L'écrivain algérien Boualem Sansal ira au salon du livre de Paris, qui ouvre ses portes aujourd'hui. Malgré la polémique provoquée dans le monde arabe par le choix d'Israël comme invité d'honneur. Et en dépit de l'appel au boycott venant des gouvernements et quelques intellectuels arabes.
« Cette affaire est stupide », coupe l'écrivain algérien qui aime le débat. Et la tribune parisienne ne pouvait pas mieux tomber. Sansal y présentera son livre « Le Village de l'Allemand » qui raconte la Shoah au public arabe et a provoqué des réactions violences dans les pays musulmans. Malgré le risque d'être poursuivi dans son pays, il foulera les travées du salon (il sera samedi 15 sur le stand de Gallimard).
« La Liberté » : Pourquoi allez-vous au salon du livre alors que le monde arabe crie au scandale ?
Boualem Sansal : J'y vais par amour des livres, même si cela risque d'aggraver ma situation en Algérie. Je fais de la littérature, pas la guerre. Si le monde arabe lisait les auteurs juifs, il verrait qu'ils ne sont pas au service du gouvernement israélien. La plupart sont très critiques. Et puis la littérature n'est pas juive arabe ou américaine, elle raconte des histoires qui s'adressent à tout le monde.
Votre roman raconte l'histoire d'Hans Schiller, ancien officier SS, devenu héros de la guerre d'indépendance de l'Algérie, formateur de l'élite militaire du pays, bâtisseur d'un village exemplaire… Ce nazi a-t-il existé ?
Il a existé. Mon roman colle aussi près que possible au parcours de cet homme, dont j'ai découvert l'existence au début des années 1980, dans un village des Hauts-Plateaux algériens. Les gens des environs l'appelaient « le village de l'Allemand ». Après la défaite allemande en 1945, il s'était réfugié en Egypte, où il a été récupéré par les Services secrets égyptiens. Plus tard, il a été envoyé par Nasser comme conseiller technique auprès de l'Etat-major de l'Armée de libération algérienne. A l'indépendance, pour des raisons que je ne connais pas, il est allé vivre dans ce village perdu que j'ai nommé Aïn Deb.
Dans votre livre, vous traitez aussi d'un sujet tabou dans le monde arabe : la Shoah.
Le mot tabou ne convient pas. La Shoah est ignorée dans nos pays, purement et simplement, quand elle n'est pas considérée comme une invention des Juifs ou regardée comme un « point de détail de l'histoire », pour reprendre la formule tristement célèbre de Jean-Marie Le Pen.
Le président iranien Ahmadinedjad prétend aussi que l'holocauste est une invention…
Le président iranien est peut-être le moins critiquable dans la mesure où lui affiche son antisémitisme. Et ses excès décrédibilisent son propre discours. Les plus dangereux sont ceux, comme les Saoudiens et les monarchies du Golfe, qui ne disent rien, mais qui agissent à travers leurs formidables réseaux internationaux de financement et de propagande. Les intellectuels dans le monde musulman doivent se mobiliser et dénoncer le racisme et l'antisémitisme où qu'ils soient, y compris dans leurs rangs. Nous avons été trop absents dans le combat contre ces maladies qui ravagent nos sociétés.
Comment votre livre a-t-il été reçu ?
Mon livre a suscité des réactions très violentes en Algérie notamment. On a considéré que je portais atteinte à la dignité du pays en mêlant un abominable SS, un criminel de guerre, à sa glorieuse lutte de libération. On a aussi ressenti comme une injure le fait que je dénonce le racisme et l'antisémitisme qui sévissent dans beaucoup de pays arabes et musulmans. On a enfin pensé qu'en parlant de la Shoah, je cherchais à minimiser les crimes commis par le colonialisme français en Algérie. Bref, on m'accuse de tout, au lieu de réfléchir aux questions que soulèvent mon livre.
Et personne ne vous soutient ?
Je ne me sens pas si seul. Il y a des intellectuels qui travaillent sur ces questions, chacun à sa manière. Un Abdelwahab Meddeb, un Malek Chebel, un Mohamed Arkoun ou un Youssef Seddik œuvrent à la promotion d'un islam généreux, tolérant, ouvert. C'est la meilleure façon de barrer la route au racisme et à l'antisémitisme que des gens diaboliques, tels ceux qui gouvernent le monde arabe et les islamistes, propagent.
