Réouverture des frontières Algérie-Maroc: Entre espoir et frustration
Les clameurs se sont tues. Depuis la demande formulée par Rabat pour la réouverture des frontières et le peu d’empressement des autorités algériennes à y donner suite, certains ne désespèrent pas des retrouvailles comme ce fut en 1989.
Un mois après cet événement, qui a fait la une de la presse des deux côtés de la frontière, nous avons pu recueillir l’avis de nombreux citoyens des deux pays. Sur la route longeant la bande frontalière entre Maghnia et Marsat Ben M’hidi, le trafic est très dense en ce jour de semaine. Les stations d’essence sont fermées et la file de voitures Mercedes et Renault 25 qui attendent d’être approvisionnées nous renseigne sur l’ampleur du fameux trabendo «hallaba» qui a justement pris de l’ampleur après la fermeture des frontières. Tout passe, gasoil, kif, agrumes, bétail, à travers ces frontières qui, géographiquement se confondent. El Hadj Benaouda, fellah de son état et père de sept enfants est né à quelques mètres de la frontière en 1926. Quand on lui a demandé ce qu’il pense de cette situation et la tension qui règne entre les deux pays, il commença par murmurer un «staghfir Allah», et nous posa à son tour la même question avant de nous faire part du drame vécu par les milliers de familles qui vivent des deux côtés de la frontière. Il nous dit sur un ton ferme que c’est un grand péché (h’ram) de séparer deux peuples de la même origine, de la même religion, et ce, quoi qu’il arrive. Ce fellah, qui apparemment regrette les années 1970, nous fit une étonnante remarque en nous rappelant un discours de Houari Boumediène dans lequel il déclarait «nous nous interdisons d’insulter l’avenir entre les deux peuples frères». Il poursuit : «Vous savez, cette fermeture est une aubaine pour les barons du trabendo, cette situation leur assure un vrai monopole, ils font ce qu’ils veulent, la preuve, vous n’avez qu’à constater la quantité d’agrumes (oranges, fraises, etc.) exposés sur tous les étals de l’ouest algérien». Et ce, sans compter, bien sûr, le fameux marché de Zouia qui est en réalité une zone franche non déclarée. Tous les produits espagnols et marocains transitent par cette bourgade devenue célèbre et connue par tous les contrebandiers et beznassa d’Algérie. A ce respectable fellah, nous faisons remarquer que cette frontière est devenue la route du kif et qui menace la jeunesse algérienne. Il a eu cette cinglante réponse : «La culture de l’opium dans le Rif marocain est encouragée par la forte demande locale et s’il y avait une réelle répression des deux côtés, l’agriculteur marocain retournerait à ses choux.» Un autre point de vue recueilli auprès d’un intellectuel, celui-ci est quelque peu prudent. Pour lui, la réouverture de Zoudj B’ghel posera problème après 14 années de fermeture. Pour Youcef, il y a un contentieux qu’il faut régler avec nos voisins. Il se rappelle de cette chasse à l’homme lancée par le Makhzène contre les touristes algériens après les attentats de Marrakech. «Je ne suis pas contre le rapprochement des peuples de la région au moment où l’Europe s’élargit, mais il faut repartir sur des bases solides en commençant par exclure les discours haineux.» Toutefois, nous sommes surpris par les propos d’un trabendiste qui dénonce une certaine hypocrisie. Il nous dit avec une certaine malice que «les personnes qui se disent pour le maintien de la fermeture des frontières seront les premières à envahir Souk Sidi Abdelwaheb (la grande kaissaria de Oujda)». Pour d’autres, le pessimisme a atteint le non-sens au point où ils déclarent carrément que «si nous n’avons rien de commun avec le Maroc, alors il faut ériger un mur entre nous et ne plus en parler».
