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Bled Essiba vu par un algérien (1904-1905),

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admin"SNP1975"

admin
Admin

Comme je n'ai pas oublié mes origines de petit fils de marabout algéro-marocain , je me permets de vous conter des histoires concernant l'histoire algéro-marocaine à travers les documents et les archives de l'ancienne puissance colonisatrice.

Salem Chaker Revue de l'Occident musulman et de la Méditerranée

Le cahier correspond aux tout premiers moments de la mission (d'Oran au Rif marocain) et il est à souhaiter que les autres parties du journal, notamment celles concernant l'Atlas marocain sur lequel Boulifa a ramené d'abondants matériaux linguistiques et ethnographiques, soient retrouvées et publiées.

Ces notes de voyage étaient manifestement destinées à être publiées puisqu'elles portent de nombreuses annotations (d'une autre couleur) sur les pages de verso (non écrites) annonçant une version révisée; par exemple, au dos de la page 33 :

«La longue tirade qui suit gagnerait, il me semble, à être placée comme conclusion à la fin du travail. A réserver. ».

Sur la mission Segonzac elle-même, on pourra se reporter à : — Segonzac (marquis de), Au cœur de l'Atlas. Mission au Maroc (1904-1905), Paris, Larose, 1910, 794 p., 177 phot., 16 cartes.

— Itinéraires au Maroc (1904-1905), Paris, 1910 (5 cartes).

CARNETS DE ROUTE MAROCAINS DE A.S. BOULIFA (Mission Segonzac : 1904
-1905)

[]

ORAN

Notre déguisement marocain ne devant se faire définitivement qu'à Tanger, selon les ordres du chef je ne me suis muni que du strict nécessaire : quelques objets de toilette, un complet de rechange, une paire de chaussures, trois chemises de couleur, six flanelles. Une casquette de voyage et un cache-poussière complétaient mes maigres bagages. Dans la petite malle qui enferme le tout, j'ai eu la mauvaise idée d'y joindre un beau complet arabe en drap bleu avec une ceinture en soie damassée et un magnifique manteau (burnous) vert foncé, couleur du Prophète. Ainsi attifé, je pourrai, pensais-je, me mettre au rang des Vizirs de Sa Majesté chéri- fienne et montrer ainsi la supériorité de l'élégance algérienne sur celle du Mor'reb Lqessa, dont les habitants sont encore tels que nous les a décrits Iben Khaldoun. Nous en reparlerons quand, étant chez eux et vivant avec eux, nous les connaîtrons davantage. Pour le moment l'idée du départ vers ce pays inconnu pour moi me préoccupe. Voulant me renseigner sur ce pays que j'allais parcourir, je vins à Oran deux jours plus tôt.

Grâce à des amis, je pus, dans les cafés maures du Village-Nègre, approcher des Marocains. M'intéressant plus particulièrement aux types du Sud, un Soussi qui exerce au Village-Nègre depuis bien des années la profession de cafetier, me fut amené à l'École Arabe-française. Après lui avoir fait part de mes projets, il me proposa de me faire conduire directement chez le Prétendant avec qui il est intimement lié. Celui-ci se chargerait de me faire parcourir tout l'Atlas jusqu'au Ras Loued (Sous). Les relations du cafetier avec le Prétendant m'ont été affirmées comme étant des plus authentiques.

Il y a quelques années, Moulay Mohammed, parti du Tafillelt, erra de zaouia en zaouia et après avoir parcouru tout l'Ouest marocain, pénétra en Algérie et vint s'installer à Oran n'ayant d'autres moyens d'existence que la charité publique. Très lettré et dévot, son sort misérable intéressa bientôt notre cafetier qui lui donna l'hospitalité durant son séjour à Oran. Évidemment, le brave Soussi était loin de supposer qu'il hébergeait et abritait sous son toit un parent de Moulay Abd-Laziz sultan actuel, un chérif, un descendant de Moulay Idriss. Aussi, sa surprise fut grande lorsque plus tard il apprit que son hôte de passage, s'était déclaré prétendant au trône impérial. Le pauvre fqir Derquaoui qu'était Moulay Mohammed ne voulut pas passer pour un ingrat. Se souvenant de celui qui l'avait si généreusement traité durant son séjour à Oran, il adressa une lettre au cafetier tant pour le remercier de son hospitalité que pour l'engager à le rejoindre à Taza. Le Soussi, quoique touché de cette marque de gratitude, préféra rester ce qu'il avait toujours été. La vie calme et régulière qu'il mène au Village-Nègre depuis des années, la prospérité de son petit établissement et la sécurité lui ont paru très appréciables à côté de la vie agitée et aventureuse qu'il lui aurait été obligé de mener en s'attachant à la personne du Prétendant. Très flatté de l'invitation, l'intelligent Soussi se contenta d'aller rendre visite au Prétendant; celui-ci reçut très affablement le petit cafetier qui déclina adroitement l'offre qui lui était faite. Les relations entre eux ne restèrent pas moins intimes.

