Rabat, une vitrine qui cache mal la réalité
Le Maroc, sous Mohamed VI, a beaucoup changé et continue sa marche vers une plus grande ouverture. Mais ce changement n’est pas sans inquiéter la vieille garde, ni bousculer les pesanteurs d’un “Makhzen” aux méthodes bien ancrées.
Les élections locales, prévues pour le 12 juin 2009, constituent un sérieux test pour la démocratie à la marocaine, notamment en ce qui concerne la place des islamistes dans l’échiquier politique marocain jadis occupé par les partis traditionnels connus pour leur allégeance aux thèses du palais royal.
Les dernières inondations meurtrières qui ont touché la région du Gharb (120 kilomètres à l’est de Rabat) n’ont pas suscité le moindre élan de solidarité. La seule intervention du gouvernement a consisté à envoyer des renforts de forces de sécurité pour réprimer les manifestants accusés de s’être attaqués à un convoi d’aide.
En fait, les ONG marocaines ont brillé par leur absence durant cette épreuve. Toutes s’attendaient à ce que l’omniprésente fondation Mohammed VI fasse le premier geste pour qu’elles se mettent, à leur tour, à l’œuvre. Au Maroc, on ne doit jamais voler la vedette à Sa Majesté.
Ce dernier est le gouvernement, la classe politique et la société civile. Il est partout, inaugurant des écoles primaires, animant des soirées people, ou tout bonnement alimentant les colonnes de la presse locale et les discussions des cercles fermés au sujet de ses déplacements privés.
D’aucuns avancent que les localités touchées par les inondations sont sous le contrôle des islamistes du Parti pour la justice et le développement (PJD). Le gouvernement aurait choisi d’abandonner les sinistrés à leur sort, pour mettre à mal les islamistes, en prévision des élections locales.
Mais ce raisonnement n’explique pas tout, surtout pas l’absence de prise en charge des sinistrés. Il est vrai que le Maroc continue à évoluer à deux vitesses : les riches continuent de s’enrichir et d’étaler leurs richesses, et les pauvres sombrent davantage dans le dénuement total et acceptent leur statut de citoyens de seconde catégorie. Entre les deux, point de classe intermédiaire.
Le taux d’analphabétisme, l’un des plus grands dans le monde arabe, n’est pas pour arranger les choses. Mais à quoi bon faire des études dans un pays où le chômage fait des ravages et où l’émigration clandestine devient la seule bouée de secours pour les milliers de diplômés chômeurs. Les plus téméraires parmi eux se contentent de tenir des sit-in quotidiens devant le Parlement à Rabat. Un “spectacle” qui laisse indifférents le reste des Rbatis et les CRS habitués à cette animation quotidienne.
Le gouvernement a beau mené une campagne contre les “mauvais élus” coupables de mauvaise gestion ou de détournement d’argent, mais dans un pays où la corruption est généralisée, les élus locaux sont les parfaits boucs émissaires, tandis que les caïds continuent à sévir et à se sucrer en toute impunité. C’est le cas aussi de la chasse aux trafiquants de drogue.
Le Maroc, grand producteur de drogue, acculé par la communauté internationale, fait semblant de lutter contre les trafiquants, sans jamais s’attaquer aux gros bonnets constitués essentiellement de hauts gradés de l’armée et de la gendarmerie. Les champs de culture de cannabis continuent à produire à profusion et rien ne semble inquiéter la bonne marche des affaires des gros bonnets.
L’alliance de la bourgeoisie marocaine avec le palais royal fait que tout se passe dans un cercle très fermé et pas de place pour les intrus. Les habitants du plus grand bidonville de Rabat, Douar Al Kora, en savent quelque chose, eux qui vont faire les frais de l’appétit des bourgeois à accaparer des terrains jouxtant l’océan. Le futur quartier devant y être édifié commence déjà à faire des victimes : des centaines d’immeubles sont prévus par le promoteur privé, un ami de la famille royale. Certains sont déjà sortis de terre.
Il était prévu, comme le montre l’immense plaque du chantier, que les habitants du bidonville y soient logés. Mais c’était trop beau pour y croire. D’autant plus que le groupe émirati Eemar s’est lancé dans un projet mitoyen pour faire de cette façade maritime le prolongement de la ville de Rabat.
La razzia sur le foncier est faite de telle sorte que les pauvres ne puissent pas se mélanger aux riches. C’est une constante à laquelle les tenants du Makhzen tiennent plus que tout. Et il suffit de sillonner le quartier résidentiel d’Agdal pour s’en rendre compte. Ici, les boutiques franchisées, les cafés et restaurants branchés, les voitures de luxe donnent l’impression d’être en Europe. La population qui fréquente les lieux est spéciale. C’est un peuple tout autre que celui que l’on retrouve dans la Médina, l’ancienne ville ou dans les bidonvilles. Mais Agdal reste interdite aux chômeurs et autres pauvres. Ne s’y balade pas qui veut. C’est à ce prix que la quiétude des riches et des hommes d’affaires est assurée.
