Envoyée spéciale à Nador Zoé Deback
Rif. L’empêcheur de tourner en rond(AIC PRESS)
Chakib El Khyari est en prison depuis dix jours pour ses prises de position sur la corruption et le trafic de drogue. Retour sur les démêlés du jeune militant.Mercredi 18 février, l’ONG Human Rights Watch alerte l’opinion publique : Chakib El Khyari, président de l’Association Rif pour les droits de l’homme (ARDH), a été arrêté à Casablanca par la Brigade nationale de la police judiciaire (BNPJ). Avant la fin de la garde à vue, le ministère de l’Intérieur se fend d’un communiqué accusant El Khyari de
“déclarations mensongères”. Réponse du berger à la bergère : selon Mohamed Khattab et Mounir Benlakhdar, les avocats du militant, cette “sortie” constituerait une violation de l’indépendance de la justice, car “l’Intérieur n’est pas habilité à communiquer sur une enquête judiciaire en cours, à moins qu’il ne s’agisse d’actes qui mettent en danger la sécurité de l’Etat”.
Samedi 21 février, le jeune militant de 30 ans comparaît devant le juge d’instruction pour un délit somme toute mineur : “outrage à corps constitués” (en langage courant : outrage à agent d’autorité). Mais le même jour, une dépêche de la MAP cite des déclarations du procureur général de Casablanca. Surprise : il n’est plus question d’outrage à corps constitués. El Khyari serait, selon le procureur, accusé d’orchestrer des campagnes médiatiques visant les trafiquants de drogue de Nador, contre argent sonnant et trébuchant… Autre (nouveau) grief retenu contre El Khyari : il percevrait de l’argent de l’étranger, pour discréditer les efforts déployés par le Maroc dans la lutte anti-drogue. “C’est à n’y rien comprendre, il n’a jamais été question de ces chefs d’inculpation pendant l’audience”, s’insurgent les deux avocats.
Tu habites chez tes parents ?
Attablé à un café de Nador, Amine El Khyari, le frère de Chakib, est agacé d’entendre la même rengaine, “cette dépêche de la MAP reprise en boucle et sans nuances par la télévision nationale”. Selon les proches d’El Khyari, son insistance à dénoncer le laxisme des autorités face au trafic de drogue dans les médias nationaux et étrangers, lui a valu beaucoup d’ennemis. A Nador, des rumeurs insistantes, parfois relayées par la presse locale, ternissent pourtant la réputation du militant. “La première version laisse entendre qu’il travaillerait pour le compte des services secrets espagnols.
La deuxième version insinue qu’il est payé par certains trafiquants pour en dénoncer d’autres”, nous souffle un habitant. Avant d’ajouter : “mais, vous le savez bien, dès que quelqu’un dénonce un trafic quelconque, on l’accuse d’y être mouillé jusqu’au cou…” Dans le domicile parental, Chakib El Khyari partage une chambre exiguë avec son frère, et dépend largement du salaire de sa mère et de la retraite de son père malade. “La semaine dernière encore, il est venu me demander 90 dirhams pour s’acheter un médicament, raconte sa mère. Vous ne pensez pas qu’il le paierait lui-même s’il était corrompu, comme certains veulent le faire croire ?” Son frère Amine embraye : “Quand la police est entrée avec Chakib pour fouiller la maison, un des agents s’est exclamé, stupéfait : c’est ici que tu vis ? Avec tes parents ?”.
Une lettre à M6 et une émission sur M6
De nature discret, Chakib El Khyari est tout au plus un timide qui aime bien faire parler de lui, fier des quelques pavés qu’il a pu jeter dans la mare. Membre du comité Abdelkrim Khattabi pendant ses années de fac, il s’intéresse notamment aux événements de 1984 (des émeutes réprimées dans le sang à Nador) avant de fonder, en 2005, l’ARDH avec une vingtaine d’étudiants. L’Association ratisse large : de la cause amazighe aux conditions de vie des enfants des rues, en passant par l’observation des élections... et la dénonciation du tarfic de drogue qui sévit dans le Nord. “Car il ne peut pas y avoir de développement ni de démocratie tant que la mafia de la drogue sévit dans la région”, explique Mohamed Hammouchi, vice-président de l’ARDH.
En octobre 2006, l’Association se fait remarquer lors de la visite du roi à Nador. Dans une lettre ouverte au souverain, elle explique que les narcotrafiquants de Nador entrent et sortent de la lagune de Mar Chica, au vu et au su de la police. En septembre 2008, une émission M6 fait à nouveau parler d’El Khyari : il emmène la chaîne française sur les traces des zodiacs chargés de drogue et les caméras constatent le flagrant délit de “laxisme” des autorités. Quelques mois plus tard, sur le plateau de la chaîne 2M, El Khyari expose son projet de légalisation du cannabis. Pour venir à bout du trafic, il propose à l’Etat d’acheter aux cultivateurs des régions “historiques” leur production de cannabis, pour le transformer en produits alternatifs comme des médicaments… et ainsi couper l’“herbe” sous le pied des trafiquants. Chakib El Khyari devait justement participer, mercredi 4 mars, à une conférence au parlement européen sur les politiques européennes à l’égard du cannabis. Mais alors que les soutiens se mobilisent à Nador et sur la Toile (sur freechakib.com), le militant continue de croupir à la prison de Oukkacha, en attendant sa deuxième comparution devant le juge d’instruction prévue dans les jours qui viennent.
Bio express
1979. Voit le jour à Al Hoceima.
2005. Crée l’Association Rif pour les droits de l’homme (ARDH).
2006. Envoie une lettre au roi pour dénoncer le trafic de drogue à Nador.
2008. Appelle à la légalisation du cannabis.
2009. Se fait arrêter par les enquêteurs de la BNPJ.
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