Ne pouvant pas profiter des propositions qui m'étaient faites pour me rendre directement dans la région de Taza, je lui demandai une lettre de recommandation qui en cas de besoin aurait pu me servir d'introduction et de protection auprès du Prétendant.

Le 5 novembre à 8 heures du matin, M. de Segonzac accompagné de M. de Flotte arrivent à Oran par le «Tell», bateau de la Compagnie Touache qui fait le service de la côte occidentale de la Méditerranée. Le collègue et coreligionnaire Zénagui avec qui j'avais fait connaissance depuis la veille fit les présentations.

Installés sur la terrasse d'un des cafés du Boulevard Séguin, nous causons très familièrement de nos projets et de nos espoirs. Des cinq membres de la Mission, M. Gentil seul manquait. Ne connaissant pas encore la cause de cette absence, j'en fus un moment inquiet. A ma question M. de Segonzac me rassure en m'apprenant que M. Gentil est déjà au Maroc depuis un mois et qu'à Tanger il viendra se joindre à nous. Heureux de revoir mon ami Gentil, je fais part au Chef de mes craintes que le Ramdhan, qui va avoir lieu sous peu, ne nous fasse pas perdre du temps. Tout en regrettant d'être mal renseigné sur l'époque à laquelle aura lieu le Ramdhan, M. de Segonzac me répond que ce qui importe le plus c'est d'arriver au Maroc et qu'une fois sur les lieux, il avisera de façon à perdre le moins de temps possible. «D'ailleurs, me dit-il, l'organisation matérielle de notre caravane nous demandera à elle seule bien des jours». Un autre point. Connaissant les tracasseries des lois de l'Indigénat, je priai M. de Segonzac de nous faire délivrer à Zénagui et à moi, des passeports par la préfecture d'Oran; ce qui fut fait sans difficulté. A onze heures, je quittai mes compagnons pour rejoindre des amis chez qui j'étais descendu et qui tenaient à m'avoir chez eux et avec eux jusqu'au dernier moment.

Pour être libres les uns et les autres, le rendez-vous est fixé à ce soir à bord du bateau «Le Tell » où nos couchettes sont retenues. N'ayant donc plus rien à faire que d'attendre le départ du bateau, je prends congé de mes compagnons pour aller retrouver mes amis qui m'attendent à déjeuner.

Je cours les retrouver et passe toute l'après-midi et une partie de la soirée avec eux. La mission est évidemment le seul sujet de nos conversations. Préoccupés par les mille dangers auxquels nous seront exposés dans ces pays inconnus et sur lesquels se sont formées toutes sortes de légendes, mes braves amis ne cessent de me faire des recommandations. A dix heures du soir, je m'embarque et prends possession de la couchette qui m'est destinée; quelque temps après MM. de Segonzac, de Flotte et Zénagui me rejoignent à bord. L'heure du départ approchant j'embrasse les amis et les remercie des mille souhaits qu'ils formulent pour moi et pour la réussite de toute la Mission. Pour les tranquilliser je leur promis de leur donner de mes nouvelles toutes les fois qu'il me serait possible de le faire, car sans rien connaître encore du Maroc, je prévoyais que la communication avec eux, du Blad Essiba, sera peut-être un peu difficile ou tout au moins très lente. Dans tous les cas je les priai de ne pas trop s'inquiéter si plus tard il arrivait un moment où mes lettres deviendraient rares.

Il est onze heures du soir quand notre bateau traverse la passe du port et, obliquant à gauche, il prend la direction de l'Ouest. La nuit est calme, la mer est belle. Une demi-heure après chacun gagne sa couchette pour prendre un peu de repos.