De l'autre côté de la frontière
Les quelques avis qu’on a pu recueillir auprès de quelques familles algériennes résidant dans l’Oriental ne diffèrent guère, ce sont à peu près les mêmes sentiments d’espoir et de frustration qui se dégagent. Les familles Bensaïd, Touati et Merabet vivent toujours au Maroc et ne l’on jamais quitté. Les Bensaïd appartiennent à une famille originaire de Benbadis (ex-Descartes), dans la wilaya de Sidi-Bel-Abbès, le père s’est installé au Maroc en 1947 et a participé à plusieurs manifestations contre la déportation du sultan Mohamed V. Interrogé sur la question, il nous dit tout simplement que les politiques du monde arabe font tout pour compliquer l’existence de leurs peuples, mais il trouve absurde cette fermeture des frontières à deux reprises (1975- 1989 et de 1994 à ce jour), soit 28 ans de fermeture depuis l’indépendance. L’autre famille, les Merabet, vit au nord d’Oujda et réside au royaume pendant plus d’un demi-siècle ; c’est leur fils Moumène qui semble le plus touché par cette situation au Maghreb. Ce jeune professeur de mathématiques est plutôt confiant quant à l’avenir : «L’histoire finira par remettre les deux peuples sur la même longueur d’onde ainsi que leurs gouvernements. Economiquement et humainement, les peuples de la région ont tout à gagner, et ce n’est pas le projet de l’Union méditerranéenne cher à Sarkozy qui construira le Maghreb». Toutefois, c’est toute une autre opinion chez les Touati, originaires de Béni-Saf et vivant dans la région de Aberkane. Leur mère veuve, âgée de 83 ans, n’a pu assister à l’enterrement de ses trois sœurs décédées en Algérie, et c’est là tout le drame humain dont on ne parle jamais dans la presse, nous dit Boucif, l’un de ses fils qui rêve de revoir Béni- Saf et l’île de Rachgoun, et c’est sans doute le rêve de toutes ces familles algériennes vivant au Maroc. Avant de clore ce reportage, nous avons voulu recueillir l’opinion de ressortissants marocains vivant en Algérie et, comme par hasard, nous avons rencontré un Marocain en visite dans la capitale des Zianides qui a bien voulu nous faire part de son impression : «Je suis heureux de retrouver la terre des martyrs, je suis un marocain d’origine berbère et je milite pour un Maghreb berbère car le nationalisme arabe est synonyme de haine et de rancœur». Ce fervent admirateur de la JSK nous fit tout de même une petite remarque sur l’intérêt de certains journaux algériens qui ont largement médiatisé Driss Basri en sachant que ce dernier est le premier responsable des malheurs du peuple marocain. En attendant un sésame du genre «frontière ouvre-toi», le Maghreb du tranbendo se porte plutôt bien, quant au Maghreb des peuples initié un 27 avril à Tanger, il attend depuis un demi-siècle.
M. Zenasni
le soir d'algérie
Les clameurs se sont tues. Depuis la demande formulée par Rabat pour la réouverture des frontières et le peu d’empressement des autorités algériennes à y donner suite, certains ne désespèrent pas des retrouvailles comme ce fut en 1989.
Un mois après cet événement, qui a fait la une de la presse des deux côtés de la frontière, nous avons pu recueillir l’avis de nombreux citoyens des deux pays. Sur la route longeant la bande frontalière entre Maghnia et Marsat Ben M’hidi, le trafic est très dense en ce jour de semaine. Les stations d’essence sont fermées et la file de voitures Mercedes et Renault 25 qui attendent d’être approvisionnées nous renseigne sur l’ampleur du fameux trabendo «hallaba» qui a justement pris de l’ampleur après la fermeture des frontières. Tout passe, gasoil, kif, agrumes, bétail, à travers ces frontières qui, géographiquement se confondent. El Hadj Benaouda, fellah de son état et père de sept enfants est né à quelques mètres de la frontière en 1926. Quand on lui a demandé ce qu’il pense de cette situation et la tension qui règne entre les deux pays, il commença par murmurer un «staghfir Allah», et nous posa à son tour la même question avant de nous faire part du drame vécu par les milliers de familles qui vivent des deux côtés de la frontière. Il nous dit sur un ton ferme que c’est un grand péché (h’ram) de séparer deux peuples de la même origine, de la même religion, et ce, quoi qu’il arrive. Ce fellah, qui apparemment regrette les années 1970, nous fit une étonnante remarque en nous rappelant un discours de Houari Boumediène dans lequel il déclarait «nous nous interdisons d’insulter l’avenir entre les deux peuples frères». Il poursuit : «Vous savez, cette fermeture est une aubaine pour les barons du trabendo, cette situation leur assure un vrai monopole, ils font ce qu’ils