CHEB KADER
On le cherche toujours.
Déraciné de son Oran natal à l’âge de huit ans, suite aux retombées de la guerre du Polisario, Kader débarque avec sa famille dans la frileuse Mulhouse pour rejoindre son père maçon qui travaille déjà dans l’Est de la France. Dès qu’il retrouve son foyer, ce spécialiste de musique traditionnelle qui excelle à la gaspa, cette flûte piccolo utilisée dans l’Orient égyptien et ses amis irradient le soleil du raï dans toute la maison. Kader va former son premier groupe Esoufara (en français, les Ambassadeurs) pour animer de nombreuses fêtes de familles et il a tout juste 11 printemps !
De la précocité artistique à la désillusion
Très vite, le jeune Kader prend toute la mesure de sa vocation. Car pour que son destin s’accomplisse, il sait qu’il doit quitter l’Alsace. Heureusement, une tante accueille le garçon dans la capitale. À Paris, il s’entoure de Marocains pour pratiquer un style gnawa traditionnel avec le hajouj, la basse, le banjo, le oud et les bendirs. S’il remporte toujours le même succès dans les mariages, Kader brûle déjà de cette force créative qui le pousse en avant. Alors, pour embrasser la diversité des musiques qui l’inspirent, Marabet se métamorphose en Cheb Kader. Et l’histoire s’accélère. Il publie sa première cassette pour le marché maghrébin et signe en 1988 avec le producteur Michel Lévy sur le label Blue Silver.
Dès son premier tube Sel Dem Draï, Marabet Kouider, alias Cheb Kader, électrise l'Orient au son du reggae et du funk. «Cette année-là, se souvient le chanteur, j’ai fait mon premier véritable album moderne. Les musiciens étaient comme moi, d’origine maghrébine mais ils partageaient aussi une culture occidentale très développée. Notre cocktail musical a remporté un franc succès. Cela a impressionné beaucoup de gens car on n’avait pas l’habitude d’entendre de la musique arabe interprétée de la sorte». Les puristes lui reprochent d’avoir dénaturé le raï, Kader avec toute l’arrogance de sa jeunesse leur réplique : «Si cela n’est pas du raï, cela le deviendra demain !». Avec de puissantes harmonies, des sonorités électriques et des instruments modernes comme les claviers et les synthétiseurs, Kader conjugue l’Orient au futur composé, enregistrant deux albums chez Blue Silver plus un troisième intitulé Best Of, mélange de sa première cassette et des deux 33 tours.
Contemporain de Khaled et de Mami, la France va s'éprendre très vite de ce juvénile "réformateur" du raï. Ce Cheb dont la popularité ne cesse de croître, donne concert sur concert aux quatre coins de la planète : «Je ne me préoccupais que de ma musique, j’étais heureux raconte aujourd’hui Kader, mais à un moment donné, je n’ai plus été d’accord. On me faisait faire des choses qui ne me plaisaient pas et j’ai finis par dire non. Ce non a forcément déplu et je me suis retrouvé coincé par un contrat que je ne parvenais plus à casser. Cette longue procédure contre mon ancien label m’a coupé d’un coup du public et des médias. J’en suis ressorti vidé, fatigué, toujours aussi amoureux de la musique mais trahi par le showbiz».
Un nouvel album plus personnel
La traversée du désert dure dix ans, mais avec Mani l’oasis ombragée surgit enfin à l’horizon pour ce Cheb oublié. Le nouvel album est enregistré au studio Polydor, à Paris, par Stéphane Mickael Blaess, un ex-musicien de Ghetto Blaster, qui s’est ensuite distingué avec Princess Erika. «On a fait douze titres différents qui ont chacun leur propre direction», explique Kader. «Le premier single c’est Majiti, l’histoire d’un garçon qui donne rendez-vous à une jeune fille qui ne vient jamais. Majiti signifie "tu n’es pas venue". C’est un rendez-vous manqué». Zerga (la brune), autre titre de l'album, inspiré par les rythmes des gnawa marocains avec ses percussions et sa basse très africaine, comme la plupart des chansons de Kader est totalement voué à l’amour. C’est l’histoire d’une ravissante brune qui est partie un jour. Comme elle a disparu, son amoureux décide de dépêcher un messager à sa recherche. En lui expliquant : «Tu vas la chercher. Elle a disparu, je ne la vois plus. Je n’ai pas les moyens de la retrouver. Toi qui est un messager, vas-y». Mais le messager ne revint plus jamais. Il a retrouvé la brune, mais elle est si belle qu’il disparaît lui même avec elle.