Dimanche 6 novembre

Je dormais d'un profond sommeil lorsque le bruit du treuil mis en mouvement me réveille. Le bateau est presque arrêté. Je me lève et tire ma montre : 5 heures et demi. Voyant qu'il est encore de trop bonne heure et que nous sommes devant Beni-Saf où nous faisons relâche, je me recouche jusqu'à 7 heures. Le petit déjeuner pris, nous montons sur le pont. Comme aucun de nous n'a manifesté le désir de descendre à terre, M. de Segonzac nous propose de visiter certaines de ses cantines sur lesquelles il a quelques inquiétudes à cause des instruments qu'elles renferment. La traversée de Marseille à Oran ayant été un peu agitée il est à craindre qu'il n'y ait des dégâts dans les dites cantines. Celles-ci ouvertes, nous remarquons avec plaisir que tous les instruments qu'elles renferment sont en parfait état. Parmi les nombreux colis que M. de Segonzac a emportés avec lui pour les besoins de la Mission, se trouve une boîte renfermant un gramophone avec une douzaine de disques, le tout offert par les magasins du Louvre. Or cette petite boîte seule, par un hasard malencontreux, a un peu souffert, quelques disques d'airs orientaux ont été cassés; le pivot du gramophone qui fait mouvoir les disques, lorsque l'appareil fonctionne est un peu faussé. Mais notre désappointement manifesté par le cri général «quel dommage ! » se dissipe bientôt. Le commandant du Tell fait appeler son mécanicien-chef qui s'empare de l'appareil et le démonte en partie. La tige du pivot soumise à la pression de l'étau fut bientôt redressée. Remis sur son axe le pivot qui supporte la plaque métallique tourne perpendiculairement et empêche le moindre frottement de la plaque sur les parois du plan horizontal de la boîte. Pour montrer que la réparation a été parfaite, M. de Segonzac nous fait entendre quelques airs qui sont rendus assez nettement : une marche égyptienne de t'ebel et de r'ita est particulièrement parfaite. Nous voilà donc rassurés; dans nos moments d'ennui, de spleen, le gramophone sera une belle et agréable distraction, tant en mer qu'en Blad-Essiba.

Il est midi et demi quand le bateau lève l'ancre et reprend la direction de l'ouest vers Nemours que nous atteignons à 3 heures de l'après-midi. Depuis Beni-Saf, la côte devient de plus en plus monotone tant par son aridité que par le manque d'abri qu'on y remarque. Les coteaux qui dominent sont nus ou couverts de broussailles (lentisques ou cistes). Rachgoun que nous avons aperçu sur notre droite en partant de Beni-Saf n'est intéressant que par son phare. Vers les 2 heures on m'a montré du bord, avant d'arriver à l'embouchure de la Tafna, les ruines de Hou- naïen où se trouvent paraît-il quelques gisements de minerais de fer et de cuivre; on y rencontre également des carrières de marbre; le tout semble être à l'état d'exploitation; au fond de la petite baie de Hounaïen, on aperçoit en effet un petit vapeur qu'on croit être là pour prendre sa cargaison de minerai qu'il doit transporter en Angleterre.