veulent, la preuve, vous n’avez qu’à constater la quantité d’agrumes (oranges, fraises, etc.) exposés sur tous les étals de l’ouest algérien». Et ce, sans compter, bien sûr, le fameux marché de Zouia qui est en réalité une zone franche non déclarée. Tous les produits espagnols et marocains transitent par cette bourgade devenue célèbre et connue par tous les contrebandiers et beznassa d’Algérie. A ce respectable fellah, nous faisons remarquer que cette frontière est devenue la route du kif et qui menace la jeunesse algérienne. Il a eu cette cinglante réponse : «La culture de l’opium dans le Rif marocain est encouragée par la forte demande locale et s’il y avait une réelle répression des deux côtés, l’agriculteur marocain retournerait à ses choux.» Un autre point de vue recueilli auprès d’un intellectuel, celui-ci est quelque peu prudent. Pour lui, la réouverture de Zoudj B’ghel posera problème après 14 années de fermeture. Pour Youcef, il y a un contentieux qu’il faut régler avec nos voisins. Il se rappelle de cette chasse à l’homme lancée par le Makhzène contre les touristes algériens après les attentats de Marrakech. «Je ne suis pas contre le rapprochement des peuples de la région au moment où l’Europe s’élargit, mais il faut repartir sur des bases solides en commençant par exclure les discours haineux.» Toutefois, nous sommes surpris par les propos d’un trabendiste qui dénonce une certaine hypocrisie. Il nous dit avec une certaine malice que «les personnes qui se disent pour le maintien de la fermeture des frontières seront les premières à envahir Souk Sidi Abdelwaheb (la grande kaissaria de Oujda)». Pour d’autres, le pessimisme a atteint le non-sens au point où ils déclarent carrément que «si nous n’avons rien de commun avec le Maroc, alors il faut ériger un mur entre nous et ne plus en parler».
De l'autre côté de la frontière
Les quelques avis qu’on a pu recueillir auprès de quelques familles algériennes résidant dans l’Oriental ne diffèrent guère, ce sont à peu près les mêmes sentiments d’espoir et de frustration qui se dégagent. Les familles Bensaïd, Touati et Merabet vivent toujours au Maroc et ne l’on jamais quitté. Les Bensaïd appartiennent à une famille originaire de Benbadis (ex-Descartes), dans la wilaya de Sidi-Bel-Abbès, le père s’est installé au Maroc en 1947 et a participé à plusieurs manifestations contre la déportation du sultan Mohamed V. Interrogé sur la question, il nous dit tout simplement que les politiques du monde arabe font tout pour compliquer l’existence de leurs peuples, mais il trouve absurde cette fermeture des frontières à deux reprises (1975- 1989 et de 1994 à ce jour), soit 28 ans de fermeture depuis l’indépendance. L’autre famille, les Merabet, vit au nord d’Oujda et réside au royaume pendant plus d’un demi-siècle ; c’est leur fils Moumène qui semble le plus touché par cette situation au Maghreb. Ce jeune professeur de mathématiques est plutôt confiant quant à l’avenir : «L’histoire finira par remettre les deux peuples sur la même longueur d’onde ainsi que leurs gouvernements. Economiquement et humainement, les peuples de la région ont tout à gagner, et ce n’est pas le projet de l’Union méditerranéenne cher à Sarkozy qui construira le Maghreb». Toutefois, c’est toute une autre opinion chez les Touati, originaires de Béni-Saf et vivant dans la région de Aberkane. Leur mère veuve, âgée de 83 ans, n’a pu assister à l’enterrement de ses trois sœurs décédées en Algérie, et c’est là tout le drame humain dont on ne parle jamais dans la presse, nous dit Boucif, l’un de ses fils qui rêve de revoir Béni- Saf et l’île de Rachgoun, et c’est sans doute le rêve de toutes ces familles algériennes vivant au Maroc. Avant de clore ce reportage, nous avons voulu recueillir l’opinion de ressortissants marocains vivant en Algérie et, comme par hasard, nous avons rencontré un Marocain en visite dans la capitale des Zianides qui a bien voulu nous faire part de son impression : «Je suis heureux de retrouver la terre des martyrs, je suis un marocain d’origine berbère et je milite pour un Maghreb berbère car le nationalisme arabe est synonyme de haine et de rancœur». Ce fervent admirateur de la JSK nous fit tout de même une petite remarque sur l’intérêt de certains journaux algériens qui ont largement médiatisé Driss Basri en sachant que ce dernier est le premier responsable des malheurs du peuple marocain. En attendant un sésame du genre «frontière ouvre-toi», le Maghreb du tranbendo se porte plutôt bien, quant au Maghreb des peuples initié un 27 avril à Tanger, il attend depuis un demi-siècle.
M. Zenasni
le soir d'algérie