Un peu plus retirés, les villas et autres palais de la bourgeoisie marocaine sont tout simplement inaccessibles. La ruelle des princesses (les sœurs du roi) ou encore celle où loge sa sœur Mériem, la plus en vue parmi elles, sont interdites à la circulation. Les palais des enfants de l’entourage royal ressemblent à des forteresses.
Des clubs de golf et de polo pullulent dans la région pour faire plaisir à la très sélect jet-set qui veut ressembler à tout prix à la famille royale.
Pour le reste, c’est-à-dire les fonctionnaires, ils sont casés dans l’immense ville-dortoir de Salé, sur l’autre rive de l’oued Bouregrag. Quelque trois millions d’habitants font tous les matins la navette entre Rabat et Salé, créant des embouteillages monstres sur l’unique pont reliant les deux rives de l’oued.
Résignés, les Marocains ne se font pas beaucoup d’illusions, même si l’arrivée de M6 avait laissé entrevoir l’espoir d’une ouverture démocratique. Certes, il y a une liberté de ton qui commence à se frayer son chemin dans le champ médiatique marocain, mais celle-ci ne concerne pas toute la presse où la langue de bois continue à sévir, à l’image de cette une d’un journal arabophone de la semaine dernière où l’on pouvait lire : “Suicide d’une personne avec préméditation”. Cela se passe de tout commentaire ! Pour le reste, l’appareil répressif du royaume se charge de remettre “les brebis galeuses” dans le droit chemin, à l’image du directeur et de la rédactrice en chef de l’hebdomadaire El Ayam qui ont vu 20 policiers débarquer au siège du journal puis faire un guet-apens, digne des séries policières américaines, au directeur de la publication pour leur faire subir un interrogatoire. Le tout pour avoir eu l’intention, seulement l’intention, de publier la photo de la mère du roi.
La famille royale et le Sahara occidental restent les lignes rouges que toute la presse marocaine ne devrait, en aucun cas, franchir. Pour le reste, chaque journal, en fonction du parti politique ou du bourgeois à qui il appartient, tente de se frayer un chemin dans la petite fenêtre entrouverte par M6, en attendant des jours meilleurs.
Liberté
Le Maroc, sous Mohamed VI, a beaucoup changé et continue sa marche vers une plus grande ouverture. Mais ce changement n’est pas sans inquiéter la vieille garde, ni bousculer les pesanteurs d’un “Makhzen” aux méthodes bien ancrées.
Les élections locales, prévues pour le 12 juin 2009, constituent un sérieux test pour la démocratie à la marocaine, notamment en ce qui concerne la place des islamistes dans l’échiquier politique marocain jadis occupé par les partis traditionnels connus pour leur allégeance aux thèses du palais royal.
Les dernières inondations meurtrières qui ont touché la région du Gharb (120 kilomètres à l’est de Rabat) n’ont pas suscité le moindre élan de solidarité. La seule intervention du gouvernement a consisté à envoyer des renforts de forces de sécurité pour réprimer les manifestants accusés de s’être attaqués à un convoi d’aide.
En fait, les ONG marocaines ont brillé par leur absence durant cette épreuve. Toutes s’attendaient à ce que l’omniprésente fondation Mohammed VI fasse le premier geste pour qu’elles se mettent, à leur tour, à l’œuvre. Au Maroc, on ne doit jamais voler la vedette à Sa Majesté.
Ce dernier est le gouvernement, la classe politique et la société civile. Il est partout, inaugurant des écoles primaires, animant des soirées people, ou tout bonnement alimentant les colonnes de la presse locale et les discussions des cercles fermés au sujet de ses déplacements privés.
D’aucuns avancent que les localités touchées par les inondations sont sous le contrôle des islamistes du Parti pour la justice et le développement (PJD). Le gouvernement aurait choisi d’abandonner les sinistrés à leur sort, pour mettre à mal les islamistes, en prévision des élections locales.
Mais ce raisonnement n’explique pas tout, surtout pas l’absence de prise en charge des sinistrés. Il est vrai que le Maroc continue à évoluer à deux vitesses : les riches continuent de s’enrichir et d’étaler leurs richesses, et les pauvres sombrent davantage dans le dénuement total et acceptent leur statut de citoyens de seconde catégorie. Entre les deux, point de classe intermédiaire.