Après avoir doublé le cap Setti formé de hautes falaises, nous relâchons devant Nemours, village situé à l'embouchure de l'Oued. A notre arrivée quelques embarcations furent aussitôt mises à l'eau pour assurer tout d'abord le service des passagers qui voudraient débarquer. Comme nous ne devons partir que fort tard dans la soirée nous avisons aux moyens de «tuer le temps». Pendant que M. de Segonzac et le second du Tell M. Roquette se dirigent en barque vers le cap Setti pour chasser le ramier qui vit en bandes sur les rochers escarpés qui surplombent la mer, M. Flotte, Zénagui et moi prenons une barque et allons débarquer aux quais de la ville (?) de Nemours! Quais de la ville! c'est là une façon de parler de beaucoup de municipalités algériennes dont la plupart sont atteintes de la monomanie des grandeurs. Nemours n'est qu'un simple poste militaire de frontière, autour duquel sont venus se grouper quelques colons et un certain nombre de commerçants juifs ou espagnols. En entrant dans le village que l'on voit à peine de la mer par suite des sables amoncelés sur la plage qui compose le port, on a l'impression, avec ses allées droites et plantées de platanes, de se trouver dans une cité qui a cru un moment à sa prospérité, à son avenir florissant. L'état délabré de beaucoup de constructions presque abandonnées, le regard étonné des habitants qui vous dévisagent sottement lorsque vous parcourez une rue quelconque, comme s'ils attendaient le messie devant venir apporter un peu de soulagement à leurs misères, ou procurer un peu de divertissement à leur vie monotone, à leur oisiveté amère, tout cela montre que Nemours se meurt; que tous les projets formés sur son avenir s'écroulent d'eux-mêmes. Ce fait n'est malheureusement pas particulier à Nemours. Il se retrouve dans beaucoup de centres de colonisation créés trop précipitamment. Nemours végétera encore quelques temps grâce à sa proximité avec la frontière, mais le jour où cette frontière reculera de quelques lieues vers l'ouest, Nemours disparaîtra; ne pouvant même pas faire un petit village de pêcheurs, car sa large baie trop ouverte exposée à tous les vents ne présente aucun abri ni refuge en cas de mauvais temps. Le projet d'une jetée qui coûterait quelques milliers de francs ne donnerait aucun résultat; la baie manque de profondeur et le futur abri ou refuge projeté sera d'ailleurs vite hors d'usage par suite des quantités de sable qu'y déverse chaque hiver l'Oued. Actuellement il n'y a pas d'endroit qui puisse permettre d'embarquer ou de débarquer des marchandises à pied sec. Comme dans tous les ports marocains, pour charger ou décharger une barcasse, des hommes de peine sont obligés d'aller dans l'eau jusqu'à la ceinture. Par suite du peu de sécurité qu'offre la baie, la barcasse débarrassée de sa marchandise est aussitôt retirée de la mer et traînée sur la plage loin des vagues. Tel est le «port de la ville de Nemours» qui n'a en fait de trafic, que l'arrivée et le départ des milliers de marocains qui viennent chaque année faire les moissons en Algérie. Le jour où un point de débarquement ou d'embarquement plus propice sera installé vers l'Ouest, à l'embouchure de la Melouya par exemple, Nemours aura vécu, Nemours s'éteindra étouffé par ses ruines et par son manque d'activité.

Après avoir serré la main à mon ami Vaudel, ancien camarade de classe que j'ai eu le plaisir de rencontrer là, exerçant la fonction de commissaire de police, je remonte à bord avec mes compagnons de Flotte et Zénagui. Il commence à faire nuit et nos chasseurs ne sont pas encore de retour....



à suivre

http://www.marocainsdalgerie.net

admin"SNP1975"

admin
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Il est 6 heures et demie quand tout d'un coup j'entends la voix du lieutenant Rou- quette donnant des ordres pour hisser la barque qui leur a servi â faire la course. Du gibier, il n'y en a point. Plaisantant M. Rouquette, je lui fais remarquer qu'il n'est pas digne d'être du pays de Tartarin. «Té, est-ce de notre faute si ces cochons de ramiers n'ont pas voulu aujourd'hui se laisser tirer? alors que l'autre fois j'en ai abattu six d'un seul coup de fusil!» Sur ce, il s'éloigne et va déposer son fusil dans sa cabine. Cette malchance l'a rendu de mauvaise humeur toute la soirée. Il peste contre tout le monde, les hommes de service â bord du Tell sont fortement houspillés, les Arabes qui embarquent quelques marchandises, rudoyés. Mais connu de tout ce monde pour être la bonté elle-même, on le laisse dire, crier, injurier même, sans songer à lui faire la moindre réplique. C'est qu'en effet le lieutenant Rouquette est malgré cette rudesse, qui n'est d'ailleurs qu'extérieure, le meilleur des hommes qu'on puisse rencontrer; doué d'une parfaite santé et d'un excellent caractère, un peu vif parfois mais au fond très bon, M. Rouquette est d'un commerce des plus agréables. Par ses gauloiseries marseillaises il nous fera pleurer de rire plus d'une fois. Ainsi ce soir pour lui faire oublier cette partie de chasse, M. de Segonzac l'a invité avec le capitaine Lakanal à prendre le thé avec nous. Quelques verres de champagne accompagnés particulièrement par certains airs d'opéra débités par le gramophone suffiront pour remettre tout le monde en gaieté. L'habile mécanicien qui avait réparé notre appareil fut également invité ainsi que le second à venir trinquer avec nous. Au champagne, le Commandant se lève et prend la parole tant en son nom qu'au nom de ses officiers pour nous souhaiter une bonne santé, chose si utile surtout pour nous qui allons dans des pays retirés, lointains, pour l'amour et la grandeur de la Patrie, pour le bien de la civilisation et de la science, nous exposer non seulement à des maladies, au fanatisme des Marocains, mais aux mille dangers de toutes sortes qu'encourt toujours l'explorateur qui est appelé à vivre dans un pays inconnu et au milieu de gens inconnus et barbares. Il termine en nous adressant ses plus sincères félicitations pour notre courage et en faisant les vœux les plus complets pour la réussite de la Mission. Après ces paroles si touchantes du Commandant, notre chef, M. de Segonzac se lève à son tour pour remercier le commandant, d'abord de l'accueil si cordial qui nous est réservé à bord du Tell, puis des paroles si encourageantes qu'il a bien voulu formuler pour nous et pour la réussite de notre Mission. Ayant satisfait aux usages qui veulent qu'on ne peut, en société, toucher au «Champagne» sans qu'on ait à débiter ou à entendre un speech quelconque, nous nous séparons et gagnons nos cabines respectives. A minuit le bateau lève l'ancre pour se diriger vers Mellila que nous atteignons à 6 heures du matin.

