Quand le père, Hassan II, pouvait, dans de mémorables discours, gratter dans le sens du poil, son « cher peuple », le faire rire ou le menacer, puis, sans aucune hésitation, détruire au canon des quartiers entiers et passer à la mitrailleuse, depuis son hélicoptère royal, les émeutiers d’une énième révolte populaire, le fils, Mohammed VI, s’il n’excelle pas dans le massacre et ne paraît pas trop apprécier les proclames au, toujours soumis, « cher peuple », il partage néanmoins avec le fantôme de son défunt géniteur le sentiment que sans la dynastie alaouite, sans ce régime en fait, nous sommes condamnés au déluge. Voilà peut-être, au delà des bilans sur les dix années de règne de Mohamed VI qui commencent à nous assommer, notre dilemme de Marocains du XXIe siècle. Peut-on vivre au Maroc d’aujourd’hui en faisant omission de cette réalité qui veut que tout doit tourner autour du roi ? Peut-on se défaire de ce sentiment diffus qui veut que nous devons être, par la loi, les fils respectueux d’un père bienveillant qui a réponse à tout, est présent partout, dans le politique, le religieux, l’économique, les affaires, le social et même dans l’action caritative et spectaculaire ? N’a-t-on pas vu dernièrement le roi ordonner le rapatriement par avion militaire des restes (comme s’il s’agissait de ceux d’un maréchal d’empire mort en exil) d’un nouveau-né décédé dans un hôpital madrilène à cause d’une erreur médicale? Au delà du douloureux drame humain qui a frappé la famille du bébé, a-t-on seulement conscience de la valeur ridicule de ce geste dont le but est seulement d’émouvoir bassement le peuple et d’exalter les sentiments patriotiques ? C’est cela notre dilemme, notre détresse. Nous sommes une nation qui se prosterne par peur, se soumet au baise main par tradition, et baisse instinctivement le ton de la voix quand elle parlote en mal du régime. Même dans l’intimité de ce qui a de plus sacré pour un homme, sa maison. L’expression « Les murs ont des oreilles » nous sied encore à merveille. C’est ainsi. Nous avons un cerveau normalement constitué, nous ne sommes pas plus arriérés ni plus avancés que d’autres mais nous sommes incapables de faire le nécessaire discernement entre nos intérêts légitimes et ceux de nos actuels gouvernants. Ce fait est tellement installé dans notre subconscient que c’est devenu un affront permanent à notre intelligence. Les Marocains croient avoir besoin d’un homme providentiel qui prend des décisions providentielles, alors qu’ils devraient exiger des institutions qui n’ont rien à voir avec la Providence et beaucoup avec un Etat de droit où chacun, même le roi, doit jouer un rôle clairement défini par une constitution démocratique. Comment, enfin, peut-on croire qu’un seul homme qui, pour gouverner, fait appel à ses ancêtres, à la religion, aux traditions ou à l’Histoire, est la meilleure réponse à nos attentes ? La logique ne veut-elle pas que nous ayons plutôt besoin d’hommes démocratiquement élus qui gouvernent en utilisant leurs connaissances et expériences et qui ont conscience que leur pouvoir peut être court ou pérenne selon le verdict des urnes ? Et c’est paradoxal de constater que ceux qui font leur cette analyse, en particulier les Français, les voisins espagnols et les lointains Américains (avant et avec Obama), ceux-là mêmes qui tiennent becs et ongles à leurs institutions et à leurs chères libertés, veulent nous garder en cage et nous pressent, indirectement bien entendu, de rester sages et d’accepter d’être gentiment conduits par le prince. Constamment et indéfiniment, puisque, croient-ils, ce type de régime, autoritaire, théocratique, peu démocratique etc., est le meilleur remède à nos maux. Nous ne serions pas prêts pour la démocratie se lamentent ces hypocrites. Mais enfin, de quoi ont-ils peur ? Que nous commencions à penser par nous mêmes ? A nous émanciper ? Que nous trouvions des solutions à nos besoins, matériels et autres ? Que veulent-ils enfin ces lointains occidentaux ? On a du mal à croire qu’ils veulent que notre région continue à être la grande fabrique d’extrémistes qui se nourrissent, justement, des dictatures, des injustices faites aux gens et des manques de liberté criantes qui sont notre pain quotidien.
El Khabar
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