L’album tourne sur deux pôles principaux : l’arabo-andalou, avec guitare acoustique flamenco comme cette chanson El Meskin aux violons pincés et à la flamme déclarée, et à l’opposé, un Orient éternel dont les violons ont l’air tout droit sorti d’un film égyptien, comme cet H’Mami qui vibre dans la grande tradition des années quarante. Drames et tragédies, ruptures, départs y côtoient tous les thèmes de l’amour idéalisé. Kader transpose par ses rythmes et sa poésie tant de déchirements nés de l’immigration. Mchit signifie «tu es parti». Pulsée par les percussions, elle parle de tous ceux qui se sont entassés dans les bidonvilles de Nanterre et d’ailleurs au début des années 60, parce qu’on leur racontait que le monde occidental était un pays de Cocagne.
«A chaque fois que j’évoque quelque chose dans mes chansons, je l’ai vu de mes yeux, donc j’en parle» conclut Cheb Kader. «Que cela soit au niveau des textes ou au niveau musical. Quand j’aime quelque chose, forcément je m’en inspire. Ma vie est là, je ne fais jamais semblant. Même s’il ne s’est rien passé pour moi pendant dix ans, même si cela a été long de faire un travail comme celui-là, les idées ont mûri dans ma tête et je les ai menées à terme avec beaucoup de volonté. Cet album-là, c’est tout moi, c’est ce que je suis dans la vie et ce que j’aime écouter. Si j’ai utilisé un orchestre philharmonique pour accompagner ma musique, c’est pour réaliser un rêve de gamin. Car ma musique sait s’adapter à travers diverses cultures. Et prouver qu’aujourd’hui, on peut oser un raï moderne inspiré des rythmes sud-américains, ce que nous avons réalisé avec Sergent Garcia en expérimentant une salsa-raï sur Selou. Disons que j’ai voulu bousculer les choses et dire : voilà comment nous, les Beurs de France, percevons en 2002 le style oriental».
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On le cherche toujours.
Déraciné de son Oran natal à l’âge de huit ans, suite aux retombées de la guerre du Polisario, Kader débarque avec sa famille dans la frileuse Mulhouse pour rejoindre son père maçon qui travaille déjà dans l’Est de la France. Dès qu’il retrouve son foyer, ce spécialiste de musique traditionnelle qui excelle à la gaspa, cette flûte piccolo utilisée dans l’Orient égyptien et ses amis irradient le soleil du raï dans toute la maison. Kader va former son premier groupe Esoufara (en français, les Ambassadeurs) pour animer de nombreuses fêtes de familles et il a tout juste 11 printemps !
De la précocité artistique à la désillusion
Très vite, le jeune Kader prend toute la mesure de sa vocation. Car pour que son destin s’accomplisse, il sait qu’il doit quitter l’Alsace. Heureusement, une tante accueille le garçon dans la capitale. À Paris, il s’entoure de Marocains pour pratiquer un style gnawa traditionnel avec le hajouj, la basse, le banjo, le oud et les bendirs. S’il remporte toujours le même succès dans les mariages, Kader brûle déjà de cette force créative qui le pousse en avant. Alors, pour embrasser la diversité des musiques qui l’inspirent, Marabet se métamorphose en Cheb Kader. Et l’histoire s’accélère. Il publie sa première cassette pour le marché maghrébin et signe en 1988 avec le producteur Michel Lévy sur le label Blue Silver.
Dès son premier tube Sel Dem Draï, Marabet Kouider, alias Cheb Kader, électrise l'Orient au son du reggae et du funk. «Cette année-là, se souvient le chanteur, j’ai fait mon premier véritable album moderne. Les musiciens étaient comme moi, d’origine maghrébine mais ils partageaient aussi une culture occidentale très développée. Notre cocktail musical a remporté un franc succès. Cela a impressionné beaucoup de gens car on n’avait pas l’habitude d’entendre de la musique arabe interprétée de la sorte». Les puristes lui reprochent d’avoir dénaturé le raï, Kader avec toute l’arrogance de sa jeunesse leur réplique : «Si cela n’est pas du raï, cela le deviendra demain !». Avec de puissantes harmonies, des sonorités électriques et des instruments modernes comme les claviers et les synthétiseurs, Kader conjugue l’Orient au futur composé, enregistrant deux albums chez Blue Silver plus un troisième intitulé Best Of, mélange de sa première cassette et des deux 33 tours.