Lundi 7 novembre

La mer étant toujours calme, le Tell après quelques coups de sonde jette l'ancre en s'appro- chant de la côte le plus qu'il pût pour faciliter le débarquement des quelques tonnes de marchandises destinées à Mellila. Ces marchandises consistent particulièrement en sucre et en cotonnade que les commerçants juifs ou espagnols revendent aux Rifains. Étant ici pour toute la journée, il est convenu que nous descendrons à terre dans l'après-midi. La matinée passée à bord est employée à des causeries intéressant le pays; M. de Segonzac nous retrace les circonstances à la suite desquelles il fut amené à Mellila il y a quelques années dans son exploration du Rif. D'après lui, les Rifains ne peuvent descendre que des tribus barbares qui au VIe siècle avant J.C. ont envahi le midi de la France et l'Espagne. Les yeux bleux de certains Rifains font même penser au sang germain coulant dans les veines de ces indomptables montagnards. Il y a là une hypothèse un peu hasardée, comme le sont d'ailleurs toutes celles qu'on peut formuler au sujet de la formation des races ou plutôt des différents éléments composant une race. Qu'il y ait eu en des temps très reculés et que l'histoire arrive à peine à préciser des Germains, des Gaulois ou des Ostrogoths qui, poussés par le besoin ou l'intérêt, le détroit de Gibraltar traversé, se soient répandus dans le Tell marocain pour vivre de la vie indigène en s'assimilant aux habitants, la chose est possible et très vraisemblable. Mais de là, arriver à une généralisation qui ferait descendre tous les Rifains d'une race germanique serait une conclusion qui n'aurait aucune base et que ni l'histoire ni les ethnographes n'admettraient. Les Rifains ne sont pas plus d'origine germanique ou celtique que leurs frères les Kabyles du Jurjura ou de 1' Aurès chez qui le type blond abonde. Les connaissances historiques et ethnographiques sur l'Afrique du Nord, connaissances qui deviennent de plus en plus précises, ne nous permettent plus aujourd'hui d'admettre les hypothèses émises sur l'origine des blonds en Afrique. D'ailleurs bien antérieurement aux Invasions des Barbares (Vandales) et autres, le célèbre navigateur phénicien Hanon signale dans ses «relations de voyages» tant sur les côtes de la Méditerranée que sur celles de l'Atlantique l'existence de types blonds. La conclusion est que la race autochtone appelée généralement la race berbère a eu de tous les temps des bruns, des blonds. Vu les innombrables invasions qui se sont déchaînées sur cette Afrique du Nord, il n'y a pas de doute qu'un sang étranger se soit mêlé au sang indigène. Pour toute preuve c'est, sans parler des Touareg, le nombre considérable de berbères noirs rencontrés dans les régions les plus retirées de l'Atlas. Mais il y a un fait certain, c'est que malgré ces mélanges de sang, malgré ces croisements volontaires ou imposés, malgré l'influence des civilisations les plus avancées, le Berbère de nos jours est à peu de chose près le même que celui dont les historiens anciens ou modernes nous ont laissé le portrait. Blanc ou noir, brun ou blond, Kabyle ou Rifain, Chleuh ou Chaoui, il est ce qu'il était hier; le Berbère s'est conservé non seulement dans ses traits physiologiques qui le caractérisent mais aussi et surtout dans ses moeurs, dans ses traditions plus antiques et dans sa langue maternelle.

