SCANDALE. La tante indigne
L’agression d’une avocate par une tante de Mohammed VI, devant des policiers paralysés, a fait exploser la colère des habitants de Khénifra.
TelQuel a mené l’enquête… et a levé bien des lièvres sur les abus de pouvoir collectionnés par Hafsa Amahzoune.
“Hafsa, dehors ! Khénifra ne t’appartient pas !” Près du marché central, en plein centre de cette petite ville du Moyen-Atlas, une foule d’environ 4000 personnes – femmes et hommes, jeunes et moins jeunes – a scandé ce type de slogans pendant une heure et demie. L’ambiance est électrique en ce samedi 19 avril. De nombreux habitants de villages satellites sont même descendus dans la bourgade, à l’appel de l’Association marocaine des droits humains (AMDH), pour dénoncer les “agissements” de Hafsa Amahzoune, une des demi-sœurs de Lalla Latifa, la mère du roi Mohammed VI. Parmi les manifestants, de nombreux plaignants qui attendent l’issue d’un procès contre elle ou certains membres de sa famille. Comme ces habitants d’Aguelmous qui accusent le fils de Hafsa d’une vaste affaire d’escroquerie. Les deux barrages que la police a dressés pour l’occasion sur la route d’Aguelmous - qui n’est autre que le “fief” du clan Amahzoune – ne les ont pas empêchés de venir brandir une banderole de leur cru. Un peu en retrait des manifestants, près de vieilles dames tatouées qui guettent l’improbable touriste qui achètera un tapis de laine coloré, des badauds n’hésitent pas à y aller de leur commentaire. Il semble que Hafsa – de l’avis de tous, la “chef” du clan Amahzoune - soit la personne la plus détestée de la région. Presque tout le monde connaît cette dame frisant la cinquantaine, auto-proclamée “princesse”, qui se déplace exclusivement en voiture, toujours coiffée d’un foulard, son corps imposant camouflé par une jellaba.
Au moment où Mustapha Addari, président de la section locale de l’AMDH, fustige au micro “cette mafia qui terrorise la région”, plusieurs manifestants brandissent des photos du visage tailladé et ensanglanté de Fatima Sabiri, l’avocate qui a été agressée par Hafsa Amahzoune, quelques jours auparavant. “Cette fois, la princesse est allée trop loin, commente un groupe de lycéens, filles et garçons. C’est pour ça que tout le monde est venu”.
Rodéo devant le poste de police
Avant tout, ce qui scandalise la région, c’est que l’agression a commencé juste devant le poste de police, et s’est poursuivie à l’intérieur. Le motif de l’altercation soulève aussi l’indignation, car c’est le même qu’on retrouve derrière de nombreux contentieux entre la population de Khénifra et des membres de la famille Amahzoune. “Quand ils veulent quelque chose, ils le prennent, tout simplement”, résume une dame qui habite dans leur voisinage. Cette fois-ci, ce que voulait Hafsa - en ces jours difficiles de grève des transports - c’était de l’essence pour sa station-service, située sur la route de Meknès. De nombreux témoignages concordants permettent de reconstituer les événements de la soirée du mardi 14 avril. Ce jour-là, un camion-essence doit livrer du carburant à la station-service appartenant au mari de Fatima Sabiri, un homme d’affaires nommé Abdelghani Labbak. La tante du roi, accompagnée de plusieurs de ses hommes de main, n’hésite pas à arrêter le camion et à exiger du chauffeur qu’il vienne remplir les réservoirs de sa propre station. Celui-ci refuse et fonce vers sa destination, pris en chasse par plusieurs véhicules. Arrivé à la station de Labbak, le chauffeur, menacé par les hommes de Hafsa, prend la fuite à pied. Le propriétaire entreprend de défendre sa livraison de carburant, mais une bagarre éclate entre ses employés et ceux de Hafsa.
Abdelghani Labbak appelle alors sa femme, avec l’idée qu’en tant qu’avocate, elle saurait faire entendre raison à Hafsa. Mal lui en prend… “J’ai défendu ces dernières années plusieurs victimes d’escroquerie, qui ont gagné leurs procès contre Hafsa, nous explique la juriste, dans la chambre d’hôpital où elle se remet de ses nombreuses blessures. Elle me considère donc comme son ennemie personnelle”. En effet, à peine arrivée, Fatima Sabiri est violemment prise à parti par la tante du roi. Au bout d’un moment, son mari lui conseille de rentrer chez elle, accompagnée de deux amis. “Mais Hafsa et ses filles nous ont pris en chasse, toujours avec leurs sbires, raconte l’avocate. Nous étions poursuivis par trois pick-up bourrés d’hommes armés, et nous avons décidé d’aller demander protection au commissariat”. Après une course effrénée, l’avocate et ses amis parviennent à se garer dans une ruelle où se trouvent, d’un côté, le poste de police, et de l’autre côté, à quelques dizaines de mètres, celui de la gendarmerie. Mais aucun policier ne réagit aux coups de klaxon et de sonnette. “Alors, la bande nous a rattrapés, se souvient Fatima Sabiri, les larmes aux yeux. Hafsa, aidée par ses filles, m’a arraché les cheveux par poignées et étranglée par derrière avec mon foulard. Elle a hurlé : “Voilà l’avocate qui s’oppose à la princesse Hafsa ! Je vais te faire retirer ta nationalité !”. A un moment donné, elle a sorti un couteau et m’a tailladé le visage plusieurs fois. On m’a aussi rouée de coups. J’ai perdu connaissance et me suis réveillée à la clinique”.