Contemporain de Khaled et de Mami, la France va s'éprendre très vite de ce juvénile "réformateur" du raï. Ce Cheb dont la popularité ne cesse de croître, donne concert sur concert aux quatre coins de la planète : «Je ne me préoccupais que de ma musique, j’étais heureux raconte aujourd’hui Kader, mais à un moment donné, je n’ai plus été d’accord. On me faisait faire des choses qui ne me plaisaient pas et j’ai finis par dire non. Ce non a forcément déplu et je me suis retrouvé coincé par un contrat que je ne parvenais plus à casser. Cette longue procédure contre mon ancien label m’a coupé d’un coup du public et des médias. J’en suis ressorti vidé, fatigué, toujours aussi amoureux de la musique mais trahi par le showbiz».
Un nouvel album plus personnel
La traversée du désert dure dix ans, mais avec Mani l’oasis ombragée surgit enfin à l’horizon pour ce Cheb oublié. Le nouvel album est enregistré au studio Polydor, à Paris, par Stéphane Mickael Blaess, un ex-musicien de Ghetto Blaster, qui s’est ensuite distingué avec Princess Erika. «On a fait douze titres différents qui ont chacun leur propre direction», explique Kader. «Le premier single c’est Majiti, l’histoire d’un garçon qui donne rendez-vous à une jeune fille qui ne vient jamais. Majiti signifie "tu n’es pas venue". C’est un rendez-vous manqué». Zerga (la brune), autre titre de l'album, inspiré par les rythmes des gnawa marocains avec ses percussions et sa basse très africaine, comme la plupart des chansons de Kader est totalement voué à l’amour. C’est l’histoire d’une ravissante brune qui est partie un jour. Comme elle a disparu, son amoureux décide de dépêcher un messager à sa recherche. En lui expliquant : «Tu vas la chercher. Elle a disparu, je ne la vois plus. Je n’ai pas les moyens de la retrouver. Toi qui est un messager, vas-y». Mais le messager ne revint plus jamais. Il a retrouvé la brune, mais elle est si belle qu’il disparaît lui même avec elle.
L’album tourne sur deux pôles principaux : l’arabo-andalou, avec guitare acoustique flamenco comme cette chanson El Meskin aux violons pincés et à la flamme déclarée, et à l’opposé, un Orient éternel dont les violons ont l’air tout droit sorti d’un film égyptien, comme cet H’Mami qui vibre dans la grande tradition des années quarante. Drames et tragédies, ruptures, départs y côtoient tous les thèmes de l’amour idéalisé. Kader transpose par ses rythmes et sa poésie tant de déchirements nés de l’immigration. Mchit signifie «tu es parti». Pulsée par les percussions, elle parle de tous ceux qui se sont entassés dans les bidonvilles de Nanterre et d’ailleurs au début des années 60, parce qu’on leur racontait que le monde occidental était un pays de Cocagne.
«A chaque fois que j’évoque quelque chose dans mes chansons, je l’ai vu de mes yeux, donc j’en parle» conclut Cheb Kader. «Que cela soit au niveau des textes ou au niveau musical. Quand j’aime quelque chose, forcément je m’en inspire. Ma vie est là, je ne fais jamais semblant. Même s’il ne s’est rien passé pour moi pendant dix ans, même si cela a été long de faire un travail comme celui-là, les idées ont mûri dans ma tête et je les ai menées à terme avec beaucoup de volonté. Cet album-là, c’est tout moi, c’est ce que je suis dans la vie et ce que j’aime écouter. Si j’ai utilisé un orchestre philharmonique pour accompagner ma musique, c’est pour réaliser un rêve de gamin. Car ma musique sait s’adapter à travers diverses cultures. Et prouver qu’aujourd’hui, on peut oser un raï moderne inspiré des rythmes sud-américains, ce que nous avons réalisé avec Sergent Garcia en expérimentant une salsa-raï sur Selou. Disons que j’ai voulu bousculer les choses et dire : voilà comment nous, les Beurs de France, percevons en 2002 le style oriental».
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