Deux thèmes constituent le cœur de votre réflexion ; nazisme et fanatisme islamique. En quoi sont-ils liés ?
Tous les fascismes se ressemblent. L'habit peut changer, le nom aussi, le fond reste le même. L'islamisme est un fascisme, totalitaire, belliqueux, sectaire, tout comme l'a été le nazisme. Si différence il y a, elle est dans les moyens, le nazisme avait sous la main la formidable puissance militaire et industrielle de l'Allemagne, alors que pour le moment l'islamisme en est au stade artisanal. Dès 1933, Hitler avait décelé la proximité entre son idéologie et celle des islamistes. Il a pris contact avec eux dans tous les pays musulmans où l'islamisme commençait à émerger, comme rejet de l'Occident mais aussi comme moyen de mobiliser les peuples contre le colonialisme français et anglais.
Et Hitler a su exploiter ce mouvement de rejet ?
Il a établi des liens très étroits avec notamment Hadj Amine Al Husseini, grand Mufti de Jérusalem, Hassan el Banna, le fondateur des Frères Musulmans en Egypte, et en Europe avec un certain Alya Izetbegovic qui allait cinquante ans plus tard devenir le premier président de la Bosnie-Herzégovine. Hitler a pu, grâce à eux, lever des troupes dans tous les pays musulmans, elles se sont battues avec les troupes allemandes en Europe ou ont mené des actions de guérilla dans leurs pays contre les armées coloniales. Dans les milieux islamistes, on a gardé une très grande sympathie pour l'hitlérisme. Par certains côtés, il les inspire encore. Certains en sont réellement très imprégnés et rêvent de pouvoir reprendre et continuer l'œuvre d'Hitler, notamment l'extermination des Juifs. C'est le rêve d'Ahmadinedjad et de Ben Laden.
« L'émigration est le seul rêve qui reste aux jeunes. » Comment expliquer que l'Algérie qui ramasse des milliards de dollars grâce au pétrole produit tant de pauvres qui sont ensuite recrutés par les fous d'Allah…
Aujourd'hui, l'argent du pétrole coule à flot en Algérie mais il ne profite qu'aux oligarques et aux islamistes. Le peuple s'enfonce dans la misère. Elle n'a jamais été si grande alors que le pays est de plus en plus riche, jusqu'à l'indécence. Bouteflika est un autocrate de la pire espèce, il a une très lourde responsabilité dans cette évolution. C'est pourtant lui que les grandes démocraties occidentales soutiennent et à leur tête la France de Sarkozy. Une grande partie de la population a perdu tout espoir de voir un jour sa situation s'améliorer. L'émigration est le seul rêve qui reste aux jeunes. Apparemment, la fermeture des frontières européennes ne semble pas les dissuader. Ils préfèrent la clandestinité et le chômage en Europe aux promesses en sucre de Bouteflika et de ses porte-voix.
Etes-vous entendu en Algérie ?
Depuis la publication de « Poste restante Alger », mes livres sont interdits en Algérie. On me critique, on m'invective, on me menace mais pour le moment, ça ne va pas plus loin. Donc je continue à vivre en Algérie. Je pense souvent à l'exil mais où, chez Bush, chez Sarkozy ? Remplacer un malheur par un autre n'est pas ce qu'on peut appeler une bonne décision. Pour le moment, je n'ai pas d'autre projet que celui de tenter, avec des amis, de nous opposer au viol de la constitution par Bouteflika et au renouvellement de son mandat.
Vous êtes aussi très critique au sujet du monde arabe.
Le monde arabo-musulman a beaucoup de mal à entrer dans la modernité, pris en tenaille qu'il est entre la dictature militaro-policière et l'islamisme. Le chemin du renouveau sera long, difficile et plein de violence. Il lui faudra entreprendre et réussir ce que l'occident a entrepris et réussi durant ce qu'on a appelé le Siècle des Lumières. Je suis assez pessimiste sur notre capacité à entreprendre cette révolution. Brimées, menacées par les uns et les autres, notre élite intellectuelle s'est sont dispersée dans le monde. Or elle est le moteur de la révolution que nous appelons de nos vœux. Sans cette révolution, l'avenir sera comme le passé, en plus triste car déjà vu, ce qui pose la terrible question : à quoi sert de vivre si c'est pour rester au même point.
► « Le Village de l'Allemand ou Le Journal des frères Schiller », de Boualem Sansal, Gallimard, 263 p., 17€.