C'est une chose vraiment remarquable et à laquelle on ne peut penser sans éprouver le plus grand étonnement que de voir le Berbère conserver encore sa langue primitive quoiqu'elle n'ait jamais eu de littérature, celle-ci n'étant pas une langue écrite. Trois langues, le grec, le latin et l'arabe (littéraire) qui ont successivement, à des époques données, remplacé même dans cette Afrique du Nord le langage «incompréhensible» des Berbères, ces trois langues qui ont été si riches, qui ont chacune une littérature des plus florissantes, sont devenues des langues mortes — alors que la langue des Berbères est encore une langue vivante, une langue qui se parle depuis la côte de la Méditerranée jusqu'aux bords du Niger et depuis le Nil jusqu'à l'Atlantique. L'axiome kabyle qui dit : «tout ce qui naît et qui se développe meurt» semble s'être appliqué aux différentes civilisations qui se sont succédé dans cette Afrique du Nord; si la langue berbère a résisté, si elle s'est conservée jusqu'à nos jours c'est parce que la seconde partie de cet axiome ne lui est pas applicable car il faut avouer que n'étant pas une langue écrite, elle ne s'est jamais développée; ce manque de culture lui a permis de vivre longtemps et même de vieillir sans mourir. Si parfois elle se trouvait écartée du monde officiel, des discussions philosophiques ou littéraires, si dans la vie extérieure elle était souvent remplacée par le latin ou l'arabe, dans l'intimité elle reprenait vite sa place auprès de ses fils savants ou poètes, philosophes ou théologiens, grammairiens ou simplement lettrés. Malgré la grande facilité avec laquelle le Berbère s'assimile les choses du dehors, sa ténacité à vouloir conserver outre sa langue primitive, ses traditions et ses mœurs, fait que nous sommes obligés de reconnaître grâce à l'histoire que le berbère de nos jours ne diffère guère dans ses principaux caractères, de celui d'il y a mille ans.

Pour terminer cette longue tirade, je priai mes auditeurs de m'expliquer l'existence et l'origine des bruns non seulement du midi de la France, mais de toute l'Espagne et d'une grande partie de l'Italie en leur rappelant que toute cette partie de l'Europe fut depuis Annibal connue des Africains, qui traversant les Pyrénées et les Alpes allèrent porter la terreur dans Rome ! Quand on pense aux flots humains jetés sur l'Europe méridionale depuis Tariq' jusqu'aux princes almo- rawides venus du Sud de l'Oued Dra (Saguia Lh'amra) pour régner sur l'Espagne et sur la Méditerranée avec les Baléares, la Corse et la Sardaigne comme points de ralliements, on se demande si, malgré tous ces bouleversements, malgré les nombreuses invasions qui se sont produites et dans tous les sens de cette partie de l'Afrique du sud au nord, de l'est à l'ouest, on se demande, dis-je si malgré ces immigrations forcées ou volontaires, il est réellement permis d'épiloguer sur l'origine des races qui occupent actuellement les bords de la Méditerranée! Les églises seules ont voulu par la religion faire des castes et cultiver, pour mieux régner, la haine dans le cœur des enfants d'une même famille — l'Humanité. Ce sont ces sentiments sur lesquels je revenais souvent durant nos causeries qui me valurent plus tard le titre «d'anticlérical» que mon compagnon et coreligionnaire Zénagui avait bien voulu m'attribuer. La formidable exclamation accompagnée de gestes démesurés pour annoncer sa découverte, me fit voir qu'il ne comprenait rien de ce que nous disions. A midi le capitaine Rouquette nous fait dire que la barque qui doit nous descendre à terre nous attend. Ayant fini de déguster notre café, nous nous levons, les uns munis d'appareils photographiques, les autres d'une simple canne. Le but de notre descente est de tenter d'obtenir du représentant du Prétendant l'autorisation d'aller visiter le lac de Bou-A'reg qui est à 5 kilomètres à l'est du poste espagnol; pour nous faire conduire, l'agent espagnol de la Compagnie Paquet nous adjoint un Rifain qui doit nous servir de zettat et d'introducteur auprès de l'«Oukil» du Prétendant. Aux portes de Mellila presque sur la partie est de la plage sont deux camps; en territoire espagnol sous la protection des blockhaus en maçonnerie sous forme de tours, est le camp des réfiigiés rifains et de quelques soldats du Sultan, tandis qu'en face, à quelques centaines de mètres de là se trouve celui des troupes du Prétendant qui

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