La suite, ce sont ses amis qui la lui ont racontée. Les agents de police, qui se sont enfin manifestés, la ramène, évanouie, à l’intérieur du poste de la police, “pour la protéger”. Par contre, les agents n’empêchent pas Hafsa de briser une vitre, ni d’entrer dans le poste de police en menaçant d’achever sa victime. Depuis, la vitre a été réparée… mais aucun procès-verbal n’a été rédigé. Le mari de Fatima Sabiri a tout de même déposé une plainte auprès du procureur du roi et des policiers sont allés interroger Hafsa Amahzoune, admise à l’hôpital militaire de Meknès. Elle est toujours alitée dans une chambre (étonnamment spartiate) de cet établissement réputé. Avec sa voix rude et autoritaire, dans un dialecte teinté de berbère, la matriarche nous a livré sa version de l’histoire. Selon elle, une partie du carburant du camion lui était destinée. Elle reconnaît avoir poursuivi l’avocate en voiture, mais affirme être la victime, et non la coupable, de l’agression : “J’ai reçu un coup à la tête et me suis évanouie”. Nous ne verrons pourtant aucune cicatrice… “Je ne peux pas la montrer, car je ne dois pas bouger la tête”, nous explique-t-elle. Hafsa a même une explication pour les blessures au visage de Fatima Sabiri : “C’est en brisant la vitre du commissariat que cette avocate s’est coupée au visage”. Quant au sit-in organisé pour protester contre ses actes, elle nous a tout bonnement déclaré que “ces gens ont été payés pour manifester”. ...
L’agression d’une avocate par une tante de Mohammed VI, devant des policiers paralysés, a fait exploser la colère des habitants de Khénifra.
TelQuel a mené l’enquête… et a levé bien des lièvres sur les abus de pouvoir collectionnés par Hafsa Amahzoune.
“Hafsa, dehors ! Khénifra ne t’appartient pas !” Près du marché central, en plein centre de cette petite ville du Moyen-Atlas, une foule d’environ 4000 personnes – femmes et hommes, jeunes et moins jeunes – a scandé ce type de slogans pendant une heure et demie. L’ambiance est électrique en ce samedi 19 avril. De nombreux habitants de villages satellites sont même descendus dans la bourgade, à l’appel de l’Association marocaine des droits humains (AMDH), pour dénoncer les “agissements” de Hafsa Amahzoune, une des demi-sœurs de Lalla Latifa, la mère du roi Mohammed VI. Parmi les manifestants, de nombreux plaignants qui attendent l’issue d’un procès contre elle ou certains membres de sa famille. Comme ces habitants d’Aguelmous qui accusent le fils de Hafsa d’une vaste affaire d’escroquerie. Les deux barrages que la police a dressés pour l’occasion sur la route d’Aguelmous - qui n’est autre que le “fief” du clan Amahzoune – ne les ont pas empêchés de venir brandir une banderole de leur cru. Un peu en retrait des manifestants, près de vieilles dames tatouées qui guettent l’improbable touriste qui achètera un tapis de laine coloré, des badauds n’hésitent pas à y aller de leur commentaire. Il semble que Hafsa – de l’avis de tous, la “chef” du clan Amahzoune - soit la personne la plus détestée de la région. Presque tout le monde connaît cette dame frisant la cinquantaine, auto-proclamée “princesse”, qui se déplace exclusivement en voiture, toujours coiffée d’un foulard, son corps imposant camouflé par une jellaba.
Au moment où Mustapha Addari, président de la section locale de l’AMDH, fustige au micro “cette mafia qui terrorise la région”, plusieurs manifestants brandissent des photos du visage tailladé et ensanglanté de Fatima Sabiri, l’avocate qui a été agressée par Hafsa Amahzoune, quelques jours auparavant. “Cette fois, la princesse est allée trop loin, commente un groupe de lycéens, filles et garçons. C’est pour ça que tout le monde est venu”.