Le taux d’analphabétisme, l’un des plus grands dans le monde arabe, n’est pas pour arranger les choses. Mais à quoi bon faire des études dans un pays où le chômage fait des ravages et où l’émigration clandestine devient la seule bouée de secours pour les milliers de diplômés chômeurs. Les plus téméraires parmi eux se contentent de tenir des sit-in quotidiens devant le Parlement à Rabat. Un “spectacle” qui laisse indifférents le reste des Rbatis et les CRS habitués à cette animation quotidienne.
Le gouvernement a beau mené une campagne contre les “mauvais élus” coupables de mauvaise gestion ou de détournement d’argent, mais dans un pays où la corruption est généralisée, les élus locaux sont les parfaits boucs émissaires, tandis que les caïds continuent à sévir et à se sucrer en toute impunité. C’est le cas aussi de la chasse aux trafiquants de drogue.
Le Maroc, grand producteur de drogue, acculé par la communauté internationale, fait semblant de lutter contre les trafiquants, sans jamais s’attaquer aux gros bonnets constitués essentiellement de hauts gradés de l’armée et de la gendarmerie. Les champs de culture de cannabis continuent à produire à profusion et rien ne semble inquiéter la bonne marche des affaires des gros bonnets.
L’alliance de la bourgeoisie marocaine avec le palais royal fait que tout se passe dans un cercle très fermé et pas de place pour les intrus. Les habitants du plus grand bidonville de Rabat, Douar Al Kora, en savent quelque chose, eux qui vont faire les frais de l’appétit des bourgeois à accaparer des terrains jouxtant l’océan. Le futur quartier devant y être édifié commence déjà à faire des victimes : des centaines d’immeubles sont prévus par le promoteur privé, un ami de la famille royale. Certains sont déjà sortis de terre.
Il était prévu, comme le montre l’immense plaque du chantier, que les habitants du bidonville y soient logés. Mais c’était trop beau pour y croire. D’autant plus que le groupe émirati Eemar s’est lancé dans un projet mitoyen pour faire de cette façade maritime le prolongement de la ville de Rabat.
La razzia sur le foncier est faite de telle sorte que les pauvres ne puissent pas se mélanger aux riches. C’est une constante à laquelle les tenants du Makhzen tiennent plus que tout. Et il suffit de sillonner le quartier résidentiel d’Agdal pour s’en rendre compte. Ici, les boutiques franchisées, les cafés et restaurants branchés, les voitures de luxe donnent l’impression d’être en Europe. La population qui fréquente les lieux est spéciale. C’est un peuple tout autre que celui que l’on retrouve dans la Médina, l’ancienne ville ou dans les bidonvilles. Mais Agdal reste interdite aux chômeurs et autres pauvres. Ne s’y balade pas qui veut. C’est à ce prix que la quiétude des riches et des hommes d’affaires est assurée.
Un peu plus retirés, les villas et autres palais de la bourgeoisie marocaine sont tout simplement inaccessibles. La ruelle des princesses (les sœurs du roi) ou encore celle où loge sa sœur Mériem, la plus en vue parmi elles, sont interdites à la circulation. Les palais des enfants de l’entourage royal ressemblent à des forteresses.
Des clubs de golf et de polo pullulent dans la région pour faire plaisir à la très sélect jet-set qui veut ressembler à tout prix à la famille royale.
Pour le reste, c’est-à-dire les fonctionnaires, ils sont casés dans l’immense ville-dortoir de Salé, sur l’autre rive de l’oued Bouregrag. Quelque trois millions d’habitants font tous les matins la navette entre Rabat et Salé, créant des embouteillages monstres sur l’unique pont reliant les deux rives de l’oued.
Résignés, les Marocains ne se font pas beaucoup d’illusions, même si l’arrivée de M6 avait laissé entrevoir l’espoir d’une ouverture démocratique. Certes, il y a une liberté de ton qui commence à se frayer son chemin dans le champ médiatique marocain, mais celle-ci ne concerne pas toute la presse où la langue de bois continue à sévir, à l’image de cette une d’un journal arabophone de la semaine dernière où l’on pouvait lire : “Suicide d’une personne avec préméditation”. Cela se passe de tout commentaire ! Pour le reste, l’appareil répressif du royaume se charge de remettre “les brebis galeuses” dans le droit chemin, à l’image du directeur et de la rédactrice en chef de l’hebdomadaire El Ayam qui ont vu 20 policiers débarquer au siège du journal puis faire un guet-apens, digne des séries policières américaines, au directeur de la publication pour leur faire subir un interrogatoire. Le tout pour avoir eu l’intention, seulement l’intention, de publier la photo de la mère du roi.
La famille royale et le Sahara occidental restent les lignes rouges que toute la presse marocaine ne devrait, en aucun cas, franchir. Pour le reste, chaque journal, en fonction du parti politique ou du bourgeois à qui il appartient, tente de se frayer un chemin dans la petite fenêtre entrouverte par M6, en attendant des jours meilleurs.
Liberté