Maroc sont désertes. L'oreille collée à leur transistors, les Marocains ne perdent rien de ces bulletins d'information échappés à la censure. Dans un paysage médiatique sous haute surveillance, la radio Libye se profile déjà comme une radio libre avant l'heure. Pour restreindre son impact, les autorités marocaines tenteront de brouiller ses fréquences. Un commando ira même jusqu'à plastiquer le principal pylône de télécommunication à Gargadech à l'ouest de Tripoli dans le ut de faire cesser les émissions." Même A. Youssfi [l'actuel Premier ministre] y tenait une chronique hebdomadaire. En attendant, le Tanzim essaie de se ressaisir sur le terrain. Et que fait l'UNFP, pendant ce temps ? Durant cette période d'incertitude, explique Gallisot, "A. Bouaid a deux mains, une qui retient l'action armée, et l'autre qui est tendue au Roi. L'option Révolutionnaire sert de réfréner". Mais si les dirigeants du parti se servent de cette option comme d'un moyen de négociation, les personnes impliquées dedans y croient dur comme fer.
Le Baroud d'honneur ?
À partir de fin 1972, les événements s'accélèrent. Une réunion stratégique, à laquelle avait appelé Mahmoud pour régler des questions organisationnelles, est tenue à Paris. "L'action armée, a été proposée et mise en exécution à partir de Paris." Mahmoud [Mohamed Bennouna, un des principaux dirigeants du Tanzim, mort au combat le 5 mars 1973], Dahkoun et Nemri sont rentrés et chacun s'est occupé d'une zone à lui (Guelmima, Khenifra, Tinghir...). La communication ainsi que l'acheminement des armes étaient assurées avec l'extérieur par le biais de passeurs et de messagers. Parmi ceux-ci El Mid [Ahmed Kheir], un homme de confiance du Fqih, décrié par tous. Une opération devait être menée le 3 mars 1973 [l'anniversaire de l'accession au trône de Hassan II], puis reporté, puis effectuée en solo à Moulay Bouazza (près de Khenifra). Ce cafouillage sera fatal. Plusieurs dirigeants seront tués ou arrêtés dans la foulée. Une réunion expresse suivra en Algérie, à laquelle prendra part la direction de l'UNFP. La décision est alors prise de "se dessaisir de l'opération et de l'aile armée". Brahim Ouchelh, toujours en charge de radio Libye, a écrit un premier texte où il met en cause toute la direction de l'UNFP. Mais ce n'est pas celui-ci qui sera diffusé. Un autre texte "communiqué de Meknès", signée Mohammed Ben Yahia [l'actuel attaché de presse du Premier ministre A. Youssfi. Son rôle restera obscur.], excluant tout lien du parti avec l'insurrection et l'imputant au "front de libération national marocain", jusque-là inconnu. ? » (ce texte est extrait du site Yassar, militants de gauche pour les droits de l'homme)
par Mehdi Bennouna