► Un Salon du Livre sous très haute tension
► Retrouvez le Cabinet de lecture au Salon du Livre
► Pour tout renseignement sur le Salon du Livre (dédicaces, rencontres, accès, etc) :
www.salondulivreparis.com
« Cette affaire est stupide », coupe l'écrivain algérien qui aime le débat. Et la tribune parisienne ne pouvait pas mieux tomber. Sansal y présentera son livre « Le Village de l'Allemand » qui raconte la Shoah au public arabe et a provoqué des réactions violences dans les pays musulmans. Malgré le risque d'être poursuivi dans son pays, il foulera les travées du salon (il sera samedi 15 sur le stand de Gallimard).
« La Liberté » : Pourquoi allez-vous au salon du livre alors que le monde arabe crie au scandale ?
Boualem Sansal : J'y vais par amour des livres, même si cela risque d'aggraver ma situation en Algérie. Je fais de la littérature, pas la guerre. Si le monde arabe lisait les auteurs juifs, il verrait qu'ils ne sont pas au service du gouvernement israélien. La plupart sont très critiques. Et puis la littérature n'est pas juive arabe ou américaine, elle raconte des histoires qui s'adressent à tout le monde.
Votre roman raconte l'histoire d'Hans Schiller, ancien officier SS, devenu héros de la guerre d'indépendance de l'Algérie, formateur de l'élite militaire du pays, bâtisseur d'un village exemplaire… Ce nazi a-t-il existé ?
Il a existé. Mon roman colle aussi près que possible au parcours de cet homme, dont j'ai découvert l'existence au début des années 1980, dans un village des Hauts-Plateaux algériens. Les gens des environs l'appelaient « le village de l'Allemand ». Après la défaite allemande en 1945, il s'était réfugié en Egypte, où il a été récupéré par les Services secrets égyptiens. Plus tard, il a été envoyé par Nasser comme conseiller technique auprès de l'Etat-major de l'Armée de libération algérienne. A l'indépendance, pour des raisons que je ne connais pas, il est allé vivre dans ce village perdu que j'ai nommé Aïn Deb.
Dans votre livre, vous traitez aussi d'un sujet tabou dans le monde arabe : la Shoah.
Le mot tabou ne convient pas. La Shoah est ignorée dans nos pays, purement et simplement, quand elle n'est pas considérée comme une invention des Juifs ou regardée comme un « point de détail de l'histoire », pour reprendre la formule tristement célèbre de Jean-Marie Le Pen.
Le président iranien Ahmadinedjad prétend aussi que l'holocauste est une invention…
Le président iranien est peut-être le moins critiquable dans la mesure où lui affiche son antisémitisme. Et ses excès décrédibilisent son propre discours. Les plus dangereux sont ceux, comme les Saoudiens et les monarchies du Golfe, qui ne disent rien, mais qui agissent à travers leurs formidables réseaux internationaux de financement et de propagande. Les intellectuels dans le monde musulman doivent se mobiliser et dénoncer le racisme et l'antisémitisme où qu'ils soient, y compris dans leurs rangs. Nous avons été trop absents dans le combat contre ces maladies qui ravagent nos sociétés.
Comment votre livre a-t-il été reçu ?
Mon livre a suscité des réactions très violentes en Algérie notamment. On a considéré que je portais atteinte à la dignité du pays en mêlant un abominable SS, un criminel de guerre, à sa glorieuse lutte de libération. On a aussi ressenti comme une injure le fait que je dénonce le racisme et l'antisémitisme qui sévissent dans beaucoup de pays arabes et musulmans. On a enfin pensé qu'en parlant de la Shoah, je cherchais à minimiser les crimes commis par le colonialisme français en Algérie. Bref, on m'accuse de tout, au lieu de réfléchir aux questions que soulèvent mon livre.
Et personne ne vous soutient ?
Je ne me sens pas si seul. Il y a des intellectuels qui travaillent sur ces questions, chacun à sa manière. Un Abdelwahab Meddeb, un Malek Chebel, un Mohamed Arkoun ou un Youssef Seddik œuvrent à la promotion d'un islam généreux, tolérant, ouvert. C'est la meilleure façon de barrer la route au racisme et à l'antisémitisme que des gens diaboliques, tels ceux qui gouvernent le monde arabe et les islamistes, propagent.
Deux thèmes constituent le cœur de votre réflexion ; nazisme et fanatisme islamique. En quoi sont-ils liés ?