Rodéo devant le poste de police
Avant tout, ce qui scandalise la région, c’est que l’agression a commencé juste devant le poste de police, et s’est poursuivie à l’intérieur. Le motif de l’altercation soulève aussi l’indignation, car c’est le même qu’on retrouve derrière de nombreux contentieux entre la population de Khénifra et des membres de la famille Amahzoune. “Quand ils veulent quelque chose, ils le prennent, tout simplement”, résume une dame qui habite dans leur voisinage. Cette fois-ci, ce que voulait Hafsa - en ces jours difficiles de grève des transports - c’était de l’essence pour sa station-service, située sur la route de Meknès. De nombreux témoignages concordants permettent de reconstituer les événements de la soirée du mardi 14 avril. Ce jour-là, un camion-essence doit livrer du carburant à la station-service appartenant au mari de Fatima Sabiri, un homme d’affaires nommé Abdelghani Labbak. La tante du roi, accompagnée de plusieurs de ses hommes de main, n’hésite pas à arrêter le camion et à exiger du chauffeur qu’il vienne remplir les réservoirs de sa propre station. Celui-ci refuse et fonce vers sa destination, pris en chasse par plusieurs véhicules. Arrivé à la station de Labbak, le chauffeur, menacé par les hommes de Hafsa, prend la fuite à pied. Le propriétaire entreprend de défendre sa livraison de carburant, mais une bagarre éclate entre ses employés et ceux de Hafsa.
Abdelghani Labbak appelle alors sa femme, avec l’idée qu’en tant qu’avocate, elle saurait faire entendre raison à Hafsa. Mal lui en prend… “J’ai défendu ces dernières années plusieurs victimes d’escroquerie, qui ont gagné leurs procès contre Hafsa, nous explique la juriste, dans la chambre d’hôpital où elle se remet de ses nombreuses blessures. Elle me considère donc comme son ennemie personnelle”. En effet, à peine arrivée, Fatima Sabiri est violemment prise à parti par la tante du roi. Au bout d’un moment, son mari lui conseille de rentrer chez elle, accompagnée de deux amis. “Mais Hafsa et ses filles nous ont pris en chasse, toujours avec leurs sbires, raconte l’avocate. Nous étions poursuivis par trois pick-up bourrés d’hommes armés, et nous avons décidé d’aller demander protection au commissariat”. Après une course effrénée, l’avocate et ses amis parviennent à se garer dans une ruelle où se trouvent, d’un côté, le poste de police, et de l’autre côté, à quelques dizaines de mètres, celui de la gendarmerie. Mais aucun policier ne réagit aux coups de klaxon et de sonnette. “Alors, la bande nous a rattrapés, se souvient Fatima Sabiri, les larmes aux yeux. Hafsa, aidée par ses filles, m’a arraché les cheveux par poignées et étranglée par derrière avec mon foulard. Elle a hurlé : “Voilà l’avocate qui s’oppose à la princesse Hafsa ! Je vais te faire retirer ta nationalité !”. A un moment donné, elle a sorti un couteau et m’a tailladé le visage plusieurs fois. On m’a aussi rouée de coups. J’ai perdu connaissance et me suis réveillée à la clinique”.
La suite, ce sont ses amis qui la lui ont racontée. Les agents de police, qui se sont enfin manifestés, la ramène, évanouie, à l’intérieur du poste de la police, “pour la protéger”. Par contre, les agents n’empêchent pas Hafsa de briser une vitre, ni d’entrer dans le poste de police en menaçant d’achever sa victime. Depuis, la vitre a été réparée… mais aucun procès-verbal n’a été rédigé. Le mari de Fatima Sabiri a tout de même déposé une plainte auprès du procureur du roi et des policiers sont allés interroger Hafsa Amahzoune, admise à l’hôpital militaire de Meknès. Elle est toujours alitée dans une chambre (étonnamment spartiate) de cet établissement réputé. Avec sa voix rude et autoritaire, dans un dialecte teinté de berbère, la matriarche nous a livré sa version de l’histoire. Selon elle, une partie du carburant du camion lui était destinée. Elle reconnaît avoir poursuivi l’avocate en voiture, mais affirme être la victime, et non la coupable, de l’agression : “J’ai reçu un coup à la tête et me suis évanouie”. Nous ne verrons pourtant aucune cicatrice… “Je ne peux pas la montrer, car je ne dois pas bouger la tête”, nous explique-t-elle. Hafsa a même une explication pour les blessures au visage de Fatima Sabiri : “C’est en brisant la vitre du commissariat que cette avocate s’est coupée au visage”. Quant au sit-in organisé pour protester contre ses actes, elle nous a tout bonnement déclaré que “ces gens ont été payés pour manifester”. ...