Tous les fascismes se ressemblent. L'habit peut changer, le nom aussi, le fond reste le même. L'islamisme est un fascisme, totalitaire, belliqueux, sectaire, tout comme l'a été le nazisme. Si différence il y a, elle est dans les moyens, le nazisme avait sous la main la formidable puissance militaire et industrielle de l'Allemagne, alors que pour le moment l'islamisme en est au stade artisanal. Dès 1933, Hitler avait décelé la proximité entre son idéologie et celle des islamistes. Il a pris contact avec eux dans tous les pays musulmans où l'islamisme commençait à émerger, comme rejet de l'Occident mais aussi comme moyen de mobiliser les peuples contre le colonialisme français et anglais.
Et Hitler a su exploiter ce mouvement de rejet ?
Il a établi des liens très étroits avec notamment Hadj Amine Al Husseini, grand Mufti de Jérusalem, Hassan el Banna, le fondateur des Frères Musulmans en Egypte, et en Europe avec un certain Alya Izetbegovic qui allait cinquante ans plus tard devenir le premier président de la Bosnie-Herzégovine. Hitler a pu, grâce à eux, lever des troupes dans tous les pays musulmans, elles se sont battues avec les troupes allemandes en Europe ou ont mené des actions de guérilla dans leurs pays contre les armées coloniales. Dans les milieux islamistes, on a gardé une très grande sympathie pour l'hitlérisme. Par certains côtés, il les inspire encore. Certains en sont réellement très imprégnés et rêvent de pouvoir reprendre et continuer l'œuvre d'Hitler, notamment l'extermination des Juifs. C'est le rêve d'Ahmadinedjad et de Ben Laden.
« L'émigration est le seul rêve qui reste aux jeunes. » Comment expliquer que l'Algérie qui ramasse des milliards de dollars grâce au pétrole produit tant de pauvres qui sont ensuite recrutés par les fous d'Allah…
Aujourd'hui, l'argent du pétrole coule à flot en Algérie mais il ne profite qu'aux oligarques et aux islamistes. Le peuple s'enfonce dans la misère. Elle n'a jamais été si grande alors que le pays est de plus en plus riche, jusqu'à l'indécence. Bouteflika est un autocrate de la pire espèce, il a une très lourde responsabilité dans cette évolution. C'est pourtant lui que les grandes démocraties occidentales soutiennent et à leur tête la France de Sarkozy. Une grande partie de la population a perdu tout espoir de voir un jour sa situation s'améliorer. L'émigration est le seul rêve qui reste aux jeunes. Apparemment, la fermeture des frontières européennes ne semble pas les dissuader. Ils préfèrent la clandestinité et le chômage en Europe aux promesses en sucre de Bouteflika et de ses porte-voix.
Etes-vous entendu en Algérie ?
Depuis la publication de « Poste restante Alger », mes livres sont interdits en Algérie. On me critique, on m'invective, on me menace mais pour le moment, ça ne va pas plus loin. Donc je continue à vivre en Algérie. Je pense souvent à l'exil mais où, chez Bush, chez Sarkozy ? Remplacer un malheur par un autre n'est pas ce qu'on peut appeler une bonne décision. Pour le moment, je n'ai pas d'autre projet que celui de tenter, avec des amis, de nous opposer au viol de la constitution par Bouteflika et au renouvellement de son mandat.
Vous êtes aussi très critique au sujet du monde arabe.
Le monde arabo-musulman a beaucoup de mal à entrer dans la modernité, pris en tenaille qu'il est entre la dictature militaro-policière et l'islamisme. Le chemin du renouveau sera long, difficile et plein de violence. Il lui faudra entreprendre et réussir ce que l'occident a entrepris et réussi durant ce qu'on a appelé le Siècle des Lumières. Je suis assez pessimiste sur notre capacité à entreprendre cette révolution. Brimées, menacées par les uns et les autres, notre élite intellectuelle s'est sont dispersée dans le monde. Or elle est le moteur de la révolution que nous appelons de nos vœux. Sans cette révolution, l'avenir sera comme le passé, en plus triste car déjà vu, ce qui pose la terrible question : à quoi sert de vivre si c'est pour rester au même point.
► « Le Village de l'Allemand ou Le Journal des frères Schiller », de Boualem Sansal, Gallimard, 263 p., 17€.
► Un Salon du Livre sous très haute tension
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www.salondulivreparis.com